IV. MERCREDI 7 FÉVRIER 1996
-
Présidence de M. Adrien Gouteyron,
président
. - La commission a tout d'abord procédé
à l'audition de
M. Michel Valdiguié, directeur de
l'ONISEP
(Office national d'information sur les enseignements et les
professions), accompagné de
Mme Françoise Jourdan
,
directeur des
publications
.
Dans une déclaration liminaire,
M. Michel Valdiguié
a
rappelé que l'ONISEP exerçait depuis vingt-cinq ans une mission
d'information sur les formations, les filières et les professions
auprès des élèves, dès la classe de 6e, et
notamment aux principaux stades d'orientation, cette information consistant
d'abord à mettre à leur disposition des miniguides adaptés
à chaque type de filière. Il a ensuite indiqué que des
brochures d'information plus complètes étaient distribuées
gratuitement aux conseillers d'orientation-psychologues, et depuis une date
plus récente, aux professeurs principaux, et qu'elles étaient
également diffusées dans les centres d'information et
d'orientation ainsi que dans les centres de documentation et d'information des
établissements.
Mme Françoise Jourdan
a ajouté que la diversité des
brochures proposées par l'office (cahiers, dossiers, revue Avenir)
répondait aux besoins particuliers des publics concernés
(présentation des filières technologiques courtes, panorama des
études post-baccalauréat, possibilités de suivre des
études supérieures à l'étranger,...).
M. Michel Valdiguié
a indiqué que l'office proposait
également de nouveaux produits, notamment des cassettes vidéo sur
les métiers conçues en liaison avec les branches professionnelles
et, depuis cette année, des CD-Rom consacrés notamment aux
métiers de la santé, des transports et du tourisme.
Il a rappelé que l'office était un établissement public
administratif national regroupant vingt-huit délégations
régionales placées sous la responsabilité des recteurs
d'académie.
Il a précisé qu'avec 510 personnes et un budget de l'ordre de 200
millions de francs, l'ONISEP, qui a été délocalisé
à Marne-la-Vallée, s'efforçait de rendre son action plus
efficace, en répondant notamment à la demande de parents
d'élèves tout en étant soumis à la concurrence de
groupes de presse privés.
Cette concurrence, qui permet d'ailleurs à l'ONISEP de retirer 30
millions de francs de ressources propres au titre de la diffusion
payante, a également entraîné une nécessaire
modernisation de la présentation de ses brochures.
Il a par ailleurs indiqué que l'office s'était engagé dans
une phase de partenariat, avec ses correspondants traditionnels d'abord
(conseillers d'orientation, professeurs, parents d'élèves) mais
aussi avec les éditeurs qui doivent répondre à une demande
nouvelle en matière d'information sur les métiers et les
professions, ainsi qu'avec les collectivités territoriales, notamment
les régions, et les branches professionnelles.
Il a ajouté que l'ONISEP allait développer son action en faveur
de l'information des parents d'élèves qui ne sont pas
familiarisés avec le cursus et la diversité actuelle des
formations supérieures, en les sensibilisant en particulier à la
nécessité d'une orientation progressive.
Mme Françoise Jourdain
a précisé que la mission de
l'office devait tenir compte de l'absence de motivation des jeunes, de leurs
choix irrationnels en faveur de filières sans débouchés,
des directives du ministère qui ne correspondent pas toujours aux choix
d'orientation des élèves ainsi que du coût d'une
diversification des publications résultant d'une nécessaire
adaptation à des publics de plus en plus variés, d'une
régionalisation des formations et de la nécessité de
publier désormais des documents suffisamment attractifs.
A l'issue de cet exposé général,
M. Jean Bernadaux,
co-rapporteur,
a souhaité obtenir des précisions sur le
caractère gratuit ou non de ces diverses brochures selon leurs
destinataires et s'est demandé s'il ne serait pas opportun de regrouper
les trop nombreux organismes qui concourent à l'information et à
l'orientation des lycéens et des étudiants.
M. Jean-Pierre Camoin, co-rapporteur,
a estimé que l'importance
de l'échec constaté dans les premiers cycles non sélectifs
de l'université et les efforts annoncés par le ministre dans le
domaine de l'information et de l'orientation des lycéens justifiaient
pleinement la mission de l'ONISEP. Il a ensuite souligné que
l'information existante en ce domaine était mieux utilisée par
les élèves qui en connaissaient le mode d'emploi, comme en
témoigne par exemple le taux de réussite des enfants
d'enseignants, et s'est interrogé sur les moyens qui permettraient
d'améliorer la diffusion de cette information auprès de
l'ensemble des élèves. Considérant qu'il était
irréaliste de s'appuyer sur les seuls parents d'élèves en
cette matière, il a rappelé les propositions formulées par
M. Christian Forestier, directeur général des enseignements
supérieurs, tendant à organiser un enseignement obligatoire
consacré à l'éducation au choix dès la classe de 6e.
M. Pierre Laffitte
a noté que la présentation faite des
missions de l'ONISEP n'avait pas abordé les problèmes de
l'apprentissage, des formations en alternance et plus largement des relations
de l'école avec les professions et les branches industrielles. Il a
ainsi souligné la nécessité de ne pas
" sanctuariser " l'éducation nationale par rapport aux
réalités du monde économique. Il s'est en particulier
étonné que le secteur des techniques multimédia, dont
l'activité devrait représenter à terme la moitié de
notre produit intérieur, ne s'accompagne pas d'une vision prospective
sur les métiers qui y seront créés. Il s'est par ailleurs
déclaré favorable à une augmentation des moyens de
l'ONISEP à condition que celui-ci concentre ses efforts sur les
formations présentant un fort potentiel de développement et s'est
enquis des relations éventuelles de l'office avec les services de
prospective économique, comme ceux des établissements bancaires,
afin de définir des marchés porteurs d'avenir.
Il a enfin demandé si l'ONISEP disposait d'un serveur sur le
réseau Internet et si la consultation de certaines brochures
d'information sur ce réseau ne permettrait pas de réaliser de
substantielles économies.
M. Adrien Gouteyron, président,
s'est interrogé sur les
parts respectives qui relevaient de l'information et du conseil dans la mission
de l'office et s'est demandé si son budget incluait les salaires
versés aux personnels.
M. Jean-Louis Carrère
a d'abord souligné la qualité
des brochures diffusées par l'ONISEP mais a estimé que,
même popularisées par le ministre exerçant la tutelle sur
l'office, celles-ci ne sauraient se substituer à une nécessaire
motivation des chefs d'établissement, des professeurs principaux et
aussi des parents d'élèves dans le domaine de l'information des
élèves. Il a constaté que les orientations qui sont
vouées à l'échec universitaire n'épargnaient pas
les étudiants de province et a souhaité obtenir des
précisions sur les modalités de recrutement des agents de
l'office et de choix de ses responsables, estimant que ces procédures
avaient un caractère quelque peu confidentiel.
Répondant à ces interventions,
M. Michel Valdiguié et
Mme Françoise Jourdan
ont notamment apporté les
précisions suivantes :
- les brochures destinées aux personnels relevant de l'éducation
nationale sont gratuites et sont envoyées aux divers autres organismes
en fonction de leur champ de compétence et des demandes qui sont
formulées ;
- les cassettes audiovisuelles sont distribuées gratuitement et font
d'ailleurs l'objet d'une large duplication tandis que la mise à
disposition de CD-Rom suppose un effort financier des collectivités
locales pour équiper les collèges et les lycées ;
- l'ONISEP a développé un système multimédia de
bornes d'information qui coexiste d'ailleurs avec les systèmes mis en
place dans certaines régions en liaison avec divers organismes (centres
d'information et de documentation pour la jeunesse, association pour la
formation professionnelle des adultes...) ;
- la multiplication des organismes d'information et d'orientation
résulte d'une part de la césure ministérielle ancienne
entre l'éducation nationale et l'enseignement supérieur, ce
dernier n'ayant jamais accordé de subventions à l'ONISEP et
l'office étant en conséquence insuffisamment présent dans
les universités, et d'autre part de l'indifférence traditionnelle
des responsables universitaires à l'égard des problèmes
d'orientation ;
- la revue " Info Sup " devrait être modernisée pour
renverser cette tendance dans l'enseignement supérieur, avec l'aide
notamment des mutuelles étudiantes et malgré la difficulté
de s'adresser à des publics étudiants très divers ;
des " journées de l'orientation " devraient en outre
être organisées dans les premiers cycles pour les étudiants
volontaires ;
- la profusion d'informations est sans doute plus gênante que la
concurrence qui se développe entre les divers organismes et leurs
publications ;
- l'information des lycéens, qui devrait se traduire par une
éducation au choix, suppose que les parents d'élèves et
les professeurs principaux soient associés à la
réalisation de cet objectif ;
- l'ONISEP ne joue pas un rôle d'orienteur et diffuse également
une information sur l'apprentissage et les formations en alternance recueillie
notamment auprès des professions ainsi qu'une information sur les
métiers de demain par le biais de son département de recherche et
de développement ;
- l'information dispensée privilégie encore la description
exhaustive des diverses filières mais tend aussi à s'orienter
vers un rôle de conseil aux lycéens en s'interdisant cependant de
dévaloriser certaines formations et de condamner des filières
présentant peu de débouchés ;
- il est regrettable que l'ONISEP, qui assure sur son budget la
rétribution de ses personnels, ne puisse pas accéder plus
largement à la télévision, notamment pour des raisons
financières ;
- le statut de droit public de l'office ne l'empêche pas de recourir
à des contractuels qualifiés, l'essentiel de son personnel
étant cependant recruté parmi les conseillers
d'orientation-psychologues ;
- si l'ONISEP manifeste un souci constant de s'ouvrir sur l'extérieur,
l'office permet aussi aux entreprises d'avoir connaissance des nouveaux
diplômes de notre système éducatif.
La mission d'information a ensuite procédé à
l'audition
de M. Dominique de Calan, délégué
général adjoint de l'union des industries métallurgiques
et minières
(U.I.M.M.).
Après avoir brièvement rappelé l'étendue du champ
professionnel relevant de l'U.I.M.M.,
M. Dominique de Calan
a
indiqué qu'il présidait le groupe " enseignement
supérieur " au CNPF et qu'il avait été l'auteur en
1989 d'un rapport sur l'orientation au sein du Haut comité
éducation-économie.
S'agissant des perspectives d'emploi, après avoir constaté une
confusion dans l'opinion entre branches d'activité et métiers, il
a indiqué que les grandes catégories de métiers devraient
répondre dans l'avenir à sept fonctions principales, de nature
" régalienne " ou économique (production, vente,
animation, conception ...).
Il a par ailleurs estimé qu'une véritable " logique
d'emploi " devrait conduire à une pré-orientation des jeunes
vers ces " grands métiers ", et à une orientation
ultérieure correspondant plus précisément à leurs
capacités.
Il a également observé que le discours tenu sur l'insertion
professionnelle des élèves ignorait la diversité du monde
de l'entreprise et n'envisageait les perspectives de carrière qu'au sein
des grandes entreprises alors que celles-ci n'accueillent que le
cinquième des jeunes entrant dans la vie active.
Il a ensuite souligné les trois évolutions structurelles majeures
qui, selon lui, vont bouleverser l'organisation de l'entreprise dans les
années à venir :
- un cycle des techniques désormais plus court que le " cycle
biologique " : il en résultera que les jeunes arrivant sur le
marché du travail vont connaître durant leur vie active plusieurs
évolutions techniques ou culturelles majeures aujourd'hui
imprévisibles ;
- une société désormais dirigée par le
consommateur : 60 % des emplois sont d'ores et déjà
aujourd'hui totalement exposés en raison de l'ouverture de notre
économie à un marché mondial instantané, du fait
notamment de l'évolution des moyens de transport et des nouvelles
techniques de communication ;
- l'avènement d'une éducation de masse qui s'accompagnera d'une
rupture du lien existant entre le diplôme et le premier emploi.
Il a indiqué que les critères d'embauche dans les années
à venir devraient s'appuyer sur les capacités des salariés
à répondre à certaines exigences -niveau des
connaissances, résolution des problèmes, encadrement, champ
relationnel, contribution économique- un seul de ces critères
relevant directement de l'école.
Il a ensuite estimé, d'une part, que les métiers de demain
seraient majoritairement des emplois d'exécution ou à
responsabilité réduite, et d'autre part, que les entreprises
auraient tendance à repousser à leur
" périphérie " les emplois qualifiés, qui
seraient régis par des contrats précaires ou assurés, pour
des tâches à durée limitée, par des intervenants
ayant un statut de type profession libérale.
Il a par ailleurs rappelé que l'éducation au choix des
élèves avait été expérimentée en 1989
dans deux cents collèges et avait fait l'objet d'une évaluation
dont les résultats ont été jugés positifs. Une
expérimentation analogue a été engagée dans les
premiers cycles de l'enseignement supérieur en 1993 dans trois
universités et a été étendue à sept autres
établissements en 1996.
En conclusion,
M. Dominique de Calan
a estimé que le
problème de l'orientation des étudiants en premier cycle
supposait une poursuite des efforts engagés en amont, que le
rapprochement de l'école et de l'entreprise devait être
intégré dans un processus éducatif et que le lien encore
existant entre le diplôme et l'emploi serait bientôt rompu, du fait
notamment, qu'à la fin du siècle, 200.000 diplômés
à bac + 4 se présenteraient sur le marché du
travail alors que l'économie française ne pourrait leur proposer
que 80.000 postes d'encadrement.
Ces perspectives conduisent, selon lui, à modifier le discours tenu sur
l'emploi et à privilégier la flexibilité du travail, sauf
à accroître encore le chômage des jeunes dans les
années à venir.
Soulignant la rudesse de cette analyse et le caractère explosif de ses
conclusions,
M. Ivan Renar
a rappelé que le système
éducatif avait pour finalité l'insertion professionnelle, mais
aussi sociale des jeunes.
Observant ensuite que les mouvements universitaires de l'automne avaient
résulté d'un souci des étudiants d'une meilleure
organisation de leurs études, mais aussi d'une inquiétude quant
à leurs perspectives d'emploi, il a exprimé la crainte que la
nouvelle logique proposée ne conduise à une explosion sociale,
notamment du fait du décrochage prévu entre les formations et les
métiers proposés.
Il a enfin souhaité obtenir des précisions sur la typologie des
emplois et des métiers précédemment exposée.
M. Jean-Pierre Camoin, co-rapporteur
, a estimé que les
problèmes évoqués ne lui paraissaient pas insolubles
à condition de leur appliquer des solutions nouvelles.
Il a en revanche indiqué, s'agissant de l'acquisition des connaissances
dans l'enseignement scolaire, que le problème de l'insuffisance de la
maîtrise de notre langue par de nombreux élèves
était particulièrement préoccupant.
Considérant que les difficultés principales résulteraient
dans l'avenir d'une incompréhension au niveau du langage entre les
jeunes et les adultes, il a souhaité que l'école réagisse
rapidement pour répondre à la dérive sémantique
observée dans les banlieues, qui présente, selon lui, un
caractère explosif.
M. Adrien Gouteyron, président
, s'est interrogé sur la
finalité des stages en entreprise et sur le moment le plus propice pour
entreprendre une formation en alternance.
Répondant à ces interventions,
M. Dominique de Calan
a
notamment apporté les précisions suivantes :
- le développement d'une éducation de masse ne saurait être
freiné, mais il convient de tenir un discours réaliste aux jeunes
afin de ne pas entretenir chez eux de faux espoirs ;
- la France n'a pas encore " digéré " la massification
de son système éducatif, notamment dans l'enseignement
supérieur ;
- la formation différée permettant une reprise d'études,
la démultiplication de la voie de l'apprentissage, le
développement des créations d'entreprises, l'aménagement
des rythmes universitaires constituent autant de pistes pour adapter notre
système éducatif aux perspectives de l'emploi ;
- l'économie française dispose d'atouts importants dans la
compétition internationale, notamment du fait d'un niveau culturel
élevé des salariés et d'une
" sensibilité " particulière, notamment dans le domaine
des technologies nouvelles ;
- une " logique de communication " passe par la maîtrise de
la
langue française mais aussi par l'acquisition de compétences
technologiques complémentaires, notre pays manifestant par tradition un
attachement à sa langue et un certain mépris à
l'égard de la technologie ;
- l'apprentissage apparaît comme une voie complémentaire de
formation à côté de la filière
" conceptuelle " et devrait être utilisé pour l'ensemble
du cursus professionnel, du certificat d'aptitude professionnelle jusqu'aux
formations d'ingénieur, cette formule devant être
considérée comme une voie innovante de formation initiale :
- le développement de l'apprentissage suppose que
" l'étudiant apprenti " bénéficie d'un statut
particulier mais conserve un contrat de travail, sous réserve d'un
aménagement de son système de protection sociale qui devrait
s'inspirer de celui des étudiants.