2. LA CIPR 60 A INTRODUIT UN VÉRITABLE SYSTÈME DE PROTECTION RADIOLOGIQUE

La CIPR 60 a introduit des modifications dans le concept de « limite de dose » mais a surtout développé la prévention du risque radiologique, en renforçant considérablement la place de l'optimisation dans le système de protection. Elle a également largement étendu le champ d'application des principes de radioprotection. Ce faisant, elle a renforcé tout autant les obligations pesant sur les autorités de radioprotection que celles pesant sur les exploitants.

2.1 La protection radiologique commence d'abord par la maîtrise des sources du rayonnement

2.2.1 La CIPR 60 a renforcé le statut des principes de justification et d'optimisation

Chacun en est aujourd'hui d'accord : une bonne protection radiologique passe par l'application du principe d'optimisation. Ceci se décline parfois en « principe ALARA ("As Low as Reasonably Achievable" : Aussi bas que raisonnablement possible), que les Britanniques modulent fréquemment en `As Low as Reasonably Practicable.' Peu importe le nom, la religion est faite et chacun se doit d'optimiser.

En octobre 1994 j'ai eu l'occasion de constater avec plaisir au congrès organisé à La Rochelle par la SFRP que les Français avaient adopté sans réserve le principe d'optimisation. La conviction des intervenants était telle que, de retour au Royaume Uni, le présentant du NRPB a publié un entrefilet dans le Radiological Protection Bulletin de cet organisme, intitulé ` ALARA is french !'

Était-ce donc l'engouement naturel pour une nouveauté séduisante ? Oui et non. Car si le principe d'optimisation était déjà mentionné dans la CIPR 26 en 1977, c'est bien la CIPR 60 qui lui a donné ses véritables lettres de noblesse.

Il est difficile à un organisme chargé d'édicter des recommandations de portée générale, de donner une définition très précise de ce qu'est le principe d'optimisation. À vouloir être trop général il risque de rester vague ; à vouloir détailler il perd son autorité de principe. La CIPR n'a pas refusé l'obstacle et a exposé non pas les méthodes mais les lieux de l'optimisation : "L'objectif général doit être d'assurer que le niveau des doses individuelles, le nombre de personnes exposées ainsi que la probabilité de subir des expositions quand ces dernières ne sont pas certaines, soient maintenus aussi bas qu'il est raisonnablement possible, compte tenu des facteurs économiques et sociaux. Il faut considérer toutes les interactions entre ces différentes quantités. Si l'étape suivante de réduction du détriment ne peut être accomplie qu' `avec un déploiement de ressources tout à fait hors de proportion avec la réduction envisageable, il n'est pas dans l'intérêt de la société de passer à cette étape, dès lors que les individus sont correctement protégés. On peut alors dire que la protection est optimisée et que les expositions sont aussi basses qu'il est raisonnablement possible, les facteurs économiques et sociaux ayant été pris en compte ." La Commission laisse aux institutions concernées le choix des méthodes, qui peuvent être de simples analyses coût-avantage ou des analyses multicritères.

On pourrait croire cependant que l'optimisation selon la CIPR 60 a perdu de la vigueur par rapport à l'optimisation selon la CIPR 26. Celle-ci avait procédé à quelques développements significatifs autour de cette notion dans un chapitre consacré aux « Principes généraux de la protection radiologique opérationnelle ». Elle y posait le principe d'une application au cas par cas ; elle évoquait divers critères dosimétriques pour la mise en pratique des processus d'optimisation ; elle mentionnait la possibilité de prendre en compte, en « valeur moyenne », les incidents mineurs susceptibles de se produire pendant l'activité entraînant une exposition ; elle relevait l'intérêt de la standardisation des équipements ; elle offrait la possibilité de choisir de diminuer arbitrairement la valeur de la limite par un facteur donné pour déterminer une valeur pseudo-optimisée, en cas de difficulté d'analyse...

Sous couvert de précision, ces indications ne représentaient en fait qu'une liste de « recettes » venant d'ailleurs à la suite d'une énumération de divers types de limites et niveaux pouvant servir de normes pour la protection contre les rayonnements.

La CIPR 60 renverse la perspective. L'optimisation n'est plus cette analyse coût-avantage quelque peu éthérée qui est utile à la fois à la détermination de l'acceptabilité d'une quelque et à la vérification a posteriori que les doses ont été réduites autant que raisonnablement possible. La CIPR 60 introduit un triple renforcement dans l'optimisation :

- elle lui impose de travailler, non pas sur l'indicateur composite qu'est la dose collective, mais séparément sur le niveau des doses individuelles et le nombre des personnes exposées ;

- elle en fait désormais un préalable à la mise en service de l'activité exposant au rayonnement. En effet "le principe d'optimisation [...] est essentiellement lié à la source et devrait d'abord être appliqué lorsqu'on est au stade de à conception d'un projet [...]" ;

- surtout, elle en fait la pierre angulaire du système de protection, car c'est le seul moyen qui réponde à l'objectif fondamental poursuivi par la Commission en matière d'effets stochastiques : "assurer que toutes les mesures raisonnables sont prises pour réduire l'induction d'effets stochastiques" (§100).

La Commission a ainsi tiré les conséquences ultimes de sa philosophie en matière de risque radiologique : dès lors que l'on admet que toute exposition aux rayonnements entraîne un risque, il faut faire tous les efforts possibles - raisonnablement possibles - pour réduire ces expositions, donc ce risque.

Pour le principe de justification, il suffit de relever qu'il peut désormais s'appliquer rétrospectivement aux pratiques en cours. La CIPR 26 demandait seulement qu'il s'applique aux pratiques dont l'introduction est envisagée.

2.1.2 La CIPR 60 a largement étendu le champ de son application

En 1977 la CIPR avait élaboré un système de limitation de dose, dont le champ d'application était relatif aux opérations normales. La CIPR 60 va beaucoup plus loin, et étend les exigences de la protection radiologique dans trois directions nouvelles :

- elle introduit la notion d'exposition potentielle, exposition qui pourrait se produire sans que l'on ait cependant de certitude si elle se produira ou pas ; pour les expositions potentielles, il faut donc s'intéresser en premier lieu au risque qu'elles surviennent effectivement, et combiner ce risque d'occurrence avec le niveau de l'exposition ; les expositions potentielles sont soumises à des limites de risque et non à des limites de dose ; elles doivent être intégrées dans le processus d'optimisation ; les expositions potentielles peuvent se rapporter soit aux écarts accidentels dans les procédures normalement prévues, soit aux expositions pouvant résulter des divers scénarios envisageables pour la gestion des déchets radioactifs ;

- la CIPR introduit la notion d'intervention, activité humaine visant à réduire l'exposition totale aux rayonnements dans les situations où les sources, les voies de transfert et les individus exposés sont déjà déterminés quand les décisions de radioprotection doivent être prises ; on y trouve par exemple les expositions aux sources naturelles de rayonnement, les accidents ou les interventions d'urgence ; le système de protection radiologique repose sur deux principes seulement dans le cas des interventions : la justification et l'optimisation du bénéfice net associé à ces interventions ; les limites de dose ne s'appliquent pas en cas d'intervention ;

- la Commission met en pratique un principe d'équité entre les individus : la CIPR 26 n'avait donné à l'optimisation qu'un indicateur : la valeur monétaire de l'homme.Sievert (61 ( * )) , la CIPR 60 lui a donné aussi un outil : la contrainte de dose ; la Commission constate que "l'optimisation de la protection peut [...] éventuellement entraîner des inégalités notables entre un individu et un autre. Cette inéquité peut être limitée dans le processus d'optimisation par l'introduction au niveau de la source de restrictions sur la dose individuelle. [Ces contraintes de dose] font partie intégrante de l'optimisation de la protection" ; la contrainte de dose n'englobe pas toute l'optimisation, elle la complète pour éviter que l'optimum collectif n'obère la garantie accordée à l'individu ; elle ne constitue pas une limite au sens réglementaire mais semble liée au retour d'expérience tiré de la mise en oeuvre de pratiques similaires ou identiques.

C'est on le voit un réseau serré d'obligations nouvelles que porte en germe la CIPR 60. Elles mettent l'accent sur la maîtrise des sources de rayonnement et font de la limite de dose l'ultime moyen de la protection.

* 61 La valeur monétaire de l'homme Sicvert est introduite pour donner une réelle portée opératoire aux analyses coût-avantage préconisées par la CIPR 26 Pour juger si une situation est justifiable dune part, pour déterminer les options à retenir afin d'optimiser les expositions d'autre part, il convient de « monétariser » le détriment causé à la population par l'exposition aux rayonnements De même que l'on peut déterminer de façon monétaire l'avantage apporté à la société par une activité impliquant une exposition (valeur de la production d'électricité par exemple), de même il faut déterminer de façon monétaire le détriment causé par cette exposition Le processus d'optimisation visera ensuite à déterminer la combinaison de facteurs qui maximise l'avantage net apporte à la société.

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