E. LE DEGRÉ D'EXIGENCE DE LA DOCTRINE DU « BON ÉTAT » DE RESTITUTION DES BIENS DE RETOUR QUI SERA FIXÉE PAR L'ÉTAT NE DOIT RIEN CÉDER AUX PRÉROGATIVES DE CE DERNIER

Sur la base de ces premiers constats, en ce qui concerne la définition du « bon état » en fin de concession, l'ART a vivement alerté la DGITM sur plusieurs points d'attention qui font selon elle porter un risque sur la défense des intérêts patrimoniaux de l'État. L'autorité souligne ainsi que l'annexe ajoutée aux contrats du groupe SANEF-SAPN en janvier 2023 « laisse courir le risque qu'une définition insuffisamment exigeante du bon état soit retenue pour certains biens, en particulier pour les ouvrages d'art dont l'état est dit évolutif ». L'ART considère ainsi que l'annexe n'apparaît pas assez exigeante s'agissant des ouvrages d'art classés « 2E », c'est-à-dire les ouvrages « dont les équipements ou les éléments de protection présentent des défauts » ou dont la « structure présente des défauts mineurs qui nécessitent un entretien spécialisé sans caractère d'urgence »80(*). L'ART pointe du doigt le fait que l'annexe ne prévoit pas de manière explicite qu'à leur restitution, les infrastructures autoroutières devraient comprendre un minimum d'ouvrages classés 2E. Elle souligne à ce titre le décalage avec l'annexe, beaucoup plus claire et protectrice des intérêts patrimoniaux du concédant, qui a été intégrée au contrat de la nouvelle concession de l'autoroute A69. Le cahier des charges de cette dernière prévoit en effet de manière explicite qu'aucun ouvrage d'art ne soit restitué dans un état « évolutif » au terme de la concession.

Le risque est d'autant plus grand que la doctrine qui sera fixée pour les premières concessions arrivant à échéance servira nécessairement de référence pour toutes les autres. Aussi, sur ce sujet, l'État concédant n'a-t-il pas le droit à l'erreur. Il serait très compliqué juridiquement d'essayer de rectifier le tir dans un deuxième temps. L'ART a confié au rapporteur ses préoccupations sur cette question : « l'enjeu dépasse le seul cas des concessions du groupe SANEF, car des cibles de bon état différenciées selon les groupes génèreraient un risque d'insécurité juridique qui pourrait être particulièrement pénalisant dans le cas des concessions qui comprennent un nombre important d'ouvrages d'art dans un état intermédiaire »81(*), en particulier s'agissant des concessions Escota ou Area.

L'ART met également en garde l'État concédant contre la tentation, par souci de simplicité de ne fixer aux concessionnaires que des obligations de moyens et non de résultat en matière de remise en état des infrastructures. Une telle décision serait de nature à affecter les intérêts patrimoniaux de l'État au sens où elle n'apporterait aucune garantie sur la remise en état effective des biens de retour des concessions : « la solution, pour certaines catégories de biens, consistant à fixer un objectif de moyens peut sembler plus simple que l'objectivation des critères de bon état, mais pourrait aboutir à un résultat insatisfaisant. Des objectifs de moyens, sous la forme d'une politique générale d'entretien et de maintenance, mais également sous la forme d'une enveloppe de dépenses en euros, paraissent, dans certains cas, plus simples à définir que des objectifs de résultats. Néanmoins, une telle approche ne serait pas cohérente avec l'objectif de résultat posé par les contrats et risquerait d'aboutir à des résultats dégradés »82(*).

Malheureusement, aujourd'hui, le rapporteur ne cache pas sa très vive préoccupation sur le sujet de la définition par l'État de la doctrine de bon état en fin de concession, tout particulièrement s'agissant de l'enjeu principal, celui des ouvrages d'art évolutifs. En effet, il a appris récemment que l'État concédant venait de s'entendre avec les sociétés d'autoroutes sur une option de traitement a minima des ouvrages d'art évolutifs classés 2E.

Sur cette question, l'État concédant, en dépit des prérogatives qu'il détient et au détriment de ses intérêts patrimoniaux, s'apprête à mettre en application une doctrine bien moins exigeante que les recommandations faites par le régulateur avec lequel il est en désaccord profond. L'option retenue serait de ne demander une remise en état par les sociétés d'autoroutes des ouvrages d'art classés 2E qu'à la seule condition qu'ils risquent de basculer dans la catégorie 3 ou 3U dans dix ans à partir d'aujourd'hui, c'est-à-dire potentiellement moins de 5 ans après l'échéance des concessions. L'État concédant accepterait ainsi de se voir remettre des infrastructures dont il sait que seulement quelques années plus tard elles devront faire l'objet de lourds travaux de remise en état. Le rapporteur observe que cette définition du « bon état » retenue par l'État concédant a de quoi surprendre.

Au cours des échanges qu'il a pu avoir avec les services de l'État concédant, le rapporteur a compris la principale raison qui ont conduit ce dernier à adopter une position aussi conciliante vis-à-vis des sociétés d'autoroutes sur cet enjeu si crucial. Comme il le redoutait, l'État craint par-dessus tout que les sociétés d'autoroutes n'engagent des contentieux au long cours qui seraient susceptibles de compromettre la bonne réalisation des travaux de remise en état des biens de leurs concessions. Le rapporteur concède que les sociétés d'autoroutes ont montré dans le passé, et continue d'en faire la preuve aujourd'hui, qu'elles sont de grandes adeptes de ce type de contentieux. Cependant, il n'est pas tolérable que l'État concédant soit à ce point tétanisé par cette perspective qu'il cède même par avance, renonçant ainsi d'emblée à ses droits pourtant légitimes. Dans ces conditions, quitte à sacrifier une part de ses intérêts patrimoniaux et à ne pas assumer pleinement les pouvoirs qui sont les siens en vertu des dispositions contractuelles, l'État concédant souhaite avant tout trouver un « compromis acceptable » avec les sociétés d'autoroutes.

Cette position n'est pas tolérable. Comme l'ART, le rapporteur tient à rappeler que les prérogatives de puissance publique qui sont celles de l'État ne devraient pas être négociables et que ce dernier a le devoir de les défendre, le cas échéant devant le juge. Cette perspective ne doit pas l'intimider comme il semble que ce soit le cas aujourd'hui.

Recommandation n° 1 : S'agissant de la remise en état des infrastructures autoroutières aux frais des concessionnaires, l'État concédant, en les défendant si nécessaire devant le juge en cas de recours, doit user de toute la plénitude de ses prérogatives de puissance publique en :

- fixant, dans le cadre des indicateurs techniques spécifiquement conçus à cette fin, des cibles techniques exigeantes pour la remise en état des différents types de bien desquelles résulteront les programmes de travaux notifiés aux sociétés d'autoroutes ;

- imposant aux sociétés concessionnaires des obligations de résultat pour la remise à niveau des biens de retours à l'expiration des contrats ;

- exigeant la remise en état de l'ensemble des ouvrages d'art évolutifs avant l'expiration des concessions historiques.


* 80 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 81 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 82 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

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