EXAMEN EN COMMISSION

MARDI 29 OCTOBRE 2024

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M. Laurent Lafon, président. - La mission d'information sur la financiarisation du football arrive au terme de ses travaux. Je vous rappelle que, pour cette mission, la commission a été dotée de pouvoirs d'enquête pour une durée de six mois, à compter du 27 mars dernier.

Je remercie le rapporteur, Michel Savin, pour son travail, ainsi que les collègues qui ont suivi, pour certains avec assiduité, les nombreuses auditions que nous avons réalisées.

Une soixantaine d'acteurs ont été entendus : des experts, des représentants des « familles » du football, y compris les supporters, des représentants de la Fédération, de la Ligue de football professionnel (LFP) et de sa société commerciale LFP Media, des responsables politiques, des représentants de fonds d'investissement et, bien sûr, des présidents de clubs : 12 présidents de Ligue 1 et de Ligue 2, dont certains se sont manifestés spontanément auprès de nous pour être auditionnés. Tous ou presque se sont prêtés de bonne grâce à l'exercice.

Par ailleurs, le rapporteur a pleinement utilisé les pouvoirs d'enquête conférés à la commission, puisqu'il a obtenu de la LFP environ 80 documents internes.

Nous nous sommes également rendus au siège de la Ligue et de sa société commerciale, le 12 septembre dernier, dans le cadre d'un contrôle sur pièces et sur place consacré à l'évolution des moyens de ces instances et aux conséquences de l'attribution des droits audiovisuels du championnat, au cours de l'été.

Nous avions d'ailleurs reporté ce contrôle, prévu quelques jours plus tôt, afin de ne pas interférer avec le processus électoral qui a abouti, comme vous le savez, à la réélection de Vincent Labrune à la tête de la LFP le 10 septembre dernier.

La Ligue a parfaitement joué le jeu, sur ce plan, puisqu'elle nous a transmis tous les documents que nous avons demandés et s'est efforcée de répondre à toutes nos interrogations.

Le fonds d'investissement CVC, les conseils de la Ligue et bien sûr, le ministère des sports, ont également coopéré utilement avec la mission.

L'ensemble de ces travaux aboutit à un certain nombre de constats et de recommandations, que le rapporteur va vous présenter.

Des erreurs ont sans doute été commises au cours des dernières années dans la gestion du football professionnel français. Ces erreurs placent les clubs dans une situation très délicate. Les sommes réparties entre eux cette année, au titre des droits audiovisuels, diminueront de 60 % - c'est une moyenne, donc certains verront des baisses plus importantes. Parallèlement, l'accord avec CVC prend pleinement effet, conduisant à un prélèvement de 120 millions d'euros sur la saison 2024-2025.

Il ne s'agit toutefois pas, aujourd'hui, de « refaire le match » des dernières années, ce qui serait un exercice facile. Il s'agit de se demander si une certaine forme de persévérance dans l'erreur ne révèle pas, en fait, des dysfonctionnements plus profonds dans la gouvernance du football professionnel français. Tel a été, je crois, l'esprit du rapporteur !

Le Sénat est ici parfaitement dans son rôle, étant donné la subdélégation de service public dont bénéficie la Ligue et parce que nous contrôlons l'application de la loi. Il l'est également, eu égard au rôle joué par les clubs dans les territoires. Lorsqu'un club est en difficulté, les pouvoirs publics sont immédiatement sollicités. Le sujet doit donc être traité en amont.

Plusieurs propositions du rapporteur pourraient servir de base à une proposition de loi, afin de prolonger ce travail de contrôle en ouvrant la voie à des évolutions législatives - je souhaite qu'une telle proposition de loi soit transpartisane.

Je laisse maintenant la parole à Michel Savin pour vous présenter le rapport, non sans vous avoir préalablement demandé de respecter la confidentialité de ces propositions durant les 24 heures suivant l'adoption du rapport.

M. Michel Savin, rapporteur. - Merci à chacun d'entre vous pour votre participation à nos travaux et à vous, Monsieur le Président, pour votre implication. C'était important pour ce travail, on l'a vu lors des auditions : une véritable équipe était à la commande de cette mission.

Cet été, dans la négociation des droits audiovisuels, les présidents de club ont traversé une période des plus difficiles, ils sont passés de la peur de l'écran noir et d'une catastrophe économique, à la désillusion face aux résultats de l'appel d'offres validé fin juillet, où ils ont dû accepter environ 600 millions d'euros au lieu de 1,1 milliard qu'ils espéraient. Comment en est-on arrivé là ? Je commencerai par quelques constats, avant d'en venir aux recommandations.

Sur Mediapro, tout d'abord. Lors des auditions, nous sommes revenus sur la genèse de l'accord de la LFP avec le fonds d'investissement CVC. En mars 2020, le Gouvernement décide de suspendre, puis d'interrompre le championnat à cause du covid. Cette décision était sans doute prématurée, alors que tous les autres grands championnats européens ont repris ensuite. La LFP refuse alors toute négociation des droits et Mediapro est placé en octobre sous le régime de la conciliation.

Pouvait-on sauver Mediapro ? Il est permis d'en douter, tant les difficultés structurelles étaient grandes. Aucun accord n'avait été trouvé avec Canal+. La chaîne ne comptait que 530 000 abonnés. Ses demandes étaient sans commune mesure avec le préjudice subi. Et les ordonnances covid lui permettaient de neutraliser toute action en justice de la LFP.

La Ligue avait précédemment sélectionné un diffuseur à la réputation discutable, sans garantie opérationnelle et adossé à un actionnaire chinois aux intentions floues. Elle a fait les frais de ce choix en 2020.

Amazon, ensuite. Alors qu'un rapprochement était possible avec Canal+ début 2021, ce n'est pas la voie qui a été suivie. Les dirigeants de clubs ont préféré parier sur le géant de l'internet - et diviser au passage les audiences du championnat par cinq. Le choix d'Amazon a acté le divorce avec Canal+. Ce choix est d'autant plus problématique qu'il a reposé sur une présentation tendancieuse des deux offres concurrentes, celle de Canal+ et beIN d'une part, et celle d'Amazon d'autre part. Les dirigeants du football français ont considéré que la part variable proposée par Canal+ représentait un risque majeur. La prudence l'a emporté sur l'ambition. Amazon, pour qui la Ligue 1 était un produit d'appel dans son offre globale, a subi des pertes importantes et s'est retiré après trois saisons.

J'en viens à la société commerciale. Après avoir échoué à atteindre le milliard d'euros avec Mediapro, la Ligue s'est tournée vers un nouvel eldorado, pour compenser le manque à gagner. En effet, les clubs n'avaient pas attendu les paiements de Mediapro pour accroître leurs dépenses. Ils se sont lancés dans une quête d'argent frais dès la fin 2020.

La possibilité d'un endettement, au moins partiel, a été rapidement écartée. Cette option ne semble pas avoir été véritablement étudiée. Ce qui pose question, c'est que les dirigeants de la LFP avaient objectivement un intérêt personnel à choisir de recourir à la cession d'une partie du capital de la société commerciale plutôt qu'à la dette, compte tenu des bonus importants qu'ils percevraient alors.

Je ne reviens pas sur le volet législatif, et sur la possibilité de créer une société commerciale, que vous connaissez. Nous ne disposions que d'informations très sommaires sur le processus en cours, lorsque nous avons examiné la loi du 2 mars 2022. Or, le processus de consultation lancé par la LFP auprès de divers fonds d'investissement était déjà très avancé. Après la promulgation du texte, une véritable course contre la montre s'est engagée. Le déclenchement de la guerre en Ukraine a paru mettre en péril l'opération projetée. Une assemblée générale décisive a eu lieu en avril 2022. Les présidents de clubs ont reçu, 48 heures avant, les statuts et le pacte d'associés de la nouvelle société. Ils n'ont pas pu appréhender tous les enjeux du contrat, d'autant que certaines pièces étaient manquantes. Plusieurs présidents ont confirmé ne pas avoir pris connaissance des documents. La perspective de la distribution de fonds aux clubs l'a emporté sur toute autre considération.

Les enjeux du partenariat avec CVC ont été sous-estimés, y compris au niveau de la fédération et du ministère des sports. La durée quasi illimitée - 99 ans - de ce partenariat pose question, car cette durée est peu conciliable avec le code du sport qui prévoit des contrats de délégation et de subdélégation avec les fédérations et les ligues de durées limitées.

Ensuite, CVC n'est pas un actionnaire comme un autre. Ses actions lui donnent des droits privilégiés sur les revenus du football français. Son dividende, d'un taux de 13 %, est assis sur un résultat retraité, qui ressemble davantage à un chiffre d'affaires qu'à un résultat, puisqu'il englobe l'ensemble des recettes audiovisuelles et commerciales du championnat. Cette assiette inclut même les revenus des paris sportifs, ce qui est peu conforme à l'esprit des dispositions que nous avions adoptées en 2022. Les actions de CVC seront pleinement valorisées lors de leur revente à un nouvel actionnaire ; lequel n'aura, lui, rien apporté directement au football français. Dans le cadre d'opérations similaires, la Liga espagnole et le Tournoi des Six nations ont opté pour une durée de 50 ans.

J'en viens à la distribution de l'apport de CVC, qui s'élève à 1,5 milliard d'euros et qui a été versé en grande partie aux clubs. La clef de répartition retenue, favorable aux grands clubs, était spécifique à cette opération. Au même moment, la Ligue a adopté une nouvelle répartition des revenus audiovisuels, elle aussi favorable aux grands clubs, dont certains bénéficient de revenus de l'UEFA. Une Ligue 1 à plusieurs vitesses est donc en train d'émerger. Les sommes ont été réparties avec un fléchage souple, contrairement à ce qui a prévalu en Espagne, dans l'opération conclue entre la Liga et CVC. En France, la majorité des fonds a été allouée aux salaires et aux transferts, ainsi qu'au désendettement, tandis que 40 % ont été consacrés aux infrastructures et au développement.

Dans cette opération, les intermédiaires ont été largement rétribués : 37,5 millions d'euros leur étaient réservés, c'est davantage que les parts allouées à la FFF (20 millions d'euros) et à la plupart des clubs de Ligue 1 (33 millions d'euros). Les deux banques d'affaires ont perçu 24 millions d'euros. Quant à Vincent Labrune, il a touché un bonus de 3 millions d'euros et a triplé son salaire, qui est passé de 420 000 euros à 1,2 million d'euros par an. Des bonus peuvent se concevoir dans l'exercice par la Ligue de son coeur de métier, la commercialisation des droits, mais ils sont beaucoup plus discutables dans le cadre d'une augmentation de capital. La question d'un conflit d'intérêts se pose puisque, si l'utilité à long terme de l'opération avec CVC reste à démontrer pour les clubs, compte tenu du dividende qu'ils devront payer à vie, son intérêt pour les dirigeants de la LFP est en revanche évident, immédiat et sans contrepartie. Au même moment, la Ligue a acquis un nouveau siège pour 131 millions d'euros, alors même que les droits audiovisuels n'avaient pas encore été négociés.

Où en est-on aujourd'hui ? Le processus d'attribution des droits audiovisuels a révélé des failles dans la gouvernance du football professionnel français. Le président de la Ligue est resté aux manettes, alors même qu'une filiale commerciale a été créée pour gérer ce genre de négociations. Le Président de beIN Media Group, maison-mère de beIN Sports France, a participé au conseil d'administration qui a attribué les droits dont beIN est partiellement titulaire. DAZN est confronté au piratage et peut sortir de son contrat avec LFP Media dans moins de deux ans, d'après une clause qui a été demandée par les clubs, ce qui est difficilement compréhensible. BeIN sports n'a toujours pas signé d'accord avec la Ligue, pour un contrat qui s'élève à 98,5 millions d'euros...

Le football professionnel a besoin d'une gestion plus équilibrée, ce qui implique de nouvelles recettes et la diminution des charges des clubs - en mettant fin à la croissance effrénée des salaires des footballeurs - ou bien des propriétaires historiques mettront la clef sous la porte, au profit de fonds d'investissement qui arrivent puis repartent en fonction d'arbitrages financiers au niveau mondial. Les clubs participent à la vitalité économique de nos territoires et à leur identité, ils doivent rester au centre d'un écosystème avant tout local. Dix clubs de Ligue 1 sont aujourd'hui intégrés dans des structures multipropriétaires, généralement en seconde ligne par rapport à des clubs majeurs en Europe. En 2023 et 2024, l'UEFA a autorisé les clubs de Toulouse puis de Nice à participer à ses compétitions malgré la présence d'autres clubs issus de la même structure. Mais qu'en sera-t-il demain ? Les groupes multipropriétaires pourraient pousser pour des ligues de plus en plus fermées. Pour préserver notre modèle sportif, il nous faut continuer à travailler avec les instances internationales à la mise en place de règles adaptées.

Je vous propose quatre axes de recommandations pour un renforcement de la régulation.

Il s'agit, premier axe, de consolider le régalien, en imposant aux ligues professionnelles de rendre davantage compte de la mise en oeuvre de leur subdélégation. Dans ce cadre, les organes de contrôle doivent être renforcés et les principes d'unité, de solidarité et de mutualisation doivent être réaffirmés. Je vous propose d'harmoniser les durées de la délégation, qui est de 4 ans et de la sub-délégation, qui est de 5 ans, mais aussi de renforcer le contrôle et le suivi des clubs et de la Ligue. Un ratio de répartition des ressources entre clubs de 1 à 3 permettrait de renforcer le principe de mutualisation. Une réflexion doit être engagée sur la taxe « Buffet », pour tenir compte de la nécessité pour les clubs de diversifier leurs ressources. Il revient au ministère des Sports et à la FFF d'assurer un contrôle renforcé. Je propose de rattacher la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) à la Fédération. Enfin, toujours sur ce premier axe, je propose de relever le plafond du prélèvement sur les paris sportifs en ligne.

Deuxième axe, je propose d'améliorer la gouvernance des fonctions commerciales, en séparant clairement les ligues de leur filiale, en donnant au représentant de la fédération une voix délibérative dans la société commerciale et en associant mieux les dirigeants de clubs à la définition des orientations stratégiques.

Troisièmement, il est nécessaire de renforcer les exigences en matière d'éthique, de bonne gestion et de démocratie, en instaurant un plafond de rémunération pour les présidents de ligues, en mettant en place des pratiques de bonne gouvernance et en rationalisant la gestion des conflits d'intérêt. Il n'est pas acceptable qu'un membre du conseil d'administration d'une ligue puisse diriger une entreprise de diffusion audiovisuelle candidate aux droits. La place des administrateurs indépendants et celle des supporters doit être renforcée.

Enfin, le dernier volet des recommandations concerne l'économie du football. Les règles des appels d'offres ne permettent pas, aujourd'hui, d'optimiser leur résultat, le consommateur doit prendre plusieurs abonnements coûteux puis en changer à chaque nouvelle attribution de droits. La lutte contre le piratage doit se poursuivre, en complétant le dispositif que nous avions adopté en 2021. Je vous propose également de faire de la santé des joueurs une priorité en freinant l'augmentation du nombre de compétitions, de limiter l'effectif des équipes professionnelles et le ratio de masse salariale, de donner un pouvoir de blocage à la DNCG sur les reprises de clubs et de mieux contrôler la multipropriété en lien avec l'UEFA et la FIFA.

J'espère que nos travaux déboucheront sur une proposition de loi transpartisane.

M. Patrick Kanner. - Félicitations et merci pour ce travail important de lanceur d'alerte. Si nous en sommes là aujourd'hui, c'est qu'il y a eu une forme de libéralité, alors que notre droit doit être précisé. Je le dis pour ceux de nos collègues qui n'ont pas assisté aux auditions : nous avons, par moment, ressenti de la colère face à une certaine forme de légèreté et d'arrogance.

Un petit regret : j'aurais bien voulu entendre le président du club qui occupe la première place de la Ligue 1, dommage qu'il ne soit pas venu...

Je le dis au nom de mon groupe, nous sommes très favorables à vos recommandations et au principe d'une proposition de loi transpartisane à laquelle nous nous associerons. Nous sommes dans notre rôle de contrôle de l'action publique. La dernière journée de Ligue 1 a réuni plus de 300 000 spectateurs dans les stades, pour des matchs qui intéressent des millions de fans : le football est l'activité ludique et sportive la plus répandue dans notre pays, et derrière d'autres sports sont aussi concernés.

Je me réjouis du climat de confiance qui a présidé à nos travaux, animés par la volonté de faire évoluer l'organisation du sport professionnel dans le sens de l'intérêt général.

M. Stéphane Piednoir. - Merci pour ce travail important. Ce sujet mérite une attention particulière parce qu'il touche un grand nombre de Français, et parce qu'il est complexe dans ses imbrications et ses conséquences. La gestion du football a connu des dérives. Les téléspectateurs ne se retrouvent pas dans les arrangements passés pour la diffusion de leur sport favori parce que, pour le suivre, il leur faut plusieurs abonnements. Ce n'est pas le contrat qui avait été passé entre le football français et Canal+ en 1984. Les amateurs sont déboussolés par les choix hasardeux qui ont été fait et qui reposent sur une illusion : qui, en réalité, peut dire que le championnat français vaut 1 milliard d'euros ? On en arrive à des montages financiers illisibles. C'est pourquoi le travail de décryptage fait par le rapporteur est important.

La réaffirmation de la subdélégation de service public est essentielle, car elle semble avoir été perdue de vue. Et vous avez bien raison d'appeler à une réforme de la gouvernance pour éviter les conflits d'intérêts. Ce que nous avons découvert au cours de cette mission d'information ne doit pas perdurer - et j'ai, moi aussi, perçu l'arrogance de certains de nos interlocuteurs.

Le groupe LR est favorable à ce rapport et au principe d'une proposition de loi.

M. Michel Laugier. - Je vous remercie à mon tour pour ce travail important. Nous partageons votre constat intransigeant et implacable. Les constats du rapporteur reflètent la réalité et ont nécessité un effort particulier pour être obtenus de nos interlocuteurs. Le football est le sport numéro 1, celui où chaque Français est aussi un sélectionneur, où chacun refait le match, c'est un sport où s'expriment les passions. Son organisation est difficile à comprendre, il n'y a qu'à voir comment le président Vincent Labrune a été élu et réélu et comment fonctionne la LFP. L'invraisemblable feuilleton des droits audiovisuels dure depuis longtemps. Les diffuseurs ne parviennent pas à tenir leurs engagements alors qu'ils y parviennent chez nos voisins - et l'on finit par marcher sur la tête avec des chiffres qui sont irréalistes mais qui sont pris pour argent comptant par les clubs pour lancer leur saison. La saison actuelle a été lancée alors que les droits audiovisuels n'avaient pas été signés, je gage que les clubs vont devoir, au prochain mercato, vendre leurs meilleurs joueurs pour éponger leur dette... Les rentrées d'argent devaient servir à l'investissement. Une grande partie a servi à rémunérer les dirigeants et à acheter des joueurs, c'est regrettable.

Le groupe UC soutient vos recommandations, nous voterons ce rapport et nous sommes favorables à l'adoption d'une proposition de loi.

M. Adel Ziane. - Merci pour ces auditions très larges qui nous ont permis d'entendre beaucoup de monde, nous pourrions continuer puisqu'il y a encore beaucoup d'actualité sur le sujet - par exemple le coup de poing de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) contre le piratage, ou bien le refus de beIN Sport de payer une partie des droits... la situation, en réalité, est catastrophique.

Merci de rappeler le principe de la subdélégation : le football n'est pas l'affaire de quelques présidents de clubs qui règleraient les choses entre eux, c'est aussi l'affaire des territoires et celle des supporters. Vous insistez pour intégrer les supporters dans le conseil d'administration avec voix consultative, c'est utile, et vous appelez à la solidarité entre le football professionnel et le football amateur, c'est aussi une bonne chose. Le sujet de la multipropriété est un sujet grave, car la multipropriété revient à nier la place du football dans la société française et ses liens avec le sport amateur.

Vous avez également raison d'appeler à une gouvernance améliorée. J'ai été étonné par le manque de professionnalisme de certains dirigeants de clubs, qui ont signé l'accord avec CVC sans le lire, pour découvrir ensuite son contenu et tenter, mais trop tard, d'y revenir...

Enfin, il ne faut pas que l'élection à la présidence de la LFP puisse continuer à se dérouler comme elle vient de le faire : il a fallu l'intervention de la ministre pour que le président sortant ait un concurrent, et c'est finalement un conseil d'administration à la main du président sortant qui l'a réélu, ce n'est pas raisonnable - avez-vous une recommandation sur ce point spécifique ?

M. Jean-Jacques Lozach. - Toutes mes félicitations au rapporteur et à notre président, vous faites oeuvre utile. Il y a des failles dans la gouvernance, nous dites-vous, et elles se poursuivent. Les montants de droits sont pris pour argent comptant alors que les contrats ne sont toujours pas signés. Ce rapport est un signal d'alerte et la situation résulte aussi des conditions dans lesquelles nous avons adopté la loi du 2 mars 2022 - je rappelle que le volet relatif à la société commerciale avait été ajouté par amendement à l'Assemblée nationale.

J'espère que ce rapport débouchera sur une proposition de loi transpartisane. Nous avons ici l'occasion de préciser la notion de subdélégation, qui n'a jamais été claire, d'en dire le contenu et d'en préciser la pratique. Il est stupéfiant que la FFF ait été absente des sujets que vous avez traités. Il faudrait probablement entendre l'association nationale des ligues sportives professionnelles, parce que d'autres sports que le football sont concernés par la subdélégation.

Sur la recommandation n° 9, relative au plafond du prélèvement sur les paris sportifs, je préfèrerais un déplafonnement, plutôt qu'un relèvement du plafond : d'après les informations budgétaires dont je dispose, un déplafonnement pourrait rapporter 130 millions d'euros, c'est utile quand on sait qu'il va manquer au moins 170 millions d'euros au budget des sports, à périmètre constant...

Enfin, vous recommandez de renforcer les contrôles et notamment celui assuré par la DNCG, ce qui est essentiel, sans oublier une meilleure représentation de la FFF au sein de la société commerciale.

Mme Mathilde Ollivier. - Je vous félicite à mon tour pour ce travail de fond. Nous avons eu des auditions très intéressantes. Vous montrez les dysfonctionnements du football professionnel, j'ai été très marquée par ce défi de l'arrivée des fonds d'investissement, qui veulent prendre le pouvoir dans certains clubs. Cela pose la question du modèle économique du football français - différent de celui de nos voisins européens, en particulier sur la place qu'y prend la formation par les clubs.

Je partage la préférence pour un déplafonnement du prélèvement sur les paris sportifs en ligne, plutôt qu'un relèvement du plafond. Nous aurons ce débat en loi de finances. Je suis favorable au fléchage de ce prélèvement vers le ministère des sports, au service de la démocratisation du sport. Je crois aussi que le ratio de 1 à 3, pour la distribution des droits audiovisuels entre les clubs, est la clé pour limiter l'écart de richesse qui se creuse entre les clubs. Je suis également très favorable à votre recommandation n° 19 pour plafonner la rémunération des présidents de ligues professionnelles, c'est important quand on voit ce qui s'est passé avec Vincent Labrune.

Enfin, la recommandation n° 31 pour faire de la santé des joueurs une priorité me paraît essentielle. Des joueurs de haut niveau se trouvent épuisés parce qu'ils accumulent les matchs. Avez-vous évoqué cette recommandation avec l'Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP) ?

M. David Ros. - À mon tour de féliciter le duo d'attaquants de notre commission. J'arrive d'une mission d'observation des élections législatives en Ouzbékistan, et je peux vous dire que les élections ouzbèques sont bien plus transparentes que celles de la LFP... J'ai été très surpris par l'amateurisme de certains présidents de clubs : ils manipulent des sommes importantes avec une légèreté déconcertante. Les pratiques que vous dénoncez donnent l'image d'un football français qui n'est pas à la hauteur. Cependant, les résultats actuels des clubs de Lille, de Brest et de Monaco en Coupe d'Europe montrent qu'il y a lieu de redorer cette image au regard des résultats sportifs.

Quelques remarques sur les recommandations. Pour les recommandations n° 19 à 21, je me demande si la focale est assez large, et s'il n'y a pas lieu d'élargir l'obligation de transparence et le plafonnement salarial à d'autres fonctions.

La recommandation n° 32 en faveur d'une limitation à 30 contrats de l'effectif des équipes professionnelles de football m'invite à vous interroger sur les cas de blessures, ou sur une adaptation possible au nombre de compétitions du club, ou encore l'inclusion d'un quota de jeunes disposant d'un premier contrat professionnel, voire de quotas de joueurs nationaux - il y a peut-être des précisions à apporter, qu'en pensez-vous ?

Enfin, la recommandation n° 35 relève clairement de la FFF, elle seule peut porter le sujet de la multipropriété auprès de l'UEFA et de la FIFA.

M. Gérard Lahellec. - À mon tour de vous exprimer mes sincères compliments pour cette oeuvre salutaire accomplie avec sérénité. Vous faites oeuvre de salubrité pour défendre une discipline populaire solidement ancrée dans nos territoires. Dans les Côtes-d'Armor, nous avons le club de Guingamp, actuellement en Ligue 2 avec avoir été en Ligue 1. Son stade compte 17 000 places pour une ville de 7 800 habitants, c'est dire l'engouement pour ce sport, et c'est aussi pourquoi il faut veiller à ce que cette discipline ne soit pas entachée de manque de crédibilité. Il faut également penser à nos collectivités, qui sont pour quelque chose dans le fait que le football rayonne : elles financent, achètent et entretiennent des équipements... ce qui est une raison supplémentaire pour renforcer l'éthique et la rigueur dans la gestion du football. Il faut aller bien au-delà des contrôles réalisés par la DNCG.

Je partage donc vos recommandations et vous assure de notre disponibilité pour travailler sur une proposition de loi qui soit au service de l'ensemble du football et des territoires.

M. Michel Savin, rapporteur. - Merci pour vos retours. Je partage vos constats sur ce milieu très particulier qu'est le football professionnel. Au fil des auditions, la mission a mis en lumière des dysfonctionnements. Elle a renforcé ainsi sa crédibilité. Les retours de la majorité des acteurs du football sont très positifs, en particulier auprès de tous les amateurs qui ne comprennent pas que les places au stade soient si chères, et les instances si dispendieuses.

Il faut consolider le principe de la subdélégation, replacer la FFF et le ministère dans leur rôle d'autorités de contrôle. Chacun doit prendre ses responsabilités. Le Sénat avait proposé que la FFF ait une voix délibérative au sein de l'instance décisionnelle de la société commerciale. Celle-ci n'y était pas favorable - nous y revenons, c'est important.

Les auditions les plus constructives ont été celles qui se sont déroulées à huis clos. C'est le signe d'un milieu où certaines questions ne peuvent être abordées qu'en off.

La diminution de la valeur du championnat français appelle à trouver de nouveaux équilibres économiques. Les clubs professionnels ont parfois 40 contrats avec des joueurs, et quand c'est le cas, nous constatons qu'au moins 10 joueurs ne jouent jamais ; dans ces conditions, nous proposons de fixer une limite à 30 contrats, pour répartir mieux les ressources et avoir plus de moyens pour attirer certains joueurs. Il y aura un débat pour préciser les choses, mais le message aux clubs est là : cette course à l'augmentation des effectifs n'est pas souhaitable, surtout si c'est pour que des joueurs ne jouent pas...

Le football n'appartient pas à quelques-uns, et nous voulons aussi faire passer le message qu'avant de passer professionnels, les joueurs ont tous commencé dans des clubs amateurs : il faut plus de lien entre football professionnel et football amateur, en termes d'image, de solidarité et de financement.

Certains présidents de club n'avaient pas lu le pacte d'associés alors que celui-ci comprend des engagements très forts. Ils s'en sont justifiés en nous disant qu'ils avaient fait entièrement confiance à la Ligue ! Ce n'est pas raisonnable.

Nous proposons de rattacher la DNCG à la FFF pour garantir son indépendance.

Le ratio de 1 à 3 dans la distribution des droits est une clé pour conserver un championnat attractif. La répartition des droits doit être plus équilibrée pour limiter les écarts entre les clubs.

Nous avons auditionné l'Union nationale des footballeurs professionnels. La santé des joueurs doit être une priorité. Nombre de rencontres se déroulent principalement pour des motifs économiques, nous appelons à une vigilance particulière.

S'agissant de la gouvernance des ligues, nous demandons la présence de cinq administrateurs indépendants au lieu de trois afin que des projets alternatifs puissent être débattus.

Les collectivités territoriales ont un rôle à jouer. Elles sont souvent propriétaires des stades. Si une équipe disparait, c'est à elles qu'il revient de porter l'équipement.

Si je propose de relever le plafond du prélèvement sur les paris sportifs plutôt que de le déplafonner, c'est par réalisme, compte tenu de notre situation budgétaire. Cette année, le prélèvement a rapporté 35 millions d'euros à l'Agence nationale du sport, nous sommes donc loin de l'enjeu.

M. Jean-Jacques Lozach. - Attention, cependant : la recette sur les paris sportifs en ligne n'a jamais été aussi dynamique. Les Jeux olympiques et paralympiques et l'Euro de football auraient représenté environ 1 milliard d'euros de mises, c'est phénoménal - et n'oublions pas que l'on passe de trois à deux taxes affectées à partir de l'an prochain.

M. Laurent Lafon, président. - Merci à tous, je me réjouis de cette convergence autour des recommandations de notre rapporteur et d'une volonté commune d'adopter une proposition de loi.

Le feuilleton des droit audiovisuels n'est pas terminé et le football français continue de faire face à de nombreux défis. Le système s'est autonomisé depuis quelques années, au point que certains ont perdu l'esprit de la subdélégation et l'objectif final, qui est de servir les territoires, les supporters et les passionnés. Le poids des enjeux économique est devenu tel, que sans régulation, les difficultés risquent de s'aggraver. Notre travail collectif contribue à davantage de transparence.

Mme Monique de Marco. - Vous affirmez la nécessité d'une régulation, en effet souhaitable, mais prévoyez-vous de communiquer plus précisément sur le contenu de la proposition de loi que vous évoquez ?

M. Laurent Lafon, président. - L'idée est bien qu'une proposition de loi reprenne celles de nos recommandations qui relèvent de la loi.

M. Michel Savin, rapporteur. - Ces recommandations visent des acteurs multiples. Certaines relèvent de la LFP, d'autres relèvent de l'échelon international, par exemple notre appel à encadrer la multipropriété. Mais celles qui relèvent du domaine de la loi feront l'objet d'une proposition de loi, c'est bien notre intention et ce sur quoi nous allons communiquer.

Les recommandations sont adoptées à l'unanimité.

La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

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