C. ÉLABORER DES MÉCANISMES D'INCITATION VISANT À ORIENTER ET DÉVELOPPER LA RECHERCHE
La Commission a proposé des mesures d'incitation au profit des titulaires d'AMM, qui, s'ils remplissent un certain nombre de critères, pourront bénéficier d'une protection des données réglementaires plus longue. Le Parlement européen a également fait des propositions en ce sens.
Les rapporteurs ont examiné les différents mécanismes d'incitation proposés avec pour objectifs d'encourager et de mieux orienter la recherche qui reste indispensable pour le développement de nouveaux médicaments.
1. Répondre aux besoins médicaux non satisfaits
a) L'introduction de la notion de médicament répondant à un besoin médical non satisfait dans la législation
L'article 83 de la proposition de directive qualifie un médicament répondant à un besoin médical non satisfait.
Un médicament est considéré comme répondant à un besoin médical non satisfait si au moins une de ses indications thérapeutiques concerne une maladie mettant la vie en danger ou gravement invalidante et si les conditions suivantes sont remplies :
- il n'existe pas de médicament autorisé dans l'Union pour cette maladie ou, bien que des médicaments soient autorisés pour cette maladie dans l'Union, la morbidité ou la mortalité reste élevée ;
- l'utilisation du médicament entraîne une réduction significative de la morbidité ou de la mortalité pour la population de patients concernée.
Les médicaments désignés comme médicaments orphelins sont considérés comme répondant à un besoin médical non satisfait.
L'EMA devra adopter des lignes directrices précisant cette qualification, après consultation de la Commission et des autorités compétentes des États membres. Il reviendra au développeur de démontrer auprès de l'EMA que le médicament répond bien à un besoin médical non satisfait.
Pour l'EPF, il est impératif d'aligner cette définition sur les besoins réels des patients en incluant notamment l'impact sur leur qualité de vie mais aussi la disponibilité des traitements actuels.
Pour Prescrire, il est nécessaire qu'il y ait une transparence sur les avis fournis par l'EMA concernant la qualification d'un médicament comme répondant à un besoin médical non satisfait et que ces avis fassent l'objet d'une publication.
L'EFPIA est très critique vis-à-vis des critères de qualification proposés qui, selon elle, ne tiennent pas suffisamment compte des besoins des patients et des évolutions des progrès scientifiques. Ces critères sont orientés du point de vue du payeur plutôt que du patient dans le but de restreindre les dépenses.
La commission des affaires européennes du Sénat, dans son avis politique du 20 octobre 2022, recommandait de définir la notion de besoin médical non satisfait.
Toutefois, les rapporteurs estiment que les critères proposés mériteraient d'être davantage précisés et centrés sur le patient, notamment en ce qui concerne l'impact du traitement sur la qualité de vie des patients. Comme indiqué précédemment pour la mise en oeuvre du programme dit PRIME pour les médicaments prioritaires, la notion d'avancée thérapeutique exceptionnelle devrait être précisée. Enfin, les avis de l'EMA relatifs à la désignation d'un médicament comme répondant à un besoin médical non satisfait devraient être motivés et publiés.
Par ailleurs, lors de l'élaboration des lignes directrices, l'EMA devrait consulter également les associations de patients, les développeurs de médicaments et les professionnels de la santé.
b) Une incitation à développer ces médicaments qui doit être renforcée
La Commission propose que les titulaires de l'AMM relative aux médicaments répondant à un besoin médical non satisfait bénéficient de six mois supplémentaires de protection des données réglementaires, contre douze mois selon la proposition du Parlement européen.
Mme Pascale Gruny et la majorité sénatoriale sont alignées sur la proposition du Parlement européen qui est plus attractive pour les développeurs.
2. Encourager la production de données cliniques comparatives
La Commission et le Parlement européen souhaitent encourager la production de données cliniques comparatives afin d'aider les États membres à prendre des décisions en matière de fixation des prix et de niveau de remboursement plus rapides et fondées sur des données probantes. Cela doit permettre d'accélérer et de faciliter la mise à disposition du médicament.
Dans ce but, ils proposent de prolonger de six mois la durée de la protection des données réglementaires pour les médicaments contenant une nouvelle substance active, lorsque les essais cliniques à l'appui de la demande initiale d'AMM utilisent un comparateur pertinent fondé sur des données probantes, conformément à l'avis scientifique fourni par l'EMA.
France Assos Santé est favorable à cette mesure qui doit permettre d'anticiper le travail d'évaluation des États membres et qui servira à fixer le prix et les niveaux de remboursement des médicaments.
La HAS indique, quant à elle, que le comparateur choisi doit être pertinent au regard de la stratégie thérapeutique de référence dans un pays donné. Il est donc primordial que les autorités compétentes des États membres soient consultées par l'EMA lorsqu'elle élaborera les lignes directrices visant à définir un comparateur approprié, cette mesure n'ayant à ses yeux d'intérêt que si le comparateur choisi est conforme aux attentes des autorités nationales compétentes.
Pour Mme Pascale Gruny et la majorité sénatoriale, cette incitation n'a d'intérêt que si ces évaluations comparatives correspondent aux standards attendus par les autorités nationales compétentes, ce qui n'est pas certain. En outre, la mise en oeuvre du règlement (UE) 2021/2282 relatif à l'évaluation des technologies de la santé doit permettre d'identifier les technologies les plus prometteuses pour permettre de préparer en amont des évaluations communes, ce qui rend moins pertinente l'incitation proposée. Enfin, Mme Pascale Gruny et la majorité sénatoriale souhaitent limiter à huit ans et six mois la durée maximale de la protection des données réglementaires. En conséquence, ils n'appuient pas cette proposition.
3. Favoriser et développer la recherche
a) Des incitations proposées pour l'ajout d'une nouvelle indication thérapeutique
La Commission propose des incitations pour le développement de nouvelles indications pour les produits brevetés, d'une part, et pour les produits qui ne sont plus protégés par un brevet, d'autre part.
Tout d'abord, la Commission propose de conserver l'incitation actuelle qui consiste à accorder douze mois supplémentaires de protection des données réglementaires au titulaire de l'AMM qui obtient, au cours de la période de protection des données, une autorisation pour une indication thérapeutique supplémentaire pour laquelle il a démontré, données à l'appui, un bénéfice clinique significatif par rapport aux thérapies existantes. Le Parlement européen propose quant à lui de supprimer cette incitation.
S'il est nécessaire de favoriser le développement de nouvelles indications, Mme Pascale Gruny et la majorité sénatoriale souhaitent limiter à huit ans et six mois la durée maximale de la protection des données réglementaires. En outre, une nouvelle indication thérapeutique permet déjà aux titulaires d'AMM de générer des revenus supplémentaires. Dès lors, ils proposent de conserver cette incitation mais de limiter à six mois la durée supplémentaire de protection des données réglementaires dont pourrait en ce cas bénéficier le titulaire de l'AMM.
Par ailleurs, l'article 84 de la proposition de directive prévoit qu'une période de protection des données réglementaires de quatre ans est accordée pour un médicament pour lequel a été trouvée une nouvelle indication thérapeutique qui n'avait pas été autorisée auparavant dans l'Union, à condition :
- que des études cliniques ou non cliniques adéquates aient été réalisées en relation avec l'indication thérapeutique, démontrant un bénéfice clinique notable ; et
- qu'il s'agisse d'un médicament générique ou biosimilaire qui n'a pas bénéficié auparavant de la protection des données, ou qu'une période de vingt-cinq ans se soit écoulée depuis l'octroi de l'autorisation initiale de mise sur le marché du médicament concerné.
Cette disposition vise à stimuler l'innovation au sein de l'industrie du médicament générique ou biosimilaire, en développant le repositionnement de médicaments à valeur ajoutée non protégés par un brevet. Parmi les médicaments repositionnés qui ont montré leur efficacité, Medecines for Europe cite le cas de la dexaméthasone qui a permis de réduire d'un tiers le nombre de décès chez les patients hospitalisés atteints de COVID-19 et placés sous assistance respiratoire.
La protection des données réglementaires pour quatre ans ne pourra être accordée qu'une seule fois pour un médicament donné.
Selon une étude17(*) réalisée pour le STOA18(*), une telle mesure permettrait effectivement de stimuler l'innovation sur les produits non brevetables.
Les trois rapporteurs y sont favorables.
b) Une incitation proposée pour développer la recherche dans l'Union
Le Parlement européen propose que la durée de la protection des données réglementaires soit prolongée de six mois lorsque les développements ayant mené à la mise au point du médicament ont été principalement réalisés dans l'Union et au moins en partie en collaboration avec des entités publiques. Il s'agit là d'une mesure qui pourrait permettre le développement de la recherche sur le territoire de l'Union.
Mme Pascale Gruny et la majorité sénatoriale soutiennent cette mesure dont les conditions de mise en oeuvre devront être précisées par la Commission afin de permettre une appréciation transparente des efforts de recherche réalisés dans l'Union. En revanche, ils estiment qu'il n'est pas nécessaire de préciser que cette recherche doit se faire en collaboration avec des entités publiques.
Le tableau ci-dessous synthétise les différentes propositions.
Législation actuelle |
Proposition de la Commission européenne |
Proposition du Parlement européen |
Proposition de la commission des affaires européennes du Sénat |
|
Durée socle de la protection des données réglementaires |
8 ans |
6 ans |
7,5 ans |
7,5 ans |
Mise sur le marché du médicament dans tous les États membres de l'Union dans un délai de 2 ans à compter de la date de l'AMM |
- |
+ 2 ans |
- |
- |
Médicament qui répond à un besoin médical non satisfait |
- |
+ 6 mois |
+ 12 mois |
+ 12 mois |
Réalisation d'essais cliniques comparatifs |
- |
+ 6 mois |
+ 6 mois |
- |
Ajout d'une nouvelle indication thérapeutique pour laquelle le médicament montre un avantage clinique important par rapport aux thérapies existantes |
+ 1 an |
+ 1 an |
- |
+ 6 mois |
Recherche et développement réalisée dans l'Union |
- |
- |
+ 6 mois |
+ 6 mois |
* 17 https://www.europarl.europa.eu/stoa/en/document/EPRS_STU(2023)753166
* 18 Le panel STOA (Panel for the Future of Science and Technology) - anciennement Science and Technology Options Assessment (dont il a conservé l'acronyme) - est un panel institutionnel de députés européens dont le domaine de compétence est l'analyse des problématiques liées aux sciences et technologies