B. AU DANEMARK, UNE APPROCHE UNIVERSALISTE FONDÉE SUR LA PRÉVENTION
1. Une prise en charge universelle et publique de la dépendance
Le Danemark est, avec les Pays-Bas, la Norvège et la Suède, l'un des pays qui consacrent la part la plus importante de leur richesse nationale aux dépenses de « soins de longue durée » (long-term care), c'est-à-dire aux soins et à l'accompagnement médico-social des personnes âgées et des personnes en situation de handicap : 3,5 % du PIB sont consacrés à ces dépenses. Il est aussi l'un des pays où les financements publics sont les plus élevés et le reste à charge le plus faible pour les usagers5(*).
Dépenses de soins de longue durée
en pourcentage du PIB en 2019 (ou l'année la plus
proche)
Source : OCDE, Panorama de la santé 2021
Le modèle danois se caractérise par une forte professionnalisation et une large couverture de la population. Les prestations sont essentiellement délivrées en nature. Elles permettent en particulier la prise en charge des services à domicile dont les interventions sont, pour la plupart, sans participation financière des bénéficiaires.
2. Un système décentralisé privilégiant la prévention de la perte d'autonomie
a) La compétence de la commune en matière d'organisation des soins aux personnes âgées
Les 98 communes issues de la réforme de 2007, qui comptent en moyenne 59 000 habitants, sont notamment compétentes pour financer, organiser et mettre en oeuvre les soins et les aides aux personnes âgées, que ce soit à domicile ou en établissement spécialisé.
Les services sont financés par des impôts locaux et par des subventions nationales. Un système de péréquation est négocié chaque année dans le cadre du budget national.
Ils sont majoritairement assurés par le personnel des communes, une part étant cependant déléguée à des opérateurs privés.
Une partie du budget communal est « rendu » aux régions, qui ne disposent pas de l'autonomie fiscale, afin d'inciter les communes à limiter la consommation de soins hospitaliers de leurs habitants par une politique active de prévention. Une commune est en effet pénalisée financièrement lorsqu'elle ne peut pas prendre en charge ses habitants à la sortie de l'hôpital. Ainsi la commune de Copenhague verse-t-elle 28 % du budget de son service d'aide aux personnes âgées à la région Capitale.
b) Une approche fondée sur le maintien de l'autonomie à domicile
L'approche danoise est fondée sur l'idée qu'il est plus efficace et plus économique d'aider les personnes âgées à rester autonomes à domicile.
Les prestations fournies par les communes incluent notamment des mesures de prévention. Ainsi, une visite de prévention à domicile est systématiquement proposée à toute personne de 75 ans. Une visite est ensuite proposée chaque année à partir de 80 ans.
Elles comprennent également des mesures dites de « réhabilitation » visant à entretenir la capacité des personnes à vivre en autonomie : revues de traitements médicamenteux, consultations nutritionnelles, entraînements aux activités de la vie quotidienne, aides techniques ou mesures de lutte contre l'isolement social.
Les communes proposent une offre d'activités pour personnes âgées avec un objectif de prévention de la perte d'autonomie et de l'isolement social. La délégation a visité le centre d'activités pour seniors de Dragør, une commune de la région de Copenhague de 15 000 habitants, dont 25 % sont âgés de 65 ans et plus ; ce centre propose une centaine d'activités, animées par des bénévoles, aux personnes âgées de plus de 63 ans pouvant se déplacer.
c) L'hébergement en établissement conçu comme un logement individuel
Le Danemark a profondément transformé depuis 1987 son offre résidentielle pour personnes âgées dépendantes suivant une approche domiciliaire6(*). S'il existe toujours au Danemark des établissements spécialisés équivalant aux Ehpad, dénommés plejeboliger, ceux-ci se distinguent par le fort attachement au principe selon lequel leurs résidents occupent des logements privés.
Les résidents des maisons de retraite danoises sont considérés comme des citoyens dans leur logement.
La délégation a visité, à Copenhague, la résidence Fælledgården, le plus grand établissement pour personnes âgées du Danemark avec 193 logements. Il ne s'agit pas de chambres mais de véritables petits appartements de deux pièces avec coin cuisine. L'organisation de l'établissement concilie liberté individuelle et surveillance : les résidents peuvent sortir et recevoir à leur guise si leur état de santé le leur permet, mais les portes sont dotées de puces pour tracer les allées et venues et les « fugueurs » sont équipés de bracelets GPS.
Le financement des établissements tend à les inciter à la prévention : quel que soit l'état de santé des résidents, un établissement dispose des mêmes ressources. Le reste à charge des résidents est modique : la direction de Fælledgården a évoqué un loyer de 937 euros par mois, ramené à 280 euros après aides au logement, et un tarif « entretien et toilette » de 470 euros.
Les personnes sont libres de choisir leur résidence mais les communes sont tenues de proposer une place en établissement dans un délai de huit semaines. Il est toutefois possible d'attendre plus longtemps pour obtenir le logement de son choix.
Le fait que les communes gèrent à la fois les services à domicile et les résidences pour personnes âgées facilite l'articulation et les mutualisations entre les deux secteurs. Ainsi, Fælledgården dispose d'un centre d'activités ouvert aux personnes âgées vivant à domicile et atteintes de démence. Les communes proposent également des logements intermédiaires dans des résidences adaptées sans personnel permanent (almene ældreboliger).
3. Le projet de réforme sur la prise en charge des personnes âgées
Le gouvernement de Mette Frederiksen a présenté en début d'année 2024 un projet de réforme de la prise en charge des personnes âgées intitulé « On n'est jamais trop vieux pour se sentir bien ». Ce projet a fait l'objet d'un accord au sein du Folketing (Parlement danois) au moment du déplacement de la délégation. Il est motivé par un objectif d'amélioration de la qualité ainsi que par la dynamique du vieillissement de la population : le nombre de personnes âgées de plus de 80 ans au Danemark atteindrait 420 000 en 2030, 500 000 en 2040 et jusqu'à 657 000 en 2057, année où il sera le plus élevé.
Issu d'un compromis entre les partis membres de la coalition au pouvoir, ce projet se décline en trois thèmes principaux :
- « autodétermination » des personnes âgées : l'objectif est de donner davantage de possibilités aux usagers pour définir eux-mêmes leur prise en charge. Celle-ci serait organisée de manière plus flexible et selon une approche « holistique » : les personnes âgées ne seraient plus orientées vers de multiples services mais vers un « programme complet de prise en charge ». Les équipes d'intervenants devraient être de taille plus réduite et changer moins fréquemment de composition. Les personnes âgées pourraient choisir plus librement entre les services municipaux et ceux du secteur privé pour les prestations de « réhabilitation » à domicile ;
- confiance dans le personnel et les services : afin de mettre fin à la suradministration du secteur, le gouvernement danois prévoit de remplacer les programmes de contrôle des municipalités et le programme national de supervision par un nouveau modèle intercommunal simplifié. Dans ce cadre, l'inspection des établissements serait effectuée sur une seule journée par an. Le personnel des établissements et services aurait moins de tâches administratives à effectuer quotidiennement et pourrait consacrer plus de temps aux soins et à l'accompagnement ;
- renforcement des interactions avec les familles et la société civile : l'objectif du gouvernement est d'augmenter le nombre de bénévoles pour s'occuper des personnes âgées.
En 2025, les communes pourront créer des maisons de retraite « de proximité », nouveau type d'établissement public au fonctionnement inspiré du secteur privé.
En revanche, l'idée d'instaurer une assurance complémentaire obligatoire, qui a récemment émergé comme un moyen d'assurer la pérennité financière du système, n'a pas été retenue par le gouvernement.
La loi entrerait en vigueur en 2025 mais la mise en oeuvre de la réforme serait progressive jusqu'en 2028 pour permettre aux communes de s'adapter. Des crédits supplémentaires leur seraient octroyés chaque année afin de les soutenir.
* 5 Cf. Igas, « Lieux de vie et accompagnement des personnes âgées en perte d'autonomie : les défis de la politique domiciliaire, se sentir chez soi où que l'on soit », février 2024, annexe 15.
* 6 Cf. Igas, février 2024.