II. LA RECEVABILITÉ ORGANIQUE
Comme exposé précédemment, la recevabilité des amendements s'examine également au regard des dispositions de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). Ainsi, les amendements aux projets de loi de finances doivent respecter le domaine et la structure de ces textes.
Peu d'amendements du champ « social » relèvent du domaine exclusif ou même du domaine partagé des lois de finances : les cavaliers budgétaires sont fréquents dans ce domaine. Dès 1976, le Conseil constitutionnel a censuré une disposition d'une loi de finances rectificative relative à la couverture financière du nouveau régime de sécurité sociale des artistes, au motif que cette dernière n'avait pas sa place en loi de finances295(*).
En outre, les administrations de sécurité sociale présentent la spécificité d'avoir leurs propres lois de financement. Au-delà des domaines et de la bipartition des lois de finances, il convient donc de veiller également au respect du domaine exclusif des lois de financement de la sécurité sociale. Il convient de noter qu'au Sénat, le contrôle de la recevabilité des amendements déposés au stade de la séance publique au regard des dispositions organiques du code la sécurité sociale est une compétence du président de la commission des affaires sociales.
A. LES AMENDEMENTS « SOCIAUX » POUVANT FIGURER EN LOI DE FINANCES
1. Sur le volet « recettes »
Conformément à l'article 34 de la LOLF, la première partie de la loi de finances de l'année peut comporter des « dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature affectées à une autre personne morale que l'État ».
Sont donc recevables en première partie des amendements qui modifient le taux ou l'assiette d'une imposition de toute nature affectée partiellement ou en totalité à la sécurité sociale - telle que la contribution sociale généralisée (CSG). Toutefois, ces amendements ne peuvent pas avoir pour effet de modifier les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale - de tels dispositifs relevant du domaine exclusif des lois de financement de la sécurité sociale (cf. infra).
Ont dès lors été admis des amendements prolongeant ou élargissant le nombre de bénéficiaires de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat versée par les employeurs à leurs salariés, cette prime étant exonérée de tout impôt sur le revenu et de toutes cotisations ou contributions sociales. De même, un amendement gagé, déposé en première partie du projet de loi de finances pour 2024 et prévoyant d'étendre aux fonds de dotation un abattement de taxe sur les salaires a été déclaré recevable, quand bien même son produit est entièrement affecté à la sécurité sociale296(*).
La taxe sur les salaires : loi de finances
ou loi de financement de la sécurité
sociale ?
Dans sa décision du 21 décembre 2023 relative à la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2024297(*), le Conseil constitutionnel a estimé que ne relevait pas du domaine des LFSS une disposition prévoyant d'exonérer de taxe sur les salaires certaines rémunérations versées par un employeur membre d'un assujetti unique. Cette disposition visait à tirer les conséquences de la création du « groupe TVA »298(*) au 1er janvier 2022.
Il est possible d'en conclure que toute disposition portant sur la taxe sur les salaires ne relève pas automatiquement du domaine des lois de financement de la sécurité sociale. En l'espèce, la commission des affaires sociales du Sénat avait bien indiqué que, selon l'administration fiscale, la disposition serait sans incidence sur les recettes des caisses percevant la taxe sur les salaires. En revanche, dans la même décision, le Conseil constitutionnel n'a pas censuré la disposition prévoyant d'étendre l'exonération de taxe sur les salaires aux établissements publics de coopération environnementale. L'appartenance au domaine des LFSS se justifierait donc par l'effet de la mesure sur les recettes de la sécurité sociale.
Toutefois, le fait que certaines dispositions relatives à la taxe sur les salaires puissent figurer dans une LFSS n'empêchent pas qu'elles figurent également dans une loi de finances. Plusieurs dispositions inscrites en loi de finances sont ainsi venues modifier les paramètres de la taxe sur les salaires. Cela s'explique par le fait que cette dernière est considérée comme une imposition de toute nature299(*).
Cette caractérisation a une autre conséquence : depuis l'adoption de la nouvelle loi organique relative aux LFSS300(*), l'article L.O. 111-3-16 du code de la sécurité sociale dispose que seules les LFSS peuvent créer ou modifier des mesures de réduction ou d'exonération de cotisations ou de contributions affectées aux régimes obligatoires de base de la sécurité sociale. La taxe sur les salaires est donc exclue de l'application de cette disposition, s'agissant d'une imposition de toute nature.
Source : commission des finances
En revanche, ne sont pas recevables en loi de finances des dispositions qui modifieraient l'assiette ou les conditions de liquidation des cotisations sociales. Ces dernières relèvent d'une catégorie distincte des impositions de toute nature.
Il convient enfin de noter que relève du domaine exclusif et de la première partie des lois de finances l'affectation aux organismes de sécurité sociale d'une ressource établie au profit de l'État (article 2 de la LOLF). Le président de la commission des finances a donc déclaré irrecevable un amendement déposé lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 prévoyant d'affecter une fraction des recettes des droits de mutation à titre gratuit à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.
2. Sur le volet « dépenses »
Les amendements du « champ social » relevant de dépenses portées par les missions du budget de l'État doivent impérativement être déposés en lois de finances, par exemple pour modifier les crédits de fonctionnement versés par l'État aux agences régionales de santé.
A contrario, des amendements portant sur le niveau des tarifs de remboursement par l'assurance maladie constitueraient des cavaliers budgétaires301(*).
* 295 Conseil constitutionnel, décision n° 76-74 DC du 28 décembre 1976, Loi de finances rectificative pour 1976 et notamment ses articles 6, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18 et 22. Cette censure s'est exercée en application de l'article 42 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.
* 296 La taxe sur les salaires constitue en effet une imposition de toute nature. Pour davantage de détails sur ce point, se reporter au II.C de la deuxième partie.
* 297 Conseil constitutionnel, décision n° 2023-860 DC du 21 décembre 2023, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.
* 298 Ce terme désigne la possibilité, pour différentes entités étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l'organisation de devenir un assujetti unique à la TVA.
* 299 Ainsi que l'a rappelé le Conseil d'État dans sa décision n° 460386 du 13 juillet 2022.
* 300 Loi organique n° 2022-354 du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale.
* 301 Pour davantage de détails sur les cavaliers budgétaires, se reporter aux II.A et II.C de la deuxième partie.