N° 705

 

N° 191

ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2023 - 2024

Enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 5 décembre 2024

 

le 5 décembre 2024

RAPPORT

au nom de

L'OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

sur

L'évaluation du cinquième Plan national de gestion
des matières et déchets radioactifs (PNGMDR)

Compte rendu de l'audition publique du 25 janvier 2024

et de la présentation des conclusions du 5 décembre 2024

par M. Bruno SIDO, sénateur

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale

par M. Pierre HENRIET,

Premier vice-président de l'Office

 

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Stéphane PIEDNOIR

Président de l'Office

Composition de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques
et technologiques

Président

M. Stéphane PIEDNOIR, sénateur

Premier vice-président

M. Pierre HENRIET, député

Vice-présidents

M. Jean-Luc FUGIT, député

M. Gérard LESEUL, député

M. Alexandre SABATOU, député

Mme Florence LASSARADE, sénatrice

Mme Anne-Catherine LOISIER, sénatrice

M. David ROS, sénateur

DÉPUTÉS

SÉNATEURS

M. Alexandre ALLEGRET-PILOT

M. Maxime AMBLARD

M. Philippe BOLO

M. Eric BOTHOREL

M. Joël BRUNEAU

M. François-Xavier CECCOLI

M. Maxime LAISNEY

M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI

Mme Mereana REID ARBELOT

M. Arnaud SAINT-MARTIN

M. Jean-Philippe TANGUY

Mme Mélanie THOMIN

M. Stéphane VOJETTA

Mme Dominique VOYNET

M. Arnaud BAZIN

Mme Martine BERTHET

Mme Alexandra BORCHIO FONTIMP

M. Patrick CHAIZE

M. André GUIOL

M. Ludovic HAYE

M. Olivier HENNO

Mme Sonia de LA PROVÔTÉ

M. Pierre MÉDEVIELLE

Mme Corinne NARASSIGUIN

M. Pierre OUZOULIAS

M. Daniel SALMON

M. Bruno SIDO

M. Michaël WEBER

CONCLUSIONS DE L'AUDITION PUBLIQUE DU 25 JANVIER 2024 SUR LE CINQUIÈME PLAN NATIONAL DE GESTION DES MATIÈRES ET DÉCHETS RADIOACTIFS (PNGMDR)

I. INTRODUCTION

Depuis que la loi de programme du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs a prescrit, dans son article 6 (1(*)), l'établissement d'un plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) et sa mise à jour tous les trois ans, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a été régulièrement saisi de ce plan, conformément à la loi, pour procéder à son évaluation. Ceci a donné lieu, pour chaque version du plan, à la publication d'un rapport. Le premier (2(*)) portait sur le Plan 2007-2009 dont l'élaboration avait commencé en juin 2003, avant même que la loi le prescrive, mais sur les instances expresses de l'Office, formulées dès 2000 (3(*)). Ont suivi trois autres rapports d'évaluation, en 2011, 2014 et 2017, chacun traitant d'une nouvelle version du Plan pour une période de trois années.

L'exercice conduit par l'Office pour la version actuelle du Plan (qui couvre désormais une période de cinq ans, 2022-2026) est inhabituel, puisqu'il a donné lieu à l'élaboration de deux rapports et non d'un seul.

Le premier a été réalisé par Émilie Cariou, députée de la Meuse, et votre rapporteur, pendant la 15ème législature. Nous avions été nommés en juin 2019 rapporteurs sur « l'évaluation du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) 2019-2021 » ; nous avons en fait présenté à l'Office en mars 2022 un rapport sur « la préparation de la cinquième édition du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) ». En effet, ladite cinquième édition n'avait toujours pas été officiellement finalisée à l'époque. Un tel décalage, tant de calendrier que d'intitulé, était la conséquence du parcours singulièrement compliqué qu'a connu cette cinquième édition du Plan.

Le PNGMDR retrace, en sa page 13, les différentes étapes de ce parcours, marqué notamment par trois consultations du public, ce dont on ne peut que se réjouir. Mais certains retards restent peu explicables et, malgré les démarches entreprises par les deux rapporteurs (4(*)), l'absence de transmission du Plan à l'Office dans un délai raisonnable a laissé l'impression douce-amère qu'en matière nucléaire, le rôle du Parlement reste encore trop souvent considéré comme secondaire. Pour dire les choses de façon très concrète, c'est pour qu'il n'y ait pas de « législature blanche » en matière d'examen d'un PNGMDR, et au vu de l'important travail réalisé jusqu'alors par ses deux rapporteurs, que l'Office avait décidé d'examiner en mars 2022, juste avant la suspension des travaux parlementaires liées aux élections législatives, un rapport portant sur le contenu du document provisoire disponible à ce moment et sur les conditions de sa préparation.

Le plan définitif - identique en tous points à sa version provisoire - a été publié à l'été 2022 et ses deux textes d'application - un décret et un arrêté - ont été publiés au Journal officiel le 10 décembre 2022 (5(*)).

Le présent rapport s'inscrit directement dans les pas de son prédécesseur : il vise, sur la forme, à tirer les conclusions de l'audition publique que l'Office a organisée le 25 janvier dernier pour clore la séquence actuelle d'évaluation du PNGMDR et, sur le fond, à compléter le travail réalisé en 2022. Il s'articule également avec les auditions régulières de la CNE2 sur son rapport annuel, dont la dernière a eu lieu le 14 novembre dernier, ainsi que, de manière plus générale, avec les autres travaux de l'Office ayant trait à la filière nucléaire. Par exemple, la question des déchets nucléaires a été soulevée lors de l'audition publique du 23 novembre 2023 qui était consacrée au développement des réacteurs innovants en France (6(*)).

Quelle influence le PNGMDR a-t-il - ou non - sur le fonctionnement de la filière nucléaire ? Quelle en est la perception dans l'opinion publique à l'ère des réseaux sociaux ? Telles sont les deux questions que devait éclairer l'audition publique du 25 janvier 2024 dont l'Office avait confié l'organisation à Hendrik Davi, député, alors membre de l'Office, et votre rapporteur.

Chacun de ces deux sujets a donné lieu à une table ronde. La première s'intitulait « Le 5e PNGMDR entre description de l'existant et prescriptions pour l'avenir » et réunissait :

- Bruno Chareyron, conseiller scientifique de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) ;

- Pauline Boyer, chargée de campagne Transition énergétique de Greenpeace France ;

- Virginie Wasselin, cheffe du service Stratégie filières et déchets FAVL (faible activité vie longue) à l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra).

Les participants à la sa seconde table ronde, intitulée « Le stockage des déchets nucléaires : quelle couverture sur les réseaux sociaux et au-delà ? », étaient :

- Éric Vidalenc, membre du comité Éthique et société de l'Andra et expert des sujets de prospective et d'énergie ;

- Ludovic Torbey, co-fondateur de la chaîne YouTube Osons causer, chaîne de vulgarisation de sciences sociales ;

- Bernard Laponche, président de Global Chance.

A. LE PNGMDR, UN PROGRAMME D'ACTION QUI A VOCATION À ÊTRE COMPLET ET S'INSCRIRE DANS UNE COHÉRENCE D'ENSEMBLE

Les échanges tenus au cours de la première table ronde ont touché à de nombreux aspects de la gestion des matières et déchets nucléaires, certains évoquant des sujets précis, d'autres s'inscrivant dans la perspective plus large du PNGMDR lui-même. Trois lignes de force se dégagent néanmoins, qui concernent les « points aveugles » - ou angles morts - du PNGMDR, l'articulation entre le PNGDMR et la politique énergétique, et la mise en oeuvre du Plan.

1. Le PNGMDR, un plan vraiment exhaustif ?

La vocation du PNGMDR est de couvrir l'intégralité du champ des matières et déchets radioactifs et de définir à la fois les stratégies visant à en assurer une gestion durable et sûre et les actions subséquentes pour mettre en oeuvre ces stratégies. Certains domaines ne sont cependant que peu ou pas couverts par le Plan. Le rapport de l'Office de mars 2022 avait mis en avant les déchets médicaux, les déchets militaires et les déchets transitant sur le territoire ; l'audition publique a soulevé le sujet des déchets issus de l'exploitation des mines d'uranium. La place faite par le Plan aux considérations de coûts a également été jugée insuffisante.

a) Les déchets miniers

Sur l'invitation du rapporteur, Bruno Chareyron a développé son propos liminaire sur l'amont du cycle, en abordant le sujet des déchets miniers. Cette dénomination recouvre deux réalités : les stériles miniers, qui sont les roches excavées lors de l'exploitation minière, après récupération de la partie commercialement valorisable qui constitue le minerai ; les résidus de traitement, qui sont les produits restant après extraction de l'uranium contenu dans le minerai par traitement de lixiviation. La dernière mine a cessé son activité en 2001, mais stériles et résidus de traitement subsistent « sur le terrain », nécessitant que des mesures soient prises pour assurer la protection de la population contre les expositions radiologiques.

En effet, les stériles sont des roches qui ne sont pas suffisamment riches en uranium pour être considérées comme du minerai, mais où la concentration en uranium peut être suffisamment élevée pour donner lieu à des émanations de radon susceptibles de causer un risque radiologique, surtout dans des milieux confinés. Dans les résidus de traitement, il subsiste des matières uranifères qui ont été traitées chimiquement pour passer sous forme soluble, ainsi que des traces des produits de traitement eux-mêmes ; toutes ces matières sont susceptibles de migrer dans le milieu extérieur et de causer un risque sanitaire et environnemental de nature chimique et radiologique.

Les déchets miniers ne sont assurément pas hors du champ du PNGMDR. Des actions ont été définies dès la première édition du Plan, en 2007 et la 5ème édition ne fait pas exception. La critique porte sur le fait que le PNGMDR 2022-2026 « donne l'impression que tout est résolu et qu'il ne reste qu'à garder la mémoire des stériles miniers. Or des problèmes environnementaux ou d'exposition des populations subsistent », a dit M. Chareyron. Il a développé de nombreux exemples de sites sur lesquels son association est intervenue et il a fait part du souhait de celle-ci que davantage de lieux contenant des déchets miniers soient assainis.

En matière de déchets miniers, l'action DECPAR.1 du PNGMDR prévoit la poursuite des études relatives à l'impact environnemental et sanitaire à long terme de la gestion des anciennes mines d'uranium. Pour les résidus de traitement, les études concernent trois domaines identifiés depuis les éditions précédentes du Plan, à savoir : la stabilité à long terme des ouvrages ceinturant les stockages de résidus de traitement minier ; la stratégie de gestion des eaux issues des anciennes mines d'uranium ; l'évaluation des impacts dosimétriques et environnementaux à long terme des stockages de résidus. En revanche, l'action DECPAR.1 ne fait pas formellement référence aux stériles miniers.

Ceux-ci ne sont abordés que dans les paragraphes de présentation du contexte, et d'une façon qui suggère que le sujet est considéré comme quasiment clos, tout au moins pour ce qui est d'éventuelles interventions de remédiation : « La précédente édition du PNGMDR a permis, par ailleurs, de considérer comme achevé le recensement réalisé des verses à stérile et des stériles miniers dans le domaine public. Il reste désormais à mettre en oeuvre des modalités de conservation de la mémoire adaptées aux enjeux de long terme que présentent ces sites. »

Le rapporteur note par ailleurs que l'article D. 542-95 du code de l'environnement, dont la rédaction a été modifiée pour l'application du PNGMDR 2022-2026, introduit la notion de « déchets pour lesquels aucune filière de gestion n'est disponible ou envisagée ». Elle s'applique aux sources scellées usagées, aux déchets tritiés, aux déchets activés des petits producteurs, aux huiles, liquides organiques et déchets sans filière, ainsi qu'aux déchets issus de la gestion des anciennes mines d'uranium. Or à l'exception de ces derniers, il est prévu que les autres catégories de déchets devront se voir définie une filière de gestion (7(*)) ; il faut en déduire que la notion de « filière de gestion non envisagée » ne s'applique qu'aux déchets miniers.

Le rapporteur ne considère évidemment pas que les dépôts de stériles miniers et les sites contenant des résidus de traitement doivent entrer dans une « filière de gestion », qui suppose des installations spécifiques, la mise en oeuvre de processus industriels déterminés et, surtout, la prise en charge expresse de tous les volumes concernés. Il note cependant que les présentations et formulations employées tant dans le PNGMDR que dans la réglementation suggèrent que la gestion des déchets miniers relèverait désormais simplement d'études, voire de la « mémoire », pour les sites de stériles. Au contraire, il faut réaffirmer que l'évaluation rigoureuse des risques posés par les déchets miniers doit garder pour principal enjeu, si cela apparaît nécessaire sur un site, la mise en oeuvre d'actions concrètes de réduction des risques et des impacts.

b) Les coûts de la gestion des matières et déchets radioactifs

Pauline Boyer et Bernard Laponche ont tous deux regretté que le PNGMDR ne présente pas les coûts des solutions de gestion des matières et déchets radioactifs. Ils se sont cependant placés sur deux plans différents.

Mme Boyer a mis l'accent sur l'enjeu que représentent ces coûts pour « les contribuables, qui vont être amenés à supporter les dépenses liées aux déchets nucléaires. Il faudrait connaître le montant de chacune des solutions envisagées, pour les exploitants et, par ricochet, pour les contribuables. » À cet égard, le rapporteur rappelle que la problématique est assez différente pour EDF et Orano d'un côté, dont les ressources proviennent essentiellement de recettes commerciales, et pour le CEA de l'autre, dont environ deux tiers des ressources (pour les activités civiles) proviennent de l'Etat. Pour sa part, M. Laponche a estimé que « le coût n'est jamais mentionné dans le PNGMDR, ce qui est absolument anormal puisque ce critère contribuera forcément, in fine, à guider les choix. »

Effectivement, le PNGMDR, dans sa version couvrant la période 2022-2026, ne présente aucune estimation de coûts. En ce sens, il marque un recul par rapport aux versions précédentes. Celles-ci consacraient quelques pages au « coût et [au] financement de la gestion des déchets », organisés autour de trois éléments : les « dispositions législatives et réglementaires sur la sécurisation du financement des charges de long terme », les « modalités de contrôle des exploitants » et les « montants des provisions et des actifs dédiés constitués ». Un tableau de ces provisions et actifs y était inclus.

Il ne faut cependant pas en déduire que les préoccupations de coûts ont été écartées du PNGMDR actuel. Elles restent tout aussi prégnantes qu'auparavant. Elles sont même la substance des actions ECO.1 et ECO.2, qui prévoient respectivement de « présenter le mécanisme de financement de la gestion des matières et déchets radioactifs » et d'« actualiser les coûts de gestion des matières et des déchets radioactifs ». La partie réglementaire du code de l'environnement, même dans sa version antérieure au décret du 9 décembre 2022 pris pour l'application du PNGMDR 2022-2026, impose d'ailleurs aux exploitants de nombreuses obligations pour la détermination et l'actualisation des coûts des solutions de gestion, y compris avec des variantes. Par exemple, Mme Wasselin a indiqué qu'il est demandé à l'Andra d'effectuer une réévaluation du coût de Cigéo à l'occasion de la procédure, en cours, de demande d'autorisation de création (DAC) du centre de stockage géologique.

La matière est donc bien présente, même si elle a perdu en visibilité.

C'est pourquoi il sera aisé de compléter le prochain PNGMDR par une annexe présentant, sans contrevenir au secret des affaires, un tableau synthétique de données agglomérées éclairant la dimension financière des solutions envisagées ou déjà mises en oeuvre. Le rapporteur considère qu'il serait opportun d'organiser ces informations autour, d'une part, des principaux projets déployés dans le cadre du PNGMDR (Cigéo bien sûr, mais aussi le projet de piscine centralisée pour l'entreposage des combustibles usés d'EDF, le projet d'extension du Cires, celui de création d'un nouveau centre de stockage pour les déchets TFA, etc.) et, d'autre part, des différentes filières de gestion existantes ou en projet (déchets TFA, faible ou moyenne activité - vie courte, faible activité - vie longue, déchets actuellement sans filière, etc.). Cette présentation synthétique dans le document du PNGMDR serait complétée par des informations plus détaillées mises en ligne sur le site internet dédié au PNGMDR https://dechets-radioactifs.ecologie.gouv.fr/.

Les coûts contribuent à guider les choix, a dit M. Laponche. C'est assurément vrai pour ce qui concerne directement la gestion des matières et déchets radioactifs - à exigences de sûreté équivalentes, il va sans dire. Mais dans quelle mesure cette sentence peut-elle prendre une acception plus large ? Dans quelle mesure peut-elle traduire une interaction entre la gestion des déchets et un espace de décisions plus large, celui de la politique énergétique ?

2. L'articulation entre le PNGMDR et la politique énergétique

« Le renforcement de l'articulation entre la politique énergétique et la gestion des matières et déchets radioactifs » : tel est le titre de la troisième partie du PNGMDR 2022-2026. C'est dire que les pouvoirs publics ne font pas l'impasse sur un sujet difficile, mais essentiel.

Une telle articulation peut être conçue dans deux directions opposées. On peut considérer que la gestion des déchets doit être un paramètre dimensionnant de la politique énergétique, surtout s'agissant d'une forme d'énergie - l'énergie nucléaire - à laquelle la dangerosité de certains déchets et les échelles de temps mobilisées donnent une dimension sociétale extraordinaire. C'est le positionnement qu'ont adopté Mme Boyer et M. Laponche. Celui-ci a par exemple estimé que « le principal problème du PNGMDR tient au fait qu'il s'inscrit dans une politique énergétique qui évoque essentiellement les réacteurs et n'aborde quasiment jamais les questions du combustible, des déchets et du démantèlement ». Regrettant que les déchets nucléaires soient en quelque sorte un impensé de la politique énergétique, il appelle implicitement à une solution inverse.

On peut, au contraire, considérer que le Plan a vocation à prendre en compte les orientations arrêtées de la politique énergétique comme cadre des stratégies et options qu'il développe en propre. C'est la vision privilégiée par les pouvoirs publics, qui trouve une traduction juridique formelle dans le code de l'environnement. Celui-ci prévoit en effet expressément que « le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs prend en compte les objectifs de la politique énergétique » (8(*)).

Le rapporteur tient cependant à souligner qu'entre ces deux solutions polaires, la France a fait le choix d'un positionnement en fait assez équilibré. On peut noter, incidemment, qu'une « cartographie de décisions et jalons clefs » présentée en page 62 du document montre que la préparation du prochain PNGMDR devrait intervenir avant celle de la prochaine PPE, à l'horizon 2026 pour celui-ci et 2027 pour celle-là. Peu après le passage précité, le code de l'environnement prévoit aussi que « les actions prévues par le plan visent à éclairer les choix de politique énergétique et à garantir la résilience de la politique de gestion des matières et des déchets radioactifs à l'évolution de ces derniers ».

Le processus est en fait devenu interactif et « circulaire » plutôt que resté directif et linéaire, même si la politique énergétique aura toujours une certaine préséance sur le PNGMDR. Il s'agit là d'une évolution fort opportune aux yeux du rapporteur, qui renvoie aux développements de la troisième partie du PNGMDR pour une présentation détaillée.

Ces considérations générales ont été déclinées pendant l'audition publique autour du thème ô combien polémique du retraitement. Mme Boyer a ainsi mis en exergue la complexité accrue de la gestion des matières et déchets radioactifs qu'induit, selon elle sans véritable « valeur ajoutée », la politique de retraitement : déséquilibre entre les flux entrant et sortant de plutonium du fait des difficultés de production de l'usine Melox, impossibilité de recycler le combustible Mox usé qui entraîne un accroissement des quantités entreposées à La Hague et accélère la saturation des piscines de désactivation, absence de perspectives d'utilisation pour l'uranium de retraitement, etc. Mme Boyer a estimé à cet égard qu'« aucun de ces différents aspects du retraitement n'est questionné dans le PNGMDR. Les scénarios suivis sont ceux proposés par les exploitants ; or ce ne sont pas forcément les meilleurs. »

Le rapporteur rappelle à toutes fins utiles que la loi est très claire : le PNGMDR et le décret qui en établit les prescriptions doivent respecter l'« orientation » suivante : « la réduction de la quantité et de la nocivité des déchets radioactifs est recherchée notamment par le retraitement des combustibles usés et le traitement et le conditionnement des déchets radioactifs » (9(*)). Il n'y a pas vraiment de marges d'interprétation pour le PNGMDR sur ce sujet-ci.

Il en va autrement pour les matières radioactives - en attente de traitement - et les déchets radioactifs ultimes - en attente de stockage -, qui sont entreposés dans des installations spécialement aménagées à cette fin. La ligne de partage entre ces deux catégories peut se déplacer selon que la politique énergétique aura ouvert ou fermé telle ou telle voie technique pour la production d'énergie. Mme Boyer s'en est fait l'écho en prenant l'exemple de l'uranium appauvri, dont « une partie au moins des 350 000 tonnes [...] ne seront certainement jamais réutilisées. »

Le sujet n'est pas nouveau pour l'Office. Il a été évoqué devant lui à plusieurs reprises, notamment par l'Autorité de sûreté nucléaire lors des dernières auditions au cours desquelles elle lui a présenté son rapport annuel sur la sûreté et la radioprotection en France. Le rapporteur n'estime donc pas utile de redévelopper ici cette problématique.

Il salue d'autant plus volontiers la mise en place d'exercices prospectifs liés à la gestion des matières et déchets radioactifs, dont certains sont liés à des hypothèses fortes comme l'arrêt du retraitement. Le site internet de l'Andra consacré spécifiquement à l'Inventaire national des déchets radioactifs présente les premiers résultats obtenus dans le cadre de ces scénarios (10(*)),évoqués par Mme Wasselin au cours de l'audition. Il appartiendra au Parlement et au public de s'en saisir pour contribuer au nécessaire débat sur l'élaboration du prochain PNGMDR et de la prochaine PPE.

3. Le PNGMDR, description de l'existant ou prescription pour l'avenir ?

À la lumière de son expérience en matière de politique nucléaire, le rapporteur considère que le PNGMDR 2022-2026 est très prescriptif, plus que ses prédécesseurs. Il faut y voir le signe d'une certaine maturité, tant de l'exercice de planification en tant que tel que des acteurs qui concourent à son élaboration et, surtout, à son exécution. Pour les exploitants nucléaires, c'est d'ailleurs leur intérêt bien compris, la question des déchets ne pouvant plus être passée sous silence et l'expertise citoyenne étant devenue significative.

Les propos de Mme Wasselin ont témoigné de la force des dispositions du PNGMDR - qu'elle a qualifié de véritable « feuille de route » -, que ce soient celles qui trouvent une suite juridique dans la réglementation ou celles qui en restent au stade des prescriptions du Plan. Le rapporteur renvoie au compte rendu de l'audition publique, qui livre tous les détails nécessaires. Il souligne cependant quatre points :

· les dispositions du Plan visent bien toutes les catégories des matières et déchets nucléaires (déchets TFA, FA-VC, FA-VL, MA- et HA-VL, etc.), nonobstant les considérations précédentes sur les déchets miniers ; elles visent aussi certains projets précis, au premier rang desquels Cigéo ;

· le Plan prévoit que les acteurs doivent réaliser des études, élaborer des stratégies, concevoir des scénarios, construire des schémas industriels, etc. Cependant, il ne s'agit pas de prendre (ou faire prendre) des décisions, car celles-ci doivent rester, en dernier ressort, de la compétence des pouvoirs publics et des organes de direction des entités concernées ;

· l'ensemble de ces travaux donne lieu à la rédaction de documents qui sont destinés au maître d'ouvrage du PNGMDR mais qui doivent aussi être mis à la disposition du public ; le site internet dédié au PNGMDR présente ceux qui ont été reçus au titre du PNGMDR 2016-2018 et un espace est prévu pour ceux qui sont attendus au titre du Plan actuel ;

· le Plan ne préjuge en rien de la facilité ou de la difficulté des solutions techniques qui seront in fine mises en oeuvre pour chaque filière de gestion des matières et déchets ; autant il n'est parfois pas illégitime de constater « la lenteur dans la mise en place des actions identifiées », autant il est plus contestable de stigmatiser a priori une « absence de contrainte pesant sur les exploitants quant au déploiement de solutions efficaces et rapides pour un certain nombre de déchets » (11(*)).

Le rapporteur rappelle en effet qu'il appartient à l'exploitant, seul responsable de la sûreté de son installation, de définir les processus industriels et modes opératoires nécessaires à la prise en charge des déchets qu'il détient, sous réserve d'obtenir l'approbation de l'autorité de sûreté éclairée par ses appuis techniques. Seule cette autorité peut apprécier si l'exploitant est confronté à des difficultés majeures ou bien « traîne les pieds » pour la prise en charge de ses déchets. Le rapporteur convient à cet égard que le pouvoir de contrainte dévolu à l'autorité de sûreté, notamment la possibilité de mettre à l'arrêt une installation, est singulièrement atténué en matière de déchets « historiques », ceux-ci n'ayant plus de lien avec les processus de production.

C'est donc parce que la bonne gestion des déchets se conçoit nécessairement dans le temps long - nécessaire ou subi... - que les prescriptions du PNGMDR 2022-2026 s'inscrivent dans le prolongement des orientations prises dans les plans précédents.

Ceci ne rend que plus indispensable la construction d'une bonne articulation entre les prescriptions d'un Plan et celles du Plan suivant, donc leur mise en perspective dans le cadre d'un bilan exhaustif et sans complaisance de leurs aboutissements, de leurs retards, voire des obstacles dirimants qui pourraient être rencontrés. À cet égard, le rapporteur relève les trois éléments positifs suivants :

· le PNGMDR définit précisément, dans chacun des grands thèmes qu'il aborde, les objectifs poursuivis ; or la définition de tels objectifs est une exigence préalable à tout processus d'évaluation bien conduit ; elle donne aussi un point d'appui au débat public qui, avant ou après la publication du Plan, peut s'engager sur la politique de gestion des matières et déchets radioactifs ;

· le PNGMDR récapitule l'intégralité des actions qu'il prescrit ; un tel tableau est effectivement indispensable au suivi du Plan (12(*)) ;

· certaines de ces actions sont assorties d'indicateurs, parfois apparus dans une version précédente du Plan, parfois nouveaux (13(*)). Une telle démarche doit être saluée puisqu'elle matérialise le support du suivi.

Le rapporteur doit à ce stade faire part d'un regret : les indicateurs ne sont que peu de chose s'ils ne sont pas assortis de valeurs-cibles et si aucune valeur de réalisation n'est donnée pour ceux qui ont été définis dans une version précédente du Plan. Or c'est le cas dans le PNGMDR 2022-2026 (14(*)). Cette absence ne facilitera pas le bilan des actions entreprises et des résultats obtenus que devra faire le prochain PNGMDR.


* (1) Désormais codifié à l'article L. 542-1-2 du code de l'environnement.

* (2) Rapport sur l'évaluation du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), par MM. Christian Bataille et Claude Birraux, députés, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Assemblée nationale, n° 3793, XIIe législature - Sénat, n° 247, session 2006-2007).

* (3) Dans un rapport adopté en mars 2000, l'Office avait appelé de ses voeux l'élaboration et la mise en oeuvre d'un plan d'ensemble pour la gestion des déchets radioactifs, afin de parvenir à l'exhaustivité et la cohérence dans ce domaine, alors que l'attention des pouvoirs publics et les moyens de recherche étaient concentrés sur les déchets radioactifs de haute activité à vie longue, dans le cadre de la loi du 30 décembre 1991. Il était apparu à l'Office nécessaire que l'État dispose d'un instrument supplémentaire permettant de traiter avec autant de rigueur les autres types de déchets. Suivant la recommandation de l'Office, un groupe de travail avait été constitué en 2003, sous l'égide de l'Autorité de sûreté nucléaire, afin d'examiner la faisabilité d'un tel plan (Rapport sur les conséquences des installations de stockage des déchets nucléaires sur la santé publique et l'environnement, par Mme Michèle Rivasi, députée, Assemblée nationale, n° 2257, XIe législature - Sénat, n° 272, session 1999-2000).

* (4) Ces démarches sont présentées en détail dans le rapport de Mme Émilie Cariou, députée, et M. Bruno Sido, sénateur (Assemblée nationale, n° 5144 (XVe législature) - Sénat, n° 560 (2021-2022)).

* (5) Décret n° 2022-1547 du 9 décembre 2022 prévu par l'article L. 542-1-2 du code de l'environnement et établissant les prescriptions du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (NOR : ENER2231732D) et arrêté du 9 décembre 2022 pris pour l'application de ce décret (NOR : ENER2231735A).

* (6) Rapport sur le développement des réacteurs nucléaires innovants en France, par Mme Olga Givernet, députée, et M. Stéphane Piednoir, sénateur, 14 décembre 2023 (Assemblée nationale, n° 1997 (XVIe législature) - Sénat, n° 217 (2023-2024)).

* (7) Pour une présentation détaillée de la problématique, voir l'avis n° 2021-AV-0379 de l'Autorité de sûreté nucléaire du 11 mai 2021 sur les études concernant la gestion des déchets nécessitant des travaux spécifiques remises en application du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs 2016-2018, en vue de l'élaboration du cinquième plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs.

* (8) Article D. 542-75 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue du décret du 9 décembre 2022 précité.

* (9) 1° du II de l'article L. 542-1-2 du code de l'environnement.

* (10) Voir, pour la présentation générale, les pages https://inventaire.andra.fr/les-donnees/les-inventaires-prospectifs et https://inventaire.andra.fr/les-donnees/le-perimetre-de-linventaire-national . D'autres pages développent les informations disponibles selon les scénarios et les thèmes (entreposage, stockage, etc.).

* (11) Pauline Boyer, compte rendu de l'audition publique du 25 janvier 2024 (p. 7).

* (12) Voir l'annexe 1 au PNGMDR 2022-2026 (pp. 94-95).

* (13) Voir le tableau général en annexe 2 (pp. 96-97).

* (14) Ibid.

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