V. L'URGENCE D'UN RÉENGAGEMENT PUBLIC EN FAVEUR DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ARTISTIQUE
A. DES ÉCOLES SUPÉRIEURES D'ART CONFORTÉES PAR LA LOI LCAP, MAIS ENCORE TRÈS FRAGILES
1. Les avancées permises par la loi LCAP
La loi LCAP, en son article 53, inscrit les formations d'enseignement supérieur en art dans le système européen licence-master-doctorat (LMD), ouvrant la voie à une structuration de l'offre de formations diplômantes à travers une procédure d'accréditation. En 2018, l'ensemble des établissements de la création artistique, comprenant 10 écoles nationales et 33 écoles territoriales, a ainsi été accrédité. Cette accréditation, renouvelée périodiquement en fonction de la « vague » à laquelle les établissements appartiennent, garantit la qualité de la formation. Elle fait l'objet d'une présentation pour avis au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) et/ou au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche artistiques et culturels (Cneserac).
Accomplissant des missions de formation initiale et continue, ainsi que de recherche, reconnues par la loi LCAP, les écoles d'art peuvent désormais intégrer des projets d'université ou d'établissement expérimentaux.
La loi LCAP permet également, en application de son article 51, de délivrer un agrément aux établissements publics assurant une préparation à l'entrée dans les établissements d'enseignement supérieur de la création artistique. L'objectif de cette mesure est de renforcer la diversification des profils des étudiants accédant aux écoles supérieures publiques de la création et de constituer une offre d'enseignement public concurrente des classes préparatoires privées aux cursus très coûteux. En 2023, une mission du ministère de la culture a dressé un premier bilan de la mise en place de ces classes préparatoires. Celui-ci conclut notamment à la nécessité de réviser les critères d'agrément de ces classes, afin de permettre l'obtention par leurs étudiants de crédits ECTS (système européen de transfert et d'accumulation de crédits) correspondant à une première année d'université.
2. La persistance de problèmes structurels
De leurs échanges avec les représentants des écoles supérieures d'art, les rapporteures retiennent plusieurs difficultés que la loi LCAP n'a pas permis de régler :
- de manière générale, les écoles d'art peinent à s'inscrire pleinement dans le troisième cycle de doctorat, les universités disposant d'un monopole en la matière. Dans certains territoires, le système fonctionne bien car des accords ont été conclus entre les écoles d'art et les écoles doctorales, mais tel n'est pas le cas partout ;
- le statut des enseignants des écoles d'art continue d'être un sujet bloquant, tandis que le recours aux personnels contractuels est de plus en plus fréquent ;
Les enseignants des écoles nationales sont des « professeurs d'école nationale supérieure d'art » (PEN), tandis que ceux des écoles territoriales sont des « professeurs d'enseignement artistique » (PEA). Bien que leurs missions soient similaires, leurs statuts sont différents. Une mission interministérielle, confiée à l'inspection générale de l'administration (IGA), à l'inspection générale de l'action culturelle (IGAC) et à l'inspection générale de l'enseignement supérieur et de la recherche (IGESR), a été diligentée en février 2022, conduisant à trois scénarios :
- la création d'un 3ème grade au sein du cadre d'emploi des PEA ;
- la création d'un corps unique de professeurs d'enseignement supérieur artistique géré par le ministère de la culture, ce qui entrainerait, de fait, l'intégration des PEA dans le corps des PEN ;
- la création d'un corps unique de professeurs d'enseignement supérieur artistique géré par le ministère de la culture, ce qui entrainerait, de fait, l'intégration des PEA dans le corps des PEN ;
- la création d'un cadre d'emplois spécifique aligné sur le statut des PEN pour les PEA exerçant des responsabilités d'enseignement supérieur.
- la création d'un cadre d'emplois spécifique aligné sur le statut des PEN pour les PEA exerçant des responsabilités d'enseignement supérieur.
Ce dernier scénario est privilégié, mais il représente un surcoût de mise en oeuvre estimé à 1,2 M€. Interrogé par les rapporteures, le ministère de la culture dit « être disposé à prendre sa part dans le financement de ce nouveau statut » (une demande de crédits nouveaux a été formulée en ce sens dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025), qui permettrait d'assurer une plus grande fluidité au sein du corps enseignant entre les écoles nationales et les écoles territoriales, ainsi que de développer la recherche dans les écoles territoriales.
Sur demande de la ministre de la culture, la DGCA a pris l'attache de la direction générale des collectivités locales (DGCL), afin de déterminer dans quel calendrier et selon quelles modalités cette évolution statutaire pourrait intervenir, en saisissant le conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) des conclusions de la mission interministérielle, ou pour réfléchir à d'autres modalités permettant de faire avancer ce dossier.
- en dépit de l'agrément délivré aux établissements publics préparant à l'entrée aux écoles supérieures d'art, la concurrence des classes préparatoires privées est de plus en plus offensive, mettant à mal l'objectif de la loi LCAP de constituer une offre publique suffisamment forte ;
- alors que la loi LCAP désigne la région comme échelon compétent pour organiser l'enseignement artistique à travers la possibilité pour celle-ci d'adopter un schéma régional de développement des enseignements artistiques, dans les faits, l'implication des régions est très variable, ce qui pose un problème d'équité territoriale. La région Normandie est l'une des seules à avoir fait preuve d'un fort volontarisme sur ce sujet : elle a adopté un schéma régional de développement des enseignements artistiques ambitieux, mais elle s'est finalement vu opposer un refus de transfert de crédits de la part du ministère de la culture ;
- les écoles d'art, en particulier les écoles territoriales, continuent d'être en grande difficulté financière, ce qui a conduit le ministère à annoncer en début d'année « un plan global de réforme », sans que le contenu de celui-ci ne soit précisé. Les rapporteures ont donc interrogé la DGCA sur ce dossier, qui lui a transmis les éléments ci-après :
En 2023, le ministère a attribué aux établissements d'enseignement supérieur d'art territoriaux une aide exceptionnelle de 2 M€. Ces écoles territoriales étant financées pour près de 90 % de leur budget par leurs communes et intercommunalités de rattachement, elles ne sont subventionnées qu'à titre complémentaire par le ministère de la culture.
C'est la raison pour laquelle un fonds de soutien partenarial va être mis en place par le ministère de la culture, dans l'objectif d'un rebasage pérenne de sa subvention. Il a ainsi été demandé à l'IGAC et à la DGCA de réaliser une mission de diagnostic, en charge des travaux préparatoires suivants :
- l'objectivation de la situation financière de chaque établissement, quel que soit son statut (établissement public de coopération culturelle (EPCC) pour la plupart, régie directe de collectivité ou association pour d'autres) ;
- la priorisation des besoins de financement complémentaire, dans l'attente de la détermination de l'engagement de l'État à l'issue de la préparation du budget 2025 et de l'identification par les collectivités territoriales partenaires des engagements financiers envisageables de leur côté ;
- l'identification des principaux axes en vue de la future convention pluriannuelle d'objectifs et de moyens (CPOM) de chaque établissement, en lien avec la DRAC et les collectivités concernées.
Cette mission de diagnostic doit se dérouler jusqu'à fin octobre 2024.
- enfin, les étudiants boursiers des écoles d'art territoriales ne sont toujours pas être exonérés des frais d'inscription, alors que les boursiers de l'enseignement supérieur public le sont : cette inégalité de traitement entre étudiants est, pour les rapporteures, injustifiable16(*).
Au vu de cet état des lieux inquiétant, elles formulent les recommandations suivantes :
Recommandation n° 17 : Inciter les universités et les écoles publiques d'art à nouer des partenariats en matière de troisième cycle doctoral.
Recommandation n° 18 : Rendre compte aux commissions parlementaires compétentes des conclusions de la mission de diagnostic sur la situation des écoles d'art territoriales.
Recommandation n° 19 : Revaloriser le statut de professeur d'enseignement artistique, condition indispensable à une meilleure attractivité de ce métier.
Recommandation n° 20 : Réaffirmer la compétence et la responsabilité des régions en matière de développement et de structuration de l'enseignement supérieur artistique, moyennant le transfert concomitant et intégral des crédits correspondants.
Concernant les écoles d'architecture, dont la loi LCAP reconnaît à la fois leur mission d'enseignement supérieur et leur mission de recherche, les rapporteures ont été alertées par leur défaut d'intégration dans l'écosystème de l'enseignement supérieur et de la recherche et, plus globalement, par l'insuffisante mise à profit de la tutelle exercée par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.
C'est pourquoi les rapporteures formulent la recommandation suivante :
Recommandation n° 21 : Rééquilibrer la double tutelle ministérielle (ministère de la culture/ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche) exercée sur les écoles supérieures d'architecture, afin que ces écoles soient mieux prises en compte dans l'écosystème de l'enseignement supérieur et de la recherche.
* 16 Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, le Sénat avait adopté un amendement déposé par Sylvie Robert visant à permettre aux écoles d'art territoriales d'appliquer aux étudiants boursiers le même niveau d'exonération que dans les écoles nationales, moyennant une compensation financière. Cette disposition, qui avait reçu un avis défavorable du Gouvernement, n'avait toutefois pas été maintenue dans la version finale du projet de loi de finances.