F. UNE DIVERSITÉ ANALOGUE D'INSTRUMENTS INTERNATIONAUX AU NIVEAU EUROPÉEN

a) Une appétence pour les instruments internationaux qui se retrouve également au niveau européen

Cette appétence pour les instruments internationaux en matière migratoire est également observée au niveau européen. Comme l'a rappelé le représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne (UE) au cours de son audition, l'UE en mobilise également dans de larges proportions avec les pays tiers. Pour des raisons de périmètre et de calendrier, la mission d'information n'a toutefois traité ce volet que de manière subsidiaire. Il mériterait en soi un examen à part entière.

À l'instar de la typologie établie pour les outils bilatéraux, les instruments européens peuvent être classés en deux catégories :

- les accords formels : il s'agit des accords négociés suivant la procédure prévue à l'article 218 du TFUE132(*). Les 33 accords relatifs aux visas ainsi que les 18 accords de réadmission présentés précédemment forment l'essentiel de ce contingent. Des clauses relatives aux migrations sont par ailleurs régulièrement intégrées à des accords régissant la coopération avec un État tiers de manière plus globale. À la connaissance des rapporteurs, il n'existe pas de recensement centralisé de ces clauses ;

les instruments non-contraignants : ces « non binding instruments » prennent des dénominations variées (arrangements administratifs, mémorandums d'entente, déclarations conjointes etc.). Les procédures applicables pour la conclusion de ces accords ont été précisées à la suite de difficultés de coordination entre les différentes institutions européennes et avec les États membres. Le principe est le suivant : la Commission européenne engage des négociations sur le fondement d'un accord par consensus du Conseil, dûment informé des lignes directrices de l'instrument ; le Conseil approuve sa version finale avant sa signature (par un membre du collège des commissaires ou un directeur général). Pour rappel, six instruments de cette catégorie ont été conclus en matière de réadmission. Les « accords de partenariat », les « partenariats talent » ou encore les plans d'actions adoptés en prévision d'une future libéralisation des visas peuvent également y être intégrés.

À l'instar de la dynamique observée en France, la Commission européenne privilégie de manière croissante une approche plus politique, fondée sur ces instruments non contraignants. Au-delà des explications présentées précédemment, le mandat partiel qui lui est confié par l'article 79 du TFUE en matière migratoire limite également ses possibilités de conclure des accords de grande envergure et participe de cette réorientation. Cela est notamment le cas s'agissant de l'entrée et du séjour, dès lors que les États membres sont libres de fixer le nombre de personnes pouvant entrer sur leur territoire dans le but d'y trouver un emploi133(*).

Selon les éléments communiqués par l'ambassadeur chargé des migrations, les « partenariats talents » visent par exemple à « faire émerger ou à renforcer des projets portés par les États membres et soutenus et financés par l'UE et promouvant les migrations circulaires et le développement des compétences des ressortissants des pays tiers ». Cinq partenariats de cette nature sont mis en oeuvre avec la Tunisie, le Maroc, l'Égypte, le Pakistan et la Tunisie. La France n'est néanmoins partie prenante que du partenariat avec la Tunisie et occupe une position d'observatrice vis-à-vis de l'Égypte.

Deux éléments doivent finalement être évoqués pour compléter ce paysage. D'une part, l'adoption récente du nouveau Pacte sur les migrations et l'asile n'emporte que peu d'effets sur les éléments présentés ci-dessus. L'article 5 du nouveau règlement (UE) 2024/1351 du 14 mai 2014 dit « gestion de l'asile et de la migration »134(*) est la stipulation qui traite le plus directement de la dimension externe des migrations. Sa portée est toutefois largement symbolique, en ce qu'il se borne à encourager « une coopération étroite avec les pays tiers » dans tous les domaines de la politique migratoire. D'autre part, de multiples autres leviers sont actionnés par l'Union européenne pour la mise en oeuvre de sa politique migratoire. Les principaux ne seront que brièvement mentionnés ici dans la mesure où il ne s'agit pas d'instruments internationaux stricto sensu :

les programmes de financement : c'est en particulier le cas de l'instrument européen pour le voisinage, le développement et la coopération internationale (NDICI), dont 15 % des crédits étaient consacrés entre 2021 et 2024 au financement d'actions liées aux questions migratoires et aux déplacements forcés135(*) ;

les plans d'actions sectoriels pour des routes migratoires déterminées : les plans pour les Balkans occidentaux, pour la Méditerranée centrale ou les routes atlantiques peuvent par exemple être cités ;

- les mécanismes de contrôle prévus par les textes : à l'instar du « levier visa-réadmission » ou du « mécanisme de suspension des visas », tous deux évoqués précédemment. En matière commerciale, la réforme en

cours du système de préférence généralisée pourrait aboutir à l'introduction de clauses permettant la suspension des réductions de tarifs douaniers en cas d'absence de coopération migratoire de la part des États bénéficiaires ;

l'action des agences de l'Union européenne sur le terrain : Frontex, Europol ou encore l'agence de l'Union européenne pour l'asile sont notamment impliquées

b) Une nouvelle génération d'instruments qui fait débat : les accords de partenariat

L'Union européenne a également récemment développé une nouvelle génération d'instruments internationaux, dits « accords de partenariat ». Il s'agit d'accords juridiquement non-contraignants, formalisant des engagements réciproques dans le domaine migratoire, voire au-delà, et assortis d'une enveloppe budgétaire. Au sens strict, cette catégorie comprend trois accords de partenariats conclus entre juillet 2023 et mars 2024 :

le mémorandum d'entente sur un partenariat stratégique et global conclu avec la Tunisie le 16 juillet 2023 : celui-ci est articulé autour de cinq piliers, dont seul le dernier est relatif aux migrations. Selon la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, il implique notamment « un soutien financier de l'Union pour les acquisitions, la formation et le soutien technique destinés à améliorer la gestion des frontières tunisiennes ». La Tunisie a bénéficié d'un appui financier à hauteur de 105 millions d'euros en matière de migrations136(*), même si ces fonds n'ont pas été formellement délivrés dans le cadre de l'accord ;

la déclaration conjointe lançant un partenariat migratoire entre l'UE et la Mauritanie du 7 mars 2024 : elle se distingue des deux autres par son objet exclusivement migratoire. Ses cinq piliers traduisent une approche globale de ces questions, allant des migrations légales au renforcement de la gestion des frontières, en passant par l'asile. Elle est assortie d'une enveloppe de 210 millions d'euros, dont 60 millions sont fléchés vers des sujets exclusivement migratoires137(*) ;

la déclaration conjointe sur le partenariat stratégique et global entre l'Égypte et l'UE du 17 mars 2024 : elle s'articule autour de huit axes prioritaires, dont l'un est consacré aux migrations et aux mobilités. Le montant de l'aide accordée dans ce cadre pour le seul financement de projets migratoires s'élève à 200 millions d'euros138(*), attribués via le NDICI.

Il doit être précisé que des négociations sont en cours avec la Jordanie et, jusqu'à récemment, le Liban139(*) pour l'établissement d'un cadre partenarial de ce type. Au sens large, ces accords pourraient par ailleurs inclure la déclaration conjointe du 18 mars 2016 de l'Union européenne et de la Turquie. Pour rappel, celle-ci visait à faire face à l'intensification des flux migratoires arrivant en Grèce via la Turquie. Elle se traduisait par l'établissement de mécanismes de relocalisation des personnes ayant franchi illégalement la frontière. Formellement toujours en vigueur, ce partenariat est assorti d'une contribution financière de la part de l'Union dont le montant total cumulé depuis 2016 atteindrait 8 milliards d'euros140(*).

Selon les informations recueillies par les rapporteurs, les partenariats ici présentés sont encore à un stade précoce de leur mise en oeuvre ; les projets prévus pour chaque axe de coopération identifié sont en cours d'élaboration et feront par la suite l'objet d'une contractualisation. S'il est vrai que la pression migratoire aux frontières extérieures a diminué sur la période récente (- 40 % sur les 11 premiers mois de l'année 2024 selon l'agence Frontex), il demeure néanmoins délicat d'attribuer cette baisse aux accords de partenariats, faute de données chiffrées consolidées à ce stade. La mission d'information considère donc qu'il est encore trop tôt pour en effectuer le bilan et se prononcer sur leur opportunité. Les arguments avancés par les différents acteurs auditionnés ont toutefois démontré que cette approche n'avait pas permis d'emporter le consensus à ce stade.

Les associations auditionnées s'opposent tout d'abord vigoureusement aux accords de partenariat. S'appuyant sur des études universitaires, le CCFD - Terre Solidaire considère ainsi, d'une part, que ces accords « n'ont aucunement eu pour effet de réduire les arrivées sur le sol européen » et, d'autre part, qu'ils « constituent un risque réel pour l'Union européenne et ses États membres de contribuer aux violations des droits humains qui sont constatées et largement documentées dans les États tiers partenaires, au risque même parfois d'être juridiquement complices de tels faits illicites selon les règles du droit international ». L'association estime enfin « qu'un enjeu de transparence et de contrôle démocratique s'attache à cette nouvelle approche ». On ne peut effectivement que constater que le degré de publicité de ces instruments pourrait être sensiblement amélioré.

Les rapporteurs ont également été interpellés par la relative réserve des autorités françaises sur le sujet. Les éléments recueillis sur ce point laissent entrevoir un enthousiasme plus que mesuré à l'égard d'une approche qui « présente certains avantages, mais demeure sujette à caution » pour reprendre les termes de la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne. Si la France est favorable à ces partenariats, elle appelle à les accompagner d'objectifs évaluables et précis conditionnant le décaissement des aides prévues. Le risque d'une instrumentalisation de ces partenariats par les États signataires a par ailleurs été souligné. Dans ce contexte, la mission d'information soutient fermement la demande française d'une association plus étroite des États membres dans la négociation et la mise en oeuvre de ces accords de partenariat.


* 132 Le Conseil autorise la commission européenne à négocier sur la base d'un mandat qu'il délivre. La signature de l'accord est formellement soumise à approbation à la majorité qualifiée du Conseil avec, selon les matières, une intervention du Parlement.

* 133 Voir le 5 de l'article 79 du TFUE.

* 134 Règlement (UE) 2024/1351 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 relatif à la gestion de l'asile et de la migration, modifiant les règlements (UE) 2021/1147 et (UE) 2021/1060 et abrogeant le règlement (UE) n° 604/2013.

* 135 Commission européenne, Rapport annuel sur l'activité externe de l'UE, 29 novembre 2024. Selon la RPUE, le montant total se décompose en deux enveloppes de respectivement 7,9 milliards d'euros (10 % du montant initial) et 7,6 milliards d'euros (enveloppe supplémentaire accordée par le Conseil européen en février 2024).

* 136 Selon la RPUE, cette enveloppe financera des programmes de coopération en matière de gestion des frontières (65 millions d'euros), de retours intracontinentaux (20 millions d'euros) et de lutte contre les trafics de migrants (18 millions d'euros). Un budget additionnel de 127 millions d'euros a par ailleurs été annoncé en septembre 2024.

* 137 Le reste étant, selon les informations obtenues de la part de la RPUE, liées aux enjeux humanitaires, sécuritaires et de développement énergétique. Sur les 60 millions d'euros évoqués, 28 seraient alloués au traitement des causes profondes migrations, 25 au renforcement des capacités de gestion des frontières maritimes et 7 à la prolongation d'une action opérationnelle de lutte contre les réseaux de passeurs.

* 138 Cela ne représente qu'une fraction d'un dispositif beaucoup plus ambitieux. Près de 7,4 milliards d'euros devraient être débloqués dans le cadre du partenariat avec l'Égypte. Il doit toutefois être précisé que ce total n'est composé de subventions qu'à hauteur de 600 millions d'euros (le reste étant composé de 5 milliards d'euros de prêts et de 1,8 milliard d'euros d'investissement).

* 139 Si le cadre textuel n'a pas encore été finalisé, une enveloppe de 500 millions d'euros sur la période 2024-2027 a néanmoins déjà été attribuée.

* 140 Le soutien financier initial de l'ordre de 3 milliards d'euros a fait l'objet de deux abondements en 2020 (3 milliards d'euros) et 2024 (2 milliards d'euros).

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