1.2 La tentation du seuil n'est certainement pas définitivement éradiquée

Que l'on ne me fasse pas ici de mauvais procès : je ne mets pas en doute les volontés affichées par les grands exploitants nucléaires, en particulier aux niveaux hiérarchiques les plus élevés.

Je constate simplement le poids des habitudes culturelles et la difficulté de s'insérer pleinement dans un nouveau mode de gestion et de pensée (84 ( * )) . Cela fait des années que les « experts » s'échinent à définir des niveaux de seuil (de libération) acceptables au plan sanitaire. On leur dit aujourd'hui que cette voie doit être abandonnée... il est normal qu'ils en conçoivent quelque dépit et qu'ils soient quelque peu perturbés !

1.2.1 Certains discours montrent que le seuil reste un concept attrayant

Je dois remarquer dans un premier temps que certaines personnes n'ont pas abandonné l'idée de voir un jour définis des seuils universels de décontrôle. "L'abandon du seuil est une catastrophe" m'a déclaré tout récemment J.C. ZERBIB (CFDT). F. ROLLINGER avait donné le ton lors de l'audition du 16 novembre : "Il nous semble intéressant de discuter des propositions telles que celles qui ont été faites par le Conseil supérieur de la Sûreté et de l'Information nucléaires, c'est-à-dire définir :"

"-des seuils bas sur lesquels aucune précaution particulière n'a besoin d'être prise : de l'ordre de 0,1 Bq/g pour les émetteurs a, de l'ordre de 1 Bq/g pour les autres déchets â-ã les plus courants et un peu plus pour ceux qui ont un impact sanitaire plus faible ;"

"- des seuils environ 50 fois plus élevés pour lesquels nous avons toute la « grosse batterie » de la réglementation ;"

"- entre les deux un certain nombre de pratiques (décharges dédiées, recyclages...) soumises à contrôle."

Le retour du seuil peut parfois se faire de façon plus subtile. Certains propos montrent par exemple la difficulté d'articuler deux logiques paraissant tout aussi légitimes l'une que l'autre. On m'a ainsi affirmé à quelques minutes d'intervalle que : 1/ la démarche de la DSIN est bonne et doit être soutenue ; 2/ il serait aberrant de parler des déchets radioactifs sans les définir. Or l'application de la seconde logique implique que l'on distingue ce qui est radioactif de ce qui ne l'est pas, c'est-à-dire que l'on se fixe une valeur d'activité massique au-dessous de laquelle une matière n'est pas considérée comme radioactive.

J'y vois là le retour de cette confusion historique que je mentionnais plus haut. L'adhésion à la démarche DSIN implique justement que l'on ne doive plus raisonner sur la matière mise en cause uniquement - auquel cas le seuil est le corollaire inévitable - mais sur l'ensemble de son cycle de vie. L'obligation de ne pas perdre la trace d'une matière entrée dans le système de radioprotection élimine alors naturellement la référence au seuil.

La plupart des syndicats que j'ai rencontrés en entretien m'ont tenu ce « discours des deux logiques ». Les exploitants de leur côté ne sont pas en reste. Ont ainsi été présentés lors de l'audition du 16 novembre plusieurs tableaux synthétisant les volumes de divers types de déchets attendus de l'exploitation actuelle ou du démantèlement futur des installations nucléaires. Il est clair que lorsqu'on trace plusieurs colonnes en fonction de l'activité massique des produits considérés on introduit (de façon explicite ou implicite) des seuils de classement ou de tri. Et pourtant c'est bien nécessaire si l'on veut tracer un tableau suffisamment informatif...

Par ailleurs la « déclaration commune » des industriels du nucléaire déjà citée indiquait en mars 1995 que "la discussion menée entre les autorités des Ministères de l'Industrie et de l'Environnement et les acteurs du nucléaire amène à proposer que l'on précise filière par filière ce que sont les substances contenant de la radioactivité en dessous des concentrations massiques citées ci-dessus (85 ( * ) ) :"

"a) Une première catégorie, d'activité massique comprise entre quelques Bq/g (1) et 100 Bq/g (artificiel) ou 500 Bq/g (naturel) que l'on propose d'appeler « déchets de très faible activité », quoique ne demandant pas d'actions particulières au regard de la loi de 1966 (modifiée 1988) (86 ( * ) ) sur la radioprotection, nous semble devoir être traitée de façon spécifique, dans le cadre des études déchets dont nous parlerons plus bas ;"

"b) L'autre partie, la plus importante en volume, d'activité massique inférieure à ces quelques Bq/g (1) , devrait être considérée comme des déchets industriels ordinaires. Ces déchets industriels ordinaires, dont la seule caractéristique particulière serait de provenir d'installations nucléaires, et qui pourraient être réglementairement traités comme des déchets industriels destinés aux décharges classées, seraient soumis néanmoins à des dispositions particulières pour leur mise en décharge. Électricité de France (EDF), la Compagnie Générale des Matières Nucléaires (COGEMA) et le Commissariat à l'Énergie atomique (CEA) conviennent et proposent que ces « déchets industriels ordinaires » provenant de leurs activités, sortent du domaine nucléaire, au cas par c as, filière par filière, dans le cadre d'un processus d'assurance de la qualité reconnu, ce qui signifie en particulier la traçabilité des produits. "

"(1) Cette valeur est à préciser."

Le texte est assez surprenant : derrière l'adhésion reconnue aux objectifs de la DSIN (tout y est : études déchets, traçabilité, filières, responsabilité, assurance qualité...) on trouve en fait glissée de façon tout à fait anodine l'indication d'un seuil ("quelques Bg/q") au dessous duquel les déchets sont "ordinaires" et ont pour seule caractéristique de "provenir d'installations nucléaires". Voilà donc des déchets TFA qui n'en sont plus par la grâce du seuil dont la valeur reste à préciser. Mais prenons déjà "quelques" Bq/g pour se donner une marge dans la négociation...

Certes je prends acte de la volonté manifestée par les signataires de contrôler de bout en bout le circuit de ces « déchets TFA qui n'en sont plus ». Force est de constater cependant que l'économie générale du discours reste profondément ambiguë.

Pourquoi cette persévérance dans l'effort ? Certains éléments ont déjà été évoqués : impossibilité de parler de substances radioactives sans définir ce qui est radioactif et ce qui ne l'est pas, faiblesse de l'impact sanitaire (pour la frange basse des déchets TFA seulement...), inutilité de faire passer tous les déchets sous les fourches caudines de la même rigueur, gaspillage des ressources...

D'autres arguments sont plus politiques. Deux d'entre eux me paraissent particulièrement intéressants à évoquer ici. Tout d'abord le fait qu'il ne serait pas comme on le dit trop souvent, impossible de trouver un consensus acceptable sur des seuils de décontrôle. Selon J.C. ZERBIB, des organismes comme WISE-Paris et la CRII RAD seraient prêts à accepter ce genre de débat. Ceci permettrait alors de retourner devant les instances politiques de décision en montrant que l'ensemble des acteurs concernés - y compris les plus critiques - se sont mis d'accord pour déterminer un niveau de contamination résiduelle acceptable et que la voie est donc libre pour concrétiser ce consensus dans un texte réglementaire.

Je suis sceptique sur la démarche proposée. En premier lieu parce que la supposée ouverture au débat sur le seuil d'organismes comme la CRII-RAD ou WISE-Paris me paraît quelque peu surévaluée. Dans un rapport sur les déchets TFA commandé par le Ministère de l'Environnement en 1992 suite au développement du débat sur l'instauration éventuelle de seuils de décontrôle (87 ( * )) , WISE-Paris fait effectivement mention de "seuils" dans ses conclusions. La deuxième recommandation demande ainsi de "définir des seuils volumique et surfacique par radionucléide à partir desquels on considère un matériaux donné comme radioactif. Ces seuils de minimis devront être les plus bas possibles afin de garantir la protection de la santé des populations non seulement des rayonnements artificiels mais aussi des rayonnements dits naturels. [...] Chaque seuil devra permettre de respecter au moins la valeur limite de 10 ìSv/an par personne. [...]" La recommandation suivante tendrait à "définir une nouvelle catégorie de déchets de très faible activité qui couvre tous les déchets contaminés à des taux allant des seuils de minimis tels que définis ci-dessus jusqu'à une catégorie de déchets de faible activité. Afin de passer des matériaux d'une zone nucléaire contrôlée dans cette catégorie, chaque objet devra être soumis à des mesures précises de son taux de radioactivité. L'application de la procédure par échantillonnage ne devra pas être autorisée."

Mais WISE-Paris établit une distinction immédiatement entre ces seuils de minimis et d' éventuels "seuils d'exemption" (88 ( * ) ) : "Le passage de déchets d'une zone nucléaire contrôlée, en dessous de la nouvelle catégorie de très faible activité, ce que l'on appelle communément l'exemption, ne pourra en aucun cas être autorisé. Le principe appliqué sera donc : tout matériau d'une zone nucléaire contrôlée sera pour toujours soumis à une réglementation nucléaire." La position est donc très clairement définie et laisse peu de place à un débat...

Au demeurant je n'ai pas réussi à comprendre l'utilité des seuils de minimis définis dans la recommandation n° 2 : ils ne sont mentionnés nulle part ailleurs dans les recommandations, mais semblent avoir été introduits uniquement pour dire que l'on ne pouvait pas les franchir vers le bas... Voilà encore une preuve de la confusion ambiante puisque WISE-Paris ne peut s'empêcher de parler de seuils alors même que son rapport leur dénie toute valeur opératoire.

Quant à l'ouverture de la CRII-RAD à un éventuel débat, je ne peux que renvoyer aux Prises de position particulièrement nettes adoptées par Mme RIVASI lors de l'audition du 16 novembre. Il me semble que là aussi l'initiateur d'un débat tendant à instaurer des seuils universels de décontrôle en serait pour ses frais.

Le deuxième argument est assurément très fort : il a trait à la responsabilité du décideur vis-à-vis de la société. Refuser d'instaurer des seuils de décontrôle, ne serait-ce pas manquer à ses responsabilités ? Le rôle du politique n'est-il pas justement d'arbitrer, au nom de la société, entre des solutions nécessairement imparfaites ? Refuser l'instauration de seuils universels pour se réfugier derrière des négociations au cas par cas, n'est-ce pas refuser de trancher dans le vif ? refuser de dire ce qui est réellement acceptable et ce qui ne l'est pas ? Une règle universelle clairement affichée n'est-elle pas plus responsable qu'un ensemble de règles particulières (89 ( * )) , vis-à-vis du public ? En adhérant à la démarche de la DSIN, ne cède-t-on pas en fait à la facilité ?

Lors de l'audition du 16 novembre, deux personnes ont posé le problème en ces termes, qui éclairent assurément le débat d'un jour nouveau. F. ROLLINGER tout d'abord, qui estimait que "finalement cette démarche est une manière pudique de se voiler la face. On ne va pas dire que c'est banalisé, on ne va pas dire que ce n'est plus contrôlé, mais on ne va pas prendre de dispositions particulières pour un certain nombre de déchets de très faible ou très très faible activité : cela dépendra au cas par cas du dialogue local entre l'exploitant, la DR1RE, le préfet, etc."

De son côté J. LOCHARD, directeur du CEPN (90 ( * )) , était encore plus direct : "Il semblait y avoir à l'origine un consensus sur le fait qu'il fallait abandonner l'idée d'un seuil univers el mais cette idée semble réémerger. Je me demande si nous ne sommes pas confrontés à ce problème sur le plan de la responsabilité. On pourrait dire que le fait de ne pas vouloir mettre un seuil signifie ne pas vouloir « se lancer » de manière responsable. " Il ouvrait cependant d'autres voies à l'exercice de la responsabilité en affirmant ensuite que "si le problème se pose en termes de responsabilité et qu'on ne veut pas le poser au niveau du seuil, c'est-à-dire en sortant du système de protection radiologique « par le bas », on peut le poser à un autre niveau : celui des choix que l'on fait en matière de protection et de santé dans l'ensemble de la société. " J. LOCHARD retrouvait ainsi les chemins de l'optimisation de la radioprotection, qu'il affectionne particulièrement.

Il est vrai que la DSIN, lorsqu'elle présentait les motivations de la démarche engagée, a mis elle aussi l'accent sur cette dimension politique de la gestion du risque.

Or là où l'opinion est réticente, l'homme politique peut-il passer outre ? L'expérience quotidienne nous a prouvé encore tout récemment qu'il est difficile d'avoir raison contre le monde entier et que les bonnes décisions s'appuient naturellement sur des terrains favorables. Une société doit être prête à accepter l'impulsion du politique. Une telle impulsion ne s'applique bien que si elle correspond au niveau de crédibilité et de mobilisation que lui accordent opinion publique, administration, élus, agents économiques et sociaux...

C'est sur l'élu du peuple que se rassemblent et se concentrent toutes les aspirations, toutes les contradictions de notre société. C'est à lui que revient la tâche difficile de se faire le médiateur de ces tendances divergentes.

En matière de gestion du risque radiologique, je ne crois pas que l'opinion soit prête un jour à accepter les conséquences d'une libération inconditionnelle et universelle de certaines substances, aussi faible puisse être le risque démontré. Le vide réglementaire que l'on déplore aujourd'hui n'est que le reflet de l'indifférence passée et de l'inquiétude présente. Toutes les bonnes raisons à porter au crédit des seuils de décontrôle ne changeront rien à cet état de fait, au moins pendant quelques lustres.

C'est pourquoi je pense également que la réintroduction de seuils de décontrôle de façon détournée, à l'occasion de certaines difficultés tout à fait réelles dans la mise en oeuvre du dispositif préconisé par la DSIN, est vouée à l'échec ou à de cuisants retours de bâton.

1.2.2 La notion de seuil pourrait réapparaître derrière quelques difficultés sensibles dans le système en cours de définition

Rappelons brièvement l'économie du système mis à l'étude par la DSIN. La gestion des déchets TFA serait désormais fondée sur les principes et les instruments suivants :

- l'élaboration d'« études déchets », à l'instar de ce qui se fait dans l'industrie non nucléaire ;

- la définition de zonages dans les installations pour identifier les parties dont les déchets pourraient être radioactifs ;

- la définition, approuvée par les pouvoirs publics, de filières adaptées pour chaque type de déchets radioactifs, s'appuyant sur des études d'impact et faisant l'objet d'une information ou d'une consultation du public (enquête publique) ;

- la création de stockages dédiés pour ces types de déchets ;

- un contrôle réglementaire plus précis, notamment par une meilleure rédaction des décrets d'autorisation de création d'INB.

Les premier et cinquième points ont été évoqués auparavant. Les difficultés que je souhaite développer maintenant concernent les trois autres instruments du système étudié.

1. Une certaine ambiguïté semble subsister autour de la question du zonage . On a souvent l'impression - et je confesse l'avoir eue moi-même jusqu'à une date tout à fait récente - que la définition d'un zonage est inutile car très peu opératoire. Le but du zonage est de repérer dans l'installation les endroits d'où peuvent provenir des déchets radioactifs, y compris ceux de très faible radioactivité artificielle ajoutée. Ces déchets se trouvent bien entendu en majorité dans la zone nucléaire (dans le cas d'une centrale), mais il existe d'autres endroits dits « douteux » d'où ils peuvent également provenir.

Dans son étude déchets EDF définit par exemple ces zones douteuses comme celles qui peuvent abriter des déchets "ayant été très faiblement contaminés à la suite d'une situation incidentelle. " Je renvoie également au zonage mis en place par le CEA à Saclay, présenté au début de ce chapitre : il fait lui aussi appel à la notion de zone douteuse et à la prise en compte des incidents passés.

Lors de l'audition du 16 novembre, certains syndicats ont eu beau jeu de rappeler que les zones d'une installation réputées propres peuvent tout à fait être légèrement contaminées du fait d'incidents ou de négligences diverses. Fonder la distinction déchet radioactif/déchet non radioactif uniquement sur la provenance géographique de celui-ci est une entreprise risquée. M. ROQUE (CFDT) disait fort justement "On peut discuter d'un zonage, mais qui peut garantir que pour une partie du site il n'y a aucun problème ? Je suis dans un site nucléaire et l'on peut trouver de la contamination partout. [...] Un zonage oui, mais avec des mesures adaptées au faible risque si faible risque il y a. Si l'on veut garantir quelque chose qui sort du site, il faut faire la mesure appropriée."

Là encore les discussions résultent d'une difficulté évidente de compréhension. La clef est inscrite dans une des conclusions de la déclaration commune des industriels du nucléaire précitée : "une bonne gestion des déchets TFA passe par : [1/] le zonage des installations nucléaires qui répare clairement les parties nucléaires de celles non nucléaires, qui est validé et dont on s'assure qu'il est respecté. [...]" La dernière Position montre que le zonage a une valeur descriptive mais également une valeur prescriptive. Lorsque l'industriel indique dans le zonage soumis à l'appréciation de l'administration que telle zone est considérée comme radioactive, telle autre est considérée comme douteuse et telle autre considérée comme propre, il ne se contente pas de décrire un état de fait, réel ou souhaitable : il prend également l'engagement de respecter cette description à l'avenir ; il s'oblige à mettre en place les procédures et les moyens qui lui permettront de garantir le respect de cet engagement. Le zonage ne s'arrête pas à l'édition du plan de l'installation coloré selon les différentes zones ; au contraire il commence avec lui.

Dans cette perspective, le degré de précision du zonage et l'étendue du contrôle administratif exercé sur sa définition prend un relief tout particulier.

2. Le zonage ne dispense donc pas de la mesure. Chacun est d'accord pour reconnaître que la mesure reste indispensable au bon fonctionnement du système :

- pour garantir le respect du zonage auquel s'est engagé l'exploitant ;

- pour aiguiller les déchets entre les différentes filières mises en place ;

- pour assurer les contrôles indispensables à la qualité du système.

Le statut de la mesure est donc crucial. Il résulte d'abord de l'obligation (reconnue par tous) de pratiquer autant que possible des tris à la source afin d'éviter l'encombrement du système de gestion des déchets en aval. Il découle aussi de disponibilité de plusieurs filières entre lesquelles l'exploitant devra choisir.

Or qui dit mesure, tri, aiguillage... dit seuil, égal au minimum à la limite de détection des appareils utilisés. Comment gérer de tels seuils ? Vis-à-vis du public on a parfois avancé l'idée d'utiliser le terme de « modalités du contrôle ». La périphrase est heureuse au plan de la sémantique mais délicate au plan de la pratique. Vis-à-vis d'objectifs beaucoup plus concrets, la mesure soulève encore des difficultés redoutables dans la mise en place de la politique des déchets TFA :

- les difficultés techniques relevées depuis fort longtemps ne sont pas encore résolues ; rappelons qu'il s'agit principalement de la mesure (rapide) de grandes quantités de déchets ayant une très faible radioactivité ajoutée : pour quels radioéléments ? pour tous les déchets ou des échantillons ? selon quelle « granulométrie » ? etc. ; je n'ai pas eu connaissance de progrès significatifs effectués dans ce domaine ; C. DEVILLERS m'a indiqué que les premières investigations qu'il a menées depuis sa nomination au poste de directeur délégué à la sûreté des déchets (IPSN) confirment mon opinion et qu'il serait peut-être nécessaire de remettre beaucoup de choses à plat ;

- l'introduction de plusieurs filières dans le système de gestion des déchets amène à effectuer des arbitrages technico-économiques :

- faut-il multiplier les filières de façon à optimiser très finement la gestion technico-économique de chaque catégorie de déchets ? on obtient certainement un « optimum local » très fort, surtout vu du côte de l'exploitant qui dépensera au mieux le bon sou au bon endroit ; on a un optimum certainement moins puissant au niveau de l'ensemble du système : la multiplication des filières augmente le risque d'erreurs (sans même parler des « tentations déviantes ») et la complexité des opérations devant être assurées par l'exploitant ; selon C. DEVILLERS l'opinion la plus répandue à l'étranger est que cette complexité est gérable (tri rigoureux, mesures élaborées, décontamination poussée...), mais il est lui-même sceptique sur l'intérêt global de la démarche ; je partage ce scepticisme : il faut veiller à ce que le mieux ne soit pas l'ennemi du bien ;

- faut-il au contraire réduire l'éventail des options disponibles ? on perdrait alors certainement en coût financier global mais on y gagnerait en sécurité de fonctionnement et en simplicité de contrôle ; la détermination de la limite entre ce qui est gérable et ce qui est ingérable est assurément difficile à fixer ; la solution ne dépend qu'en partie des exploitants, qui resteront tributaires des filières que l'opinion aura bien voulu laisser ouvrir.

Il est très probable qu'à court et moyen terme le nombre de filières restera limité : stockage dédié, recyclage de certains aciers. Le jour où EDF entamera le démantèlement se posera la question du recyclage des gravats, mais pour l'instant personne ne s'est découvert.

On voit que ces quelques considérations sur le rôle de la mesure entraînent très loin dans la réflexion prospective sur la structure globale du dispositif. Preuve supplémentaire de l'importance de ces questions.

Pour simplifier à l'extrême, je dirais en définitive que la mesure est essentiellement un élément parmi d'autres du système de contrôle et non le critère unique du système de gestion. Aux autorités et aux exploitants de s'accorder sur ce qu'il convient de mettre concrètement derrière cette définition générale.

3. Dernière ambiguïté - et non des moindres : tout au long de mes investigations j'ai senti fréquemment chez mes interlocuteurs une tendance « naturelle » à confondre seuil universel de décontrôle et remise dans le domaine public. Cette confusion se traduit de deux façons :

- certains exploitants pensent que l'abandon des seuils de décontrôle les empêchera désormais de remettre certains déchets TFA dans le domaine public ; lors de ma visite à Pierrelatte en octobre dernier, les dirigeants de FBFC m'ont ainsi affirmé que la politique poursuivie par la DSIN empêchera le don de machines et équipements réformés et décontaminés aux lycées techniques de la région ;

- certaines associations en retour semblent croire que l'abandon des seuils universels de décontrôle protègera le public contre toute « intrusion » de substances radioactives.

Ces deux interprétations sont également fausses : il n'y a pas de lien direct et ontologique entre le maintien ou l'abandon des seuils universels de décontrôle et la possibilité ou l'impossibilité de remettre des matériaux dans le domaine public. La DSIN a clairement défini les principes des procédures qui seront mises en oeuvre : l'exploitant devra demander une autorisation pour gérer ses déchets. FBFC sera parfaitement à même de déposer une demande tendant à autoriser l'approvisionnement des lycées techniques de la région en matériel réformé, dès lors que la démonstration aura été faite de l'innocuité de cette pratique et que la traçabilité des opérations permettra d'en assurer le contrôle.

A priori, il sera donc tout à fait possible pour un exploitant d'obtenir une autorisation de remise dans le domaine public de matériaux TFA, à des fins d'élimination ou de réutilisation-recyclage. Dans les faits, et sauf cas particuliers, il est très probable que les solutions retenues dans un premier temps resteront internes à l'industrie nucléaire. Quel sera le bénéfice en termes d'image pour une entreprise comme USINOR-SACILOR si elle décidait de se prêter à un recyclage de ferrailles contaminées et si une campagne d'opinion était lancée contre elle par des groupes de pression divers ?

On voit que toutes ces difficultés, ces confusions, ces incompréhensions sont susceptibles d'entraver le bon déroulement du processus engagé sous l'égide de la DSlN. Il est essentiel que celle-ci continue à expliquer le sens de sa démarche et, en liaison avec les éléments techniques fournis par les exploitants, s'attache à clarifier et préciser les concepts les plus délicats.

D'autres difficultés montrent que la gestion des déchets TFA nécessitera un bon « doigté » dans le pilotage effectif du système.

* 84 Au demeurant ce mode de gestion des déchets est-il si nouveau ? J'ai rappelé plus haut qu'il se rapprochait en fait des pratiques largement acceptées en matière d'effluents radioactifs.

* 85 Il s'agit des valeurs traditionnelles 100 Bq/g et 500 Bq/g.

* 86 C'et bien sur le décret de 1966 qui est évoqué ici.

* 87 PERLINE, M. PAVAGEAU, M. SCHNEIDER, D. CHAMONIN, J. SCHULTZ. La gestion des déchets dits très faiblement radioactifs. WISE-Paris, juin 1994 ( contrat SREITE/MERE 92048).

* 88 WISE-Paris commet ici l'erreur classique tendant à confondre exemption et décontrôle ou libération : l'exemption dont il est question dans la suite de son rapport est évidemment relative à la sortie des matières hors du système de radioprotection, c'est-à-dire en fait à la libération. Mais "que celui qui n'a jamais péché..."

* 89 J' n'ose quand même pas dire privilèges.

* 90 Centre d'évaluation de la Protection dans le domaine Nucléaire. Fontenay-aux-Roses.

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