IV. LES NEUF RECOMMANDATIONS DE L'OFFICE

A. LES RECOMMANDATIONS DE L'OFFICE S'APPUIENT SUR LES CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES MISES EN AVANT PAR LA « COALITION DES SCIENTIFIQUES POUR UN TRAITÉ EFFICACE SUR LES PLASTIQUES »

Marie-France Dignac a expliqué que les plastiques tout au long de leur vie sont au centre de trois crises qui secouent aujourd'hui notre planète : la pollution des milieux (tout au long du cycle de vie des plastiques), le changement climatique, la perte de biodiversité. Ces trois crises sont interconnectées et c'est pour les traiter dans leur globalité que l'Assemblée des Nations Unies pour l'environnement a adopté en mars 2022 la résolution 5/14 visant à négocier un traité mondial pour mettre fin à la pollution plastique.

Selon Marie-France Dignac, ce traité ne sera efficace que s'il s'appuie sur les connaissances scientifiques indépendantes disponibles aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle une « Coalition des scientifiques pour un traité efficace sur les plastiques » s'est constituée en novembre 2022. Elle compte aujourd'hui plus de 400 membres de 64 nationalités différentes auxquels s'applique une politique très stricte en matière de conflits d'intérêts, notamment vis-à-vis des industries chimiques et pétrolières.

Plusieurs intervenants, également membres de cette coalition, ont présenté les principales recommandations de la coalition des scientifiques. L'Office en a retenu neuf qu'il compte mettre en avant auprès des négociateurs du traité.

B. LES NEUF RECOMMANDATIONS DE L'OFFICE

· Conclure un traité ambitieux et juridiquement contraignant

À l'instar des conclusions du dernier rapport de l'OCDE cité par Fabienne Lagarde et Marie-France Dignac, seul un traité ambitieux, qui ne se limite pas à améliorer la gestion des déchets mais impose des mesures sur l'ensemble du cycle de vie des plastiques aux pays du monde entier, permettra de réduire significativement la pollution plastique.

· Prévoir une diminution significative de la production et de la demande de plastiques vierges

Tout au long de l'audition publique, les intervenants ont insisté sur les corrélations entre l'augmentation de la production de plastiques vierges, l'augmentation des déchets et l'accumulation des micro et nanoplastiques dans les organismes vivants, en particulier le corps humain. Par conséquent, seules des politiques contraignantes limitant la production et la demande de plastiques vierges permettront de lutter efficacement contre la pollution plastique.

· Renforcer les capacités des gouvernements et des scientifiques

Il manque des expertises institutionnelles et des capacités techniques aussi bien publiques que privées pour analyser les substances chimiques et les polymères, ce qui amoindrit la capacité des autorités à réglementer efficacement les substances chimiques préoccupantes. Il convient donc de favoriser les échanges de connaissances au niveau mondial, d'assurer l'égalité d'accès aux capacités techniques à tous les États et aux acteurs privés ainsi que de renforcer les ressources institutionnelles afin d'assurer une gestion plus efficace des produits chimiques.

La promotion d'une expertise et d'une science indépendantes, notamment à travers des financements pérennes, est également indispensable. Le mode de financement par projet sur quelques années handicape le financement de la recherche sur le long terme, par exemple pour la mise en place et le suivi de cohortes. Il peut entraîner une perte des compétences et de connaissances lorsque le projet se termine et réduit l'efficacité de la recherche publique.

· Imposer aux industriels une plus grande transparence sur les substances chimiques en s'appuyant sur le principe « pas de données, pas de marché »

Pour deux tiers des substances chimiques, il n'existe aucune information sur leur dangerosité potentielle et pour 60 % d'entre elles, il n'y a pas d'information sur leur utilisation ou leur présence dans les matériaux et produits plastiques. Beaucoup de substances inconnues se retrouvent dans les plastiques, notamment les substances ajoutées non intentionnellement. Des informations essentielles existent peut-être, notamment auprès des industriels, mais elles ne sont pas disponibles pour le grand public et les autorités.

Faute de transparence sur la composition des plastiques et la présence de substances chimiques, les consommateurs ne peuvent disposer des informations nécessaires sur le contenu en substances chimiques des plastiques qu'ils utilisent. Ainsi, une grande partie de la population ignore la présence de bisphénol A dans les boîtes de conserve ou les canettes.

L'absence de transparence sur la composition chimique des plastiques rend le recyclage difficile et possiblement dangereux. Ainsi, des produits nocifs sont retrouvés dans les jouets fabriqués à partir des plastiques recyclés et dans les emballages alimentaires recyclés.

Pour imposer une plus grande transparence sur la composition des matériaux et des produits plastiques, les États doivent privilégier une approche commune à travers l'édiction de normes claires sur le type d'informations à récupérer auprès des parties prenantes tout au long de la chaîne de valeur. Une approche « pas de données, pas de marché » doit faciliter la diffusion d'informations essentielles pour le public.

· Réduire le nombre de substances chimiques utilisées dans les formulations de polymères

Pour être opérationnelle, une plus grande transparence sur les substances chimiques implique d'imposer une réduction du nombre des formulations et la simplification des produits chimiques entrant dans leur composition. Une telle mesure facilitera également le contrôle par les administrations du respect de la réglementation sur les substances chimiques en limitant le nombre d'analyses à réaliser.

· Améliorer l'efficacité de la réglementation des substances chimiques à travers une approche par groupes de substances chimiques et basée sur leur dangerosité

L'analyse des 16 000 substances chimiques utilisées pour la fabrication des matériaux et des produits plastiques est particulièrement coûteuse et chronophage et exige de disposer de données précises à la fois sur la dangerosité de chaque plastique et de chaque substance chimique qui y est liée, mais également sur l'exposition auxdits plastiques. En réalité, compte tenu de la multiplicité des substances, générer et évaluer ces données n'est pas envisageable.

De plus, les êtres humains étant exposés à de nombreuses substances chimiques liées aux plastiques, l'évaluation de l'exposition pour tous les scénarios afin de déterminer le risque couru introduirait une complexité insurmontable et risquerait de créer des incertitudes au niveau scientifique.

C'est la raison pour laquelle l'Office propose une approche basée sur la dangerosité et non sur le risque afin d'identifier plus rapidement et efficacement les substances préoccupantes qui exigent la prise de mesures.

Il conviendrait d'établir des critères de dangerosité pour identifier les substances chimiques préoccupantes en adoptant les quatre critères retenus pour l'élaboration de la base de données PlastChem, à savoir la persistance, la bioaccumulation, la mobilité et la toxicité.

Les 10 000 produits chimiques pour lesquels il n'existe pas de données doivent être évalués et réglementés en priorité.

Afin de faciliter la tâche des experts et des décideurs politiques, l'Office soutient une approche par groupes de substances chimiques en partant du principe que les produits chimiques ayant des structures chimiques similaires causent des effets identiques. 15 groupes prioritaires de substances chimiques ont ainsi été identifiés comprenant les bisphénols, les phtalates, les PFAS, etc.

· Développer des analyses de cycle de vie plus complètes pour mieux évaluer les externalités négatives liées à la production et à l'usage des plastiques

Les matières plastiques sont aujourd'hui omniprésentes non seulement parce qu'elles offrent une polyvalence et une flexibilité difficiles à égaler, mais également parce qu'elles constituent une matière première très bon marché.

Néanmoins, le prix du plastique ne tient pas compte du coût lié à l'impact de sa production et de son usage sur l'environnement et sur la santé humaine, qui est externalisé vers la population et les pouvoirs publics.

L'Office encourage le développement d'analyses de cycle de vie plus complètes permettant de tenir compte des externalités négatives liées à la production et à l'usage des plastiques pour définir leur prix réel.

· Définir des critères pour faciliter l'élimination des plastiques non essentiels

Le traité doit définir d'une part, un certain nombre de critères pour aider à l'élimination des plastiques non essentiels, d'autre part, un principe d'utilisation essentielle pour autoriser pendant une durée limitée des plastiques qui peuvent être jugés dangereux, non soutenables ou non durables, mais à l'heure actuelle essentiels pour la société ou la santé.

· Limiter les pertes de plastiques dans l'environnement

L'amélioration de la gestion des déchets dans tous les pays, notamment dans les pays en développement, ne pourra pas à elle seule mettre fin à la pollution plastique. D'une part, la proportion des déchets mal gérés ne pourra jamais être réduite à zéro, même dans les économies les plus avancées. D'autre part, le relargage des plastiques dans l'environnement physique et vivant a lieu tout au long de leur cycle de vie et ne concerne pas uniquement leur fin de vie, comme l'illustrent les pertes de granulés industriels lors de leurs production, transport et utilisation.

Néanmoins, l'amélioration de la gestion des déchets au niveau mondial est indispensable pour limiter les pertes de plastiques dans l'environnement.

En 2019, 22 % des déchets plastiques (soit 79 millions de tonnes) étaient mal gérés, c'est-à-dire ni recyclés, ni mis en décharge, ni incinérés. Selon une étude de l'OCDE, si les pratiques actuelles en matière de gestion des déchets ne s'améliorent pas, la quantité de déchets plastiques mal gérés devrait atteindre près de 270 millions de tonnes à l'horizon 2060, les déchets augmentant davantage dans les pays ayant des systèmes de gestion des déchets moins développés. Cela met en évidence la nécessité de partager les bonnes pratiques et les technologies existantes afin d'aider techniquement et financièrement les pays en développement à améliorer leurs systèmes de gestion des déchets pour pouvoir faire face à leur augmentation.

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