2. LE PROCESSUS INITIE PAR LA DSIN DOIT DÉSORMAIS PRENDRE UN NOUVEAU COURS

2.1 Les discussions entamées sous l'égide de la DSIN visaient à clarifier le contexte et les perspectives réglementaires

J'ai eu quelques difficultés à comprendre réellement quel était l'objet exact des discussions menées sous l'égide de la DSIN depuis le printemps 1994. Peut-être justement parce que les langages des uns et des autres étaient trop éloignés pour qu'ils puissent se bien comprendre entre eux, donc s'exprimer clairement à l'extérieur et en particulier en direction du rapporteur de l'office parlementaire.

2.1.1 Les discussions ont été organisées de manière relativement informelle

1. La constitution du groupe de travail chargé de conduire ces discussions s'est faite en plusieurs temps. La DSIN a tout d'abord réuni les exploitants et l'ANDRA uniquement ; puis il est apparu que d'autres organismes aussi devaient être impliqués :

- la Direction de la Prévention de la Pollution et des Risques (Ministère de l'Environnement), du fait de son expérience en matière de politique des déchets dans les ICPE ;

- la Direction générale de la Santé, car il était difficile d'évoquer les effets sanitaires sans faire appel à l'administration concernée au premier chef ;

- l'IPSN afin d'aider à l'appréciation critique de certains documents.

Le groupe de travail a ensuite éprouvé le besoin de créer un sous-groupe plus spécialement chargé de "l'évaluation des différents concepts de stockage des déchets TFA". Le secrétariat de ce sous-groupe était assuré par l'ANDRA. Le sous-groupe a remis son rapport au groupe plénier après un semestre de travail, consacré à la définition de divers concepts de stockage, la constitution des hypothèses de base relatives aux calculs d'impact sanitaire et à la réalisation des calculs eux-mêmes. Ces calculs ont été pour une large part conduits par le CEA d'une part, l'ANDRA d'autre part. Leur contenu a été présenté en détail au 1.2.1.

2. Parallèlement la DSIN a souhaité lancer la réflexion sur la partie amont du problème et a pour cela demandé aux principaux exploitants nucléaires de réaliser des études déchets. D'après J. PELISSDER-TANON, Directeur de l'Environnement à COGEMA, cette idée semble découler de la présentation par COGEMA, à titre d'information dans une des premières réunions, d'un dossier « déchets » préparé dans le cadre de l'ICPE constituée par l'établissement de COMURHEX sur le site de Pierrelatte. La DRIRE Rhône Alpes avait souhaité que le préfet puisse prendre l'un des premiers arrêtés « déchets » à propos de cet établissement. Au lancement du processus DSIN, celui-ci avait donc un document disponible, qui s'intéressait à tous les déchets, conventionnels et nucléaires.

J'ai présenté auparavant les résultats de la première phase - pour les études d'ores et déjà disponibles c'est-à-dire celle d'EDF - relative à la description des pratiques. Une deuxième phase s'intéressera aux alternatives envisageables ; une troisième phase devra indiquer les choix technico-économiques effectués l'exploitant, apporter la démonstration qu'il s'agit bien des meilleures solutions et s'accompagner de propositions concrètes pour leur mise en oeuvre. Il faudra encore attendre quelques mois avant que l'ensemble de cette démarche « étude déchets » ne trouve son aboutissement.

La DSIN a demandé à l'IPSN d'examiner l'étude déchets présentée par EDF (phase I)

3. Le « noyau dur » des discussions a semble-t-il tourné autour de la clarification des objectifs poursuivis par la DSIN et posés par elle comme préalable à tout déblocage administratif. Je rappelle brièvement ces objectifs, présentés publiquement par la DSIN depuis plusieurs mois : en termes généraux il s'agit d'appuyer la gestion des déchets TFA sur la responsabilité totale du producteur et sur la traçabilité des opérations. Ces deux concepts impliquent que "la gestion, l'élimination, la provenance claire et la destination précise des déchets doivent être entièrement assumées par le producteur et de manière telle que la démarche d'ensemble soit contrôlable." (76 ( * ) )

Cette intransigeance paraît avoir eu quelque difficulté à être immédiatement acceptée. Elle a été accompagnée en retour de l'affirmation par les exploitants qu'ils n'iront pas au delà de l'avant projet de stockage (cf. supra) tant que le cadre réglementaire ne sera pas mieux défini.

2.1.2 Les « objets » de la future réglementation des déchets TFA restent pour le moment encore assez flous

C'est ici justement que le bât blesse quelque peu. J'ai du mal à percevoir ce qu'il faut entendre par nouvelle réglementation. Est-ce la mise au point de concepts juridiques totalement nouveaux ? la définition d'une simple procédure administrative nouvelle ? la déclinaison aux déchets TFA de procédures déjà existantes ?

Les positions semblent très ouvertes encore aujourd'hui. Ainsi plusieurs pistes sont à explorer :

- au regard de la définition des filières de traitement des déchets, la priorité s'est portée comme on l'a vu sur la partie du système de gestion située le plus en aval : le stockage ; du point de vue réglementaire il n'a pas encore été choisi entre le statut d'INB et celui d'ICPE ; ce choix sera d'ailleurs en partie guidé par certaines des considérations techniques retenues au titre de l'avant-projet de stockage : en effet le critère radiologique définissant la démarcation entre INB et ICPE « nucléaire » (relevant des rubriques 385 bis, ter... de la Nomenclature des installations classées) dépend de la quantité de radioactivité contenue dans les substances gérées par l'installation ;

- au cas où une solution ICPE devrait être retenue, il faudrait encore déterminer de quelle rubrique de la Nomenclature cette installation relèverait : faut-il créer une nouvelle rubrique « stockage de déchets TFA » ou pourra-t-on rattacher le(s) stockage(s) TFA à la rubrique 385 ?

- au regard des procédures à appliquer, quelle pourra être la place des études déchets dans le futur dispositif de gestion des TFA ? il est désormais admis par tous les intervenants que ce genre d'étude sera l'un des fondements (prévisionnels) de la gestion pratique des déchets TFA ; reste à savoir quel peut être leur devenir au regard du dispositif réglementaire général de contrôle nucléaire : il m'a été indiqué qu'une voie possible pourrait être l'introduction d'une référence aux études déchets dans les décrets d'autorisation de création (DAC) des installations nucléaires de base ; il s'agit là d'une piste intéressante ; encore faudra-t-il préciser si le contenu précis des études déchets devra être formalisé au préalable et que par exemple un plan type soit annexé au décret de 1963 ; ce dernier point me paraîtrait cependant excessif puisque le plan type des rapports de sûreté n'est pas annexé au décret de 1963 mais à l'instruction du 27 mars 1973 "relative à l'application du décret n° 73-278 du 13 mars 1973 portant création d'un Conseil supérieur de la sûreté nucléaire et d'un Service central de sûreté des installations nucléaires au ministère du Développement industriel et scientifique" ; or j'aime à croire que le rapport de sûreté d'une INB est un document d'une autre importance qu'une étude déchets...

- dans le même esprit il semble qu'il reste un travail important à effectuer pour préciser les rubriques nécessaires à inscrire dans les études d'impact attachées à l'approbation et la mise en place des diverses filières d'élimination des déchets TFA, ainsi que leur statut réglementaire.

L'inscription éventuelle de ces considérations dans une Règle fondamentale de Sûreté a parfois été évoquée. Ce serait effectivement un moyen intéressant de regrouper dans un seul texte les objectifs à poursuivre pour une bonne gestion des déchets TFA. Notons cependant qu'il suppose tranchée la question du classement du stockage en INB ou ICPE et qu'il ne dispense pas de rechercher une meilleure harmonisation avec l'ensemble des textes relatifs à la radioprotection, dont J.Y. LE DEAUT soulignait il y a bientôt plus de 3 ans le caractère complexe et touffu.

J'avoue rester quelque peu perplexe vis-à-vis des interrogations concernant le choix de la rubrique de classement ICPE (si cette solution devait être retenue, rappelons-le). L'examen des arrêtés type proposés aux préfets par l'administration centrale pour les aider à rédiger leurs arrêtés préfectoraux ne contient à mon sens que des dispositions qui auraient toute légitimité pour s'appliquer identiquement au stockage TFA. Serait-il réellement utile de créer une nouvelle rubrique ? pour quelle spécificité ?

Plus largement je m'interroge sur ce qu'il faut mettre derrière les appels désespérés des uns et des autres à une "réglementation" qui leur permettrait de sortir de l'impasse actuelle. Faut-il réellement une réglementation ? Je ne conteste pas que le cadre juridique actuel n'est pas d'une clarté aveuglante. Je me demande cependant si on n'aurait pas pu trouver plus rapidement dans ce cadre juridique, quitte à le « solliciter » quelque peu, les solutions aux problèmes survenus ici ou là.

Le décret de 1966 relatif aux principes généraux de protection contre les rayonnements ionisants instaure effectivement des seuils de radioactivité totale ou massique au dessus desquels doit s'appliquer un régime d'autorisation ou de déclaration. En revanche il n'implique pas pour autant que l'exercice des activités industrielles concernées échappe aux règles de protection fixées par le décret ; en effet :

- l'article 2 du décret indique que ses dispositions s'appliquent à toute activité impliquant une exposition à des rayonnements ou des manipulations diverses de "substances radioactives" (77 ( * )) ; le fait que l'activité industrielle soit ou ne soit pas soumise à un contrôle administratif ne donne donc pas à l'industriel la liberté de se soustraire aux obligations de radioprotection déterminées par Le décret ;

- le dernier alinéa de l'article dispose que "lorsque la réglementation en vigueur ne détermine pas des régimes d'autorisation ou de déclaration applicables, il appartiendra aux ministres intéressés de prendre les dispositions nécessaires" cet alinéa doit donc être interprété dans deux directions :

- il s'applique au cas où une activité relève du champ du contrôle (déclaration ou autorisation) mais où aucune règle y afférente n'a été pour l'heure édictée par l'autorité administrative ; les "ministres intéressés" se voient donc confier un pouvoir provisoire tendant à pallier la carence temporaire de l'administration pour cette activité ;

- il s'applique également au cas où l'activité industrielle concernée ne peut pas relever du champ du contrôle réglementaire car mettant en jeu des substances radioactives en quantité inférieure aux divers seuls mentionnés par ailleurs ; les ministres ont alors délégation pour assurer « comme bon leur semble » le respect des objectifs de radioprotection fixés par le décret, en réglant au cas par cas les situations qui se présentent.

C'est ainsi que diverses pratiques de remise de déchets dans le domaine public ont pu être autorisées par l'ex-SCPRI, sur la base d'une délégation (explicite ou implicite ?) accordée par les ministres concernés.

Ce rappel des dispositions réglementaires actuellement en vigueur m'amène à m'élever avec la plus grande fermeté contre l'interprétation tendancieuse qu'en ont faite les principaux exploitants d'installations nucléaires (EDF, CEA, COGEMA) dans une déclaration commune datée du 23 mars 1995. Ils y affirment en effet que "Il faut rappeler que le législateur ne définit la caractéristique radioactive d'un déchet que par les obligations qu'elle est susceptible d'entraîner en termes de radioprotection. À partir de la radioactivité massique d'une substance, il signifie aux exploitants si elle entraîne ou non pour eux certaines obligations de radioprotection."

"Ainsi, pour des substances dont la radioactivité est inférieure à 100 Becquerels par gramme pour les radionucléides artificiels ou 500 Becquerels par gramme pour les radionucléides naturels, la réglementation n'impose pas à leurs détenteurs d'obligations particulières vis-à-vis de la radioprotection."

C'est à partir de considérations aussi fallacieuses que peuvent se développer des pratiques douteuses et des dérives coupables. Esprit de RADIACONTROLE, est-tu là ?

Notons enfin la perversion d'une déclaration qui contredit en fait les pratiques réelles : pourquoi les exploitants auraient-ils demandé des autorisations-dérogations au SCPRI si justement ils n'avaient pas eu des "obligations particulières vis-à-vis de la radioprotection" ?

En matière réglementaire l'enjeu réel est plus une clarification des procédures à mettre en oeuvre et des objectifs généraux à poursuivre (un cahier des charges en quelque sorte) que la construction à partir de zéro d'un nouvel « objet » réglementaire. Le parallèle avec les dispositions retenues pour le rapport de sûreté des INB m'incite à penser que l'outil réglementaire traduisant les instruments administratifs de la gestion des déchets TFA ne devrait pas être un texte à forte valeur juridique, haut placé dans la hiérarchie des normes. En définitive il me parait conforme à la tradition administrative de s'orienter vers :

- la définition du statut juridique de certaines installations consacrées à la gestion des déchets TFA, au premier rang desquelles le(s) stockage(s) ;

- la définition des documents (nature et structure) décrivant les déchets produits, les solutions retenues et la façon de démontrer que ces solutions ont un impact acceptable ;

- la définition d'une procédure générale tendant à assurer la discussion des acteurs concernés sur ces documents, afin de parvenir à l'approbation par l'administration des solutions proposées par les exploitants.

Le premier point ne soulève pas de problèmes particuliers : le statut juridique de l'installation emporte avec lui la nature et la portée du contrôle administratif sur elle exercé. Il nécessite cependant - comme d'ailleurs le second point - un approfondissement des discussions techniques. Le troisième oblige à définir un circuit administratif au sein duquel circuleront les documents concernés, donc oblige à préciser les rôles respectifs des administrations les plus concernées et la façon dont pourront s'articuler leurs actions, avec au premier chef la DSIN (Industrie), la DPPR (Environnement) et la DGS (Santé). Il est clair cependant que pour les déchets issus des INB la DSIN devra avoir une place prépondérante, en relation avec celle qu'elle occupe pour la procédure relative aux effluents par exemple.

Je rappelle que ces considérations ne s'appliquent pas au dossier des déchets radifères, qui relève sans ambiguïté de la réglementation des INB.

* 76 Tiré de l'article de J. C. NIEL, « Pour une gestion claire, sûre et rigoureuse des déchets faiblement et très faiblement radioactifs », in Contrôle. DSIN, n° 102, décembre 1994.

* 77 L'annexe 1 du décret de 1966 définit les substances radioactives comme "toute substance qui contient un ou plusieurs radionucléides dont l'activité ou la concentration ne peut être négligée du point de vue de la radioprotection ". Si l'on doit convenir que le critère objectif ouvrant la voie à la « négligence » (ou plutôt indifférence) est assez flou, il reste tout à fait hasardeux d'en inférer qu'il s'agit des valeurs 100 Bq/g et 500 Bq/g indiquées ailleurs dans le décret : le critère est à l'évidence sanitaire et non physique. Quoi qu'il en soit, l'exégèse des textes incline plutôt à penser que justement certaines substances radioactives peuvent être dispensées d'autorisation ou de déclaration tout en étant "radioactives" c'est-à-dire non négligeables au regard de la radioprotection...

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