3.2 Le contrôle sur l'environnement

3.2.1 Le contrôle réglementaire effectué par l'exploitant

Les arrêtés d'autorisation imposent à l'exploitant une surveillance de l'environnement qui comporte :

- pour les rejets liquides : "au minimum : des prélèvements d'eau hebdomadaires au point de déversement des effluents dans les étangs de Saclay et dans les étangs eux-mêmes ; des prélèvements mensuels dans les eaux souterraines sous-jacentes en au moins quatre points ; ces différents points sont choisis en accord avec le service central de protection contre les rayonnements ionisants ; les prélèvements font l'objet de mesures des activités volumiques á et â totales, et de celle du tritium" ;

- pour les rejets gazeux : "la surveillance de l'environnement comporte au minimum : al en quatre points {le point n ° 1 étant situé obligatoirement sous le vent dominant) : l'enregistrement continu du débit de dose ã, un prélèvement quotidien continu de poussières atmosphériques, un prélèvement mensuel de végétaux ; b/ en deux de ces points (dont un sous le vent dominant), un prélèvement hebdomadaire d'eau de pluie ; c/ un prélèvement mensuel de lait de ferme situé dans un rayon de 10 km sous le vent dominant ; "

"les différents points et les modalités techniques de cette surveillance sont choisis en accord avec le service central de protection contre les rayonnements ionisants qui précise, d'autre part, les échantillons que l'exploitant doit lui remettre,"

"à dater du 1 er octobre 1979, l'activité volumique moyenne hebdomadaire ajoutée, calculée après dispersion au niveau du sol en ces points de mesure, ne devra pas dépasser : 10 4 pCi par mètre cube pour les gaz ; 0,2 pCi par mètre cube pour les halogènes gazeux et les aérosols (161 ( * )) ; ces limites ne représentent qu'un maximum en-deçà duquel il y a lieu de maintenir les activités volumiques toujours aussi basses que possible."

Les modalités pratiques de mise en oeuvre de ces prescriptions révéler » que l'exploitant a jugé nécessaire d'aller au delà du minimum imposé par les autorités réglementaires. Le CEN Saclay dispose en effet d'un réseau de surveillance de l'environnement très développé :

- 7 stations effectuent tout ou partie de la surveillance atmosphérique (débit de dose y, poussières, eau de pluie, herbe) ;

- 3 lieux supplémentaires de prélèvement d'herbe sont situés à l'ouest, au nord et nord-est du centre ;

- le lait est recueilli dans deux endroits différents ;

- les eaux sont l'objet d'une attention soutenue : pas moins de 18 points de prélèvements sont régulièrement utilisés pour les eaux de surface (un point de référence dans l'étang de Saint Quentin en Yvelines, 5 points dans les étangs de Saclay en sus du point directement situé à l'issue de l'Aqueduc des Mineurs, plusieurs points en amont et aval des divers cours d'eau qui irriguent le secteur) ; 4 points de prélèvement permettent d'effectuer des analyses dans la nappe phréatique superficielle ; 14 forages divers permettent de prélever des échantillons dans la nappe phréatique semi-profonde dite « des sables de Fontainebleau » (environ 40 à 50 m au-dessous de la surface du sol) ; 5 de ces forages sont situés sur l'emprise du centre ; l'IPSN m'a fourni la carte de circulation des eaux dans la nappe des sables de Fontainebleau, dans l'environnement immédiat de Saclay ; cette carte suggère que les lignes de courant de la nappe qui sont représentatives de 1'« amont » du centre sont situés au nord de celui-ci alors que les lignes de courant s'éloignant du centre se dirigent vers le sud, vers la vallée de l'Yvette ; les points représentatifs de 1'« aval » du centre seraient donc situés au sud de celui-ci ; cependant R. MASSE m'a écrit que "la carte hypsométrique du toit de la nappe de Fontainebleau montre qu'il est difficile, voire illusoire, de rechercher un point « amont ». Les points FI et F2 sont plus probablement des points « aval » et de plus sont vraisemblablement contaminés par des infiltrations en provenance des étangs de Saclay."

Par ailleurs le centre a lancé à la fin du mois de mars 1995 une campagne de prélèvements de sédiments dans les étangs de Saclay. Les analyses chimiques et radiologiques sont en cours à l'heure actuelle.

Les résultats de la surveillance de l'environnement appellent peu de commentaires. Je remarque cependant que, une fois de plus - et ceci n'est pas propre au CEA - les chiffres ou graphiques fournis ne font que rapporter à sa limite réglementaire la valeur mesurée pour chaque radioélément ou chaque catégorie de radioéléments. On ne dispose pas pour ce genre de mesures d'un outil totalisateur comme le TAET(A), « Taux annuel d'exposition totale (ajoutée) ». Ceci est regrettable puisque, comme on peut s'en rendre compte facilement, le respect séparé de chaque limite d'incorporation ne garantit pas pour autant que la limite de dose totale soit respectée (5 mSv au corps entier ou 50 mSv pour l'organe le plus irradié, selon la voie d'exposition la plus pénalisante).

Mme RIVASI dénonce avec raison cette confusion dans la présentation des impacts radiologiques. Je ne peux que rappeler l'une des recommandations du rapport que j'avais préparé en 1994, demandant à ce que les impacts des effluents des installations nucléaires soient présentés sous forme de dose reçue plutôt que sous forme d'activités rejetées. Ceci permettrait justement d'avoir une vision globale (et réellement pertinente) de ces impacts en termes sanitaires. La satisfaction de cette demande suppose évidemment que soient résolues toutes les questions méthodologiques relatives à la détermination d'un impact sanitaire. Le Bureau de Radioprotection s'est attaché à un travail important en ce sens. Je souhaite qu'il réunisse autour de lui l'ensemble des compétences nécessaires à la résolution des problèmes soulevés par cette exigence essentielle, même si certaines peuvent venir d'horizons peut-être encore peu institutionnalisés.

3.2.2 La surveillance de l'environnement exercée par l'OPRI

Les moyens de cette surveillance sont plus légers que ceux déployés par l'exploitant. Ce n'est pas étonnant puisque la philosophie du contrôle direct de l'environnement par l'OPRI s'inscrit dans ce que l'on pourrait appeler le contrôle-qualité des opérations menées par l'exploitant. Il s'agit de vérifier que les données fournies par l'exploitant aux autorités sont cohérentes avec les résultats obtenus de son côté par l'organisme de référence de l'administration. Il s'agit également de pouvoir détecter une anomalie concernant les voies principales d'exposition du public.

Le réseau de mesure de l'OPRI autour de Saclay comprend : un point de prélèvement des eaux à l'embouchure de l'Aqueduc des Mineurs dans les étangs ; un point de prélèvement des eaux dans les étangs ; un point de prélèvement de sédiments situé à proximité de l'embouchure de l'Aqueduc ; une station de mesure atmosphérique (débit de dose, poussières) située à côté de celle implantée sur le site même de Saclay par l'exploitant ; un point de prélèvement en nappe phréatique dans le Centre d'essais des Propulseurs, situé au nord du CEN Saclay ; un point de prélèvement en nappe phréatique situé à proximité de la Mérantaise, affluent de l'Yvette.

Certains des points de prélèvement en nappe phréatique ne concernent pas la nappe de Fontainebleau mais la nappe superficielle. Répondant à une question sur d'éventuels déplacements au fil du temps, R. MASSE m'a en effet indiqué que 3 points avaient été abandonnés du fait du tarissement des sources correspondantes (P2, P4, P6) et que P5 avait été déplacé de 100 m vers une source en aval. La notion de « nappe superficielle » est elle-même sujette à caution : il s'agirait plutôt de plusieurs nappes lenticulaires non reliées entre elles, et souvent à sec pour P5.

En revanche, pour le contrôle de la nappe des sables de Fontainebleau, l'OPRI utilise pour son compte trois des forages implantés sur l'emprise du CEN (P41, P42 et P44), ainsi que le forage situé dans l'emprise du Centre d'Éssai des Propulseurs (F1) R. MASSE a bien voulu me communiquer le listing de tous les prélèvements (semestriels) effectués en nappe phréatique sur ces quatre points au total, alors que je m'étonnais que les valeurs mesurées ne soient que très rarement publiées dans le Tableau mensuel de mesures de l'OPRI. Je le remercie de cette volonté d'ouverture. "Ces résultats étaient en diffusion restreinte en raison de la localisation des prélèvements internes à l'emprise du CEN Saclay." Les résultats ne seront plus en diffusion restreinte à partir d'aujourd'hui.

L'examen des résultats de mesure de l'OPRI depuis le deuxième semestre 1990 montre que les forages situés sous l'emprise au sol du CEN Saclay (ainsi qu'au Centre d'Essai des Propulseurs) révèlent des teneurs en tritium plus élevées que la normale.

Mesures semestrielles OPRI sur les forages du CEN Saclay et F1

Semestre

Puits P41

Puits P42

Puits P44

Puits F1

90/2

170

260

560

110

91/1

110

110

390

110

91/2

150

250

580

140

92/1

150

230

400

210

92/2

220

270

540

200

93/1

220

290

570

190

93/2

170

240

280

230

94/1

160

250

390

210

94/2

130

220

220

150

95/1

130

250

350

110

95/2

230

260

320

140

concentrations en tritium exprimées en Bq.l -1 ; en gras : concentrations maximales F1 est relevé depuis 1978 (37 prélèvements au total)

J'ai bien entendu cherché à savoir quelle était la cause de ces teneurs :

- R. MASSE, président de l'OPRI, m'a indiqué qu'elles découlent du fait que le centre a commencé à fonctionner avant la réglementation relative aux rejets d'effluents ;

- de son côté, un responsable du CEN Saclay m'a dit, en précisant toutefois qu'il n'était pas la personne la plus appropriée pour me répondre ce jour-là, que cette pollution tritiée provient probablement d'infiltrations à partir des étangs de Saclay ; les étangs, creusés au XIX e siècle, ont en effet diminué l'épaisseur de la couche d'argile sous-jacente, donc facilité les possibilités de migration des radioéléments.

Aucune de ces deux explications ne m'a satisfait. En effet le tritium est un des radioéléments les plus mobiles. Je ne pouvais donc pas m'expliquer la persistance d'un écart significatif entre les valeurs mesurées en moyenne sur les différents puits : si la pollution tritiée remontait aux premiers temps du centre, ou si elle provenait d'une source relativement éloignée comme les étangs de Saclay, elle aurait dû être très homogène entre les différents puits (P41, P42, P44).

L'inhomogénéité des concentrations en tritium appelait plutôt une explication chef ressortir l'impact permanent des activités exercées par le centre. M. BOULITROP, chef adjoint du Service de Protection contre les Rayonnements, m'a donné récemment les éléments d'information suivants :

- la contamination en tritium provient effectivement directement des activités actuelles du centre de Saclay ;

- le point de mesure P44 est le point le plus sensible : il est à l'aplomb du point le plus bas du centre et se situe à proximité de l'étang de Villiers (réserve d'eau brute) qui draine certaines eaux usées du centre ; les possibilités de percolation vers l'intérieur du sol sont donc plus importantes qu'ailleurs ;

- la contamination diminue régulièrement depuis plusieurs années : on était plutôt vers 700 à 800 Bq.l -1 sur le puits P44 à la fin des années 80 ; les mesures mensuelles du CEN Saclay montrent que la contamination moyenne de P44 sur 1995 s'établit à 225 Bq.l -1 , le puits le plus bas étant à 55 Bq.l -1 ;

- on observe une bonne corrélation entre les rejets du centre (rejets autorisés), la teneur en tritium dans les eaux superficielles des alentours et la teneur en tritium dans la nappe située sous le centre ;

- l'autorité administrative s'intéresse à la question : elle a demandé au CEN Saclay d'étudier le phénomène, ses causes, ses manifestations ; en conséquence le CEN a engagé une série d'études (hydrogéologie, etc.) pour répondre aux préoccupations de l'administration.

Quelle portée doit-on accorder à cette contamination ? Si les concentrations en tritium sont révélatrices d'un transfert de radionucléides des installations vers la nappe phréatique, elles ne doivent pas susciter a priori de grandes inquiétudes au plan sanitaire. La limite annuelle d'ingestion en tritium (sous forme d'eau tritiée) est 3.10 9 Bq ; ceci conduit à une limite dérivée de concentration égale à 3,7.10 6 Bq par litre (pour une consommation quotidienne standard de 2,2 litres pendant 365 jours). Cette limite dérivée est très largement supérieure aux valeurs relevées à Saclay (162 ( * )) .

Par ailleurs il importe de préciser deux points :

- on ne relève aucune concentration significative pour les autres radioéléments mesurés : elles sont quasiment toujours inférieures aux seuils de mesure, ou à peine supérieures ; il me semble donc que le tritium doit surtout être considéré comme l'indicateur d'un « défaut potentiel de qualité » dans les barrières assurant la protection de la nappe phréatique, plutôt que comme une menace sanitaire en lui-même ;

- les concentrations relevées sur P44 sont comparables aux concentrations relevées dans le début des années 90 dans les eaux mêmes des étangs de Saclay (point de mesure W2 dans le réseau de surveillance OPRI).

Dans ce domaine important de la qualité des nappes phréatiques, la transparence la plus totale est de mise. Je m'efforcerai de la faire progresser en d'autres lieux. J'observe d'ailleurs avec plaisir que le dernier Tableau mensuel de mesures de l'OPRI (novembre 1995) présente les mesures effectuées sur les puits de Saclay atteignant la nappe de Fontainebleau. Je pense ne pas être étranger à cette publication. Gageons que cette heureuse initiative pour Saclay sera rapidement étendue à d'autres centres nucléaires, y' compris ceux pour lesquels l'état de la nappe paraît le plus critique à l'heure actuelle.

* 161 C'est-à-dire respectivement 3,7 10 -3 Bq.m -3 et 7,4 10 -3 Bq.m -3 .

* 162 Même si, comme je le dis ailleurs dans ce chapitre, l'évaluation de l'exposition des personnes ne peut pas se limiter à cette simple comparaison mais doit tenir compte de toutes les voies d'exposition.

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