ANNEXE N° 2 : COMPTE RENDU DES TRAVAUX DU FORUM APPRENTIC
Le forum Apprentic a été ouvert le 4 mars 1997 sur le serveur du Sénat (apprentic@senat.fr). Après une phase de démarrage et de curiosité, le nombre des contributions a rapidement augmenté ; la liste de diffusion s'est étoffée jusqu'à dépasser 150 personnes 149 ( * ) . Le nombre de contributions s'est élevé à plus de 300. La plupart, du moins au début, ont porté sur l'enseignement, ce qui était cohérent avec le mode fonctionnement. De nombreux établissements scolaires étant présents sur Internet, il était relativement aisé de les interroger, y compris, pour certains, en pratiquant un questionnement par publipostage.
Le domaine de la citoyenneté n'offrait pas les mêmes possibilités ; les sites disponibles sont peu nombreux (Yahoo en répertorie trois) et tous n'offrent pas la possibilité d'une consultation sur ce sujet par adresse électronique. Les contributions ont été moins fréquentes, plus tardives, malgré la concomitance de la campagne pour les élections législatives.
Le Forum a révélé une attente : toutes les contributions reçues se sont félicitées de l'existence de cette tribune et, plus généralement de la préoccupation d'utiliser les nouvelles technologies, notamment sur le thème de l'enseignement. Un enseignant du supérieur s'est félicité de ce forum qui constitue « enfin une tentative qui pourra faire avancer les choses ». Un autre professeur y trouve, une volonté « d'aller jusqu'au bout de la logique d'utilisation des fameuses technologies de communication ».
Beaucoup de correspondants nous ont félicités de les avoir consultés directement, ou, avec un fort amical humour, « de donner la parole aux acteurs de base » : « pincez-moi, je rêve ! ! ! Les politiques auraient-ils enfin compris que pour qu'il y ait communication il faut qu'il y ait dialogue » .
Les débats ont été riches, animés ; l'essentiel des préoccupations exprimées a recoupé celles observées par ailleurs (auditions, visites ...).
Seuls quelques rares correspondants se sont demandé s'il était pertinent d'axer le forum sur l'utilisation des nouvelles technologies d'information et de communication : « depuis les années soixante-dix, nous sommes prisonniers de l'alternative « objet d'étude ou outil d'étude » ... « ces prétendues « NTIC », quant à elles, à mon avis n'existent pas : nouvelles elles ne le sont plus vraiment... [mais] l'évolution majeure actuelle consiste à faire passer la technique au second plan derrière l'information elle-même ». Enjeu résumé par un instituteur : « il ne faut pas se tromper, l'enjeu de l'éducation n'est pas d'utiliser les NTIC mais d'éduquer les enfants qui nous sont confiés. »
1. S'agissant des apprentissages préalables à l'utilisation de l'ordinateur, la spontanéité des jeunes enfants est relevée par tous : « dès l'âge de quatre ans, les enfants travaillent sur l'ordinateur ». Une enseignante américaine cite sa fille de trois ans qui dispose d'un ordinateur à la crèche : il n'y a pas d'âge minimal pour la découverte de ce nouvel outil, bien au contraire. Il faut pourtant se garder de conclusions trop hâtives en la matière, si « les enfants maîtrisent beaucoup plus rapidement que les adultes la logique de l'informatique » (CRDP), ils « se montrent beaucoup moins entreprenants que devant une console de jeux » (autre expérience locale). La découverte la plus pratiquée, essais et erreurs, « ne concerne que les enfants qui ont une curiosité naturelle et ce n'est pas le cas de tous ». Cette remarque rejoint les observations faites au cours des visites d'établissements : l'ordinateur plaît aux enfants dans l'ensemble mais certains y sont totalement réfractaires, question fondamentale des laissés pour compte de la communication informatique.
Cet apprentissage ne doit pas être trop formel : par exemple, apprendre le maniement du clavier peut se révéler contre-productif en allant à l'encontre du désir de découverte des enfants : « surtout ne pas désarticuler les apprentissages et séparer trop les exercices de l'utilisation au point où les enfants ne savent pourquoi ils font telle ou telle chose...D'autant plus qu'on ne sait plus trop ce qui sera encore très utile dans deux, voire cinq ou dix ans ; au rythme où vont les choses, devrons-nous encore avoir à taper sur des claviers dans dix ans ? ».
Pour plusieurs intervenants, l'introduction des NTIC dans l'éducation ne relève pas d'une interrogation sur l'âge d'accès, ni même sur les utilisations ; elle dépend plus de l'évolution de l'éducation au cours des prochaines années.
2. Les utilisations des NTIC dans les établissements scolaires, comme par les contributeurs au Forum , rejoignent les observations enregistrées d'une autre manière.
À la maternelle, l'ordinateur a sa place pour acquérir les « préacquis » indispensables à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture : discrimination auditive et affinage de la maîtrise du geste. Les utilisations, à l'école primaire, sont, comme sur les sites web consultés :
la correspondance,
les recherches comparatives,
la création de pages web et la mise en situation virtuelle.
Les outils utilisés sont variés : cédéroms, logiciels de bureautique, courrier électronique, Internet, forums.
3. Les conséquences pédagogiques de l'introduction des NTIC dans l'enseignement sont nombreuses : rigueur accrue dans le suivi des élèves, autonomie du travail, responsabilisation des enfants, travail d'équipe, préparation à l'exercice de la vie en société, éveil d'une motivation.
L'utilisation des NTIC « réconcilie » les enfants avec les connaissances accessibles de manière plus attractive et plus personnalisée : « cette pratique ouvre l'école à un travail d'équipe beaucoup plus solidaire et orienté vers l'avenir dans une pratique motivante qui enrichit l'élève en le préparant à ce qu'il devra savoir maîtriser demain » (remarque d'un professeur en école d'application).
Plusieurs professeurs ont insisté sur l'intérêt particulier des NTIC en zone rurale : l'ordinateur rompt l'isolement par la communication et la confrontation avec d'autres.
En revanche, le débat reste ouvert quant aux conséquences relatives à l'organisation de la classe. Dans la mesure où l'ordinateur est un outil, certains pensent que rien ne doit changer dans les programmes et l'organisation du temps scolaire ; d'autres enseignants semblent plus partagés, sans préciser les modifications autres que pédagogiques qu'ils entrevoient. L'un deux note par exemple :
« - la première demi-heure de chaque jour pour aller sur Internet (à cette heure-là, c'est tranquille), répondre au courrier, faire des petits travaux et des petites recherches, aller sur des cédéroms ;
« - deux fois 45 minutes en demi-groupes (ça fait 4 fois 45 minutes pour moi) pendant les cours d'allemand et d'anglais : là, je fais des choses assez dirigées pour que les enfants apprennent à maîtriser les logiciels : PAO, tableur, gestionnaire de fichiers ;
« - une heure en demi-groupes (deux heures pour moi) : cédéroms ;
« - deux heures en demi-groupes (alternance une semaine sur deux) : travaux orientés vers l'art, puisque le projet d'école est « art et communication ».
Un autre enseignant explique :
« I. Traitements de texte, logiciels didactiques :
« L'utilisation des NTIC (ordinateurs, traitements de texte, logiciels didactiques) permettent au tout jeune enfant de s'initier à la manipulation du clavier. Pour ce qui concerne notre école, cet apprentissage débute en classe de CP (enfants d'environ 6 ans). Il devrait dès la rentrée prochaine concerner les élèves de l'école maternelle. Pour certains enfants, l'apprentissage du clavier n'est qu'une formalité. Il s'agit dans la plupart des cas d'enfants disposant d'un ordinateur à la maison. Pour les autres, elle est plus ou moins rapide selon l'intérêt qu'ils portent au travail demandé. Quant à l'âge, il n'influe que peu, dans la mesure où il existe des logiciels pour tous niveaux. En consultant les catalogues des éditeurs, on s'aperçoit que la gamme des produits proposés est de plus en plus vaste et s'adresse également à des enfants d'âge pré-élémentaire. Sur PC, nos élèves de cycle III ont effectué des recherches (constitution de dossiers) en histoire, en géographie, en sciences, en utilisant un traitement de texte. Au cycle II, une grande part est réservée à l'initiation, sous tutelle d'élèves plus grands afin d'aboutir à la production de textes imprimés.
« II. Internet :
« Le site a été ouvert en début d'année. Actuellement, un seul de nos collègues est à même d'y installer les productions des élèves. En revanche, plusieurs classes entretiennent une correspondance scolaire avec différents pays francophones et, dans ce cadre, les enfants sont entièrement maîtres de leurs envois : textes écrits, enregistrés sur disquettes puis envoyés sur le réseau. À tour de rôle, chaque classe relève l'état du compteur du site et imprime les éventuels messages reçus qui sont ensuite ventilés aux différents destinataires concernés. Ils ont aussi la possibilité de visiter le site de l'école et découvrent ainsi leurs productions mais aussi celles de leurs camarades des autres classes. Au-delà, une demi-heure par jour (consommation oblige) est réservée au « surf » : recherche d'informations, visites d'autres écoles, envois de messages.
« III. Gestion des activités :
« La salle informatique est ouverte aux élèves y compris aux heures de récréation et de restauration par groupes de quatre ou cinq ce qui permet une acquisition plus rapide de l'autonomie, un gain de temps pour l'enregistrement de leurs écrits, un rapport privilégié avec l'enseignant présent. »
Un troisième enseignant présente ainsi l'utilisation de l'ordinateur :
« Dans notre bassin d'écoles, les enfants utilisent les ordinateurs dès la maternelle (4/5 ans).
« Apprentissage technique ? En partant de l'adage « c'est en forgeant... », nous avons pu constater que les élèves découvraient par eux-mêmes un grand nombre de fonctions de l'ordinateur, et que certains périphériques (clavier, mais aussi scanner) ne leur posaient pas de problème très longtemps. Comme les élèves sont par deux aux machines, il y a entraide.
« La fréquentation des ordinateurs est à moduler: de la maternelle au CE2, un peu plus d'une heure par enfant tous les quinze jours ; en CM1/CM2, un peu plus d'une heure par enfant chaque semaine + accès libre sur une machine en classe (récréations, après cantine... pour relève BAL Internet, mise à jour du site, utilisation de cédéroms).
« Nous organisons le travail par projets, souvent interdisciplinaires (français et ...) et nécessitant un travail en petits groupes. Cela permet une grande implication des élèves dans « l'activité scolaire » et l'acquisition d'une certaine autonomie, d'un plus grand sens des responsabilités.»
Certains intervenants considèrent qu' « un ordinateur en permanence dans la classe permettra dans un premier temps de démystifier cet « engin » et, dans un second temps, d'en faire un outil accessible à tous, si ce n'est au même rang que les crayons, les cahiers et les livres, au moins à sa juste place : un instrument parmi d'autres ». D'autres envisagent des organisations plus ambitieuses : « on ne peut mettre 25 ou 30 ordinateurs dans une classe ni 25 élèves derrière un ordinateur. Il me semble que le raisonnable se situe plutôt vers 3 ou 4 machines dans la classe, dont 2 multimédias et communiquantes. L'enseignant peut alors gérer un groupe de 4 ou 8 sur les machines et continuer à gérer les autres élèves qui font autre chose au même moment ».
4. Les freins à l'utilisation des NTIC restent nombreux et variés
Les premiers sont d'ordre culturel : la « peur viscérale de la « machine » de la part de nombreuses personnes », le « carcan administratif et financier qui pèse actuellement sur Internet », et, tout simplement, le fait que « peu d'entre nous ont eu l'occasion d'aller fouiner sur Internet ».
Des difficultés matérielles existent, un manque de matériel dû à l'absence de véritable implication financière des collectivités locales. L'absence aussi d'un mode d'utilisation précis des outils (ordinateur + écran + projecteur ou pas, ordinateur + tableau noir ou pas...). Il faut éviter ce qu'un chercheur a désigné comme « une intox assez générale » : il n'est pas nécessaire de recourir aux grandes marques, souvent plus chères mais bien de pouvoir disposer de machines adéquates: « on semble faire la course à la puissance, mais il faut savoir qu'un vieux 386 peut encore rendre d'excellents services, et ne vaut pas lourd sur le marché de l'occasion. A fortiori un 486... ». L'équipement des écoles incombant aux communes, chacun pourrait s'y retrouver, « le service d'assembleurs locaux (maintenance, installation sur site, conseil...) est souvent meilleur que celui de gros fournisseurs pour qui une école n'est pas un interlocuteur de poids une fois la machine vendue. Reste à identifier les partenaires sérieux et fiables... ».
Il faut savoir « se méfier de l'idée qui veut que, puisque ce sont les enfants, il n'y a pas besoin d'ordinateurs performants, voire même d'ordinateurs du tout ... «. On rencontre de temps en temps ce genre de discours de la part d'élus ou de parents : « Apprenez leur d'abord à écrire et à compter ».
Le coût des communications téléphoniques paraît un autre obstacle majeur. Tous regrettent le manque de moyens financiers, à l'exception d'une enseignante de français : son collège, dans l'Ohio, bénéficie d'une dotation d'un million de dollars chaque année. Nos correspondants québécois rappellent que le ministère de l'éducation de la Belle Province alloue chaque année 54 dollars canadiens par élève pour ce type de dépense, à l'exception des factures téléphoniques.
Trop souvent, les enseignants semblent réduits à la « débrouillardise », quand elle est possible (et si la seule prise téléphonique de l'école n'est pas dans le bureau du directeur !).
A l'évidence, il n'existe ni politique déterminée, ni plan global à long terme concernant le développement de l'usage des NTIC dans l'éducation. Le Québec fournit l'exemple : « le gouvernement a élaboré un plan quinquennal qui vise l'intégration des nouvelles technologies à l'école. Chaque école trace son plan dans un cadre budgétaire prédéterminé ».
Les responsables concernés ont pris conscience, à l'image de Robert BIBEAU, responsable des nouvelles technologies au ministère de l'éducation du Québec, que « certains spécialistes laissent entendre que si le système scolaire offre un si piètre rendement, c'est qu'il constitue l'un des derniers bastions où les technologies de l'information et de la communication n'ont pas encore été véritablement intégrées ».
5. La formation des enseignants se heurte à une crainte de la « machine » et à « un refus d'innover sur son temps de loisir ».
Des enseignants semblent prêts à utiliser les nouvelles techniques, ils réclament une meilleure maintenance et un accompagnement de qualité. Plusieurs regrettent la diminution du nombre de postes d'animateurs informatiques pour la prochaine rentrée. D'où cette réflexion amère : « d'un côté, l'institution laisse une très grande liberté aux enseignants dans leur classe..., d'un autre côté, toute initiative originale qui n'est pas totalement contrôlable par le haut se voit, au mieux ignorée, au pire contrecarrée, quelquefois récupérée ou détrônée, mais jamais encouragée concrètement » . Dès lors, comment ne pas prêter attention à cette autre formulation : « L'enseignement doit sortir de l'âge de la pierre taillée, pour cela, il faut des hommes et du matériel [ainsi qu'] une prise en charge institutionnelle » ? L'absence de véritable politique de maintenance constitue une difficulté fréquemment évoquée.
6. Un dernier type d'obstacles tient à l'absence de produits adéquats. Ce thème, largement évoqué lors des entretiens et déplacements, n'a que peu retenu l'attention des participants au forum. On notera cependant que l'un d'entre eux a souligné les questions posées par l'hégémonie d'un éditeur de logiciels. Cette préoccupation, partagée ensuite par plusieurs correspondants, a été placée par son auteur sous le signe de l'éthique et de la laïcité qui « n'est pas seulement une question de religion mais concerne toutes les activités humaines. L'éducation se doit d'être aussi objective et impartiale que possible à tous points de vue.
« Cela vaut aussi bien pour les produits du commerce. Quand l'Éducation nationale forme systématiquement tous les jeunes de ce pays sur les produits d'un seul éditeur de logiciels déjà hégémonique, alors qu'il existe quand même des alternatives, cela me paraît contraire au devoir d'impartialité de toute administration, et particulièrement au devoir de laïcité de l'Éducation nationale.
« À la différence de bien des organisations, sa masse même donne à l'Éducation nationale le pouvoir de résister à toute hégémonie, si tel est son choix. Et je ne parle pas des effets futurs sur notre économie, notre mentalité et notre culture d'une éducation quasi totalement fondée (au moins en informatique) sur des ressources d'origine américaine.
« Comme de plus il existe d'excellentes alternatives, et qui plus est gratuites, on peut se poser quelques questions.»
7. Cette réflexion illustre la préoccupation des participants quant à l'avenir des enfants. L'acquisition d'une culture technologique paraît relever de la simple nécessité dans la perspective de l'entrée des élèves actuels dans le marché du travail à l'horizon 2010. D'où le risque bien actuel d'un creusement des inégalités en fonction des initiatives locales ou de leur absence.
D'une manière générale, les participants au forum semblent passionnés et désabusés. Passionnés par leur sujet, d'après le ton de leurs contributions, désabusés ou perdus, découragés, même dans la mesure où leurs initiatives ne paraissent ni reconnues, ni soutenues : « j'avoue que caser dans une pièce de 12m 2 , 30 élèves autour de 5 ordinateurs ne relève pas de la partie de plaisir. En fait, il faut diviser la classe en deux, et placer deux ou trois élèves devant chaque machine. Comme en général vous êtes le seul enseignant intéressé par l'informatique, personne ne se propose pour prendre la demi-classe, et vous devez, soit faire appel à des parents, soit faire travailler par terre dans un couloir ou dans un coin du cagibi informatique l'autre moitié des effectifs. Si on ajoute que sur les cinq machines, il y en a souvent une qui est capricieuse, qui ne démarre pas à chaque fois, on voit que les enseignants doivent faire preuve de beaucoup de persévérance ».
* 149 Le nombre des consultations reste, au contraire, difficile à estimer. Faut-il considérer que toutes les consultations du serveur du Sénat l'ont également été pour le forum, ce qui porterait à plus de 100 000 le nombre mensuel des participants au forum. Faut-il, à l'inverse, considérer que seul un pourcentage infime de ces consultants a accédé au site du Sénat pour consulter le forum ? La vérité se situe probablement entre les deux.