VI. DES SUJETS SPÉCIFIQUES QUI APPELLENT UNE ÉVOLUTION LÉGISLATIVE ET/OU RÉGLEMENTAIRE
A. RÉOUVRIR LE DOSSIER DE LA PRATIQUE ARTISTIQUE EN AMATEUR
Fruit d'une longue phase de concertation avec les partenaires sociaux du spectacle et les associations d'artistes amateurs, complétée sur plusieurs points au cours du débat parlementaire, l'article 32 de la loi LCAP offre un cadre sécurisé aux quelque 12 millions de personnes qui, en France, pratiquent en amateur une discipline artistique.
La loi LCAP donne une définition légale des artistes amateurs19(*), afin de les distinguer clairement des artistes professionnels salariés ; elle sécurise les spectacles réalisés à l'initiative des amateurs sans que leur activité ne soit considérée comme lucrative ; elle permet de valoriser la pratique artistique amateur dans un cadre professionnel sans porter atteinte à la présomption de salariat des artistes, telle que définie par le code du travail.
Si ce cadre législatif est unanimement considéré comme une avancée, tel n'est pas le cas de sa déclinaison réglementaire dont plusieurs professionnels critiquent le manque de clarté et de précision, ainsi que l'articulation toujours non satisfaisante entre pratique professionnelle et pratique amateur.
C'est pourquoi les rapporteures souhaitent que le ministère de la culture réouvre ce chantier dans le but d'améliorer les textes réglementaires issus de la loi LCAP.
Recommandation n° 23 : Réouvrir le dossier de la pratique artistique en amateur, afin de combler les failles du cadre réglementaire actuel.
B. PLUSIEURS PROBLÉMATIQUES À TRAITER DANS LE SECTEUR DE LA MUSIQUE
1. Améliorer l'observation économique de la filière musicale
Partant du constat d'un déficit de données économiques sur la filière musicale, préjudiciable tant aux pouvoirs publics qu'aux professionnels, l'article 12 de la loi LCAP crée un observatoire de l'économie de la musique, dans le but d'assurer une meilleure connaissance économique du secteur et une plus grande transparence entre les acteurs. Cette nouvelle structure a d'abord été rattachée au Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV), puis intégrée au Centre national de la musique (CNM) lors de la fusion du CNV et de quatre associations au sein du nouvel opérateur public national en 2020.
Pour accomplir cette mission d'observation de la filière musicale, le CNM s'est doté d'une direction des études et de la prospective qui produit chaque année des études thématiques, des baromètres et, plus ponctuellement, des études en réponse à des demandes spécifiques du ministère de la culture. Le choix, la réalisation et la publication de ces études reposent, comme les autres activités du CNM, sur une démarche de concertation avec les représentants de la filière.
Certains professionnels du secteur musical ont dressé aux rapporteures un bilan plutôt décevant de cette mission d'observation, pointant une réactivité assez faible, une insuffisance de moyens et un manque toujours persistant de données nationales agrégées.
Si le CNM reconnaît que les ressources humaines dont il dispose pour mener cette mission d'observation sont limitées, il insiste aussi sur ses difficultés à accéder à certaines données pour l'accomplir de manière satisfaisante. En effet, les textes constitutifs du CNM ne mentionnent pas les moyens qu'il peut utiliser pour collecter les informations nécessaires auprès de l'ensemble du secteur musical. Il existe ainsi des cas, concernant essentiellement les acteurs privés du secteur, où les outils juridiques à disposition de l'opérateur font défaut.
Recommandation n° 24 : Favoriser l'accès du Centre national de la musique aux données nécessaires à l'exercice de sa mission d'observation du secteur de la musique.
2. Réfléchir à une évolution du périmètre d'intervention du médiateur de la musique
Institué par l'article 14 de la loi LCAP, le médiateur de la musique a pour mission principale de favoriser toute solution de conciliation concernant les différends relatifs à l'exécution ou à l'interprétation des accords et engagements contractuels pris entre les différentes catégories d'acteurs de la filière musicale.
Compétent en matière de droits voisins, le médiateur n'est, en revanche, pas habilité à intervenir en matière de droits d'auteur (les auteurs, les éditeurs ou encore la SACEM ne peuvent le saisir), ni sur des litiges relatifs à l'application de la convention collective de l'édition phonographique (qui dispose de sa propre commission de conciliation).
Ce champ d'intervention restreint explique sans doute le faible nombre de dossiers dont le médiateur a eu à traiter depuis sa création.
Recommandation n° 25 : Ouvrir une concertation avec les professionnels de la filière musicale sur l'évolution du périmètre d'intervention du médiateur de la musique.
3. Clarifier les règles relatives aux quotas francophones à la radio
Afin d'encourager la production et la diffusion de la création francophone, l'article 35 de la loi LCAP renforce, à destination des radios privées, les obligations minimales en matière de diffusion de chansons d'expression française. Auparavant, chaque diffusion d'un titre francophone, y compris lorsqu'il s'agissait du même titre, était comptabilisée dans le calcul du régime général de 40 % au moins de titres francophones. Désormais, si les dix titres francophones les plus diffusés représentent plus de 50 % de la programmation d'une radio, les diffusions intervenant au-delà de ce seuil ne sont plus prises en compte pour établir son taux de diffusion francophone.
Cette règle, dont le contrôle est assuré par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), s'avère plutôt bien respectée par la plupart des radios privées, certaines jouant toutefois plus le jeu que d'autres.
S'agissant des effets de cette mesure en termes d'exposition des titres francophones à la radio, l'on constate que la présence de titres francophones classés dans le top 100 annuel a sensiblement progressé depuis sa mise en oeuvre : plus de 40 % des titres présents dans les tops 100 annuels sont désormais des chansons d'expression francophone contre un tiers seulement en 2015. En outre, le nombre de nouveautés francophones diffusées sur les 34 principales radios a progressé de 61 % entre 2015 et 2023. Une hausse de même ampleur est observable concernant le nombre total d'artistes francophones différents diffusés à la radio.
Le dispositif issu de la loi LCAP fait donc ses preuves en termes de diversité de la programmation et de soutien à la création francophones.
Cependant, deux effets pervers découlant du régime actuel ont été portés à la connaissance des rapporteures par la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem). Le premier concerne la définition des « nouveaux talents ». Celle en vigueur prend en compte les artistes n'ayant pas obtenu deux disques d'or depuis le début de leur carrière, ce qui signifie concrètement qu'un artiste peut être considéré comme un nouveau talent toute sa carrière, situation qui crée des « effets de bord » au détriment des artistes réellement débutants. La définition actuelle fait également entrer automatiquement dans la catégorie « nouveau talent » les duos d'artistes, même si ceux-ci sont confirmés.
Le deuxième effet pervers est lié à la définition des « titres chantés ». Entre actuellement dans cette catégorie « tout titre dont la moitié de la durée est composée de textes », ce qui permet de considérer des oeuvres chantées à 49 % comme des versions instrumentales, lesquelles ne sont pas comprises dans le calcul des quotas. En pratique, cette définition permet donc à certaines radios de minorer la part de chansons francophones dans leur programmation.
Estimant que ces incohérences nécessitent d'être corrigées, les rapporteures appellent l'Arcom à mener un travail de concertation avec les professionnels du secteur pour clarifier le régime des quotas radiophoniques francophones. À défaut d'avancée de ce dossier, le législateur prendra ses responsabilités pour procéder lui-même aux changements nécessaires.
Recommandation n° 26 : Appeler l'Arcom à mener un travail de concertation avec les professionnels concernés pour clarifier le régime des quotas radiophoniques francophones, en particulier pour corriger les incohérences liées aux définitions actuelles des « nouveaux talents » et des « titres chantés ».
4. Ouvrir le chantier de la protection juridique des producteurs de spectacles
En l'état actuel du droit, les producteurs de spectacles sont les seuls professionnels artistiques à ne pas bénéficier d'un droit de propriété intellectuelle, le législateur considérant jusqu'à présent qu'une telle protection n'était pas nécessaire. Les récentes évolutions technologiques rendent toutefois ce constat de moins en moins vrai : avec l'apparition et la popularisation des smartphones - qui permettent des captations de plus en plus faciles et de très bonne qualité - et l'essor des plateformes en ligne, les captations de spectacles, en totalité ou par extraits, se multiplient. Or le producteur de spectacle n'est aujourd'hui pas en mesure d'autoriser ou d'interdire une captation du spectacle qu'il produit, ni de maîtriser les diverses exploitations qui peuvent en être faites sur les réseaux. Il ne perçoit, en outre, contrairement aux plateformes en ligne, aucune rémunération sur les rentrées publicitaires générées par l'audience de ces vidéos.
Dans la mesure où l'essor de l'intelligence artificielle (IA), qui ouvre très largement les possibilités d'interactivité, d'effets sonores et visuels, de réalité augmentée et virtuelle, rend ces difficultés de plus en plus prégnantes, les rapporteures considèrent qu'il est temps d'ouvrir, dans un cadre concerté, le chantier de la protection juridique du producteur de spectacles.
Recommandation n° 27 : Ouvrir, dans un cadre concerté, le chantier de la protection juridique des producteurs de spectacles.
* 19 Définis comme ceux qui exercent une activité artistique exclusivement à titre de loisir, et sans en tirer aucune rémunération.