EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 20 novembre 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a entendu une communication de Mme Nathalie Goulet et M. Rémi Féraud, rapporteurs spéciaux, sur les missions et moyens du centre de crise et de soutien du ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur spécial. - Avec mon collègue Rémi Féraud, nous allons vous présenter les conclusions de notre travail de contrôle du printemps dernier. En tant que rapporteurs spéciaux de la mission « Action extérieure de l'État », nous avons choisi de travailler sur le centre de crise et de soutien (CDCS) du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Nous avons avec cette structure une « pépite » et une spécificité française dont ne dispose quasiment aucun pays étranger.

Ce service, créé en 2008, assure au sein du Quai d'Orsay la gestion des crises internationales. Il est compétent à la fois sur les crises consulaires, impliquant des ressortissants français à l'étranger, et sur des crises humanitaires.

Deux raisons principales nous ont conduits à travailler sur cette thématique. D'une part, la multiplication des crises extérieures a conduit à placer ce service au coeur de l'actualité. Nous avons pu constater l'efficacité de son intervention lors des événements au Soudan, à Haïti ou en Israël. D'autre part, ce service a vu ses missions et ses moyens budgétaires et humains faire l'objet d'un élargissement conséquent ces dernières années.

Ainsi, entre 2013 et 2024, les crédits finançant le volet consulaire des activités du centre ont été multipliés par 2,3, tandis que l'enveloppe de ses actions humanitaires a été multipliée par quatre entre 2017 et 2024. Il nous paraissait utile d'évaluer l'adéquation de ces évolutions avec les besoins de la gestion de crise, à un moment où les crises se multiplient.

La double compétence du CDCS, pour la gestion des crises consulaires et des crises humanitaires, constitue une spécificité de l'organisation de notre diplomatie.

Sur le volet consulaire, le CDCS est chargé de la sécurité des Français à l'étranger et de la mise en oeuvre des réponses de première urgence face aux crises sécuritaires. Cette mission comprend un volet préventif, qui se traduit notamment par les fiches « conseils aux voyageurs » publiées sur le site du ministère. En cas de crise grave, le centre assure la coordination civile des évacuations de ressortissants.

Sur le volet humanitaire, le centre coordonne la réponse humanitaire d'urgence de la France. Il est chef de file au sein du ministère des affaires étrangères pour la coordination des instruments d'aide humanitaire et assure, en interministériel, le pilotage de l'acheminement de l'aide d'urgence en période de crise. En matière de coordination et d'harmonie entre les services, le CDCS fait bien office, une fois encore, de pépite.

Le financement des opérations du centre de crise suit un schéma particulier, à cheval sur deux missions budgétaires : d'une part, les dépenses de fonctionnement du centre, ainsi que les opérations d'évacuation de ressortissants, sont financées par une enveloppe spécifique du programme 105 de la mission « Action extérieure de l'État », à hauteur de 5 millions d'euros. Si ce montant est limité, il fait systématiquement l'objet d'une surexécution en cours d'exercice ; d'autre part, le financement des opérations d'aide humanitaire est assuré par le fonds d'urgence humanitaire et de soutien, doté de 200 millions d'euros et relevant de la mission « Aide publique au développement ».

Au-delà de ces deux enveloppes, le CDCS bénéficie d'avances de la part des ministères sectoriels qui interviennent à ses côtés lors de ses opérations. Il s'agit en particulier du ministère des armées, du ministère de la santé et du ministère de l'intérieur. Leur participation aux opérations est toutefois refacturée, a posteriori, au CDCS.

En outre, les opérations engagées par le centre de crise et de soutien peuvent donner lieu à une activation du mécanisme de protection civile de l'Union européenne (MPCU). Ce dispositif peut prendre en charge 75 % des frais engagés, les 25 % restants demeurent à la charge de l'État membre.

Ainsi, si le fonctionnement du centre, dans son volet tant humanitaire que consulaire, donne tout à fait satisfaction, ce schéma de financement nous paraît un peu confus et gagnerait à être plus transparent. Il n'en demeure pas moins que cet outil doit être à l'évidence sacralisé, voire dupliqué à l'étranger.

M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. - J'aborderai, pour ma part, les points d'amélioration que nous avons pu relever au cours de nos travaux de contrôle. Nous en avons identifié trois principaux.

Tout d'abord, il nous semble que les canaux de financement du centre de crise pourraient être clarifiés. Comme l'a indiqué Nathalie Goulet, le financement des opérations les plus coûteuses, à savoir les opérations d'évacuation des ressortissants français et les opérations d'aide humanitaire, fait intervenir une multiplicité d'acteurs. Le caractère interministériel de la gestion de crise rend difficilement envisageable une simplification radicale du mode de financement.

Pour autant, il paraît nécessaire de retracer, au sein des rapports annuels de performances, l'ensemble des mouvements de crédits ayant abondé les actions du centre de crise, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Nous avons également identifié une marge certaine d'amélioration s'agissant du MPCU, et ce à deux égards. D'une part, les délais de remboursement du MPCU se sont particulièrement allongés en raison de l'accroissement du nombre de demandes, le mécanisme ayant ainsi été sollicité à 232 reprises en 2022. Or la France, principale bénéficiaire du MPCU s'agissant des opérations d'évacuation et de l'action humanitaire, est plus particulièrement affectée par ces délais. D'autre part, le cadre européen de la protection consulaire et notamment la notion d'« État pilote » tendent à confier à la France, dans un grand nombre de pays tiers, un rôle de coordination des opérations d'évacuation de ressortissants européens. De plus, certains États membres peuvent adopter des comportements non coopératifs visant à laisser la France avancer le financement et assurer l'organisation des opérations.

Nos marges de manoeuvre sont néanmoins limitées pour faire évoluer un mécanisme européen, mais nous encourageons le Gouvernement à porter cette question dans le cadre de la négociation de la nouvelle directive sur la protection consulaire.

Ensuite, les services nous ont fait remonter une appropriation perfectible par le public des outils permettant un suivi de nos ressortissants à l'étranger. C'est désormais devenu un poncif que d'évoquer la nécessité d'encourager l'inscription des Français de l'étranger sur le registre consulaire, mais cet outil est particulièrement utile au centre de crise dans le recensement des populations françaises des pays en crise. Nous avons également noté que l'inscription des Français en déplacement à l'étranger sur l'application « Fil d'Ariane » pouvait être davantage encouragée.

Enfin, nous nous sommes interrogés sur le devenir de la dualité fonctionnelle du centre de crise : est-il justifié qu'un même service assure des missions à la fois dans le domaine consulaire et dans le domaine humanitaire ? La séparation en deux du CDCS est matériellement possible puisque le service est organisé en deux pôles thématiques. Pour autant, nous avons estimé qu'une telle scission ne serait pas opportune.

Plusieurs arguments viennent au soutien de cette position. En effet, en pratique, les crises humanitaires et consulaires tendent à se superposer. Disposer d'un seul service, de surcroît placé sous l'autorité du cabinet du ministre, permet d'assurer la cohérence de nos interventions d'urgence. Toutefois, sans préempter les prérogatives des rapporteurs spéciaux des crédits de la mission « Aide publique au développement », il nous paraît nécessaire que le fonds d'urgence humanitaire et de stabilisation fasse l'objet d'une doctrine d'intervention précisée.

Pour répondre à ces grands enjeux, nous avons établi cinq recommandations qui visent à améliorer le fonctionnement du centre et son schéma de financement.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Merci aux deux rapporteurs spéciaux pour m'avoir fait découvrir un dispositif qui rend efficacement des services et qui fait en effet office de modèle. Je souscris à vos recommandations visant à clarifier le financement de ce centre et je proposerai même de le consolider. Identifiez-vous un risque de voir les finances mises en tension par l'attractivité du dispositif ?

Mme Nathalie Goulet, rapporteur spécial. - Il faut conserver de la souplesse dans le dispositif, en précisant qu'une partie des coupes budgétaires qui concernent l'aide publique au développement pourraient affecter les crédits du centre de crise : il faudra donc faire preuve de vigilance sur ce point.

Les responsables du CDCS ne tiennent pas particulièrement à ce que leur structure prenne trop d'ampleur, de façon que le dispositif reste gérable. Une fois encore, nous disposons là d'une pépite qui identifie notre présence à l'étranger en temps de crise, le centre remplissant de surcroît ses missions dans le cadre budgétaire fixé.

La commission a adopté les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorisé la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.

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