C. L'ÉTENDUE DE LA MISSION D'AIDE HUMANITAIRE ET DE STABILISATION DU CDCS PEUT ÊTRE INTERROGÉE
1. Si la remise en cause de la dualité fonctionnelle du service ne paraît pas opportune, la centralisation de l'ensemble de l'aide humanitaire de la France par le CDCS doit être écartée
Plusieurs arguments pourraient plaider en faveur d'une scission du centre de crise et de soutien en deux services distincts chargés de la protection consulaire, d'une part, et de l'action humanitaire et de stabilisation, d'autre part :
- premièrement, la séparation des urgences consulaires et des urgences humanitaires constitue le modèle de référence dans les ministères des affaires étrangères de nos partenaires. Avant 2008 et la création du CDCS, plusieurs services distincts coexistaient au sein du Quai d'Orsay ;
- deuxièmement, le CDCS est déjà organisé en deux unités séparées, le centre des opérations d'urgence et le centre des opérations humanitaires et de stabilisation, reflétant la dualité de mission du service. Ces deux pôles sont d'ailleurs géographiquement séparés entre deux bâtiments ;
- troisièmement, une scission s'inscrirait dans la logique de la nomenclature budgétaire actuellement applicable au CDCS. Un service d'urgence consulaire relèverait du programme 105 tandis qu'un service d'urgence humanitaire serait financé par les crédits du programme 209.
Toutefois, une telle séparation ne paraît pas opportune aux rapporteurs spéciaux. D'une part, la distinction entre crises consulaires et crises humanitaires est complexe à opérer en pratique. Une même crise peut induire des menaces sur des ressortissants français et nécessiter une intervention de la France au soutien de populations vulnérables. Ce cumul d'aspects consulaires et humanitaires est d'autant plus prégnant que les dernières années ont démontré l'enlisement et l'inscription dans le temps des crises internationales à l'image de l'Ukraine, de Gaza ou d'Haïti. D'autre part, la centralisation de la gestion de crise au sein du CDCS permet d'assurer la cohérence des interventions françaises, en particulier lorsqu'un événement international sollicite une action simultanée de mise à l'abri de nos ressortissants et d'action humanitaire. Les interlocuteurs et partenaires du CDCS, tant issus de la société civile que de l'administration, ont salué le professionnalisme et la réactivité de ce service.
À l'inverse, il ne paraît pas non plus souhaitable d'opérer une centralisation de l'aide humanitaire du MEAE au sein du CDCS. En effet, en complément de son poids dans la gestion des financements de l'aide humanitaire de la France, le CDCS constitue désormais le chef de file du ministère de l'Europe et des affaires étrangères sur ce sujet.
Les différentes évaluations de la politique humanitaire de la France ont souligné le défaut de coordination des canaux de financement de cette aide qui demeure éclatée, au sein du MEAE, entre trois dispositifs (le FUHS, l'AAP et les contributions volontaires aux Nations unies) auxquels s'ajoutent les financements post-crise de l'AFD (fonds Minka). Les rapports d'évaluation du FUHS en 202044(*), de l'aide alimentaire programmée en 202145(*) et de la stratégie humanitaire de la France en 202246(*) se sont étonnés de la faible coopération entre les différents guichets. Le bilan de la stratégie humanitaire 2018-2022 indiquait ainsi que : « le manque de moyens dédiés pour accompagner cette montée en puissance de l'aide humanitaire et la difficile coordination des financements, vont à l'encontre des engagements pris par la France. Le dialogue entre les différents guichets doit se poursuivre pour optimiser leur complémentarité et la consultation des acteurs opérationnels doit être systématisée ».
En réponse, le MEAE a fait le choix de créer une Task Force humanitaire pour coordonner les différents canaux d'aide, sous la conduite du CDCS. L'option du CDCS comme responsable de la coordination de l'aide humanitaire ne tenait pas forcément de l'évidence. Sur le plan budgétaire, le directeur général de la mondialisation demeure en effet responsable du programme 209 qui comprend la majeure partie des crédits de l'aide humanitaire.
Si le rôle d'animation et de pilotage confié au CDCS est bienvenu pour améliorer l'articulation entre les différents guichets d'aide humanitaire, l'optique d'une centralisation des moyens de cette aide au sein du centre ne paraît pas souhaitable. Elle contribuerait en effet à rigidifier les procédures d'attribution et de déploiement des financements et renforcerait les besoins en ressources humaines du centre. Ce dernier perdrait de surcroît en souplesse et en capacité de réaction d'urgence, éléments qui font sa spécificité et justifient son positionnement administratif et ses moyens dérogatoires.
2. En tout état de cause, dans un contexte de forte augmentation de l'aide humanitaire, les objectifs portés par le FUHS mériteraient d'être précisés
La forte progression des crédits du fond d'urgence humanitaire et de stabilisation a accru le poids du CDCS dans la gestion de l'aide humanitaire de la France. Pour autant, l'instrument du FUHS présente un certain nombre de limites, soulignée dans une évaluation réalisée par le cabinet Technopolis Group à la demande du ministère en août 2020, et qui devront être abordées dans un contexte budgétaire restrictif :
- premièrement, il n'existe aucun mandat formalisé du fonds d'urgence humanitaire et de stabilisation ;
- deuxièmement, l'accroissement du volume de ce fonds a multiplié les risques de chevauchements avec les autres instruments de l'aide humanitaire. Ce risque est particulièrement élevé s'agissant de l'aide alimentaire programmée, comme l'ont souligné Michel Canévet et Raphaël Daubet, dans un récent rapport consacré à l'aide alimentaire de la France47(*) ;
- troisièmement, la mise en oeuvre du FUHS dans le domaine de la stabilisation est mal articulée avec les financements de l'Agence française de développement, comme l'indique le rapport d'évaluation de la stratégie humanitaire de la France : « une volonté stratégique commune reste à mettre en oeuvre pour assurer une réelle continuité des financements dès que cela est possible et pertinent »48(*).
Compte tenu de ce qui précède, il paraît indispensable de clarifier le mandat et les objectifs du fonds. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a indiqué qu'une note stratégique avait été rédigée à la demande du cabinet du ministre afin de définir les objectifs stratégiques assignés à chaque instrument de l'aide humanitaire. Ce document, non rendu public, pourrait fonder une doctrine de répartition entre les différents canaux de l'aide.
Recommandation n° 5 : Clarifier le mandat et les objectifs du fonds d'urgence humanitaire et de stabilisation, en lien avec les autres instruments de l'aide humanitaire de la France (CDCS, MEAE).
* 44 Technopolis Group, Évaluation du Fonds d'urgence humanitaire 2015-2018, rapport final d'évaluation, août 2020.
* 45 Technopolis Group, Évaluation de l'aide alimentaire programmée du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, rapport final d'évaluation, mars 2023.
* 46 Groupe URD, Revue stratégique, « Bilan des engagements de la stratégie humanitaire de la République française 2018-2022 : une aide humanitaire plus efficace face aux crises de demain ? », janvier 2023.
* 47 Rapport d'information n° 725 (2023-2024) fait par Michel Canévet et Raphaël Daubet au nom de la commission des finances sur l'aide alimentaire dans le cadre de l'aide publique au développement, 10 juillet 2024.
* 48 Groupe URD, Revue stratégique, « Bilan des engagements de la stratégie humanitaire de la République française 2018-2022 : une aide humanitaire plus efficace face aux crises de demain ? », janvier 2023.