AVANT-PROPOS
La loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, dite « loi LCAP », est le fruit de travaux parlementaires très approfondis et constructifs - le texte a fait l'objet de deux lectures dans chaque assemblée -, ainsi que l'aboutissement d'un long processus de concertation avec les professionnels de la culture.
Huit ans après son adoption, la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport a souhaité évaluer la mise en oeuvre de son volet consacré à la création artistique, secteur ayant subi de plein fouet les crises successives de ces dernières années, confronté aux enjeux majeurs de la transformation des pratiques culturelles liée à l'essor du numérique et de la transition écologique, et dont le modèle économique est très fragilisé par la dégradation des finances publiques.
Sur proposition de ses rapporteures, Else Joseph (Les Républicains, Ardennes), Monique de Marco (Écologiste - Solidarité et Territoires, Gironde) et Sylvie Robert (Socialiste, Écologiste et Républicain, Ille-et-Vilaine), la commission formule vingt-huit recommandations visant, d'une part, à améliorer et mieux appliquer la loi LCAP, d'autre part, à contribuer à une prise de conscience générale sur la nécessité de replacer la création artistique au coeur des politiques publiques culturelles.
I. UN CONSTAT GLOBAL : UNE LOI STRUCTURANTE ET PORTEUSE D'AVANCÉES POUR LE SECTEUR DE LA CRÉATION
Composé de 54 articles, le volet « création » de la loi LCAP ambitionne, entre autres, de protéger la création et la diffusion artistiques, d'encourager la production artistique dans sa diversité, de définir le cadre de la politique de service public de soutien à la création artistique, de conforter les structures culturelles conventionnées ou labellisées, de structurer l'enseignement supérieur artistique. Sur certains de ces sujets, le texte fait évoluer le droit existant, sur d'autres, il donne un cadre légal qui n'existait pas encore.
Pour nombre d'acteurs du secteur, la loi LCAP est jugée structurante, s'apparentant même aux yeux de certains à « une boussole » utilisée quotidiennement.
La loi LCAP consacre tout d'abord, dans ses articles 1 et 2, les principes de liberté de création et de diffusion artistiques, qui tirent leur force du principe constitutionnel de liberté d'expression et qui n'avaient encore jamais été formellement consacrés en tant que tels dans le droit français. Cette reconnaissance législative est apparue essentielle à l'heure où l'environnement de la création et de la diffusion artistiques connaît de profondes mutations et fait parfois l'objet de remises en cause, pouvant affecter les choix artistiques des créateurs, des programmateurs ou des diffuseurs. Essentielles au bon fonctionnement d'une société démocratique, la création et la diffusion artistiques doivent être protégées des décisions de pure opportunité politique et/ou économique qui risqueraient de limiter la diversité des points de vue artistiques et, ce faisant, l'offre culturelle proposée aux citoyens. La loi LCAP en garantit donc les principes et assortit les atteintes qui leur sont portées à des sanctions pénales.
La loi LCAP lie ensuite, dans son article 3, la responsabilité conjointe de l'État et des collectivités territoriales en matière culturelle au respect des droits culturels, notion reconnue pour la première fois par le législateur dans la loi NOTRe du 7 août 20153(*). Cette réaffirmation des droits culturels prolonge l'idée que chacun doit pouvoir être libre de s'exprimer sous quelque forme artistique que ce soit et libre de choisir ses pratiques culturelles. Faisant désormais partie intégrante de la législation, les droits culturels forment la colonne vertébrale autour de laquelle doivent s'articuler les politiques publiques culturelles aussi bien au niveau national que territorial.
Au même article 3, la loi LCAP fixe pour la première fois les objectifs de « la politique de service public » en faveur de la création artistique, responsabilité partagée entre l'État et les collectivités territoriales. Parmi ses principales missions, figurent notamment l'aide à la création et aux artistes, l'accès de tous les publics à la création, l'égalité femme-homme, l'amélioration des conditions et des outils du développement artistique sur l'ensemble du territoire, la mise en oeuvre des actions d'éducation artistique et culturelle, la formation des professionnels de l'art, la pérennisation de l'emploi et de l'activité professionnelle artistique...
La loi LCAP donne également, à l'article 5, une existence juridique harmonisée à la politique de labellisation et de conventionnement, précisant les procédures de recrutement des dirigeants des structures concernées et affirmant l'existence de cahiers des missions et des charges. Cette disposition est particulièrement importante, dans la mesure où les labels et les conventions constituent aujourd'hui le coeur de la politique culturelle de l'État sur l'ensemble du territoire national et l'un des outils essentiels de coopération entre celui-ci et les collectivités territoriales.
Dans une même logique de structuration du paysage de la création, la loi LCAP :
- confère une base légale aux fonds régionaux d'art contemporain (FRAC) ;
- encadre la pratique artistique en amateur ;
- apporte une reconnaissance légale à certaines professions artistiques (marionnettiste, artiste de cirque, chorégraphe...) ;
- améliore la transparence dans les relations entre artistes interprètes et producteurs ;
- clarifie les liens entre producteurs et diffuseurs.
Enfin, la loi LCAP comporte plusieurs mesures visant à mieux organiser l'enseignement artistique, comme :
- l'harmonisation des modalités d'organisation de l'enseignement supérieur artistique à travers un nouveau système d'accréditation des établissements ;
- l'affirmation de la mission de formation et de recherche des écoles nationales supérieures d'architecture (Ensa) ;
- la reconnaissance du statut d'étudiant aux élèves des classes préparant à l'entrée dans les établissements d'enseignement supérieur artistique ;
- la clarification du cadre d'intervention des collectivités publiques en faveur des conservatoires.
À la lumière de ces dispositions, qui ne représentent pas à elles seules l'intégralité du volet « création », la loi LCAP apparaît comme un socle normatif fondateur pour un secteur qui pâtissait jusqu'alors d'un certain flou juridique. Les rapporteures notent d'ailleurs que la plupart des professionnels qu'elles ont auditionnés saluent les clarifications et les avancées dont ce texte est porteur.
Leur mission de contrôle révèle toutefois que la loi LCAP connaît, à l'épreuve de sa mise en oeuvre, des vicissitudes.
* 3 Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.