DEUXIÈME PARTIE - LA PRATIQUE DE LA SAISINE PARLEMENTAIRE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Présidence : Philippe Bas
Sénateur de la Manche
Ancien
président de la commission des lois du Sénat
La révision de 1974, dont nous célébrons l'anniversaire, a conforté et validé implicitement la plus grande mutation du Conseil constitutionnel. Progressivement, à partir de sa fonction d'auxiliaire de la rationalisation du parlementarisme, le Conseil constitutionnel est devenu la clé de voûte de l'État de droit.
Cette évolution s'est opérée à partir d'une révolution juridique considérable, avec une audace extraordinaire dans l'histoire de la République. Le Conseil a agi de sa propre initiative, alors que la Constitution ne lui conférait pas cette fonction et que ni la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ni le préambule de la Constitution de 1946, ni les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ne s'imposaient aux législateurs.
La révision de 1974 a non seulement donné un fondement constitutionnel à cette évolution prétorienne, mais a aussi permis au Conseil constitutionnel d'exercer sa fonction de garant de l'État de droit en multipliant les occasions de sa saisine. Entre 1959 et 1974, on comptait dix saisines, contre près de 600 depuis lors. Le Conseil constitutionnel est véritablement rentré dans le quotidien de l'activité législative. La révision de 2008 a amplifié cette fonction de clé de voûte de l'État de droit en l'articulant avec la mission des juridictions françaises.
Cette révision peut également être interprétée à la lumière de la place de l'institution dans le jeu des pouvoirs. Le Conseil constitutionnel reste une institution originale dont l'action a une dimension politique dans le cadre de la séparation des pouvoirs.
Notre colloque rend aussi hommage à la vision personnelle de Valéry Giscard d'Estaing, animée par une tradition philosophique libérale. Lecteur de Montesquieu et de Tocqueville, il arrive au pouvoir dans un système de bipolarisation et de fait majoritaire à son apogée. Pourtant, par sa première initiative politique d'envergure, il agit en faveur d'un meilleur équilibre des pouvoirs.
Cette alchimie historique a permis d'instaurer un contre-pouvoir qui s'exerce au nom du droit et des libertés, face au pôle majoritaire unissant président, gouvernement et majorité parlementaire. Il le fait en attribuant à l'opposition la capacité de déclencher ce contre-pouvoir pour limiter le pouvoir exorbitant de la majorité. Le Conseil constitutionnel a ainsi été créé pour atténuer les effets potentiels sur les libertés, en incorporant les principes fondamentaux du droit et de la liberté au bloc de constitutionnalité.
Le choix du Sénat comme lieu de ce colloque n'est pas anodin. La singularité de la saisine du Conseil constitutionnel par les sénateurs mérite d'être soulignée. Le Sénat, représentant des collectivités territoriales de la République, se fait un devoir d'être le protecteur des libertés. Bien que les sénateurs puissent parfois critiquer les décisions du Conseil constitutionnel, ils sont fiers de participer à la défense des libertés au sein de la République.
Ce pouvoir de saisine n'est pas seulement donné à l'opposition, mais aussi aux présidents des deux assemblées et notamment celui du Sénat. Sur les dix saisines antérieures à 1974, trois émanaient du Président du Sénat, dont celles ayant permis au Conseil constitutionnel de se prononcer sur l'incorporation des droits fondamentaux au bloc de constitutionnalité. Le Sénat, en tant qu'institution législative, se veut également un contre-pouvoir. Une alliance de long terme existe entre le Sénat et le Conseil constitutionnel, qu'il nous appartient de servir.
Nous allons maintenant examiner si les perspectives historiques précédemment évoquées se confirment dans la partie consacrée à la machinerie de la saisine, et si les comparaisons internationales qui seront présentées les corroborent.