2. L'ARTICULATION DE TOUS LES ÉLÉMENTS DU SYSTÈME RESTERA UNE ENTREPRISE DÉLICATE

La bonne mise en place de la politique de gestion des déchets TFA souhaitée par la DSIN suppose une articulation efficace des acteurs impliqués. Parmi ces acteurs, certains sont particulièrement critiques : l'ANDRA à un bout de la chaîne, les producteurs extérieurs à l'industrie nucléaire française.

2.1 L'ANDRA devra gérer finement sa légitimité

2.1.1 La légitimité de l'ANDRA a pu être discutée en matière de stockage

Curieuse idée que de chercher à mettre en cause la place dominante de l'ANDRA en matière de stockage de déchets nucléaires... Je dois remarquer d'ailleurs que cette question n'a jamais été évoquée lors de l'audition du 16 novembre 1995. Mais ce n'est pas pour autant le signe que ces tendances n'existent pas. Elles se sont manifestées par exemple à l'occasion des projets et études visant à clarifier les paramètres relatifs à des stockages « non dédiés » c'est-à-dire n'étant pas placés sous l'autorité d'un acteur de l'industrie nucléaire. L'éventualité même du stockage non dédié ouvrait ainsi une brèche dans le monopole de l'ANDRA, que j'ai pu qualifier par ailleurs de « gestionnaire naturel » des déchets TFA.

Un groupe de travail avait été constitué en 1992-93 entre l'IPSN et les producteurs de déchets afin de réaliser des études théoriques (91 ( * )) sur l'impact de déchets TFA placés dans des décharges classiques. Certaines de ces études étaient financées dans le cadre de programmes de l'Union européenne. Elles ont abouti à des valeurs difficilement gérables par les exploitants de ces décharges. Par exemple la limite maximale de concentration en Ra 226 était d'environ 3 Bq/g pour des déchets placés en décharge de classe 1 et d'environ 0,6 Bq/g pour des déchets placés dans une décharge de classe 2. Mais quelles devaient être les obligations de l'exploitant de la décharge ? quelles analyses ? quelles réactions si le portique à l'entrée se déclenchait ?

Les études étaient en fait relativement inapplicables au plan pratique, bien qu'elles aient contribué à mieux cerner l'impact sanitaire de certaines solutions techniquement envisageables.

Par ailleurs l'ADEME a très rapidement mis en avant les risques de blocage si l'on autorisait explicitement l'introduction de déchets portant le label « radioactif » dans les décharges classiques. Les dernières années ont montré les immenses difficultés que notre pays a rencontrées pour implanter de nouvelles - et indispensables - décharges de classe 1. Il n'était pas besoin aux yeux de l'ADEME d'agiter un chiffon rouge supplémentaire.

Le groupe de travail avait entamé des démarches auprès d'un gestionnaire de décharges (FRANCE DÉCHETS, filiale de la Lyonnaise des Eaux) afin d'évaluer la solution qu'un exploitant « classique » pouvait proposer en matière de stockage de déchets TFA.

À la demande d'un exploitant, FRANCE DÉCHETS a été associé à certaines étapes de la réflexion engagée par le sous-groupe de travail « stockage TFA » constitué dans le cadre du processus DSIN. Cette association s'est poursuivie, toujours à la demande du même exploitant, dans le cadre du contrat conclu en septembre 1995 entre l'ANDRA et les producteurs de déchets destiné à préciser certains aspects techniques de l'avant projet de stockage. L'ANDRA, pilote principal de ce contrat, a défini une prestation susceptible d'être accomplie par FRANCE DÉCHETS et au mois de décembre 1995 attendait la réponse de cette société.

Au delà de cette incursion potentielle du privé à certains stades du processus, c'est à une remise en cause plus essentielle que procédait Mme RIVASI lors des entretiens que nous avons eus à Valence en octobre dernier. Elle estimait "dangereux" qu'il n'y ait qu'un seul industriel présent sur le créneau. Il faudrait selon elle sortir du discours syndical traditionnel sur les vertus du service public, le caractère public de la gestion à long terme des déchets, etc. qui ne sont souvent que des faux semblants destinés à cacher des réflexes corporatistes. Le privé permet aussi, pour Mme RIVASI, une meilleure transparence ; on sait combien le président de la CRII-RAD est sensible à cette question, surtout en matière nucléaire...

Il est évident qu'il y a certainement lieu de dissocier, d'un point de vue théorique, les acteurs publics des missions de service public (gestion et surveillance à long terme, prise en charge des déchets orphelins, prise en charge des déchets issus de petits producteurs incapables d'assumer le coût de leur élimination correcte...). Il est moins évident qu'il y ait lieu de concrétiser cette dissociation, en pratique. On sait justement combien les collectivités locales, voire certains particuliers (individus ou entreprises), peuvent être soumis à rude épreuve par la découverte de sites pollués résultant du non respect de leurs obligations par les exploitants de décharges. Adopter une attitude préventive en confiant dès l'origine la gestion des sites TFA à l'ANDRA ne me paraît pas illégitime.

D. JOUSSELIN, chef de projet « déchets TFA » à l'ANDRA, me disait récemment qu'il subsistait des interprétations parfois divergentes sur l'étendue des responsabilités confiée à l'ANDRA par la loi du 30 décembre 1991. Si une clarification doit être faite, autant que ce soit rapidement. Mais il me semblerait difficile que l'on puisse déroger à la règle qui veut que l'ANDRA assume la responsabilité des sites sur le long terme. Cela veut dire certainement qu'une certaine maîtrise foncière (propriété du sol ?) doit lui être reconnue ; cela n'implique pas nécessairement que les portes soient fermées à ce que des organismes extérieurs assurent les fonctions d'opérateur industriel.

Cela implique en revanche que le CEA clarifie les intentions qui lui sont parfois prêtées d'implanter un site de stockage TFA sur le centre de Cadarache.

2.1.2 L'implication de l'ANDRA plus en amont vers la production des déchets suscitera certainement des tensions

L'ANDRA cherche à sortir de son rôle strict de « stockeur de déchets ». C'est une ambition louable et un vaste programme...

Dans une optique très concrètement liée à la gestion des déchets TFA, l'implication de l'ANDRA en amont du stockage repose sur la nécessité d'améliorer la traçabilité. " On ne peut pas mettre un code barre sur tout" me déclarait D. JOUSSELIN. Il faut intervenir en amont, auprès de l'opérateur chargé du conditionnement, du démantèlement... pour définir des lots que l'on pourra suivre en assurance qualité de façon plus facilement gérable, et que l'on pourra retrouver dans le stockage si le besoin s'en fait sentir.

À un deuxième niveau, l'ANDRA doit signifier aux producteurs de déchets un certain nombre de critères et de caractéristiques (granulométrie des bétons, découpe des ferrailles...) susceptibles d'être retenues dans la définition des moyens de conditionnement propres au stockage ainsi que dans la définition du stockage lui-même Il faut à la fois que la gestion du stockage soit relativement aisée et que les contraintes imposées à cette fin sur l'industriel producteur du déchet ne soient pas trop pesantes. L'ANDRA estime donc avoir besoin de s'intéresser en amont au mode de production des déchets, afin de mettre au point une « gestion préventive » à la source.

L'ANDRA souhaite éviter d'avoir à gérer un déchet fatal et pousser les producteurs à faire de « bons » déchets. Elle estimait au mois de juin dernier que ceux-ci avaient encore des difficultés à intégrer la logique déchets dans leur démarche et à sortir de la vision traditionnelle dans laquelle "l'ANDRA n'a qu'à empiler les fûts"...

Il est clair que la mise en oeuvre de telles orientations va à rencontre des pratiques courantes et risque de se heurter à de nombreuses résistances. Y. KALUZNY me citait par exemple quelques difficultés rencontrées dans la « gestion prévisionnelle » des déchets à produire par le projet ITER : que faire de tous les déchets tritiés produits par cette énergie soi-disant propre que sera(it) la fusion nucléaire ? que faire des matériaux activés par le niveau élevé de rayonnement ?

L'ANDRA, un des acteurs principaux du système, a encore fort à faire pour inscrire dans les faits la légitimité que le Parlement lui a conférée par la loi de décembre 1991. Ce ne sera pas de trop car la bonne gestion des déchets TFA risque d'être également perturbée par la présence d'acteurs extérieurs à l'industrie nucléaire nationale.

* 91 J'entends par là des études à caractère générique et non relatives à des sites particuliers.

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