2. La signature de l'accord sur Hébron : un nouveau départ pour le processus de paix ?
a) L'application des accords passés
Le respect des accords passés supposait, en premier
lieu, un retrait militaire d'Hébron. Prévu pour mars 1996 aux
termes de l'accord intérimaire, le redéploiement a
été différé jusqu'à la signature de l'accord
du 15 janvier 1997.
La ville d'Hébron se singularise, en effet, par la présence de
quelque 450 colons israéliens au sein d'une population palestinienne
estimée à plus de 100.000 personnes. Hébron abrite le
tombeau des patriarches (sépulture d'Abraham et de sa descendance
jusqu'à Jacob) vénérés par les juifs comme par les
musulmans. L'antagonisme israélo-palestinien, attisé encore par
le souvenir du massacre de la mosquée d'Abraham (l'assassinat par un
colon juif de 29 musulmans en prière) revêt donc ici une forte
dimension religieuse.
L'accord intérimaire, tenant compte de la situation particulière
de cette ville, n'avait prévu qu'un retrait partiel. Cependant la
division des responsabilités en matière de sécurité
devait rester sans conséquence sur le statut de la ville dont
l'unité demeurait préservée. Le gouvernement de
M. Netanyahou a souhaité entourer de garanties
supplémentaires le redéploiement militaire. La négociation
s'est déroulée dans des conditions difficiles . Les parties sont
finalement parvenues à un texte proche des termes de l'accord
intérimaire : l'armée israélienne se retirant des quatre
cinquièmes du territoire d'Hébron, placés sous le
contrôle de quatre cents policiers palestiniens.
Surtout, la partie palestinienne souhaitait qu'à l'occasion d'un accord
sur Hébron, Israël s'engage à poursuivre le processus de
paix. A cet égard, la négociation n'aurait sans doute pas abouti
sans les "lettres d'assurances" américaines sur les
redéploiements à venir dans les zones rurales et la "note pour
mémoire" sur les engagements futurs des parties. Six sujets restent en
effet à l'ordre du jour :
-
libération des prisonniers
selon les principes fixés par
l'accord intérimaire ;
- concrétisation du
droit de passage
entre Gaza et la Cisjordanie
fondé sur le principe d'unité territoriale entre ces deux
territoires, reconnu lors de précédents accords (avec toutes ses
implications, comme par exemple le droit pour les étudiants de Gaza
d'étudier en Cisjordanie) ;
-
levée des entraves
à l'aide internationale
(matériels bloqués, autorisations refusées...) ;
- respect du
volet économique des accords
qui entraîne la
levée du blocage, l'accès des travailleurs palestiniens en
Israël, la levée des obstacles à l'exportation et à
l'importation ;
- conclusion d'un accord pour
l'ouverture de l'aéroport de Gaza et la
mise en chantier du port
(pour lequel la France a prévu d'accorder
100 millions de francs) ;
- détermination d'une date pour
l'ouverture des négociations
sur le statut permanent.
La "note pour mémoire" comprise dans l'accord sur Hébron
prévoit l'ouverture de discussions immédiates sur le "passage
protégé" entre Gaza et la Cisjordanie pour les biens et personnes
palestiniens, ainsi que sur le port et l'aéroport de Gaza. Les
négociations sur le statut permanent reprendront dans les deux mois
suivant le redéploiement à Hébron.
Les Palestiniens s'engagent pour leur part à continuer leur lutte contre
le terrorisme, à compléter la révision de la charte
nationale de l'OLP, à respecter les limites des effectifs de police
(à 30.000 hommes), à s'abstenir de toute activité hors de
la zone autonome (notamment à Jérusalem) et enfin à
traiter les demandes d'extradition de suspects.
b) Le statut permanent
Les négociations sur le statut permanent devront
aborder, en principe, trois points particulièrement critiques : le
statut de Jérusalem, les implantations, les réfugiés.
·
Jérusalem
Aucun rapprochement ne s'est réellement dessiné sur la question
de Jérusalem entre Israéliens et Palestiniens depuis le
début des négociations. Pour comprendre l'ampleur du
différend, il convient de l'inscrire dans son contexte historique.
En 1947, le Conseil de sécurité avait prévu
(résolution 189) le partage de la Palestine " mandataire "
en
un Etat juif et un Etat arabe, Jérusalem constituant une entité
séparée ("corpus separatum") placée sous le contrôle
des Nations Unies. La première guerre israélo-arabe en
décida autrement : Jérusalem fut coupée en deux, sa partie
ouest annexée en 1949 par Israël qui en fit sa capitale, tandis que
la partie orientale revenait à la Jordanie.
En 1967, la guerre des "six jours" permit à Israël de
conquérir, avec la Cisjordanie, la partie orientale de Jérusalem
annexée le 28 juin 1967 (les limites de la municipalité passant
de 607 à 7285 ha).
Enfin, aux termes de la loi fondamentale du 30 juillet 1980, Jérusalem
devenait la "capitale éternelle d'Israël". Malgré la
condamnation du Conseil de sécurité (résolution 478 du 20
août 1980), Israël entreprit d'intégrer la ville à
l'Etat juif à travers notamment une ambitieuse politique de construction
: un cordon de quartiers modernes israéliens ceinturent désormais
la partie Est de la ville.
Parallèlement, les autorités n'ont accordé qu'avec une
extrême parcimonie des permis de construire aux Palestiniens (1 pour
1000). De la sorte 40 % des terrains situés dans les limites municipales
de Jérusalem appartiennent aux Israéliens et 25 % aux
Palestiniens - répartition inverse de celle qui prévalait en 1948.
L'équilibre démographique à Jérusalem Est a
progressivement évolué au profit des Israéliens
qui
représentent désormais 152 600 habitants de Jérusalem
contre 150 600 Palestiniens. Ces derniers ont conservé leur
nationalité et leur passeport jordaniens. A partir du printemps 1993,
l'accès à la ville comme à Israël est
subordonné pour les Palestiniens des territoires occupés ou
autonomes à la présentation d'un permis spécial.
En outre, les bouclages répétés des territoires
palestiniens achèvent de couper Jérusalem-Est de la partie
palestinienne pour conforter au contraire son intégration à
l'Etat d'Israël.
L'ouverture du tunnel sous le quartier arabe de Jérusalem, dans la nuit
du 23 au 24 septembre dernier, destiné à prolonger le Mur des
Lamentations sur quelque quatre cent mètres constitue le dernier
exemple, en date, de la volonté israélienne d'affirmer sa
souveraineté sur Jérusalem. Considérée comme une
provocation par l'opinion publique palestinienne qui y voit une atteinte au
statu quo de la cité, elle a suscité les émeutes les plus
meurtrières depuis 1967.
L'appartenance " non négociable "
de Jérusalem
dans son ensemble à Israël fait aujourd'hui l'objet d'un large
consensus au sein de l'opinion israélienne quelles que soient, par
ailleurs, les appartenances politiques.
Les Palestiniens souhaitent de leur côté, avec une même
unanimité, que Jérusalem devienne la capitale de l'Etat auquel
ils aspirent, même si cette revendication, dans la formulation retenue
par la partie palestinienne, se borne à Jérusalem-Est.
M. Hassan Tahboub, titulaire du portefeuille des cultes au sein de
l'Autorité palestinienne, seul ministre officiellement installé
à Jérusalem, a plaidé devant votre
délégation pour une " coresponsabilité " des
Israéliens et des Palestiniens sur la ville sainte.
Comment, dès lors, sortir d'une impasse qui fait planer une lourde
hypothèque sur le processus de paix ?
Sans doute une première approche doit-elle s'attacher à
régler d'abord
le libre accès aux lieux de culte
de la
ville sainte des trois religions monothéistes. La dimension religieuse
ne constitue que l'un des aspects, certes capital, du problème de
Jérusalem. La question la plus difficile apparaît d'ordre
politique. Elle tient au statut des habitants arabes de la ville, de leurs
droits, de leurs institutions politiques et de leurs relations avec les
territoires palestiniens.
·
Les implantations israéliennes
Les implantations israéliennes
dans les territoires palestiniens
constituent, sans doute, à moyen terme, la menace la plus
préoccupante pour la paix.
C'est au lendemain de la guerre des "six jours" en 1967, que les
travaillistes,
alors au pouvoir, entreprirent un programme de construction dans
Jérusalem-Est et la vallée du Jourdain sans pouvoir
maîtriser par ailleurs le développement parallèle de
premières colonies à Hébron puis en
"Judée-Samarie". Cependant avec le retour au pouvoir du Likoud, cette
politique de colonisation fut systématisée afin de donner
à l'occupation israélienne un caractère
irréversible.
Les travaillistes, revenus au pouvoir en 1992, infléchirent ces
orientations. Certes, le gel décrété par le gouvernement
excluait Jérusalem, la vallée du Jourdain, les implantations
frontalières de la ligne verte et ne portait en outre que sur le soutien
financier apporté par l'Etat. Cependant aucune colonie nouvelle ne fut
créée.
Aujourd'hui les colonies israéliennes en territoires palestiniens
représentent près de 140 sites en Cisjordanie et une vingtaine
à Gaza. La population des colons (315.000 personnes) se répartit
assez inégalement. Une majorité (165.000) se concentre à
Jérusalem, l'autre partie (145.000 en Cisjordanie et 5.000 à
Gaza) réside dans des établissements de taille variable :
certains constituent de véritables villes (20.000 habitants à
Maaleth Adoumin, 15.000 à Ariel), tandis que d'autres ne sont que de
petites localités fortifiées. Si au sein de cette population
existent les ferments d'un nationalisme radical, certains colons accepteraient
sans doute un retour en contrepartie d'une indemnisation.
Le gouvernement actuel a annoncé sa volonté de construire plus de
10.000 nouveaux logements dans une centaine de colonies existantes à
Gaza comme en Cisjordanie, afin de porter la population juive des territoires
de 140.000 à 500.000 d'ici l'an 2000. En principe ce
développement devait passer par la
" densification "
des installations existantes mais depuis l'arrivée au pouvoir du
Likoud, deux colonies ont déjà fait l'objet d'une extension.
Ces orientations s'accompagnent en outre du
développement
, pour
les seuls Israéliens,
de routes de contournement
des zones
placées sous responsabilité palestinienne. Ces voies autour
desquelles les colonies sont appelées à se développer
naturellement selon le voeu exprimé par le premier ministre pourraient
à terme favoriser une unité territoriale des implantations.
Or, une telle orientation soulève une double objection de nature
juridique et politique. D'une part, en effet, la colonisation des territoires
occupés contrevient à la quatrième convention de
Genève sur la protection des populations civiles, pourtant
ratifiée par Israël, dont les dispositions interdisent notamment
toute modification de la composition démographique des territoires
occupés. D'autre part, bien que le principe du gel de la colonisation
n'ait pas été explicitement formulé pas les accords
d'Oslo, l'esprit de ces textes suppose que pendant la période
intérimaire,
les parties s'abstiennent de toute initiative
unilatérale
susceptible d'hypothéquer le processus de paix.
·
La question des réfugiés
L'impasse demeure également sur les autres sujets inscrits à
l'ordre du jour des négociations relatives au statut permanent.
Le
problème des réfugiés
(près de 3,2 millions de
Palestiniens recensés au Liban, en Jordanie, en Syrie et dans les
territoires occupés) reste entier. La plate-forme gouvernementale du
Likoud a exprimé son opposition à l'exercice d'un " droit au
retour " de populations arabes sur toute partie de la
" terre
d'Israël à l'Ouest du Jourdain ".
Alors qu'un règlement politique et diplomatique paraît
éloigné, les conditions de vie des réfugiés,
surtout dans les camps du Liban, apparaissent très difficiles. Dans ce
contexte, les difficultés financières de l'Office de secours et
de travaux des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens au
Proche-Orient (OSTNU ou UNRWA en anglais) créé en 1948,
constituent un grave sujet de préoccupation. Cet organisme,
financé pour la quasi-totalité de son budget, par des donations
internationales volontaires, emploie près de 22 000 personnes
-médecins, infirmiers, enseignants, techniciens... En 1995 les
contributions sont passées de 268 à 235 millions de dollars. La
France a beaucoup tardé à verser sa contribution en 1996 (11,50
millions de francs contre 18,3 millions de francs en 1994).
*
De nombreuses incertitudes continuent de peser ainsi sur le
contenu d'un statut permanent. L'écart entre les positions en
présence apparaît aujourd'hui considérable : d'un
côté la revendication d'un Etat palestinien, de l'autre la
reconnaissance d'une autonomie très limitée. Trois années
suffiront-elles pour parvenir à un accord ? Depuis 1993, il ne faut pas
l'oublier, bien des changements, inconcevables quelques années plus
tôt, sont intervenus.
Aujourd'hui, afin de favoriser la perspective d'un règlement de paix
permanent, il importe avant tout que soit
relancée la dynamique de la
négociation israélo-palestinienne.
A cet égard, la
signature de l'accord sur Hébron constitue un signal encourageant.
Ainsi, la confiance, indispensable, pourrait être restaurée.
La relance du processus de paix demeure toutefois très dépendante
de l'évolution intérieure en Israël et dans les territoires
palestiniens.
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