J. PRENDRE EN COMPTE, DANS L'ÉVALUATION DES PRÉFETS, LEUR CONTRIBUTION AUX DÉMARCHES DE SIMPLIFICATION DES PROJETS LOCAUX ET DE DIFFÉRENCIATION TERRITORIALE
La faible utilisation du droit de dérogation résulte à la fois d'un régime juridique trop corseté et d'une certaine frilosité « culturelle » du corps préfectoral et des services d'instruction. Lors des auditions, il a été rappelé qu'il n'est pas naturel pour un préfet de déroger à des normes alors qu'il est le garant du respect des lois, aux termes de l'article 72 de la Constitution.
Face à cette résistance compréhensible, les gouvernements successifs appellent les représentants de l'État à une évolution de leurs pratiques professionnelles. Ainsi, en mai 2023, Elisabeth Borne, alors Première ministre, avait invité les préfets « à se saisir de toutes [leurs] capacités de dérogation et d'adaptation », leur reconnaissant un « droit à l'erreur, à l'expérimentation et au tâtonnement »58(*).
Certes, comme l'ont indiqué les préfets rencontrés par vos rapporteurs, un arrêté préfectoral peut s'avérer plus fragile juridiquement qu'un arrêté « classique », en donnant l'impression d'un État « arbitraire » prenant des décisions différentes en fonction des collectivités territoriales concernées. Il est tout aussi exact que si un arrêté de dérogation fait l'objet d'un recours devant le juge administratif, le contentieux sera susceptible de ralentir voire de bloquer un projet local alors que l'arrêté visait, précisément, à le faciliter ou l'accélérer. Toutefois, cette inquiétude doit être fortement relativisée puisque, comme indiqué supra, le contentieux est, à ce stade, quasi inexistant.
Afin de développer l'emploi du pouvoir de dérogation et de récompenser la prise de risques, vos rapporteurs proposent de prendre en compte, dans l'évaluation des préfets, leur contribution aux démarches de simplification des projets locaux et de différenciation territoriale. Naturellement, il ne s'agit pas de faire de la « politique du chiffre », mais de résoudre des problèmes concrets que rencontrent les élus locaux.
Cette évolution suppose elle-même d'intégrer la simplification parmi les objectifs interministériels fixés par le Premier ministre. C'est en effet le respect de ces objectifs qui détermine une part de la rémunération des préfets, au travers du complément indemnitaire annuel (CIA)59(*).
Vos rapporteurs sont donc favorables à l'évolution de la rémunération au mérite des préfets afin de prendre en compte leur contribution aux objectifs, au coeur des travaux de la délégation, de simplification et d'adaptation aux enjeux locaux. Une telle mesure permettra de placer le droit de dérogation mais également d'intégrer davantage cet outil au coeur de la culture et des pratiques des préfectures.
Recommandation n° 10 : Prendre en compte, dans l'évaluation des préfets, leur contribution aux démarches de simplification des projets locaux et de différenciation territoriale
* 58 Discours d'Elisabeth Borne, le 17 mai 2023.
* 59 Le CIA est lié à l'engagement professionnel et à la manière de servir. Celui des préfets comprend, depuis un arrêté du 23 novembre 2022, deux parts. Le montant de la première part est déterminé par le ministre de l'intérieur, tandis que le montant de la deuxième part, défini par le Premier ministre, est lié à l'évaluation des objectifs interministériels fixés aux préfets.