III. POUR UNE NOUVELLE ÉTAPE DANS LA GOUVERNANCE DES POLITIQUES PUBLIQUES DE SOUTIEN À LA CRÉATION : MIEUX COOPÉRER ET CO-CONSTRUIRE À L'ÉCHELLE DES TERRITOIRES
A. UN CADRE DE GOUVERNANCE PRÉCISÉ PAR LA LOI LCAP, MAIS PEU OPÉRANT DANS LA PRATIQUE
1. La compétence partagée en matière culturelle confortée par la loi LCAP
Les politiques culturelles constituent, en application des lois de décentralisation successives, une compétence partagée entre l'État et les collectivités territoriales, confirmée par la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite « NOTRe ».
En rappelant, dans son article 3, les fondamentaux de l'action publique de l'État en matière culturelle, tout en affirmant avec volontarisme le partenariat avec les collectivités territoriales, la loi LCAP s'inscrit dans la continuité de la loi NOTRe et conforte le cadre de gouvernance fondé sur cette compétence partagée.
Parfois remise en question au profit d'une organisation qui reposerait sur un « chef de filât », comme l'a récemment proposé le rapport Woerth8(*), la compétence partagée en matière culturelle est un principe qui, aux yeux des rapporteures, continue de faire sens, mais qui nécessite une coopération exigeante entre les collectivités publiques.
Comparativement à une répartition obligatoire des compétences entre les différents échelons territoriaux, la compétence partagée présente en effet plusieurs avantages :
- elle garantit aux élus locaux, de tous niveaux de collectivités, une marge d'intervention - qui est fonction de leur degré de volonté politique - et une souplesse d'organisation permettant d'adapter l'action culturelle aux spécificités de chaque territoire ;
- elle diminue le risque lié au désengagement d'une collectivité du champ culturel - par manque de moyens financiers ou par défaut de volonté politique -, en permettant aux autres échelons territoriaux de prendre le relais ;
- elle incite aux partenariats de projets et aux financements croisés, contribuant ainsi au dynamisme de la vie culturelle locale.
En autorisant tous les échelons territoriaux à intervenir en matière culturelle, la compétence partagée peut toutefois se traduire par un manque de lisibilité et de cohérence dans l'action publique, constat qui rend nécessaire un dialogue approfondi entre les collectivités territoriales et l'État.
2. L'échec des conférences territoriales de l'action publique consacrées à la culture
L'article 4 de la loi LCAP prévoit que la coopération entre collectivités publiques en matière culturelle se déroule au sein d'une nouvelle enceinte, les conférences territoriales de l'action publique (CTAP) dédiées à la culture.
Force est cependant aujourd'hui de constater que, dans la plupart des régions, les CTAP « culture » sont inopérantes si ce n'est inexistantes. Elles n'ont jamais réellement trouvé leur place dans le paysage régional, sauf en Normandie et en Bretagne. Le rapport de Boris Ravignon, publié en mai dernier, sur les coûts des normes et de l'enchevêtrement des compétences entre l'État et les collectivités9(*), résume ainsi la situation : « Les CTAP apparaissent aujourd'hui majoritairement désactivées et perçues par la majorité des acteurs rencontrés comme des "coquilles vides" ».
De leurs échanges avec les représentants des collectivités territoriales, les rapporteures dressent le même constat d'échec : quand les CTAP existent et se réunissent, elles s'apparentent à des « grand-messes » composées d'une centaine de membres, où les prises de parole se succèdent de manière uniquement formelle. Les métropoles et les départements y jugent leur représentativité inadéquate, tandis que les collectivités de petite taille ne s'y estiment pas suffisamment représentées. Certaines collectivités sont en outre extrêmement réticentes à l'idée d'un pilotage de cette instance par les conseils régionaux.
D'autres enceintes de dialogue entre les collectivités territoriales et l'État, associant aussi les professionnels de la culture, se sont mises en place ces dernières années et se révèlent plus efficaces, comme les conseils locaux des territoires pour la culture (CLTC) ou les comités régionaux pour le spectacle (Coreps). Les Coreps ont fait tout particulièrement leurs preuves depuis la crise sanitaire, notamment sur des sujets liés à l'emploi. L'intégration progressive des collectivités territoriales en leur sein est un signal positif des échanges entre professionnels de la culture et élus, quand bien même toutes les disciplines artistiques ne sont pas couvertes et que les acteurs mobilisés ne sont pas représentatifs de l'exhaustivité artistique et culturelle d'un territoire donné.
* 8 Dans son rapport intitulé « Décentralisation : le temps de la confiance », remis au Président de la République le 30 mai 2024, Éric Woerth propose de confier au bloc communal le rôle de chef de file, arguant de « la proximité des associations, des publics ou des établissements » avec lesquels s'exerce la compétence « culture ». Il recommande également que l'échelon départemental prenne en charge « l'ensemble des équipements culturels des régions, ainsi que les musées encore sous responsabilité du ministère de la culture ». La région, quant à elle, « conserverait sa capacité à financer ponctuellement des projets artistiques (festivals, spectacles, tournages etc.) et pourrait participer aux syndicats mixtes à vocation culturelle (orchestres régionaux, opéras régionaux, etc.) ou encore au cofinancement des grands domaines patrimoniaux ».
* 9 « Coûts des normes et de l'enchevêtrement des compétences entre l'État et les collectivités : évaluation, constats et propositions », Boris Ravignon, mai 2024.