C. INCITER À LA PRODUCTION ET AU DÉVELOPPEMENT D'ANTIMICROBIENS PRIORITAIRES
1. La création de titres d'exclusivité des données transférables : une mesure entourée d'incertitudes
La Commission propose de pouvoir, par le biais d'un acte d'exécution, octroyer au demandeur d'une AMM relative à un « antimicrobien prioritaire » qui en ferait la demande un titre d'exclusivité des données transférable. Ce titre donnerait droit à douze mois supplémentaires de protection des données réglementaires pour un médicament autorisé.
Le titre peut être utilisé pour tout produit ayant reçu une AMM de l'EMA au cours des quatre premières années de protection des données réglementaires. Il ne peut être transféré qu'une seule fois et, en cas de vente, l'identité du nouveau détenteur et la valeur de la transaction doivent être rendues publiques. Si le titre n'est pas utilisé dans les cinq ans suivant la date d'octroi, il cesse d'être valable.
Pour en bénéficier, le titulaire de l'AMM devra remplir des critères stricts en termes de capacités de production et divulguer tous les financements reçus, de quelque source que ce soit, pour la recherche sur les antimicrobiens.
En outre, la proposition de l'Union limite le nombre de titres à un maximum de dix à l'échelle de l'Union, ce qui permet de maintenir leur valeur.
Lors de son audition, la Commission a indiqué que les antimicrobiens sont généralement développés par des petites entreprises qui seront tentées de vendre leur titre à une plus grande. Le coût de ces titres peut être certes élevé pour les finances des États membres mais cela reviendrait moins cher pour eux que de rester passifs, en raison notamment de l'impact économique et social de la résistance aux antimicrobiens.
Quatorze États membres de l'Union (Autriche, Belgique, Finlande, France, Hongrie, Irlande, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Slovaquie et Slovénie) ont déclaré s'opposer à ce mécanisme en raison notamment des coûts imprévisibles qu'il peut engendrer pour les systèmes de santé nationaux.
L'EPF estime que si ces titres peuvent avoir un impact incitatif, d'autres mesures devraient pouvoir être envisagées, notamment le modèle de revenus garantis actuellement testé en Suède et au Royaume-Uni et qui donnerait de bons résultats.
L'EFPIA est favorable à la création de ces titres qu'elle qualifie d'incitation effective et efficace. Elle estime que le coût pour les finances publiques est surestimé et qu'il doit être comparé aux coûts directs de l'inaction.
Medecines for Europe est opposée à ce système qui dissocie la récompense de l'innovation en créant une extension de monopole qui risque d'être utilisée pour les médicaments à succès les plus chers.
Selon l'étude réalisée pour le STOA, le modèle des titres transférables a pour avantage de ne pas lier la récompense de l'innovation au volume des ventes et d'orienter l'incitation à l'innovation vers les produits éligibles. En effet, le gain financier espéré à la suite du développement d'un nouvel antimicrobien prioritaire n'est pas lié au volume de ventes de cet antimicrobien. Toutefois, le coût pour les systèmes de santé n'est pas connu à l'avance et peut être important. En outre, les données réglementaires relatives au médicament pour lequel le titre sera utilisé seront protégées une année de plus, avec des conséquences sur les conditions d'accès à ce médicament.
En raison des incertitudes relatives aux coûts et à l'efficacité du modèle de titres transférables, les rapporteurs restent réservés sur la création de ces titres.
2. La nécessité de développer des mesures alternatives
Pour les rapporteurs, compte tenu de la nécessité de disposer d'antimicrobiens en quantités suffisantes et de développer de nouveaux produits permettant de lutter contre la RAM, des mesures alternatives à la création de titres d'exclusivité transférables doivent être proposées.
Selon l'étude réalisée pour le STOA, les modèles de revenus garantis impliquent que les acheteurs paient un montant forfaitaire fixe au titulaire de l'AMM pour une période déterminée en échange d'un approvisionnement garanti. Ce système permet de dissocier les revenus du volume de médicaments vendus. Toutefois, la mise en oeuvre de ce modèle au niveau de l'Union implique un consensus sur le montant payé par chaque État. Il a été mis en place avec succès en Suède pour garantir l'accès aux antimicrobiens. L'HERA réfléchit à le développer pour tous les États membres. La France pourrait accepter de participer à un mécanisme d'achat conjoint fondé sur un modèle de revenus garantis, la participation à un tel mécanisme se faisant sur une base volontaire.
Medecines for Europe se prononce également en faveur du modèle à revenus garantis tel que mis en oeuvre en Suède.
Ce modèle n'étant pas conçu pour encourager l'innovation et le développement de nouveaux antimicrobiens, il devra être complété par une incitation à la recherche. Pour cela, les rapporteurs proposent de promouvoir un modèle de paiement de l'innovation qui permet d'attribuer une récompense monétaire pour le développement avec succès de produits innovants. Un paiement à chaque étape du développement peut être aménagé. Les États membres qui auront participé au financement de l'innovation détiendront des droits de propriété intellectuelle.
Pour ces raisons, les rapporteurs soutiennent les achats conjoints d'antimicrobiens fondés sur un modèle de revenus garantis et la mise en oeuvre d'un modèle de paiement de l'innovation à chaque étape de son développement.