V. MERCREDI 14 FÉVRIER 1996
-
Présidence de M. Adrien Gouteyron,
président
. - La mission a tout d'abord procédé
à l'audition de
M. Jean-Pierre Boisivon, directeur
général du groupe ESSEC.
Dans une série de remarques liminaires,
M. Jean-Pierre Boisivon
a
estimé que les problèmes des premiers cycles universitaires
devaient être replacés dans une perspective plus large, en
rappelant que la société française avait connu depuis dix
ans un phénomène inédit dans son ampleur et ses
conséquences sociales, celui de la massification de notre
enseignement : alors que 10 % d'une génération obtenait
le baccalauréat en 1960, ce pourcentage est passé à
30 % en 1985 et à 60 % en 1995. L'objectif de conduire
80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat est ainsi
en passe d'être réalisé.
Soulignant que ce phénomène n'était pas propre à
notre pays, il a cependant rappelé que les travaux de simulation
menés au milieu des années 80 par la direction de
l'évaluation et de la prospective du ministère de
l'éducation nationale avaient retenu cet objectif ambitieux, en
prévoyant cependant le développement des " bac pro " et
de la voie professionnelle : en fait, les bacheliers issus de la voie
générale et technologique ont représenté 70 %
des 200.000 bacheliers supplémentaires et cette évolution
s'est accompagnée d'une hypertrophie de la filière
générale dans les lycées, au détriment de la voie
professionnelle, contribuant ainsi au développement d'un mouvement
général de poursuite d'études dans l'enseignement
supérieur.
Il a également indiqué que 30 % des bacheliers
professionnels poursuivaient leurs études et que la moitié
d'entre eux regrettaient de ne pas être en mesure de le faire. Cette
évolution sans précédent se traduit par le fait que plus
de la moitié d'une classe d'âge accède désormais
à l'enseignement supérieur et que 250.000 étudiants
se retrouvent dans les premiers cycles universitaires non sélectifs.
Soulignant les conséquences " sismiques " de ce mouvement,
il
a cependant salué la capacité de notre système
éducatif à supporter un tel choc sur une aussi courte
période, et a noté que cette évolution s'était
traduite par un renversement de la pyramide des niveaux de
diplômes : alors que la moitié d'une génération
sortait, il y a dix ans, du système éducatif avec un niveau CAP
ou BEP, 250.000 étudiants devraient obtenir en l'an 2000 un
diplôme à bac + 5 ou plus.
Dans le même temps, les DEUG enregistrent un taux d'échec
très élevé qui risque de toucher des effectifs
d'étudiants de plus en plus importants dans les années à
venir : il importe en conséquence de trouver des solutions pour que
ces étudiants ne sortent pas du système universitaire sans aucun
diplôme.
Il a ajouté que cette perspective conduisait tous les responsables
à s'interroger sur les conséquences d'une véritable
révolution culturelle, celle d'une rupture prochaine entre le
diplôme et le statut professionnel et social, l'économie
française n'étant en effet pas en mesure de proposer à
l'ensemble des étudiants diplômés les emplois correspondant
à leur qualification.
Il a par ailleurs estimé que les problèmes de l'enseignement
supérieur résultaient, d'une part, d'un refus de l'orientation
vers l'enseignement professionnel, qui souffre d'une image négative
auprès des familles et qui a été transformé en fait
en structure d'accueil pour les jeunes en difficulté et, d'autre part,
d'une opposition à toute idée de sélection à
l'entrée à l'université, les événements de
1986 et la loi d'orientation sur l'éducation de 1989 ayant
consacré le droit imprescriptible pour tout bachelier de s'engager dans
des études supérieures longues.
Il a ajouté que le secteur sélectif court, prévu à
l'origine pour accueillir les bacheliers technologiques, avait
été en fait investi par les bacheliers généraux,
les premiers se retrouvant dans des formations universitaires
générales inadaptées.
Constatant qu'il n'était pas envisageable d'instaurer une quelconque
sélection à l'entrée à l'université, il a
cependant remarqué que des procédures autorisant la
répartition des étudiants dans des filières
supérieures différenciées permettraient de remédier
à l'hétérogénéité des divers types de
bacheliers.
Il a ensuite estimé que la situation actuelle de l'enseignement
supérieur appelait des solutions urgentes qui devaient s'inscrire dans
la perspective d'un plan de réforme sur plusieurs années,
dépassant l' " horizon stratégique "
habituel des dirigeants de l'éducation nationale. Leur mise en oeuvre
supposerait par ailleurs un redéploiement des moyens existants et une
professionnalisation d'une partie de la formation dispensée par les
universités, notamment par la voie de l'apprentissage. Cette
modalité de la formation en alternance, déjà
utilisée depuis longtemps dans l'internat de médecine, et plus
récemment à l'ESSEC, devrait selon lui connaître un
développement prioritaire dans les formations générales
supérieures et permettre d'adapter les diplômes universitaires aux
besoins des entreprises.
Rappelant ensuite que la filière professionnelle apparaissait souvent
comme une voie de relégation dans l'enseignement secondaire, et
était aussi à l'origine des difficultés rencontrées
dans la filière générale, il a noté que la
réussite d'un système d'orientation au lycée était
subordonnée à une revalorisation de l'enseignement professionnel
qui pourrait, selon lui, notamment, par la voie de l'apprentissage et de la
formation en alternance, être déconnecté de
l'éducation nationale en s'appuyant davantage sur les entreprises.
Il a ajouté que les sorties précoces volontaires du
système éducatif, à un niveau BEP ou " bac
pro ", supposaient que les intéressés aient la
possibilité de reprendre des études ultérieures
débouchant sur un diplôme, en utilisant pleinement
l'expérience professionnelle préalablement acquise, une gestion
décentralisée de ce système au niveau régional
étant par ailleurs souhaitable.
Il a également estimé que la gratuité des études
supérieures, coûteuse pour la collectivité, constituait un
encouragement à la poursuite de longues études alors que le poids
des déficits publics, des dépenses de santé et de
retraite, sera tel que l'éducation nationale ne sera plus un secteur
prioritaire. Il a également noté que l'université
s'était paupérisée depuis les années 60 et que
la France était le seul grand pays qui consacrait davantage d'efforts
à ses lycéens qu'à ses étudiants.
Dans la perspective d'une augmentation substantielle des droits d'inscription,
il a estimé que l'enseignement supérieur devrait constituer un
choix d'investissement pour les familles : les ressources nouvelles
provenant d'une majoration de ces droits devraient permettre d'améliorer
le fonctionnement de l'université, alors que le système actuel de
gratuité était source d'inégalités, procurait une
rente de situation aux étudiants favorisés et privait les autres
de services pourtant indispensables à la poursuite d'études
supérieures (équipements informatiques, stages à
l'étranger...).
Il s'est enfin interrogé sur les conséquences d'un statut de
l'étudiant qui serait rendu plus attractif et qui serait
généralisé à moyen terme aux deux-tiers d'une
génération.
A l'issue de cet exposé général, un large débat
s'est engagé.
M. Frank Sérusclat
s'est interrogé sur les
expériences envisagées par le ministre chargé des
télécommunications dans le domaine des nouvelles technologies et
d'une utilisation éventuelle du réseau
" téléport " par les universités. Il a par
ailleurs souligné le caractère quelque peu provocateur de
certaines propositions avancées, en particulier celles tendant à
remettre en cause le principe de la gratuité des études
supérieures.
M. Jean-Louis Carrère
a également indiqué que
certaines positions émises par M. Jean-Pierre Boisivon ne pouvaient
recueillir son assentiment, même si leur caractère parfois
provocateur avait le mérite de susciter des interrogations salutaires et
si le diagnostic établi sur la situation de l'université pouvait
être partagé.
Il a ensuite rappelé que la politique menée depuis plusieurs
années avait consisté à adapter certaines formations
à l'enseignement supérieur, sans remettre en cause son
organisation ni proposer une régulation des flux d'étudiants, la
finalité principale de l'université restant, selon lui, de
faciliter l'insertion professionnelle de ses diplômés.
Il a par ailleurs estimé que les chômeurs ne seraient pas en
mesure de payer les études supérieures de leurs enfants, sauf
modulation éventuelle des droits d'inscription en fonction des revenus
des familles.
Il a par ailleurs rappelé que les choix effectués en faveur de
l'enseignement technologique ou professionnel dans le secondaire
résultaient d'une " orientation par défaut " et a
souhaité que le contenu de cet enseignement soit revu, en liaison
notamment avec les besoins des entreprises.
Il a enfin noté que certaines sections étaient maintenues ou
fermées dans les lycées professionnels sans tenir compte des
perspectives d'emploi correspondantes et de leur fréquentation par les
élèves.
M. Jean-Pierre Camoin, co-rapporteur,
a souligné
l'intérêt de l'exposé de l'orateur, notamment concernant le
rôle de la formation en alternance.
Il a ensuite opposé le constat inquiétant fait de la situation de
l'enseignement supérieur, qui appellerait des réformes d'urgence,
à un discours officiel plus rassurant qui ne préconiserait que
des mesures d'adaptation, à l'exclusion de tout aménagement
législatif.
Il s'est enfin interrogé sur les réformes qui seraient
susceptibles d'être acceptées, sans réactions violentes,
par le milieu universitaire.
Souscrivant à l'analyse et aux propositions de M. Jean-Pierre
Boisivon, et s'appuyant sur les exemples des pays étrangers,
M.
André Maman
a estimé que toute formule de sélection
supposerait une information et une orientation des étudiants, que
l'abandon du principe de la gratuité des études
supérieures nécessiterait un effort dans le domaine des bourses
universitaires et que l'encadrement assuré par d'anciens
étudiants devrait être encouragé.
M. Jean Bernadaux, co-rapporteur,
a souligné
l'intérêt et le caractère novateur de l'exposé de
l'orateur, concernant notamment le nécessaire développement de
l'apprentissage et la professionnalisation des formations supérieures.
Il a cependant regretté que le recrutement des enseignants des
universités néglige cette dimension professionnelle.
M. Pierre Laffitte
a souhaité recueillir l'opinion de
M. Jean-Pierre Boisivon sur l'intérêt d'un tutorat
extérieur, susceptible d'apporter un appui aux services d'orientation
dans les lycées.
M. Adrien Gouteyron, président,
a souhaité obtenir
des précisions sur le recours à l'apprentissage dans
l'enseignement supérieur, compte tenu des diverses acceptions de cette
forme de formation en alternance, et s'est demandé si les entreprises
étaient prêtes à s'associer à cette démarche.
Répondant à ces interventions,
M. Jean-Pierre Boisivon
a
notamment apporté les précisions suivantes :
- s'il ne saurait être question d'empêcher les bacheliers
défavorisés d'accéder à l'enseignement
supérieur, le principe de sa gratuité tend à limiter les
moyens des universités et à exclure en fait les étudiants
défavorisés des savoirs discriminants sur le marché du
travail, notamment dans le domaine des langues vivantes, qui relèvent
alors des initiatives privées ;
- les notions de qualification scolaire et de compétences
professionnelles ne se recouvrent pas et sont trop souvent confondues dans
l'opinion ; à cet égard, il est souhaitable que les
diplômés généraux puissent " irriguer "
l'ensemble des professions ;
- l'évolution rapide des technologies de l'information et de la
communication entraînera une modification profonde des relations entre
maître et élèves -notamment avec les CD-Rom
multimédia, l'enseignement à distance, l'interactivité,
l'accès aux réseaux d'information, le tutorat à distance-
et une " disqualification " rapide des établissements
d'enseignement supérieur qui n'auront pas mis en oeuvre ces nouvelles
technologies ;
- le système universitaire n'a aucune raison de s'engager
spontanément dans un processus " héroïque "
d'auto-réforme, en l'absence de tout élément
régulateur extérieur comme l'est le marché pour les
entreprises : les familles et les étudiants, surtout si ceux-ci
étaient appelés à acquitter des droits d'inscription
significatifs, pourraient dans l'avenir jouer un rôle de
régulateur du système ;
- le service public d'orientation dans l'enseignement secondaire tend à
privilégier l'orientation scolaire, par rapport à l'orientation
professionnelle et pourrait être renforcé par des intervenants
extérieurs et par une formation des orienteurs dispensée à
l'occasion de stages en entreprise ;
- l'apprentissage ne doit pas être considéré comme une
structure d'accueil, mais comme un mode de formation efficace, à
finalité d'insertion professionnelle directe, comme en témoigne
l'exemple de disciplines telles que la médecine et la gestion.
La mission a ensuite procédé à l'audition de
M. Jean de Boishue, ancien secrétaire d'Etat chargé de
l'enseignement supérieur,
auteur du rapport à M. le
Premier ministre sur les voies d'un nouveau partenariat entre l'Etat, les
établissements d'enseignement supérieur et les
collectivités locales.
Dans une déclaration liminaire,
M. Jean de Boishue
a
indiqué que les conclusions des divers rapports consacrés
à la situation de l'enseignement supérieur étaient
convergentes et tendaient à privilégier l'analyse des
difficultés des premiers cycles universitaires, qui appellent
aujourd'hui des solutions urgentes.
Il a ensuite estimé que les aspects positifs et les réussites de
notre système éducatif, qui est aujourd'hui confronté aux
problèmes de la société française, sont trop
souvent oubliés. Il a ainsi rappelé que la démocratisation
réussie de l'enseignement supérieur s'était traduite par
une progression du nombre des étudiants de 500.000 à
2,1 millions en quinze ans, et que des efforts importants de
professionnalisation des formations supérieures avaient permis une
meilleure adaptation de celles-ci aux besoins de notre économie :
en témoigne la création de nouvelles écoles
d'ingénieurs, des sections de techniciens supérieurs, des
instituts universitaires de technologie, des instituts universitaires
professionnalisés qui constituent autant de formations professionnelles
ayant profondément renouvelé notre système universitaire.
Dans le même sens, le plan Université 2000 a constitué une
avancée considérable dans le domaine des constructions
universitaires, grâce à un cofinancement des collectivités
locales qui pourraient aujourd'hui légitimement prétendre
à une certaine coresponsabilité dans la gestion des
établissements, d'autant plus que les lycées, qui entrent dans le
champ de la compétence des régions, accueillent des effectifs
importants d'étudiants en classes supérieures et
préparatoires.
Il reste que le taux d'échec dans les premiers cycles, qui rassemblent
600.000 étudiants, notamment concentrés en région
parisienne, constitue le principal problème du système
universitaire, alors que le taux de réussite dans le secteur
sélectif des cycles courts professionnalisés et des classes
préparatoires aux grandes écoles apparaît satisfaisant.
M. Jean de Boishue
a indiqué que cet échec
résultait d'une maîtrise insuffisante de la démocratisation
de l'enseignement supérieur et d'un défaut d'orientation des
nouveaux étudiants qui découvrent, après le
baccalauréat, un monde largement inconnu.
Il a par ailleurs constaté que les notions de décentralisation et
de déconcentration restaient étrangères à
l'enseignement supérieur, que l'autonomie universitaire demeurait une
notion abstraite et que le système participatif au sein des
universités était particulièrement faible, notamment pour
les étudiants.
Il a ensuite observé que si l'université était encore
" douillettement " protégée il y a vingt ans, celle-ci
était aujourd'hui au centre des problèmes de la
société française, qu'il s'agisse de la crainte du
chômage, des inquiétudes sur les débouchés
professionnels ou du niveau sanitaire préoccupant de la population
étudiante.
Constatant que notre pays consacrait à l'enseignement supérieur
des moyens inférieurs à ceux de nombre de pays voisins ou
comparables, il a appelé de ses voeux un véritable consensus sur
les réformes à engager, permettant de dépasser les
clivages politiques traditionnels.
Il a ensuite souligné le caractère inéluctable des
relations qui devront s'établir entre les universités et les
collectivités locales, même si ce thème reste encore tabou
en raison de ses incidences financières, les premiers cycles
universitaires constituant selon lui des instruments essentiels de
l'aménagement du territoire.
Constatant que l'importance de l'échec universitaire était de
nature à motiver les régions pour mettre en place des formations
courtes de proximité et débouchant sur des diplômes
immédiatement utilisables, il a indiqué que de nombreuses
collectivités locales et organisations consulaires étaient
prêtes à s'engager dans ce type de partenariat.
En conclusion, il a cependant exprimé son inquiétude devant une
inertie générale qui résulterait de la crainte d'une
explosion universitaire alors que tous les rapports publiés ont conclu
à la nécessité d'un développement de l'autonomie,
des partenariats et du système participatif des établissements
d'enseignement supérieur.
Il a enfin estimé que l'université était parvenue à
un moment historique où il lui fallait évoluer parce qu'elle
avait réalisé une grande part des objectifs qui lui avaient
été assignés et qu'elle devait répondre
désormais à de nouveaux défis.
A l'issue de cet exposé général, un large débat
s'est instauré.
M. Jean-Paul Camoin, co-rapporteur,
a d'abord indiqué qu'il
partageait l'analyse faite de la situation de notre système
universitaire.
Il s'est ensuite demandé si l'implication des collectivités
locales dans les premiers cycles ne risquait pas d'entraîner une
régionalisation de l'enseignement supérieur et de porter atteinte
au caractère national des diplômes, et si une participation
financière de leur part ne conduirait pas à associer les
régions à la gestion des universités et à la
définition de formations adaptées aux besoins économiques
régionaux.
Il s'est enfin interrogé sur les raisons du relatif échec de la
rénovation des DEUG.
M. Ivan Renar
a d'abord indiqué qu'il partageait la
présentation équilibrée qui avait été faite
de la situation actuelle de notre système universitaire.
Convenant que la démocratisation des premiers cycles universitaires
avait pu être réalisée sur le plan quantitatif, il s'est
interrogé sur les conditions dans lesquelles s'était
opérée cette massification, alors que de nombreux bacheliers sont
condamnés à l'échec universitaire.
Il a par ailleurs estimé que la région constituait un
échelon pertinent pour établir un partenariat avec l'enseignement
supérieur, à la condition que les universités ne
deviennent pas de simples prestataires de services et que la région
intervienne à titre complémentaire en finançant par
exemple une bibliothèque universitaire plutôt qu'un investissement
de prestige.
Il a enfin dénoncé la situation sanitaire et sociale
préoccupante du monde étudiant.
M. Jean Bernadaux, co-rapporteur,
a souhaité obtenir des
précisions sur les difficultés d'intégration des nouveaux
étudiants dans les premiers cycles universitaires et s'est
demandé si certains problèmes des banlieues se retrouvaient
désormais dans ces premiers cycles. Il a également
souhaité recueillir l'opinion de M. Jean de Boishue sur la
création de collèges universitaires, sur une déconnexion
éventuelle des premiers cycles de la recherche, ainsi que sur les moyens
d'assurer un encadrement satisfaisant aux formations courtes
professionnalisées qui sont susceptibles d'être
créées.
M. Daniel Eckenspieller
est convenu que la démocratisation
de l'université avait pu être assurée d'une manière
satisfaisante sur le plan quantitatif, qu'une professionnalisation des
formations supérieures avait été engagée,
même si celle-ci n'avait pas concerné les premiers cycles, et
s'est interrogé sur le développement de formations en alternance
de proximité correspondant aux besoins économiques
régionaux.
Souscrivant pour l'essentiel à l'analyse présentée par
M. Jean de Boishue,
M. Pierre Laffitte
a
demandé si le principe de l'autonomie des universités pouvait se
concilier avec la définition d'une carte et de schémas
universitaires et a rappelé que nombre de pays développés,
organisés il est vrai selon des structures institutionnelles
différentes, n'avaient pas la religion du diplôme national.
Il a également souligné l'efficacité des structures
d'enseignement de taille réduite, de type STS et IUT, et souhaité
un renforcement de l'autonomie des universités.
Il a ajouté que le recours aux nouvelles technologies interactives
serait de nature à rénover les méthodes d'enseignement,
notamment dans la perspective d'une décentralisation des sites
universitaires.
Il a enfin souligné l'effort engagé en faveur de la
professionnalisation des formations supérieures en notant la
difficulté d'étendre celle-ci aux premiers cycles et est convenu
que les collectivités locales seront inéluctablement conduites
à jouer un rôle en ce domaine, un système national de
régulation étant par ailleurs nécessaire pour valider les
diplômes et les formations et les diplômes correspondants.
M. Adrien Gouteyron, président
, a souhaité obtenir des
précisions sur la réalité et l'étendue de
l'autonomie universitaire.
M. André Maman
a estimé que l'orientation n'était
pas assurée d'une manière satisfaisante dans les lycées,
que le problème de la sélection à l'université et
de l'augmentation des droits d'inscription devraient faire l'objet d'un
débat et d'une véritable information et que l'université
française, sans un renforcement de ses moyens, ne serait pas en mesure
de réussir sa mutation en entrant dans le XXIe siècle.
Répondant à ces interventions,
M. Jean de Boishue
a notamment apporté les
précisions suivantes :
- le développement d'un partenariat régional et d'une
délocalisation des sites universitaires ne doit pas conduire à
remettre en cause les compétences du ministère -" la
trinité républicaine " -dans le domaine de l'habilitation
des formations, du statut des enseignants et du caractère national des
diplômes- mais à décharger celui-ci des missions qui sont
déjà assumées pour une très large part par les
universités elles-mêmes (organisation des examens,
activités sportives, services de santé ...) .
- les opérations de prestige, notamment dans le secteur de la recherche,
relèvent plutôt de la responsabilité de l'Etat alors que
les collectivités locales ont un intérêt direct à
investir dans les premiers cycles, afin notamment de réduire
l'échec universitaire ;
- la rénovation des DEUG engagée en 1992 s'est traduite par un
grand nombre d'habilitations nouvelles mais n'a pu être menée
à son terme du fait de son caractère technocratique ;
- les régions ont un rôle essentiel à jouer dans la
réforme des premiers cycles puisqu'elles sont déjà
présentes dans les lycées et qu'elles participent à
l'élaboration du schéma régional des formations qui inclut
la carte des enseignements supérieurs ;
- la situation du système de santé des étudiants
apparaît préoccupante et révèle une sous-utilisation
des centres hospitaliers universitaires en ce domaine ainsi que de grandes
inégalités entre les universités ;
- la création de collèges universitaires n'est pas opportune et
il serait dangereux de déconnecter les premiers cyles de
l'activité de recherche ;
- les délocalisations des premiers cycles doivent rester sous le
contrôle des conseils universitaires ;
- les problèmes de l'insertion des nouveaux étudiants dans les
premiers cycles pourront être réduits à condition de mettre
un terme à un certain gigantisme des constructions, de prévoir un
meilleur encadrement et de faciliter le passage du lycée à
l'université en procurant une aide méthodologique aux
étudiants ;
- l'université française constitue un outil culturel et national
d'intégration, notamment dans les banlieues, avec l'installation des
universités nouvelles qui concourent également à la
politique d'aménagement du territoire ;
- l'effort de professionnalisation des formations supérieures
engagé depuis vingt ans est trop fréquemment ignoré et
pourrait être étendu aux premiers cycles, notamment en utilisant
l'alternance ;
- la réconciliation de la nation avec son université constitue un
préalable à une réforme de l'enseignement
supérieur, mais toute idée de sélection universitaire
serait d'autant moins acceptée par les Français que ceux-ci sont
confrontés au développement du phénomène de
l'exclusion ;
- le développement de l'autonomie des universités, dans le
respect des compétences de l'Etat est souhaitable à condition
qu'il soit procédé à une répartition
équitable des moyens accordés aux établissements ;
- l'orientation des lycéens devrait faire l'objet d'un enseignement
obligatoire à partir de la classe de troisième ;
- il ne serait pas inutile que les futurs étudiants puissent disposer
sur le minitel, lors de leur inscription à l'université, d'une
information complémentaire sur les débouchés des diverses
filières de formation.
VI. MERCREDI 21 FÉVRIER 1996
-
Présidence de M. Adrien Gouteyron,
président
. - La commission a tout d'abord procédé
à
l'audition
de
M. Alain Touraine, professeur à
l'Ecole des hautes études en sciences sociales
.
Dans une observation liminaire,
M. Alain Touraine
a constaté que
tout le monde s'accordait pour considérer que les premiers cycles
universitaires étaient le lieu des échecs principaux de
l'université et que l'existence d'un système universitaire
" dual ", rassemblant d'une part un enseignement supérieur
sélectif et professionnalisé et d'autre part, un secteur
général et ouvert, était à l'origine des
difficultés actuelles.
Il a également rappelé que le secteur sélectif
professionnalisé assurait l'essentiel de la formation aux fonctions
supérieures de notre pays et avait tendance à s'étendre,
des grandes écoles jusqu'aux instituts universitaires de technologie et
aux instituts universitaires de formation des maîtres ; dans le
même temps le secteur non sélectif, qui pendant trente ans a
assuré, selon un système de " capillarité
sociale ", des perspectives d'insertion satisfaisantes se trouve
aujourd'hui confronté, dans une situation de crise économique,
à une massification de l'enseignement supérieur et à des
débouchés incertains, et tend ainsi à devenir une
filière d'échec : la part d'une génération qui
accède en France à l'enseignement supérieur est en effet
désormais supérieure à celle constatée aux
Etats-Unis et deux fois plus élevée que celle observée en
Grande-Bretagne.
Il a également constaté que la poursuite d'études
supérieures correspondait à une attente des familles qui ont
progressivement accédé à la société de
consommation, et noté que le ralentissement de la croissance
économique avait plus particulièrement affecté les
perspectives d'emploi des diplômés du secteur universitaire non
sélectif, notre enseignement supérieur ayant désormais
tendance à contribuer à l'aggravation des
inégalités sociales.
Cette situation dramatique concerne davantage les étudiants
scientifiques des premiers cycles qui sont confrontés à la
concurrence de ceux du secteur sélectif, et se traduit également
par une baisse du niveau dans les cycles généraux de
l'université.
Rappelant qu'il était opposé à toute idée de
sélection qui n'aurait aucun sens dans la situation actuelle de
l'université,
M. Alain Touraine
a estimé qu'il ne
servirait à rien d'apporter une information aux étudiants dans la
mesure où personne ne sait à quoi servent les universités
; celles-ci tendent en effet à privilégier l'offre de leurs
formations au détriment de la demande et ne sont pas en état de
préciser les finalités individuelles et professionnelles de leurs
enseignements. Il a ajouté que les établissements d'enseignement
supérieur ignoraient le devenir professionnel de leurs étudiants
du fait d'une organisation des études qui reste définie par des
enseignants-chercheurs enfermés dans leur seule discipline.
Toute information des étudiants apparaît donc vaine tant que les
universités ne seront pas en mesure de publier un état du devenir
universitaire et professionnel à moyen terme de leurs étudiants.
Il a par ailleurs rappelé que les rapports de la commission nationale
d'évaluation se bornaient à évaluer la qualité
professorale des études mais ne servaient à rien dans les
premiers cycles puisque, à la différence du système
anglais d'évaluation, leurs conclusions n'emportaient aucune
conséquence, notamment financière, pour les établissements
évalués. Il a ainsi estimé nécessaire que chaque
université soit en mesure d'établir et de publier à
l'avenir un état des flux de ses étudiants et de leur devenir, en
fonction de l'évolution du marché du travail et de prendre en
compte les projets universitaires et professionnels de ses étudiants.
Constatant ensuite l'extrême
hétérogénéité des étudiants des
premiers cycles, il a souhaité, outre une information préalable
des bacheliers, une différenciation du contenu des enseignements et la
mise en oeuvre de formations renforcées pour ceux qui souhaitent
poursuivre des études longues, notamment dans les filières
scientifiques, afin de ne pas conférer un quelconque monopole aux
écoles supérieures, notamment dans la formation des
enseignants-chercheurs.
Estimant que l'apprentissage des disciplines universitaires relevait
plutôt, à son sens, des deuxièmes cycles, il a
préconisé une différenciation des premiers cycles qui
privilégierait une " autre organisation du champ du savoir "
dans le domaine de la pratique sociale et l'acquisition de connaissances
synthétiques permettant de répondre à de nouveaux besoins
collectifs notamment en matière d'environnement, de santé
publique et de politique de la ville.
Dans cette perspective, les universités établiraient un catalogue
de formations en fonction des perspectives d'emplois existants ou susceptibles
d'être créés dans l'avenir.
Il a souligné que toute information des étudiants impliquait au
préalable la définition d'une " politique d'emploi "
pour chaque université, établie et rendue publique à
partir de l'évolution des flux d'étudiants, ainsi que
l'organisation d'un audit pour chaque établissement universitaire afin
d'évaluer son efficacité en fonction notamment des demandes de
formation et des besoins existants ou virtuels des employeurs.
S'agissant de la restructuration des études universitaires dans une
perspective d'une meilleure adaptation de l'offre à la demande de
formation, il a estimé qu'opposer l'enseignement général
et l'enseignement professionnel relevait de la rhétorique et que
l'essentiel était d'associer les finalités de ces deux ordres de
formation.
A l'issue de cet exposé, un large débat s'est engagé.
M. Adrien Gouteyron, président
, a souligné la
clarté des propositions avancées et s'est demandé si les
universités disposaient des moyens d'informer leurs étudiants et
de suivre l'évolution de leur carrière universitaire et
professionnelle ; il s'est également interrogé sur leurs
capacités à dispenser des enseignements synthétiques par
" catégories d'actions ", tels que ceux-ci ont
été présentés, compte tenu du fait que les
universitaires restaient formés pour enseigner leur propre discipline.
Soulignant la vigueur de l'analyse présentée et
l'intérêt des mesures préconisées,
M. Ivan
Renar
a cependant rappelé que le mouvement de massification des
premiers cycles traduisait une attente des étudiants et de leur famille,
notamment en matière d'insertion professionnelle et sociale et a
souligné les gâchis qui résultent pour les
intéressés et pour le pays de l'échec universitaire.
Il a également souhaité obtenir des précisions quant aux
modalités de mise en oeuvre des propositions formulées.
M. André Maman
s'est inquiété d'une
éventuelle régionalisation de l'enseignement supérieur, a
souligné la difficulté de prévoir des flux d'emploi compte
tenu de l'évolution rapide des qualifications requises sur le
marché du travail et a souhaité obtenir des précisions sur
le niveau comparé des formations professionnalisantes en France et aux
Etats-Unis.
Répondant à ces interventions,
M. Alain Touraine
a
notamment apporté les précisions suivantes :
- si le problème de l'insertion professionnelle des étudiants ne
relève pas exclusivement de l'université, cette dernière
contribue cependant au désordre général en refusant de se
préoccuper de l'évolution des perpectives générales
du marché de l'emploi alors qu'il serait de sa responsabilité
d'inventer des formations qui optimiseraient les chances des étudiants
de trouver un métier ;
- la formation à de nouvelles " fonctions d'action "
supposerait une organisation multidisciplinaire des programmes et des concours
de recrutement des enseignants, une approche synthétique des
enseignements dispensés et une attitude des responsables universitaires
qui privilégierait la demande plutôt que l'offre de formation ;
- il convient d'exclure toute idée de sélection et de
préprofessionnalisation dans les premiers cycles : les premiers cycles
doivent s'orienter vers des formations multidisciplinaires plutôt que
vers des formations professionnelles pointues coupées de tout lien avec
la réalité sociale et économique ;
- les formations des premiers cycles doivent être diversifiées
selon les perspectives d'insertion professionnelle ou de poursuite
d'étude des étudiants et n'ont pas pour vocation de
déboucher exclusivement sur des emplois locaux ou régionaux ;
- le système universitaire américain est en retard par rapport au
nôtre pour les formations professionnalisées intermédiaires
et se caractérise par de très grandes inégalités
entre les universités ;
- la délocalisation des premiers cycles, qui s'est
développée malgré l'opposition du monde universitaire,
répond à une demande de formations de proximité des
étudiants et de leurs familles mais contribue à renforcer les
inégalités sociales ;
- la massification de l'enseignement supérieur peut également
être analysée comme la manière la plus intelligente de
maintenir les privilèges : les premiers cycles sont en effet
" tirés par le bas " par la crise économique et leurs
étudiants sont voués tout particulièrement à
l'échec universitaire ;
- la mise en place de nouvelles formations multidisciplinaires destinées
à satisfaire des besoins collectifs n'a rien d'irréaliste,
notamment dans le domaine de la santé publique, de la politique de la
ville et de l'environnement ;
- en utilisant pleinement leur autonomie, et la compétence des
recteurs-chanceliers, les universités doivent pouvoir mettre en place
des " plans emploi " permettant d'assurer une information
et une
orientation convenable des étudiants.
La mission a ensuite procédé à l'audition de
MM. Jean Garagnon, président, Christian Merlin,
vice-président, et Sylvère Chirache, secrétaire
général du Haut comité
éducation-économie.
Après avoir rappelé la vocation du Haut comité,
M. Jean Garagnon
a précisé que cet organisme ne
s'était pas spécifiquement prononcé sur le problème
de l'information et de l'orientation des étudiants des premiers cycles
universitaires, mais que cette question restait sous-jacente dans les
réflexions engagées depuis plusieurs années.
Il a indiqué que l'étude menée par le Haut comité,
selon les divers types de baccalauréat, avait confirmé que les
bacheliers des séries A, B, C et D connaissaient un taux de
réussite satisfaisant dans les premiers cycles tandis que les bacheliers
technologiques étaient particulièrement concernés par
l'échec universitaire.
Il a ensuite souligné l'hétérogénéité
des étudiants des premiers cycles et rappelé que l'enseignement
supérieur général avait été conçu
à l'origine pour les bacheliers généraux, tandis que les
STS et les IUT étaient destinés aux bacheliers technologiques.
Observant que les filières sélectives professionnalisées
étaient désormais investies par les bacheliers
généraux de bon niveau et que les bacheliers technologiques se
trouvaient en conséquence en situation d'échec dans des premiers
cycles généraux inadaptés à leur formation, il a
rappelé que 15 % d'une tranche d'âge, soit
125.000 jeunes, quittaient sans diplôme autre que le
baccalauréat le système universitaire dans les trois
années suivant leur entrée à l'université. En
ajoutant les candidats recalés au baccalauréat, c'est environ le
quart d'une classe d'âge qui sort du système éducatif sans
aucun diplôme universitaire.
Afin de répondre à cette situation préoccupante qui
s'expliquerait pour certains par une sélectivité excessive des
premiers cycles, des mesures ont été adoptées au cours des
années récentes pour réduire l'échec
universitaire : il en est résulté une légère
amélioration du taux de réussite des bacheliers technologiques
mais aussi un certain déplacement du problème de l'échec
universitaire vers les deuxièmes cycles.
Il a par ailleurs rappelé que le " bac pro " avait
été conçu à l'origine pour déboucher sur la
vie active et a estimé que l'information des lycéens était
particulièrement nécessaire pour orienter de manière
satisfaisante les bacheliers professionnels et technologiques, tandis que les
responsables des STS et des IUT devraient être incités à
accueillir une proportion plus importante de ces derniers.
A l'issue de cet exposé, un large débat s'est engagé.
Constatant que le dispositif d'orientation des divers types de bacheliers avait
en effet été détourné de sa vocation initiale,
M. Jean-Claude Carle
s'est interrogé sur les moyens d'y
remédier en notant par ailleurs que l'intelligence abstraite
était valorisée de manière excessive dans notre
système éducatif.
Il a également souligné l'inadaptation du " bac pro "
aux besoins des entreprises en observant que la filière tertiaire
était choisie par la moitié des élèves, alors que
ses débouchés sont aujourd'hui inexistants.
Il a enfin préconisé une meilleure adaptation des formations aux
besoins des entreprises, par le biais notamment des programmes régionaux
des formations, et souhaité un renforcement des centres d'information et
d'orientation ainsi qu'une formation spécifique des enseignants aux
réalités économiques, notamment au sein des IUFM.
M. André Maman
s'est inquiété de l'origine sociale
des quelque 125.000 élèves qui sortent sans diplôme du
système éducatif et s'est demandé si le principe du libre
accès à l'université ne constituait pas un moyen
détourné pour écarter ces jeunes d'origine modeste de
toute formation supérieure en les condamnant à l'échec.
Il s'est également interrogé sur les possibilités de
développer l'information des lycéens, sur la mise en place d'un
système efficace de sélection-orientation afin de réduire
l'échec dans les premiers cycles, et sur l'institution éventuelle
de tests d'évaluation permettant d'orienter les nouveaux
étudiants en fonction de leurs capacités.
Rappelant qu'il avait été le rapporteur à
l'Assemblée nationale de la loi Haby,
M. Jacques Legendre
a
indiqué que celle-ci comportait des dispositions qui n'ont jamais
été appliquées et qui devaient permettre aux
lycéens de choisir des modules de formation adaptés aux
différentes filières de l'enseignement supérieur.
Remarquant que tous les baccalauréats permettaient d'accéder
à l'enseignement supérieur, mais avec des chances de
réussite très inégales, il a souhaité que leur
définition et que leurs options soient mieux adaptées aux
diverses filières universitaires.
Il a ensuite estimé que la localisation des sites universitaires
constituait en soi un facteur d'orientation des étudiants, s'est
demandé si la multiplication des antennes universitaires avait
constitué un progrès ou au contraire un piège redoutable,
de nature à aggraver l'échec dans les premiers cycles, et s'est
interrogé sur l'efficacité du système d'orientation
scolaire et universitaire.
Il a ajouté que le plan quinquennal de formation professionnelle qu'il
avait présenté en 1980, et qui a été
abandonné après 1981, prévoyait déjà une
formation diplômante avant toute sortie du système
éducatif, une diversification du recrutement des orienteurs, qui devrait
bénéficier en outre de stages en entreprise, et une
préparation progressive des élèves à l'exercice
d'un choix professionnel.
Il a également dénoncé une " psychologisation "
excessive des orienteurs et s'est demandé s'il ne conviendrait pas
d'envisager un rapprochement des conseillers d'orientation relevant de
l'éducation nationale et des conseillers professionnels de l'ANPE.
Il s'est inquiété d'une " secondarisation "
éventuelle des premiers cycles et d'une remise en cause des
délocalisations universitaires qui ont contribué, notamment dans
sa région, à la démocratisation de l'enseignement
supérieur et a souhaité que soit recherchée une
coordination entre les filières supérieures, notamment par la
création de passerelles.
Il a enfin rappelé que la région du Nord-Pas-de-Calais
connaissait plusieurs types d'organisation universitaire, multipolaire pour les
universités nouvelles d'Artois et du Littoral, ou offrant une large
gamme de formations de premiers cycles sur un même site.
M. Adrien Gouteyron, président,
a estimé qu'il convenait
de distinguer l'orientation de la sélection et a indiqué que la
mission aurait le souci de proposer des solutions réalistes pour
réduire l'échec dans les premiers cycles, en tenant compte de la
dimension politique qui s'attache à tout aménagement
éventuel des textes en vigueur régissant l'organisation de notre
enseignement supérieur.
Il s'est ensuite interrogé sur les solutions préconisées
pour réformer les premiers cycles, en notant qu'une
" secondarisation " se heurterait à l'opposition des milieux
universitaires.
Il a enfin demandé si les problèmes des premiers cycles
n'allaient pas se poser en termes différents dans les années
à venir du fait de l'évolution à la baisse de la
démographie universitaire, si le Haut comité
éducation-emploi serait consulté pour la définition des
schémas régionaux de l'enseignement supérieur et de la
recherche et si la stabilisation des effectifs des étudiants des
premiers cycles ne permettrait pas de renforcer leur encadrement et par
là de réduire leur taux d'échec.
Répondant à ces interventions,
MM. Jean Garagnon,
Christian Merlin et Sylvère Chirache
ont notamment apporté
les précisions suivantes :
- tout aménagement en matière d'enseignement supérieur
apparaît comme un compromis entre le courage et l'habileté :
le précédent ministre chargé de l'enseignement
supérieur a été ainsi contraint, sous la pression des
étudiants, de retirer une circulaire qui ne faisait que rappeler les
textes en vigueur en matière d'organisation des études au sein
des filières sélectives professionnalisées ;
- les structures actuelles des premiers cycles sont mal adaptées
à l'hétérogénéité des
étudiants et pour apporter une réponse à ceux qui sont en
difficulté ;
- l'article 54 de la loi quinquennale pour l'emploi a permis
d'expérimenter des formules de rattrapage pour les étudiants qui
se sont fourvoyés dans les premiers cycles généraux ;
- la grande majorité des titulaires de " bac G ", qui
proviennent souvent de milieux défavorisés, enregistrent un
échec massif dans les premiers cycles universitaires ;
- il est préférable de convaincre les lycéens du bien
fondé d'une orientation que de leur interdire l'accès à
telle ou telle filière ;
- les premiers cycles ne sont pas exagérément sélectifs
puisque le taux de réussite y est de 80 % pour les bacheliers A et
C : il convient de rappeler aux lycéens la vocation initiale des
différents types de baccalauréat et de ne pas entretenir
l'illusion selon laquelle les trois formules seraient équivalentes pour
la poursuite d'études supérieures ;
- la plupart des jeunes sont réalistes sur leurs chances de
réussite universitaire et procèdent trop fréquemment
à des " choix par défaut ", en se repliant sur les
filières générales, faute d'avoir été
acceptés en STS ou en IUT ;
- si les universités devraient pouvoir définir des
prérequis pour les nouveaux étudiants dans certaines formations,
elles en sont empêchées par la loi de 1984 que les tribunaux
administratifs entendent strictement : ont été ainsi
jugées illégales les épreuves organisées par les
établissements pour contrôler les capacités physiques des
candidats aux filières sportives ;
- l'orientation scolaire et universitaire constitue l'un des points faibles du
système éducatif, du fait notamment d'une dérive
" psychologisante " des conseillers d'orientation ;
- une articulation est souhaitable en matière d'orientation entre les
lycées et les universités mais les universitaires
répugnent à s'engager dans cette mission ;
- le déficit d'information sur les filières et les métiers
constitue l'obstacle principal à l'élaboration d'un projet
professionnel, ou de poursuite d'études, par les
élèves ;
- le rapprochement entre les conseillers d'orientation et l'ANPE pourrait
constituer une piste intéressante pour l'information des
élèves mais les milieux professionnels ont pour l'instant
plutôt privilégié le recours aux professeurs principaux de
collège et à certains professeurs de lycée, en les
sensibilisant aux problèmes de recrutement dans certains métiers,
notamment constatés au plan local ;
- la délocalisation généralisée des premiers cycles
s'est effectuée notamment sous la pression des collectivités
locales qui ont tendance aujourd'hui à demander la création de
deuxièmes et troisièmes cycles alors que ces sites universitaires
ne justifient pas d'une masse critique d'étudiants nécessaire
pour les activités de recherche ; cette délocalisation
concerne surtout des DEUG littéraires ou juridiques qui constituent des
formations de proximité peu coûteuses mais inadaptées aux
besoins de l'économie locale ;
- une secondarisation éventuelle des premiers cycles permettrait de
s'appuyer sur le " maillage " serré des lycées, sur
l'expérience des classes supérieures et préparatoires et
de développer des formations de proximité, en autorisant des
réorientations ultérieures des étudiants ;
- le traitement de l'échec universitaire dans les premiers cycles
pourrait résulter soit de la mise en place d'une sélection
à l'entrée de l'université, soit d'une amélioration
du fonctionnement des établissements qui se traduirait cependant par un
transfert de l'échec universitaire dans les deuxièmes cycles qui
sont déjà touchés par une certaine perte
d'efficacité interne ;
- l'idée d'une sélection postérieure à
l'entrée à l'université serait susceptible d'être
envisagée soit à l'issue de la première année
d'études, soit à l'entrée en deuxième cycle mais
poserait la question de l'avenir des jeunes écartés des premiers
cycles et conduirait à ouvrir davantage les filières
sélectives de la voie technologique ;
- un système d'évaluation des capacités des
étudiants à l'aide de tests a été
expérimenté dans la région Rhône-Alpes sur le
modèle nord-américain ;
- le " bac pro " n'a jamais été envisagé
à l'origine pour permettre la poursuite d'études
supérieures, alors que 30 % de bacheliers professionnels s'engagent
aujourd'hui dans l'enseignement supérieur ;
- l'amélioration de la situation de l'emploi se traduirait
nécessairement par une réduction du mouvement en faveur de la
poursuite d'études supérieures ;
- la participation du Haut comité éducation-économie
à l'élaboration des schémas régionaux de
l'enseignement supérieur et de la recherche relèverait d'une
décision du ministre ;
- l'évolution à la baisse de la population étudiante se
traduira par un " cylindrage " des effectifs entre les
deuxièmes et troisièmes cycles qui est d'ores et
déjà observé dans les universités parisiennes.
VII. MERCREDI 6 MARS 1996
- Présidence de M. Adrien Gouteyron, président.
- La mission a tout d'abord procédé à
l'audition de M.
Claude Thélot, directeur de l'évaluation et de la prospective.
M. Claude Thélot
a d'abord présenté les
résultats de l'expérience originale qu'il avait initiée et
consistant à faire passer l'examen de certificat d'études
primaires à 6.000 collégiens en les soumettant à une
sélection d'épreuves de français et de
mathématiques identiques à celles données aux
écoliers des années vingt.
Abordant ensuite l'objet même de la mission d'information,
M. Claude Thélot
a rappelé que 57 % des
étudiants inscrits au DEUG passaient en licence dans la discipline
choisie lors de leur entrée à l'université et a
indiqué que ce taux de réussite non négligeable devait
être comparé à celui des IUT, des BTS (75 %) et des
classes préparatoires scientifiques (60 %).
Il a ainsi estimé qu'il convenait de relativiser le problème de
l'échec universitaire dans les premiers cycles en soulignant que cet
échec était plutôt celui de l'entrée dans
l'enseignement supérieur que celui du DEUG lui-même, d'autant que
de nombreux étudiants qui n'accèdent pas à la licence se
réorientent vers d'autres filières supérieures (BTS, IUT,
écoles d'architecture, formations artistiques ou
paramédicales...) et que les autres auront retiré quelque chose
de leur passage à l'université. Il a ajouté que 75 %
des bacheliers technologiques ne passaient pas en licence, ce pourcentage plus
important commandant de développer l'information et l'orientation des
lycéens avant leur entrée dans l'enseignement supérieur.
Il a ensuite exposé les principales conclusions de deux enquêtes
récentes menées par la direction de l'évaluation et de la
prospective (DEP) sur l'information et l'orientation des élèves
de terminale et des étudiants de première année et qui
peuvent être ainsi résumées :
- les lycéens et les étudiants s'estiment sous-informés
pour choisir une filière supérieure, même s'ils ont
bénéficié d'une information multiforme, quelque peu
diffuse et vague, recueillie auprès des conseillers d'orientation mais
surtout des parents et de leurs professeurs et obtenue à l'issue d'une
démarche personnelle : deux tiers d'entre eux auraient ainsi
participé à des journées d'information organisées
dans les lycées ou à des manifestations
spécialisées ;
- l'orientation des étudiants découlerait d'abord d'un
intérêt pour les filières choisies alors que le
problème des débouchés, du contenu et du niveau requis
pour ces filières ne semble avoir été pris en compte que
d'une manière vague et incomplète ;
- le tiers des élèves ont pris leur décision d'orientation
avant la classe de terminale, la moitié en cours d'année et un
huitième après le baccalauréat ;
- 25 % des étudiants déclarent regretter ensuite cette
orientation du fait notamment d'un niveau scolaire insuffisant et d'une
méconnaissance du monde universitaire et la moitié d'entre eux,
compte tenu de ces éléments, auraient choisi une autre
filière ;
- la moitié des étudiants entrés dans les filières
universitaires générales déclarent éprouver des
difficultés à suivre un enseignement supérieur du fait
notamment d'un encadrement insuffisant qui ne les incite pas à
travailler.
A cet égard,
M. Claude Thélot
a considéré
que le devoir des responsables était de rappeler aux bacheliers
professionnels que le " bac pro " était un diplôme
d'insertion professionnelle et n'était pas adapté à la
poursuite d'études supérieures ;
- la moitié des lycéens et étudiants consultés
estiment qu'une orientation plus sélective à l'entrée dans
l'enseignement supérieur serait une bonne chose tandis que l'autre
moitié y est opposée, cette dernière proportion
étant en progression par rapport à une enquête
effectuée en 1990 : les étudiants sont ainsi conscients des
risques d'échec en DEUG mais tiennent à tenter cette
expérience universitaire.
En conclusion,
M. Claude Thélot
a estimé qu'il convenait
de ne pas exagérer le discours tenu sur l'échec dans les premiers
cycles et a rappelé que les étudiants concernés retiraient
quelque chose de leur passage à l'université, que leur salaire
d'embauche était plus élevé que celui proposé aux
bacheliers entrant directement dans la vie active et que leur situation pouvait
être comparée, dans une certaine mesure, à celle des
élèves de classes préparatoires qui n'intègrent pas
les écoles supérieures.
Afin de réduire cependant la fréquence de ce type de cursus
universitaire, qui ne peut être assimilé à un échec
total, il conviendrait de développer l'information et d'aider à
l'orientation des lycéens et étudiants.
A l'issue de cet exposé général, un large débat
s'est engagé.
Remerciant d'abord M. Claude Thélot pour ces informations
inédites,
M. Adrien Gouteyron, président,
a
demandé si les pourcentages cités d'échec dans les DEUG
concernaient l'ensemble des bacheliers et au bout de combien d'années
cet échec était constaté.
M. Ivan Renar
a souhaité obtenir des précisions sur la
représentativité des échantillons qui avaient permis
d'établir les taux de réussite dans les premiers cycles. S'il est
convenu qu'il ne fallait pas exagérer l'importance de l'échec
universitaire, il s'est enquis du devenir professionnel et social des
étudiants qui abandonnaient leurs études et a rappelé
qu'une sélection " sauvage " de fait s'exerçait dans
l'enseignement supérieur.
Il a par ailleurs exprimé quelque étonnement à
l'égard des appréciations portées sur le sort des
étudiants en situation d'échec et sur le niveau des salaires dont
ils pourraient bénéficier lors de leur premier emploi, notamment
dans des fonctions subalternes. Il a enfin remarqué que les
étudiants de premier cycle réclamaient un encadrement
universitaire de type secondaire.
M. Daniel Eckenspieller
s'est félicité que les choix des
filières universitaires par les étudiants s'effectuent en
fonction de l'intérêt présenté par ces études
mais a remarqué que cette tendance apparaissait quelque peu
contradictoire avec une politique d'orientation.
Il s'est par ailleurs inquiété des conséquences d'un libre
choix sur le niveau général de l'enseignement dispensé
dans des filières où beaucoup d'étudiants se trouvent
rapidement en difficulté.
M. Jean-Pierre Camoin, co-rapporteur,
s'est demandé si le
renforcement de l'évaluation du système universitaire ne
constituait pas un préalable à la mise en place d'une
véritable politique d'information et d'orientation des étudiants.
Il a souhaité obtenir des précisions sur l'évolution de la
démographie étudiante à court terme dans les
différents cycles universitaires, sur une éventuelle
" secondarisation " des premiers cycles et sur les
conséquences d'une extension de l'apprentissage aux formations
supérieures, compte tenu notamment des capacités d'accueil des
entreprises.
Il a enfin souligné que les critères de recrutement des
entreprises ne recouvraient pas les formations dispensées à
l'université.
M. Jean-Claude Carle
s'est demandé si des expérimentations
ne pourraient pas être engagées pour renforcer l'encadrement des
étudiants des premiers cycles et si le faible rôle des conseillers
d'orientation auprès des lycéens ne résultait pas d'une
implantation inadaptée et insuffisante dans les établissements
scolaires.
Répondant à ces interventions,
M. Claude Thélot
a
notamment apporté les précisions suivantes :
- le pourcentage des étudiants qui ne passent pas en licence dans leur
discipline s'élève à 75 % pour les bacheliers
technologiques tandis que 63 % des bacheliers généraux
accèdent aux deuxièmes cycles universitaires, cette proportion
restant très faible pour les bacheliers professionnels ;
- la moitié des étudiants qui obtiennent un DEUG le
réussissent en deux ans alors que les changements d'orientation tendant
à allonger la durée nécessaire pour obtenir ce
diplôme ;
- les enquêtes qualitatives relatives aux modalités d'orientation
ont porté sur des échantillons représentatifs importants
(1.600 étudiants et 700 élèves de terminale) ;
- le niveau scolaire des étudiants, à la différence de
celui des élèves de l'enseignement secondaire, n'a pas fait
l'objet d'une évaluation : les tests menés depuis une
vingtaine d'années lors de l'incorporation au service national
révèlent cependant une stabilité générale de
ce niveau, notamment pour les bacheliers et les bac + 2 ou plus,
tandis que les agrégés, les docteurs et les ingénieurs des
grandes écoles obtiennent des résultats supérieurs
à ceux constatés il y a vingt ans ;
- une évaluation du niveau des élites scolaires engagée il
y a deux ans par la DEP, et intégrant les jeunes filles, traduit un
niveau aujourd'hui supérieur à celui constaté
régulièrement depuis la fin de la guerre, notamment dans le
domaine de l'utilisation des connaissances et de l'originalité de la
réflexion ;
- les études de l'INSEE montrent que le salaire moyen dépend
moins du diplôme que du niveau d'études ;
- une étude récente de la DEP sur l'insertion professionnelle des
jeunes diplômés de l'enseignement supérieur
révèle que la durée du processus d'insertion s'est
allongée mais que leur taux de chômage reste limité :
cinq ans après la fin de leurs études, les titulaires du seul
baccalauréat général sont pour 30 % cadres ou
techniciens, 45 % employés ou ouvriers, 12 % au chômage
et 13 % sans activité professionnelle ; pour les titulaires
d'une licence, d'une maîtrise ou d'un doctorat, 79 % sont cadres,
techniciens ou professeurs, 8 % employés ou ouvriers, 7 %
chômeurs et 6 % sans activité professionnelle ;
- l'évaluation du système universitaire reste embryonnaire et
doit être développée, en évitant de laisser cette
mission à la seule responsabilité des universités ;
cette évaluation ne constitue pas un préalable à la mise
en place d'une politique d'information et d'orientation des étudiants
mais apparaît plutôt complémentaire et devrait par ailleurs
permettre de comparer les établissements ;
- la DEP effectue des prévisions à court et à long terme
sur l'évolution de la démographie étudiante afin notamment
de préparer les rentrées universitaires : ces études
prévoient en particulier, non pas une baisse du nombre des
étudiants mais une croissance plus faible de leurs effectifs dans les
dix ans à venir ;
- la société française semble s'accommoder d'une
sélection " souterraine " à l'université ;
- les employeurs, y compris dans le secteur public, ne jouent pas le jeu de
l'alternance et se disent submergés par des demandes de stages, par
ailleurs mal organisés sur l'année et dont l'utilité est
parfois contestable ;
- s'il convient de rester attentif aux besoins de l'économie,
l'université n'a pas pour vocation exclusive de satisfaire la demande
des entreprises privées ;
- la mission des conseillers d'orientation psychologues doit être
précisée et leur présence mieux assurée dans les
établissements, mais leur compétence en matière
d'orientation ne doit pas être exclusive, afin d'éviter toute
professionnalisation de cette fonction qui devrait en priorité
être assurée par les enseignants.
La commission a ensuite procédé à
l'audition de M.
Vincent Merle, directeur du Centre d'études et de recherches sur les
qualifications
(CEREQ).
Après avoir rappelé le statut et les missions du CEREQ,
M.
Vincent Merle
a indiqué que celles-ci s'exerçaient
aujourd'hui, après une période de plein emploi et de
pénurie de main d'oeuvre qualifiée, dans une conjoncture
dominée par le chômage et la précarité.
Il a ensuite précisé que le CEREQ procédait à trois
grands types d'enquêtes sur le devenir des sortants du secteur
éducatif et notamment sur celui des jeunes bacheliers et des
diplômés de l'enseignement supérieur, dans les trois ou
quatre ans suivant l'obtention de leurs diplômes ; ces
enquêtes permettent d'appréhender avec le recul nécessaire
le lien existant entre les filières, les diplômes et l'insertion
professionnelle des intéressés.
Il a ensuite estimé que l'opinion publique et la presse avaient tendance
à dramatiser les perspectives d'emploi des jeunes diplômés
de l'université, en raison notamment d'un décalage explosif qui
existerait entre les flux de sorties et le nombre des postes d'encadrement
proposés, du développement de la poursuite d'études
supérieures, de la désaffection à l'égard des
filières professionnelles et des taux d'échec dans les deux
premières années universitaires.
Convenant que ces indicateurs étaient en effet défavorables, il a
rappelé néanmoins que l'enquête du CEREQ de 1992 avait
relativisé le risque de chômage et de déclassement des
diplômés de l'enseignement supérieur. Le taux de
chômage des diplômés deux ans après la sortie de
l'université est passé de 5 % à près de
11,5 % de 1988 à 1992 et le phénomène du
déclassement de ces diplômés s'est également
aggravé : alors que 91 % des diplômés d'IUT et de
BTS trouvaient un emploi de type professions intermédiaires ou cadres en
1988, ce pourcentage est tombé à 73 % en 1991. Les
données de l'INSEE confirment cette dégradation de l'emploi des
diplômés, et révèlent qu'an an après leur
sortie du système éducatif, 23 % des titulaires d'une
licence, ou plus, étaient au chômage, étant rappelé
que 78 % des jeunes de niveau V (titulaires d'un CAP et d'un BEP ou
dépourvus de tout diplôme) sont dans le même temps à
la recherche d'un emploi.
En dépit de cette évolution préoccupante, il a
estimé que le mouvement de poursuite d'étude traduisait une
réalité : le diplôme protège contre le chômage
même si ses effets sont aujourd'hui amoindris. Tous les
diplômés sont aujourd'hui concernés par les
difficultés et la précarité de l'emploi, y compris ceux de
troisième cycle, cette évolution se traduisant plutôt pour
ces derniers par une prolongation des délais de recherche d'un emploi et
un effet de déclassement qui reste limité.
Il a ajouté que la dégradation actuelle de l'emploi des
diplômés résultait des mesures conjoncturelles prises
à la fin des années 80 pour remédier à la
pénurie de main d'oeuvre qualifiée, notamment en faveur des
ingénieurs et des techniciens supérieurs et par les
conséquences de l'ouverture du baccalauréat, alors que la
conjoncture en matière d'emploi s'est aujourd'hui retournée. Dans
le même temps, un déphasage s'est accentué entre les flux
de sortie de l'enseignement supérieur et les débouchés
offerts en matière d'encadrement.
Il a cependant estimé que les perspectives à moyen terme
inclinaient à l'optimisme : 50 % des jeunes d'une classe
d'âge accèdent en effet aujourd'hui à l'enseignement
supérieur ; cette proportion équivaut à celle des
ingénieurs cadres et professions intermédiaires alors que la
proportion des cadres " montés par le rang " est en
constante
diminution depuis dix ans. Il a toutefois indiqué que le problème
de l'insertion professionnelle des diplômés de l'enseignement
supérieur serait difficile à gérer dans les dix ans
à venir et, notamment, celui de leur déclassement professionnel,
en raison de l'impossibilité de gérer les flux d'entrée
à l'université.
Il a ensuite rappelé que le phénomène de poursuite
d'études supérieures concernait également les
diplômés d'IUT et de BTS et tendait à détourner ces
formations courtes de leur objectif initial d'insertion professionnelle.
Il a ajouté qu'il était difficile sur le plan statistique
d'estimer l'importance de l'échec universitaire dans les premiers cycles
du fait que de nombreux étudiants y sont en position d'attente et
procèdent à des orientations ultérieures.
Il a ainsi indiqué que d'après l'enquête menée par
le CEREQ en 1988, 61 % des étudiants de premier cycle avaient
obtenu un DEUG entre deux et quatre ans, 19 % s'étaient
réorientés vers des BTS, des IUT ou des formations
paramédicales, 11 % étaient resté en premier cycle et
9 % avaient abandonné leurs études supérieures et a
souligné que cette évolution était encore plus
inquiétante pour les bacheliers technologiques qui devraient en
priorité bénéficier d'une véritable politique
d'orientation.
Il a ajouté que depuis vingt ans, les conditions de l'insertion
professionnelle des diplômés de l'enseignement supérieur
avaient été profondément modifiées : alors que
la majorité des diplômés se dirigeaient vers le secteur
public ou les professions réglementées, la moitié des
titulaires de maîtrise et de licence et 70 % des
diplômés de troisième cycle se tournent aujourd'hui vers
les entreprises privées.
En conclusion, il a estimé que la professionnalisation de l'enseignement
supérieur constituait un enjeu majeur et a souligné à cet
égard le caractère novateur des instituts universitaires
professionnalisés.
Il a également indiqué que les jeunes ne s'orienteraient vers les
filières professionnelles que si celles-ci devenaient crédibles
et pouvaient leur assurer une insertion professionnelle satisfaisante. A cet
égard, il serait souhaitable que les entreprises permettent aux
techniciens supérieurs, au cours de leur carrière,
d'accéder aux fonctions d'encadrement.
Un débat a suivi.
M. Daniel Eckenspieller
a rappelé, outre le déclassement
évoqué des diplômés de l'enseignement
supérieur, que la majorité de ceux-ci étaient conduits
à exercer une activité professionnelle éloignée de
leur formation initiale.
M. Jean-Claude Carle
est convenu que le diplôme universitaire
protégeait des risques du chômage, et a souligné
l'inadaptation de certaines formations tertiaires aux besoins des entreprises.
M. Jean-Pierre Camoin, co-rapporteur,
s'est demandé si
l'évaluation du système universitaire ne constituait pas un
préalable à la mise en oeuvre d'une politique d'information et
d'orientation des étudiants et si les entreprises seraient en mesure de
répondre à une éventuelle extension de l'apprentissage
dans les formations supérieures.
Il s'est ensuite interrogé sur les modalités d'une
diversification des formations courtes post-baccalauréat et sur les
solutions qui seraient de nature à améliorer l'information et
l'orientation des lycéens et des étudiants et à
réduire l'échec dans les premiers cycles, soit par une certaine
sélection, soit par un réaménagement de l'organisation des
études universitaires.
Il a demandé si une meilleure adaptation des diplômes aux besoins
actuels et futurs des entreprises ne pourrait pas résulter d'une
association des milieux professionnels à la définition des
formations.
Il a enfin évoqué la perspective d'une
" secondarisation " des premiers cycles universitaires et
s'est
interrogé sur l'opportunité d'une extension du système de
protection sociale des étudiants aux apprentis.
M. Adrien Gouteyron, président,
s'est interrogé sur le
rôle que pourraient jouer les entreprises dans la définition des
formations, sur le développement de l'apprentissage dans l'enseignement
supérieur et sur le coût qui en résulterait pour les
entreprises. Il s'est ensuite demandé si les réorientations en
cours d'études ne pourraient pas être encouragées par des
dispositions incitatives, notamment en aménageant le régime des
bourses.
Il s'est enfin enquis des rapports entretenus par le CEREQ avec ses deux
ministères de tutelle et a estimé que l'Etat ou les
régions devraient jouer un rôle actif dans la définition de
la carte des formations.
Répondant à ces interventions,
M. Vincent Merle
a
notamment apporté les précisions suivantes :
- au lieu d'opposer les filières professionnelles et
générales et de chercher à créer une grande
filière technologique supérieure, il conviendrait de
réfléchir aux moyens d'introduire la technologie à
l'université qui, si elle doit permettre d'acquérir des
connaissances générales, doit être aussi un lieu
d'initiation au monde contemporain ;
- il serait illusoire de vouloir freiner la demande éducative de
l'ensemble des bacheliers, y compris des bacheliers professionnels ;
- les métiers industriels et artisanaux enregistrent un déficit
de candidatures et d'offres de formation notamment de niveau V, alors que les
CAP et les BEP tertiaires sont surabondants mais concurrencés sur le
marché du travail par les bacheliers et les BTS ;
- de nouveaux emplois devraient cependant être créés dans
le secteur tertiaire, notamment en matière d'accueil et d'aides à
domicile ;
- un système d'évaluation des universités,
privilégiant l'étude du devenir des diplômés,
devrait, au-delà du seul aspect quantitatif, prendre en compte la
dimension concrète de l'insertion professionnelle, notamment pour les
emplois éloignés des formations dispensées à
l'université ;
- l'introduction de l'apprentissage dans l'enseignement supérieur, qui
reste symbolique, est de nature à faciliter l'insertion professionnelle
des diplômés, mais a aussi pour conséquence de remettre en
cause le contenu et les modalités de l'enseignement universitaire,
compte tenu de l'expérience acquise par les étudiants dans les
entreprises ;
- le développement de l'alternance risque d'entraîner un certain
alignement des formations supérieures sur les besoins ponctuels des
entreprises et de réduire la disponibilité des étudiants
pour leurs études : la mise en place d'une année pratique
complémentaire à l'issue de la licence pourrait constituer une
solution plus satisfaisante ;
- la réduction de l'échec dans les premiers cycles passe par une
sensibilisation des lycéens au monde universitaire qui permettrait de
réduire les orientations " par défaut " et l'engouement
artificiel pour certaines filières jugées faciles, mais
présentant peu de débouchés ;
- l'affectation d'enseignants plus expérimentés dans les DEUG et
la mise en place de premiers cycles multidisciplinaires d'observation et
d'orientation seraient de nature à assurer une meilleure organisation
des études ;
- les PME et les grandes entreprises devraient engager une véritable
politique d'accueil des jeunes diplômés, notamment lorsque leur
diplôme n'est pas directement adapté aux qualifications
requises ;
- si les contacts établis entre les pédagogues et les
représentants des professions sont souvent fructueux, il convient de
remarquer que ces derniers sont parfois éloignés des
réalités de l'entreprise ;
- l'extension du régime social étudiant aux apprentis serait
valorisante pour cette filière mais risquerait d'entraîner un
certain nombre d'effets pervers comme l'a montré le
précédent du baccalauréat professionnel ;
- la tutelle exercée sur le CEREQ est actuellement équitablement
partagée entre les deux ministères concernés alors que le
poids de l'éducation nationale était plus important il y a une
dizaine d'années ;
- les rectorats et les assemblées locales jouent un rôle
régulateur dans l'évolution de la carte des formations mais il
est souhaitable que les établissements d'enseignement prennent en compte
leur environnement social et économique.