1.2 La limite de dose pour le public n'a pas été diminuée entre 1977 et 1990

Quelle appréciation surprenante ! Ne dit-on pas a volo que la limite annuelle pour le public a été diminuée de 5 mSv à 1 mSv ? N'est-ce pas d'ailleurs le principal point d'achoppement pour les détracteurs de la CIPR 60 ?

Au détour d'une phrase, une expression peut pourtant attirer le regard du lecteur attentif. Au coeur du paragraphe 192 de la CIPR 60 (58 ( * )) , on découvre ainsi que "dans des circonstances particulières, une valeur de la dose efficace plus élevée [que 1 mSv] pourrait être autorisée pour une année donnée à condition que la moyenne sur 5 ans ne dépasse pas 1 mSv par an. Ceci ne représente qu'un léger changement par rapport à la recommandation précédente." Léger changement ? Est-ce bien ainsi qu'il faut qualifier une apparente division de la limite « public » par un facteur 5 ? Là encore une lecture attentive des textes oblige à constater que, sous des dehors parfois obscurs, la CIPR avait déjà déterminé en 1977 une limite de 1 mSv par an pour le public.

1.2.1 La limite de dose recommandée pour le public est fixée à 1 mSv par an depuis 1977

Dans la publication CIPR 26, les limites de dose pour le public sont traitées dans les paragraphes 117 à 128. La Commission décide de prendre comme critère de référence l'acceptation du public pour d'autres risques de la vie courante. Les risques à considérer sont ceux pour lesquels il y a peu de possibilité d'action individuelle (on les subit sans pouvoir réellement les maîtriser soi-même) et pour lesquels il y a une possibilité d'action réglementaire au niveau national. Une activité typique répondant à ces deux caractéristiques est l'utilisation des transports en commun.

"De l'examen de l'information disponible sur les risques régulièrement acceptés dans la vie courante, il ressort que le niveau d'acceptabilité pour les risques fatals supportés par le public est d'un ordre de grandeur inférieur à celui déterminé pour les risques professionnels. Sur cette base, un risque compris dans une fourchette de 10 -6 à 10 -5 par an serait vraisemblablement acceptable par toute personne individuelle du public" (§118). Voici donc fixé le critère numérique qui va servir de point de comparaison pour fixer la limite de dose pour le public.

La Commission détermine alors que la dose correspondant à ce niveau de risque est procurée par une exposition (continue) à 1 mSv par an. Elle devrait alors en toute logique affirmer clairement que la limite recommandée pour le public est 1 mSv par an. Elle ne le fait pas cependant, et préfère recommander une limite de 5 mSv par an pour le groupe critique. Le groupe critique a été défini au paragraphe 85 : "un tel groupe devrait être représentatif des individus susceptibles de recevoir l'équivalent de dose le plus élevé dans la population, et la Commission estime qu'il sera raisonnable d'appliquer la limite d'équivalent de dose pour les personnes individuelles du public à l'équivalent de dose moyen pondéré de ce groupe".

Les choses sont donc bien définies : la limite de dose « pour le public » sera déterminée de façon formelle par la valeur applicable au groupe critique seulement, et non pas à une personne quelconque du public.

La Commission indique alors (§ 119) que la dose reçue par toute personne du public devrait être limitée à 1 mSv par an, et que l'application d'une limite de dose de 5 mSv par an au groupe critique "a été jugée capable de fournir ce niveau de protection."

Si le moyen de la protection est 5 mSv par an au groupe critique, l'objectif de cette protection est bien 1 mSv par an pour le public.

Les paragraphes 120 à 124 justifient cette approche dérivée pour assurer la protection de toute personne du public. La Commission indique ainsi :

- que 5 mSv par an au maximum pour le groupe critique assurent en fait 0,5 mSv par an en moyenne pour le public en général (§ 120) ;

- qu'une exposition supérieure en moyenne à 1 mSv par an mais résultant de pratiques optimisées pourrait toujours être justifiable (§ 121) ;

- que les évaluations des doses reçues par le groupe critique sont généralement effectuées de façon pessimiste (§ 124) ;

- que si cependant une exposition du groupe critique devait être évaluée à 5 mSv par an sur la base de calculs réalistes, cela correspondrait généralement à des expositions ne devant pas se produire de façon continue, et que dans ces conditions la limitation du risque sur la vie entière pourrait rester convenablement assurée (dans le cas inverse la Commission estime d'ailleurs que "il serait prudent de prendre des mesures destinées à restreindre leur dose vie entière") (§122) ;

- le paragraphe 123 est assez obscur.

1.2.2 La CIPR a également changé de point de référence pour déterminer la limite applicable au public en 1990

Il faut reconnaître que les choses sont plus clairement affichées en 1990 - en ce qui concerne le résultat final plus que les moyens d'y arriver, mais je vais y revenir tout de suite - puisque la Commission énonce sans aucune ambiguïté que la valeur applicable à toute personne du public est 1 mSv (voir CIPR 60, § 191). La Commission conserve la notion de groupe critique (§ 186), mais c'est la contrainte de dose et non la limite de dose qui s'applique à ce groupe critique (59 ( * )) .

Confrontée en 1990 à l'augmentation du coefficient de risque, issue principalement des travaux de l'UNSCEAR et réinterprétée au sein même de la Commission, qu'allait faire celle-ci ? Était-il envisageable de diminuer d'un facteur 4 la limite « public » pour rester en ligne avec cette réévaluation de la gravité du risque ? Suivant la même démarche que pour la limite « travailleurs », la CIPR a conservé une valeur de 1 mSv en Changeant de paradigme pour la gestion du risque. On peut dire en quelque sorte que 1 mSv en 1990 est plus laxiste que 1 mSv en 1977... C'est tout à fait évident lorsqu'on examine le tableau C-6 présenté dans l'annexe C : on y voit qu'une exposition continue à 1 mSv sur la vie entière conduit à une probabilité de cancer mortel égale à 4.10 -3 à partir des données de 1990, contre 1.10 -3 à partir des données de 1977. Le risque sanitaire a bien été multiplié par 4.

La clef de la nouvelle gestion du risque se trouve dans le paragraphe 190 de la CIPR 60. La Commission y évoque les deux approches envisageables pour établir une limite de dose pour le public : on peut soit se référer à la méthode utilisée pour les expositions professionnelles - mais on se trouve alors confronté à une difficulté encore plus grande pour évaluer le niveau à partir duquel le risque devient inacceptable - soit "fonder le jugement sur les variations du niveau de dose existant provenant des sources naturelles. Le bruit de fond naturel peut ne pas être sans danger, mais sa contribution à l'ensemble du détriment sanitaire subi par la société est faible. Cette approche est peut-être mal ressentie, mais il est difficile de qualifier d'inacceptables des variations existant d'un endroit à l'autre (à l'exclusion des variations importantes de la dose due au radon dans les habitations)."

La Commission trouve ici le plein intérêt des notions d' inacceptable, tolérable et acceptable qu'elle a introduites quelques paragraphes auparavant pour présenter la nouvelle philosophie de gestion du risque. Elle reconnaît - à contrecoeur, car elle ne le dit pas explicitement - que le risque sanitaire causé par une exposition continue à 1 mSv par an est supérieur à celui évalué en 1977. Elle reconnaît par là qu'une exposition continue à 1 mSv par an entraîne un risque pour le public supérieur à celui accepté par ailleurs pour les autres risques de la vie courante (60 ( * )) . Elle estime cependant que ce risque supérieur n'est pas pour autant devenu inacceptable puisqu'il est comparable au différentiel de risque qui existe entre deux personnes soumise à des bruits de fond radioactifs naturels différents.

Dans cette nouvelle pirouette, la Commission a évidemment été servie par le fait que la plupart des personnes croyaient - et croient toujours - que la limite recommandée pour le public était 5 mSv par an. La Commission a pu afficher une spectaculaire « diminution » de 5 à 1, alors que sa limite en 1990 est en fait moins protectrice qu'en 1977.

On voit que la signification à donner à une limite de dose ne peut pas dépende uniquement des considérations scientifiques sur lesquelles elle s'appuie mais aussi de la façon dont sont définies et appliquées les modalités de gestion du risque. On voit aussi que les paradoxes et les ambiguïtés peuvent naître naturellement de la combinaison hasardeuse de ces considérations. C'est à ce réseau de difficultés que s'est à son tour heurtée l'Académie des sciences dans ses rapports publiés en 1989 et 1995.

* 58 Ce paragraphe traite de la façon dont doit être appliquée la limite de 1 mSv par an, et discute de la possibilité d'établir une moyenne sur plusieurs années.

* 59 La notion de contrainte de dose est présentée ci-dessous.

* 60 À supposer que ces risques soient eux mêmes restes constants entre le milieu des années 70 et la fin des années 80 ce qui n'est pas évident il est très probable au contraire que le risque lié à l'utilisation des transports en commun a diminué durant cette période.

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