II. LES INCERTITUDES DE LA SITUATION EN ISRAËL ET DANS LES TERRITOIRES PALESTINIENS
Votre délégation s'est attachée, lors de sa mission, à s'informer sur les évolutions politiques et économiques qui pèseront de façon décisive sur le cours des négociations.
A. LES NOUVEAUX DÉFIS D'ISRAËL
En moins de deux décennies, Israël a connu de
profondes transformations : une modernisation économique rapide et
d'importantes vagues d'immigration -d'origine russe notamment.
Les Israéliens ont eux aussi changé. Sans doute conservent-ils un
attachement irréductible aux valeurs qui fondent leur identité,
mais ils aspirent désormais au mode de vie que connaissent toutes les
sociétés occidentales modernes. L'esprit pionnier s'est
émoussé. La sécurité, indispensable pour tirer
parti des fruits d'une croissance vigoureuse et mener une existence normale,
s'est imposée comme la préoccupation prioritaire de la population.
1. Quelle réponse apporter au souci prioritaire de sécurité ?
La modernisation de la société israélienne a suscité de nouveaux clivages et des réactions de refus. Dans l'ordre politique, les différences s'organisent autour de la réponse à apporter au souci de sécurité : pour les travaillistes, le processus de paix constitue la plus forte des garanties. Pour le Likoud, aujourd'hui au gouvernement, l'émergence d'un pouvoir palestinien est porteur de risques qu'il convient d'endiguer.
a) Les clivages de la société israélienne
L'appartenance de 80 % de la population au judaïsme, la
pratique généralisée de l'hébreu, les effets
indéniables de puissants facteurs d'intégration (au premier chef
le sionisme mais aussi l'école et l'armée), sont autant
d'éléments qui ont cimenté un puissant sentiment
d'identité nationale. Mais la société israélienne
connaît aujourd'hui plusieurs clivages.
De longue date, culture, modes de vie et pratiques religieuses séparent
les ashkénazes, originaires d'Europe centrale, des séfarades
venus principalement d'Afrique du Nord et installés d'ailleurs plus
tardivement en Israël. De nos jours, alors même qu'au fil des ans
des mariages ont permis de rapprocher les deux communautés, certains
décalages demeurent difficiles à surmonter. Ainsi, bien qu'ils
représentent la moitié de la population, les séfarades
comptent moins du quart des étudiants israéliens.
Cependant cette césure traditionnelle paraît désormais
présenter moins d'acuité que trois clivages dont
l'évolution s'avérera sans doute déterminante pour
l'avenir d'Israël.
En premier lieu,
les différenciations sociales
tendent à
s'accuser à l'heure où le pays a connu une croissance
supérieure à 6 % depuis 5 ans et constitue, avec un revenu par
habitant de 16 300 dollars, un pôle de prospérité au
Proche-Orient. En 1996, en effet, près de 20 % de la population vit en
dessous du seuil de pauvreté.
En outre, la société israélienne connaît un
phénomène de "communautarisation"
dont certaines formes
paraissent nouvelles. L'Etat juif compte depuis sa naissance une
minorité arabe
forte, aujourd'hui, de 850.000 personnes, soit 18
% de la population. Même si la plénitude des droits civiques lui
est reconnue, la communauté arabe est exemptée des obligations
militaires. En outre, elle reste en retrait par rapport au niveau de
développement économique de la population juive. Il convient en
particulier de souligner l'insuffisance générale des
équipements collectifs liés à la faiblesse des subventions
publiques accordées aux municipalités arabes.
Mais, désormais, la majorité juive apparaît elle-même
traversée par des divisions ethniques nées des
vagues
d'immigration successives
. L'Etat israélien s'est assigné la
vocation d'accueillir les juifs du monde entier. Ainsi, Israël s'est
enrichie de l'apport des juifs éthiopiens. Aujourd'hui au nombre de
80.000, ces derniers pourraient, grâce au dynamisme de leur
démographie, compter 250.000 personnes dans 25 ans. En outre,
près de 700.000 juifs russes se sont installés en Israël au
cours des 5 dernières années avec des motivations souvent plus
économiques que politiques. Peu soucieux d'apprendre l'hébreu,
leur intégration se révèle parfois problématique.
L'intégration de ces communautés et, bien sûr, au premier
chef celle de la minorité arabe, passerait-elle par la promotion d'une
identité qui ne se réclame pas de la seule judéité
mais repose également sur l'ensemble des facteurs qui distinguent
Israël de son environnement, qu'il s'agisse de la langue, de la
démocratie, du libéralisme et du degré de
développement économique ?
Toutefois, précisément, une telle orientation se heurte à
la pression des milieux religieux.
Le phénomène communautaire ne se résume pas aux seules
divisions ethniques, il se traduit aujourd'hui de plus en plus par
la
fracture qui sépare la partie laïque de la population du monde du
religieux ou "harerims"
dont le choix de vie -vouée à
l'étude du Talmud - les éloigne de la vie "dans le monde"
à travers le refus, notamment, du service militaire.
Le débat s'est récemment cristallisé sur le
problème de la rue Bar-ilan à Jérusalem, dont les partis
religieux réclament la fermeture pendant le shabbat alors même
qu'elle sert de voie de transit à quelque 60.000 automobilistes.
Après le rejet de ces prétentions par la Cour suprême, les
ultra orthodoxes ont jeté leur vindicte sur le président de cette
juridiction. L'atmosphère de haine a naturellement exacerbé
l'antagonisme avec les milieux laïcs.
Si, depuis plusieurs années, les religieux ne réussissent pas
à réunir plus de 15 % des suffrages, leur poids politique reste
déterminant dans la composition des équilibres gouvernementaux.
Plus généralement, ces clivages de la société
israélienne se retrouvent au sein du gouvernement et constituent une
hypothèque pour l'entreprise de modernisation politique tentée en
Israël dans la période récente.
b) La quête d'une modernisation politique
Le choix du
suffrage universel direct pour mode
d'élection du premier ministre
devait, dans l'esprit des initiateurs
de cette réforme adoptée en 1992 et applicable au scrutin de
1996, favoriser un effet de bipolarisation et rompre avec
l'éparpillement des voix, source de fragilité institutionnelle.
Cependant,
le maintien de la proportionnelle intégrale
pour les
législatives a, en bonne partie, effacé les effets attendus de
cette réforme. Le Likoud et le parti travailliste n'ont recueilli
à eux deux que 47 % des suffrages (soit 56 sièges) tandis que les
petits partis amélioraient leur audience et leur représentation
au sein de la Knesset (notamment les partis religieux avec 23 sièges,
soit un gain de 40 % par rapport à 1992).
Ces différents mouvements, avant tout soucieux de promouvoir les
intérêts qu'ils représentent, acceptent d'entrer dans toute
coalition qui prenne en compte leurs aspirations. Le morcellement de la
scène politique leur confère une influence sans commune mesure
avec leurs résultats électoraux.
Le gouvernement actuel ne dispose que d'une majorité théorique de
8 voix. Il associe aux représentants d'une droite dominée par le
Likoud, des ministres issus des trois partis religieux (Shass, Parti national
religieux, Parti unifié de la Torah), du groupe Yisrael Ba Aliya,
défenseur de la communauté d'origine russe et animé par
l'ancien dissident Nathan Chtcharanski, et enfin de la Troisième voie,
une dissidence du parti travailliste, hostile à la cession du Golan.
A la merci d'une défection de l'un de ses alliés, le gouvernement
de M. Netanyahou doit, en outre, concilier les tendances contradictoires des
uns et des autres. Les partisans du processus de paix comme M. Lévy,
ministre des affaires étrangères, ou M. Meridor, ministre des
finances, côtoient les défenseurs du mouvement des colons, tels
les anciens généraux Sharon et Eytan. Les trois partis religieux,
hostiles en général à toutes concessions aux Palestiniens,
s'opposent cependant à M. Eytan, chef de file du courant laïc quand
il s'agit des mesures de judaïsation. Les divergences ne se recoupent donc
pas toujours et cette situation ouvre une marge de manoeuvre à M.
Netanyahou mais le contraint également à un difficile exercice
d'équilibre. Or la cohésion du cabinet est menacée par
trois dossiers délicats : le processus de paix, les exigences des partis
religieux, le plan de réduction des dépenses publiques (et les
coupes qu'il prévoit en particulier sur les allocations familiales).
Le redéploiement militaire à Hébron donne un bon exemple
des difficultés auxquelles le gouvernement israélien peut se
trouver confronté de façon récurrente. Sept membres du
gouvernement ont refusé de joindre leurs voix aux onze ministres qui ont
approuvé l'accord sur Hébron.
Un gouvernement d'Union nationale permettrait-il d'éviter les
écueils et de franchir une passe dangereuse ?
M. Shimon Pérès plaide pour cette formule mais demeure
minoritaire, sur ce point, au sein du parti travailliste, qui
préfèrerait dans sa majorité, comme l'a indiqué
à votre délégation son secrétaire
général, M. Zvili, un soutien sans participation.
Au moment où votre délégation se trouvait en Israël,
le parti travailliste a adopté une formule de compromis pour la
succession de M. Pérès. Ce dernier demeurera à son poste
jusqu'au printemps 1997, date à laquelle les travaillistes
procèderont à l'élection de leur président. En
outre jusqu'en septembre de l'année 1997, M. Pérès est
assuré de diriger la représentation travailliste au sein de ce
gouvernement d'Union nationale dans l'hypothèse où
M. Netanyhaou devrait se résoudre dans l'intervalle à une
telle initiative.
L'avenir politique reste donc ouvert. M. Netanyahou n'est prisonnier de sa
coalition politique que dans une certaine mesure. D'autres formules
gouvernementales restent possibles.
D'après un récent sondage, rendu public le 8 décembre
1996, près de 58 % des personnes interrogées approuveraient la
formation d'un gouvernement d'unité nationale (contre 36 %
opposés à cette solution). C'est parmi les électeurs des
deux principaux partis que la proportion recueille l'adhésion la plus
forte (63 % chez les électeurs du Likoud, 64 % chez ceux du parti
travailliste).