EXAMEN EN COMMISSION
M. Jean-François Rapin, Président. - Nous allons examiner aujourd'hui un sujet d'actualité : l'accès aux médicaments. L'État a obtenu des garanties lors de la cession à un fonds américain des activités d'Opella, filiale du groupe Sanofi, dédiée à la production de paracétamol en France. L'accord conclu prévoit l'entrée de BPI France au capital d'Opella à hauteur de un à deux % ainsi que des engagements assortis de pénalités afin de garantir notamment la production du Doliprane en France, l'approvisionnement du marché français et la préservation des emplois sur les sites nationaux.
Le sujet des médicaments est devenu particulièrement sensible politiquement depuis la prise de conscience qui s'est fait jour avec la pandémie de Covid-19. Les rapporteurs nous avaient déjà présenté une proposition de résolution européenne sur la problématique spécifique de la pénurie des médicaments. Aujourd'hui, ils nous soumettent un rapport qui traite plus largement de la révision en cours de la législation pharmaceutique européenne, qui soulève des enjeux d'accès aux médicaments, mais aussi de soutien à l'innovation. Je les remercie pour leur travail. Je cède la parole à nos collègues rapporteurs, Bernard Jomier, puis Cathy Apourceau-Poly et Pascale Gruny.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, la Commission européenne a présenté, en avril 2023, une proposition de directive et une proposition de règlement visant à réviser la législation pharmaceutique de l'Union. Ces deux textes intègrent une révision des législations relatives aux médicaments orphelins et aux médicaments pédiatriques. Ils constituent, avec une communication et une proposition de recommandation visant à lutter contre la résistance aux antimicrobiens, le paquet pharmaceutique.
En avril dernier, Cathy Apourceau-Poly, Pascale Gruny et moi-même vous avions présenté une proposition de résolution sur les dispositions de ces textes qui visaient à répondre aux pénuries de médicaments. Notre travail intervenait après la commission d'enquête sénatoriale sur le sujet qui avait conclu ses travaux en juillet 2023 et alors que l'Assemblée nationale transmettait au Sénat une proposition de loi visant à lutter contre les pénuries de médicaments. Les sujets que nous allons aborder aujourd'hui sont beaucoup plus divers et concernent notamment les procédures d'évaluation des médicaments mis sur le marché, les mesures contre la résistance aux antimicrobiens, le problème des médicaments orphelins et la durée de la protection des données réglementaires.
Si cette fois encore nous avons réussi à adopter une position de compromis sur de nombreuses mesures, Cathy Apourceau-Poly et moi-même n'avons pas accepté de co-signer la proposition de résolution qui vous est soumise aujourd'hui en raison d'un profond désaccord sur la révision de la durée de la protection des données réglementaires. Pascale Gruny reviendra en détail sur ce point et évoquera le développement des médicaments orphelins avant que Cathy Apourceau-Poly et moi-même ne vous proposions des amendements.
Pour ma part, je souhaiterais aborder les questions environnementales et la lutte contre la résistance aux antimicrobiens. Cathy Apourceau-Poly, quant à elle, détaillera les mesures visant à réformer les procédures d'autorisation de mise sur le marché et les mesures visant à rendre les médicaments plus abordables.
Je voudrais tout d'abord rappeler l'interconnexion entre la santé humaine, la santé animale et l'environnement dont la Commission européenne souhaite tenir compte. Elle propose pour cela de renforcer, pour les médicaments, les exigences sur le plan environnemental. Si nous soutenons cette démarche, nous considérons toutefois qu'elle ne doit pas remettre en cause l'accès aux médicaments. Ainsi, la proposition de directive prévoit des exigences plus claires et plus précises pour l'évaluation des risques pour l'environnement qui est à réaliser dans le cadre d'une demande d'autorisation de mise sur le marché. Cette disposition doit permettre de mieux prendre en compte l'impact des médicaments sur l'environnement et nous y sommes bien sûr favorables. Toutefois, la Commission prévoit également que l'autorisation de mise sur le marché puisse être refusée lorsque l'évaluation des risques pour l'environnement est incomplète ou insuffisamment étayée par le demandeur. Pour notre part, nous demandons que ce refus ne soit pas systématique et que la Commission tienne compte notamment de l'existence ou non d'alternatives thérapeutiques.
De même, la Commission propose que les médicaments autorisés avant le 30 octobre 2005 et qui n'ont pas fait l'objet d'une évaluation des risques pour l'environnement puissent faire l'objet d'une telle évaluation si l'Agence européenne des médicaments, ou EMA selon l'acronyme anglais, les considère comme potentiellement dangereux. Si cette mesure présente effectivement un intérêt, elle ne doit pas entraîner de nouvelles pénuries. C'est pourquoi nous préconisons qu'un soutien financier puisse être accordé aux titulaires d'autorisation de mise sur le marché de médicaments essentiels qui se verraient contraints de réduire l'impact environnemental des médicaments concernés, ceci afin d'éviter des arrêts de production.
Concernant la lutte contre la résistance aux antimicrobiens, le Conseil a adopté le 13 juin 2023 une recommandation relative au renforcement des actions que mène à cet effet l'Union dans le cadre de l'approche « une seule santé ». Pour atteindre les objectifs fixés par ce texte, des fonds seront mis à disposition par la Commission. Nous ne pouvons que soutenir cette recommandation, tant la résistance aux antimicrobiens représente un risque majeur pour la santé publique. On estime déjà à plus de 35 000 par an le nombre de personnes qui meurent dans l'Union des suites directes d'infections dues à des bactéries résistant aux antimicrobiens et ce chiffre devrait progresser dans les années à venir.
Le risque de résistance aux antimicrobiens implique une utilisation parcimonieuse de ces médicaments, ce qui limite l'intérêt commercial des entreprises à en développer de nouveaux ou à commercialiser ceux qui existent. Une politique publique avec des incitations adaptées est donc nécessaire.
La Commission propose tout d'abord de définir la notion d'antimicrobiens prioritaires et fixe des critères pour cela. Il s'agit des traitements qui présentent un avantage important à l'égard de la résistance aux antimicrobiens et qui sont différents de ceux précédemment autorisés dans l'Union. Pour favoriser le développement de ces antimicrobiens prioritaires, la Commission propose de créer des titres d'exclusivité des données transférables : ces titres permettent au porteur de bénéficier d'une année supplémentaire de protection des données réglementaires pour un médicament autorisé. Nous approuvons les critères proposés par la Commission pour désigner un antimicrobien prioritaire, mais nous nous interrogeons sur l'efficacité et le coût de ce dispositif. Il n'a jamais été mis en oeuvre ailleurs et son coût pour les finances publiques des États membres risque d'être particulièrement élevé. En effet, les entreprises qui disposeront d'un tel titre d'exclusivité seront tentées de l'utiliser pour un médicament particulièrement rentable, c'est-à-dire se vendant en masse. Dès lors, nous ne soutenons pas cette initiative de la Commission. Nous proposons plutôt le développement de procédures volontaires d'achat en commun d'antimicrobiens sur un modèle de revenus garantis pour les titulaires d'autorisation de mise sur le marché. Ce modèle implique que les acheteurs paient un montant forfaitaire fixe au titulaire de l'autorisation de mise sur le marché pour une période déterminée en échange d'un approvisionnement garanti. On dissocie ainsi les revenus des titulaires d'autorisation de mise sur le marché du volume de médicaments vendus. Ce modèle est actuellement testé en Suède et au Royaume-Uni, et semble donner satisfaction. En complément, nous proposons de réfléchir à la mise en place d'un mécanisme de paiement de l'innovation supporté par les États membres qui le souhaitent et qui permettra de soutenir les développeurs de nouveaux antimicrobiens prioritaires, tout en permettant aux États membres de disposer des droits de propriété intellectuelle. Je passe la parole à ma collègue Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Merci. Monsieur le Président, mes chers collègues, je vais vous présenter des propositions qui font également consensus parmi nous et qui visent les procédures d'autorisation de mise sur le marché et le caractère abordable des médicaments.
Dans son paquet pharmaceutique, la Commission propose de simplifier la réglementation relative à l'évaluation des demandes d'autorisation de mise sur le marché et d'introduire de nouvelles procédures.
Tout d'abord, la Commission propose plusieurs mesures de simplification. Elles visent à accélérer la procédure d'autorisation de mise sur le marché ou à alléger les formalités. Ainsi, l'obligation de renouveler l'autorisation de mise sur le marché au bout de cinq ans serait supprimée, au motif que le renforcement des mesures de pharmacovigilance rend inutile ce renouvellement, ce que nous concédons.
En outre, la Commission propose de supprimer l'obligation de présenter un plan de gestion des risques pour les médicaments génériques et pour les médicaments biosimilaires, au motif que ces plans ont déjà été élaborés pour le médicament de référence. Nous estimons que cette disposition ne pose pas de difficultés pour les médicaments génériques. En revanche, il nous paraît nécessaire de maintenir ces plans de gestion des risques pour les médicaments biosimilaires dans la mesure où ceux-ci peuvent présenter une variabilité plus importante par rapport au médicament de référence.
Enfin, la Commission propose de réduire la durée de l'évaluation scientifique effectuée par l'EMA à 180 jours au lieu de 210 actuellement. Il faut noter qu'en pratique, ce délai est aujourd'hui de 400 jours en moyenne, en raison notamment des délais de réponse aux demandes complémentaires de l'EMA. Estimant, tout comme de nombreuses associations de patients, que la réduction proposée par la Commission n'aurait que très peu d'incidences sur les délais d'accès aux médicaments, nous ne souhaitons pas que la durée de l'évaluation soit réduite.
En parallèle, la Commission propose d'institutionnaliser ou de créer de nouvelles procédures d'autorisation de mise sur le marché. Parmi ces nouvelles procédures, on peut notamment citer le programme en faveur des médicaments prioritaires créé par l'EMA, la procédure d'examen progressif des données et l'autorisation temporaire de mise sur le marché d'urgence. En premier lieu, nous estimons qu'il est nécessaire de définir précisément les critères permettant à un demandeur de bénéficier de ces procédures. C'est le cas notamment de « l'intérêt majeur pour la santé publique » ou de « l'avancée thérapeutique exceptionnelle » mentionnés dans la proposition de règlement. En outre, il est nécessaire d'assurer la transparence des avis scientifiques de l'EMA relatifs à la sélection des demandeurs. Ces avis devront être motivés et publiés. Enfin, des dispositions particulières devront être mises en oeuvre pour garantir la sécurité des patients dans le cadre d'une mise sur le marché d'urgence.
La Commission propose également d'instaurer des « bacs à sable » réglementaires : il s'agit d'un cadre réglementaire dans lequel il est possible de développer, de valider et de tester dans un environnement contrôlé, selon un plan spécifique établi par l'EMA et pour une durée limitée, des solutions réglementaires innovantes ou adaptées qui facilitent le développement et la mise sur le marché de médicaments innovants. Si nous comprenons bien l'intérêt de cette mesure qui peut apporter aux patients un réel bénéfice, le recours à ce dispositif devra rester exceptionnel et être justifié par l'absence d'alternative thérapeutique et de procédure d'évaluation adaptée. Sa mise en oeuvre exige une transparence et un contrôle renforcé, tant sur les critères de sélection que sur les essais effectués au préalable, le bac à sable réglementaire ne devant pas s'apparenter à un essai clinique. Un suivi particulier des patients, de sorte à garantir leur sécurité, et des mesures de pharmacovigilance renforcées seront à prévoir.
Favoriser l'accès aux médicaments implique de s'assurer de leur caractère abordable. Bien que les prix et les niveaux de remboursement des médicaments soient négociés et fixés par les États membres, la Commission propose différentes mesures visant à renforcer la position de ces derniers dans leurs négociations avec les titulaires d'autorisation de mise sur le marché.
Ainsi, pour permettre une meilleure information des États membres sur les coûts réellement supportés par les titulaires d'autorisations de mise sur le marché, la Commission propose que ceux-ci soient contraints de déclarer au public tout soutien financier direct reçu de toute autorité publique ou de tout organisme financé par des fonds publics, en faveur d'activités ayant trait à la recherche et au développement de médicaments faisant l'objet d'une autorisation nationale ou centralisée de mise sur le marché, quelle que soit l'entité juridique qui a reçu ce soutien. Dans un souci de transparence, nous sommes particulièrement favorables à cette mesure et préconisons de la compléter, en incluant également les financements indirects tels que les aides fiscales.
En outre, la Commission propose d'élargir les conditions d'utilisation des produits brevetés afin de permettre aux développeurs de médicaments génériques ou biosimilaires de réaliser les études nécessaires à la détermination du prix des médicaments et de leur niveau de remboursement. Ces médicaments arriveraient ainsi plus rapidement sur le marché, dès l'expiration des protections accordées aux médicaments de référence permettant ainsi une baisse plus rapide de leur prix. Nous sommes favorables à cette disposition et souhaitons préciser, dans la réglementation, que l'autorisation accordée par les autorités compétentes pour réaliser ces études doit être considérée comme une décision réglementaire ou administrative, qui ne peut être refusée au nom de la protection des droits de propriété intellectuelle.
Enfin, il nous apparaît essentiel de promouvoir auprès des institutions de l'Union la création d'un mécanisme de solidarité européen pour l'accès aux médicaments. Celui-ci serait financé sur le budget de l'Union et permettrait de prendre en charge une quote-part à déterminer, sans excéder un certain montant, du prix des médicaments innovants dans certains États membres, choisis au regard de leur produit intérieur brut par habitant.
Mme Pascale Gruny, rapporteure. - Merci. Monsieur le Président, mes chers collègues, il me revient donc de vous présenter les dispositions relatives à la durée de la protection des données réglementaires qui n'ont pas fait consensus parmi nous, ainsi que les dispositions relatives aux médicaments orphelins.
La protection des données réglementaires garantit aux titulaires d'autorisation de mise sur le marché que les données fournies pour obtenir cette autorisation ne pourront pas être utilisées par d'autres. Il s'agit essentiellement des données relatives aux différentes études et essais cliniques menés pour garantir l'efficacité et la sécurité du médicament.
La Commission européenne propose de réduire la durée de cette protection, qui est de huit ans aujourd'hui, à six ans. Si cette mesure doit permettre une arrivée plus rapide des médicaments génériques ou biosimilaires sur le marché et donc une diminution plus précoce du coût des médicaments, elle risque toutefois de limiter la recherche et développement au sein de l'Union européenne. En effet, le bénéfice financier que peut espérer le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché s'en trouvera diminué. En parallèle, le coût des médicaments risque d'être plus élevé durant la période de protection, les titulaires d'autorisation de mise sur le marché devant rentabiliser leurs investissements sur une période plus courte. Pour éviter ces effets pervers, je propose de soutenir une durée de protection de sept ans et six mois alors que mes collègues sont favorables à la proposition de la Commission de réduction à six ans de cette durée.
La Commission propose en parallèle des mesures d'incitation permettant d'augmenter la durée de la protection des données réglementaires jusqu'à 11 ans. Pour ma part, je propose que cette durée soit limitée dans tous les cas à huit ans et six mois.
Ainsi, selon le projet de la Commission, les titulaires d'autorisation de mise sur le marché devraient bénéficier de deux années supplémentaires de protection des données réglementaires s'ils commercialisent le médicament en question dans tous les États membres de l'Union. Si mes collègues rapporteurs soutiennent cette mesure, je suis, pour ma part, plus que dubitative quant à son efficacité. En effet, la mise sur le marché d'un médicament ne relève pas exclusivement des seuls titulaires d'autorisation de mise sur le marché ; elle dépend du résultat de négociations parfois compliquées menées avec les États membres. Toutefois, je reconnais qu'il est nécessaire d'adopter des mesures devant permettre un plus large accès aux médicaments dans tous les États membres de l'Union. C'est pour cela que je propose de créer une obligation pour les titulaires d'autorisation de mise sur le marché de présenter une demande de prix et de remboursement dans tout État membre qui souhaite que le médicament en question soit commercialisé sur son territoire, sous peine de sanctions financières. Cette disposition s'appliquera également pour les médicaments orphelins.
Enfin, la Commission européenne propose d'autres mesures d'incitation permettant aux titulaires d'autorisation de mise sur le marché d'augmenter la durée de la protection des données réglementaires.
Ainsi, six mois supplémentaires de protection seraient accordés au titulaire d'une autorisation de mise sur le marché si le médicament concerné répond à un « besoin médical non satisfait ». La notion de « besoin médical non satisfait » est définie dans le paquet pharmaceutique et inclut notamment les médicaments orphelins. Pour ma part, je pense que cette incitation doit être renforcée et propose donc que la durée de cette protection soit alors rallongée de douze mois au lieu de six.
Ensuite, la Commission propose six mois supplémentaires de protection lorsque les essais cliniques utilisant un comparateur pertinent ont été soumis à l'appui de la demande d'autorisation de mise sur le marché initiale. Un comparateur est dit pertinent s'il permet de disposer de données permettant d'apprécier les apports du médicament en question au regard de ce comparateur dans le cadre d'une stratégie thérapeutique donnée. Or, comme l'indique la Haute autorité de santé, il n'est pas toujours évident de déterminer un comparateur pertinent qui corresponde aux stratégies thérapeutiques mises en oeuvre dans chaque État membre. Je propose donc de supprimer cette incitation et de la remplacer par une incitation à développer la recherche au sein de l'Union, en permettant aux titulaires d'autorisation de mise sur le marché de bénéficier de six mois supplémentaires de protection des données réglementaires lorsque les développements ayant mené à la mise au point du médicament ont été principalement réalisés dans l'Union.
Enfin, la Commission propose une prolongation d'un an de la durée de la protection des données réglementaires si une autorisation pour une indication thérapeutique supplémentaire est accordée pour le médicament concerné. Pour ma part, je limiterais à six mois cette prolongation, puisqu'une nouvelle indication thérapeutique permet déjà aux titulaires d'autorisation de mise sur le marché de générer des revenus supplémentaires.
Par ailleurs, la Commission propose d'accorder quatre années de protection des données réglementaires aux titulaires d'autorisation de mise sur le marché qui proposent le repositionnement de médicaments qui ne bénéficient plus d'aucune protection. Nous sommes tous les trois favorables à cette disposition qui doit inciter au repositionnement de médicaments permettant ainsi de traiter une maladie différente avec un médicament déjà commercialisé. Les efforts de recherche pour permettre ce repositionnement seront ainsi récompensés.
Pour finir, je souhaiterais aborder la question des médicaments orphelins sur laquelle nous avons pu trouver un consensus. Tout d'abord, concernant la désignation des médicaments orphelins, nous souhaitons maintenir le critère relatif au faible niveau de rentabilité financière actuellement prévu par la législation car, selon nous, cette faible rentabilité constitue une justification essentielle des avantages accordés aux titulaires d'autorisation de mise sur le marché pour le développement de médicaments orphelins. Aujourd'hui, la législation européenne prévoit une exclusivité commerciale de dix ans pour cette catégorie de médicaments. La Commission propose de moduler cette durée selon les efforts de recherche déployés par les titulaires d'autorisation de mise sur le marché et l'intérêt du médicament proposé. Cette durée serait de cinq ans lorsque l'autorisation de mise sur le marché a été accordée sur la base d'un usage bien établi de la substance active au sein de l'Union européenne, de neuf ans dans le cas général et de dix ans pour les médicaments orphelins considérés comme répondant à un besoin médical non satisfait important tel que défini dans le paquet pharmaceutique. Nous soutenons cette proposition de modulation.
Voilà mes chers collègues les principales demandes formulées dans la proposition de résolution et l'avis politique qui vous sont aujourd'hui soumis. Je voudrais remercier mes collègues rapporteurs, avec lesquels nous travaillons toujours en bonne intelligence, en dépit d'éléments de divergence.
M. Jean-François Rapin, Président. - Je tiens à remercier nos rapporteurs pour ce travail très pointu. Les divergences évoquées témoignent d'un travail approfondi et de la possibilité d'exprimer et une diversité de points de vue au sein de notre commission, chacun sortant la tête haute. La divergence ne porte finalement que sur une petite partie du texte, ce qui manifeste l'esprit de compromis dont vous avez fait preuve sur une grande partie du texte. Je vais passer la parole à ceux qui la voudraient avant de passer à la présentation des amendements.
Mme Amel Gacquerre. - Je vous remercie pour ce travail très technique. Je souhaite revenir sur le sujet de la protection des données réglementaires, qui constitue un point de divergence et conditionne la fixation du prix des médicaments. Cette protection est aujourd'hui de huit ans, auxquels s'ajoutent deux ans de protection du marché, ce qui porte la durée totale à dix ans. La question suivante se pose : plutôt que d'avoir une durée unique pour tous les médicaments, avez-vous envisagé de fixer une durée particulière pour certains médicaments ou certaines catégories de médicaments ?
Mme Pascale Gruny, rapporteure. - Cela reviendrait à réserver la période de huit ans à une partie seulement des médicaments. Or, il est nécessaire de fixer une durée-socle pour tous les médicaments et d'y ajouter des dispositions spécifiques visant à augmenter cette durée pour certains médicaments, notamment lorsqu'ils répondent à un besoin médical non satisfait.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - La question est essentielle. C'est pourquoi je vais revenir sur nos différences d'appréciation du problème afin que les choses soient claires au moment de la présentation des amendements. La Commission européenne et le Parlement européen ont engagé cette révision afin de répondre aux objectifs suivants : lutter contre les pénuries de médicaments, favoriser l'innovation et la recherche sur les médicaments, maîtriser le prix des médicaments et ainsi permettre un accès plus large aux médicaments à l'ensemble des citoyens de l'Union.
Au terme d'un travail sur la protection des données réglementaires et d'une évaluation de l'impact d'une diminution de celle-ci, la Commission européenne a proposé de la diminuer de huit à six ans, avec la possibilité de prolongations pour répondre aux objectifs que je viens d'énumérer. Cela peut aller jusqu'à douze ans, in fine, si on cumule ces incitations en termes de durées de protection. La proposition de la Commission européenne est donc de moduler la durée de protection de ces données entre six et douze ans.
Cette proposition n'a été retenue ni par le groupe social-démocrate au Parlement européen, qui avait une position bien plus restrictive, ni par la rapporteure de la directive, issue du groupe du Parti Populaire Européen (PPE). La rapporteure PPE est favorable à la réduction de la durée de huit ans à sept ans et demi, soit six mois de moins que la durée actuelle, tout en ajoutant un certain nombre de prolongations. C'est la position que notre collègue et co-rapporteure, Pascale Gruny, a rappelée.
Cette position est soutenue par une partie de l'industrie pharmaceutique, à l'exception de l'industrie des médicaments génériques et des médicaments biosimilaires. Cette dernière est favorable au texte de la Commission européenne. Le reste de l'industrie pharmaceutique, celle des médicaments princeps, est favorable à la position que notre collègue et co-rapporteure, Pascale Gruny, a exposée.
La position de mon groupe est d'accepter la proposition de la Commission européenne. Les amendements que j'ai déposés, en partie avec ma collègue, Cathy Apourceau-Poly, reprennent la proposition de la Commission européenne. Nous estimons que passer de huit ans à sept ans et demi, ne constitue pas un changement notable. En revanche, proposer une réduction de deux ans, tout en prévoyant des possibilités de prolongation très substantielles constitue une forte incitation à réaliser les objectifs poursuivis. Cette position résulte bien d'une différence d'appréciation. Les amendements que vous allez examiner découlent de cette différence d'appréciation.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure - Effectivement, passer de huit ans à sept ans et demi ne nous semble pas très significatif. Nous partageons donc la position de mon collègue Bernard Jomier : c'est pourquoi nous avons cosigné la plupart des amendements.
Mme Marta de Cidrac. - Le sujet est complexe. Monsieur le rapporteur, vous avez mentionné deux types de médicaments, et les différentes positions qui y sont associées. Pourriez-vous développer ?
M. Bernard Jomier, rapporteur. - S'agissant des médicaments, il y a ceux qui viennent d'être mis sur le marché, tel que le Wegovy, médicament anti-obésité, dont on parle beaucoup. Ces médicaments mis sur le marché, appelés médicaments princeps, bénéficient d'une protection réglementaire pendant huit ans. Lorsqu'ils perdent leur protection, d'autres fabricants peuvent les reprendre afin de les « génériquer », ce qui entraîne une chute de leur prix. Les fabricants de génériques ainsi que les systèmes sociaux qui financent notre assurance maladie, souhaitent que ces médicaments soient génériqués le plus vite possible. Cependant, une réduction trop importante des durées de protection réglementaire conduit à pénaliser la recherche, en raison du montant important des investissements réalisés, sans éventuelle perspective de revenus corrélatifs.
Les positions varient en fonction de ces paramètres et il s'agit de trouver le bon équilibre. Personnellement, je ne reprends pas dans les amendements la position du groupe social-démocrate au Parlement européen, mais plutôt le texte proposé par la Commission européenne. L'expérience montrera où se situe le point d'équilibre. En effet, il ne faut pas pénaliser l'innovation et la recherche, mais au contraire les stimuler. Néanmoins, il faut veiller à ne pas créer de surcoûts qui ne seraient pas légitimes à la charge des systèmes de financement de nos différents États. L'accès de l'ensemble des citoyens aux médicaments ne doit pas être compromis.
Ce dernier point est crucial. En effet, l'objectif de cette révision de la législation pharmaceutique est d'assurer un égal accès aux médicaments à tous les citoyens dans l'Union. C'est ce que permet la proposition de la Commission en accordant deux années supplémentaires de protection des données réglementaires lorsque le médicament est mis à disposition des patients dans tous les États membres. S'il n'existe pas des incitations fortes pour que les médicaments soient mis sur l'ensemble des marchés des États de l'Union et disponibles pour l'ensemble des citoyens de l'Union, nous ferons face à des accès différenciés à ces médicaments dans l'Union. Les fabricants commercialiseront les médicaments sur les marchés où les prix sont les plus élevés, ce qui n'est pas le cas de la France qui ne sortira donc pas gagnante de ce mécanisme. C'est également pour cela que je défends une diminution à six ans de la durée de la protection des données réglementaires.
Mme Pascale Gruny, rapporteure. - Vous trouverez dans le rapport un tableau présentant les différentes durées de protection et les incitations proposées. La différence entre notre position de sept ans et demi et la position de la Commission européenne qui est de six ans, réside dans le fait que la Commission propose d'ajouter à cette durée de six ans, deux années de protection supplémentaires lorsque le médicament est mis sur le marché dans tous les États membres. Je n'ai pas souhaité soutenir cette position car la mise sur le marché d'un médicament relève d'une négociation directe entre les États membres et les fournisseurs.
Aussi, si la durée socle que nous proposons est un peu plus longue, sept ans et demi, la durée totale ne peut excéder huit ans et demi, si on ajoute d'éventuelles incitations, notamment pour les médicaments répondant à un besoin médical non satisfait, comme l'a mentionné notre collègue Amel Gacquerre. La proposition de la Commission européenne prévoit une prolongation de six mois, tandis que nous proposons douze mois.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure - C'est ce que demandait l'industrie pharmaceutique.
Mme Pascale Gruny, rapporteure. - Il faut faire très attention à ne pas déséquilibrer le marché et à ne pas empêcher la recherche de se développer. En outre, il est essentiel que les prix ne soient pas plus élevés si l'on veut favoriser l'accès aux médicaments innovants. En effet, si l'on réduit les délais de protection, les entreprises vont augmenter leurs prix pour obtenir un retour sur investissement dans une durée plus courte. C'est évident.
M. Jean-François Rapin, Président. - Notre commission me semble suffisamment informée. Nous en venons à l'examen des treize amendements qui nous sont présentés.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - Nous allons pouvoir le faire rapidement ; je souhaite apporter quelques précisions par amendement que je vous présente dans l'espoir que les trois rapporteurs puissent s'accorder sur leur rédaction. Tel est le cas du premier : la Commission européenne propose de supprimer l'obligation de renouvellement de l'AMM au bout de 5 ans et, pour traduire plus fidèlement notre position, l'amendement prévoit d'indiquer que nous jugeons que cette suppression « est recevable » en écartant les mots « serait justifiée » qui laisseraient entendre que nous la soutenons fermement.
M. Jean-François Rapin. - Ce premier amendement porte sur l'alinéa n° 41.
La commission adopte l'amendement no 1.
M. Jean-François Rapin. - Le deuxième amendement concerne l'alinéa 51 du texte.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - Il s'agit d'une précision sur les « bacs a` sable » réglementaires qui visent à permettre l'accès aux technologies les plus innovantes. Sans entrer dans le détail de ce dispositif complexe, notre amendement exige une transparence et un contrôle renforcés tant sur les critères de sélection que sur les essais effectués au préalable, le bac a` sable réglementaire ne devant pas s'apparenter a` un essai clinique.
La commission adopte l'amendement no 2.
M. Jean-François Rapin. - Le troisième amendement porte sur l'alinéa 65.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - Nous soutenons la volonté de la Commission européenne de rendre les médicaments plus durables sur le plan environnemental. Mon amendement va un peu plus loin que le projet de proposition de résolution initial : ce dernier prévoit que l'application des normes environnementales ne doit pas, de façon générale, provoquer de pénuries de médicaments tandis que mon amendement précise que c'est l'offre de « médicaments essentiels » qui doit être préservée.
Mme Pascale Gruny, rapporteure. - Pour que nous puissions trouver un accord sur ce point, je propose de sous-amender cet amendement en apportant plusieurs précisions. D'une part, à l'alinéa 64 après les mots « des médicaments », nous proposons d'insérer le mot « critiques ». D'autre part, à l'alinéa 65, nous précisons qu'une production de médicaments plus respectueuse de l'environnement ne doit pas se faire au détriment de l'accès des patients aux médicaments répondant à un besoin médical non satisfait, aux antimicrobiens prioritaires, aux médicaments présentant un intérêt du point de vue de la santé publique et aux médicaments qualifiés d'avancée thérapeutique exceptionnelle. Cette définition plus précise devrait permettre de réunir nos points de vue.
La commission adopte l'amendement no 3 ainsi sous-amendé.
M. Jean-François Rapin. - Le quatrième amendement vise à préciser, à l'alinéa 80, que les informations sur les soutiens financiers indirects doivent être rendues publiques, au même titre que celles concernant les soutiens financiers directs.
La commission adopte l'amendement no 4.
M. Jean-François Rapin. - Le cinquième amendement, qui se situe à l'alinéa 83, est rédactionnel.
La commission adopte l'amendement no 5.
M. Jean-François Rapin. - Nous devons à présent nous prononcer sur le sixième amendement, à l'alinéa 105, qui porte sur la durée de la protection des données réglementaires des médicaments bénéficiant d'une AMM.
Mme Pascale Gruny, rapporteure. - C'est là où se situe le point de divergence que nous avons évoqué.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - Le projet de proposition de résolution européenne prévoit de réduire la durée de protection de huit a` sept ans et six mois. L'amendement présenté par Cathy Apourceau-Poly et moi-même vise à restreindre à six mois cette durée, conformément à la proposition de la Commission européenne. Il s'agit de favoriser un accès plus large a` des médicaments innovants, durables et abordables pour les patients de l'Union en permettant une arrivée plus rapide des médicaments génériques et des médicaments biosimilaires sur le marché.
M. Jean-François Rapin. - Je consulte la commission.
La commission rejette l'amendement no 6.
M. Jean-François Rapin. - L'amendement n° 7 à l'alinéa 105 vise à accorder une protection des données réglementaires supplémentaire de deux ans lorsque le médicament est mis sur le marché dans tous les États membres de l'Union dans un délai de deux ans après l'obtention de l'autorisation de mise sur le marché.
Mme Pascale Gruny, rapporteure. - Défavorable.
La commission rejette l'amendement no 7.
M. Jean-François Rapin. - Les amendements n° 8 à l'alinéa 107 et n° 9 à l'alinéa 108 tombent. Nous en venons à l'alinéa 113, avec un amendement n° 10 qui prévoit de réduire de douze à six mois la durée supplémentaire de protection dont pourraient bénéficier les médicaments répondant à un besoin médical non satisfait.
Mme Pascale Gruny, rapporteure. - Défavorable.
La commission rejette l'amendement no 10.
M. Jean-François Rapin. - L'amendement n° 11 à l'alinéa 114 porte sur la période supplémentaire de protection des données réglementaires pouvant être accordée en cas de production de données cliniques comparatives.
Mme Pascale Gruny, rapporteure. - Défavorable.
La commission rejette l'amendement no 11.
M. Jean-François Rapin. - À l'alinéa 115, l'amendement n° 12 vise à allonger à douze mois, au lieu de six, la période supplémentaire de protection des données réglementaires dont pourrait bénéficier le titulaire d'une AMM qui obtient une autorisation pour une indication thérapeutique supplémentaire.
Mme Pascale Gruny, rapporteure. -Défavorable, dans le prolongement de nos prises de positions précédentes.
La commission rejette l'amendement no 12.
M. Jean-François Rapin. - À l'alinéa 152, l'amendement n° 13 invite à soutenir la proposition de la Commission visant à prolonger de douze mois la durée de l'exclusivité commerciale accordée lorsqu'un médicament orphelin est mis sur le marché de tous les États membres.
Mme Pascale Gruny, rapporteure. - Défavorable.
La commission rejette l'amendement no 13.
M. Jean-François Rapin. - À l'alinéa 153, l'amendement n° 14 de cohérence avec l'amendement 13 tombe.
M. Jean-François Rapin. - Je vais consulter notre commission sur la publication du rapport qui nous a été présenté et sur la proposition de résolution ainsi que l'avis politique.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - Un mot pour expliquer notre vote : l'approbation du rapport ne nous pose pas de difficulté puisqu'il se limite à exposer notre divergence fondamentale. En revanche, nous rejetterons la proposition de résolution ainsi modifiée car il reste un point de divergence qui est, pour nous, essentiel.
La commission autorise la publication du rapport, puis elle adopte la proposition de résolution européenne ainsi modifiée disponible en ligne sur le site du Sénat, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.