II. DÉBAT

Nicolas Albertini, doctorant en droit public à l'Université Paris-Saclay. - Ma question porte sur la distinction entre le rôle politique des parlementaires et le rôle juridique du Conseil constitutionnel. Ces deux axes se rencontrent lors de la nomination des membres du Conseil constitutionnel, qui sont auditionnés par les parlementaires.

L'analyse de ces auditions révèle une tendance du Conseil constitutionnel à faire de la politique. Par exemple, lors de l'audition d'Alain Juppé à l'Assemblée nationale, un parlementaire a souligné son appréciation et son engagement politique. De nombreux cas similaires existent où des politiques auditionnent d'autres politiques en félicitant leur bilan politique. Un membre du Conseil constitutionnel auditionné par le Sénat s'est même engagé à défendre le bicamérisme, allant jusqu'à promettre sa démission si ce système était menacé. Ces exemples illustrent la confusion entre politique et droit dans ces auditions.

Certains candidats ont été validés malgré des déclarations contradictoires sur leur expertise juridique, ce qui n'a pas posé problème aux parlementaires. Cette situation soulève des questions sur le processus de sélection et ses conséquences.

Une nouvelle nomination aura lieu en février. Les parlementaires remettront-ils en question leurs pratiques actuelles ? Continueront-ils à considérer qu'une personnalité politique peut devenir un grand juge constitutionnel ? Sans changement dans cette approche, nous risquons d'avoir les mêmes types de juges constitutionnels.

Philippe Bas. - Je souhaite souligner que, au-delà des auditions des candidats au Conseil constitutionnel, la question centrale porte sur leur qualification et leur indépendance. Vos remarques doivent être mises en perspective avec celles de Muriel Jourda, qui semblait exaspérée par certaines décisions du Conseil. Les politiques, désireux de faire aboutir leurs réformes, ont de plus en plus de mal à accepter ces décisions.

Je ne constate pas de connivence entre le politique et le Conseil constitutionnel, mais plutôt l'inverse. Les membres nommés, qu'ils soient politiques ou non, font preuve d'indépendance et de conscience dans l'exercice de leur mission. Les législateurs maintiennent une relation frictionnelle avec le Conseil, ce qui atteste d'une indépendance mutuelle.

Muriel Jourda. - Trois parlementaires ont exprimé des opinions divergentes sur le Conseil Constitutionnel, et partagent un certain agacement vis-à-vis de cette institution. On ne peut s'étonner de sa politisation, étant donné que ses membres sont désignés par des instances politiques. Cependant, Philippe Bas souligne à juste titre l'importance de l'indépendance des juges, qu'ils soient judiciaires ou constitutionnels.

L'indépendance ne signifie pas que le juge puisse exprimer librement ses opinions personnelles, mais qu'il doit faire preuve d'impartialité. Paradoxalement, la tâche la plus ardue pour un juge constitutionnel est de s'affranchir de ses propres convictions, surtout lorsqu'il a mené une carrière politique auparavant. C'est pourtant ce qui fait la grandeur de cette fonction.

Bien que certains membres du Conseil Constitutionnel parviennent à cette indépendance, je persiste à penser que d'autres éprouvent des difficultés à se détacher de leurs idées politiques. Cela soulève la question d'une éventuelle modification de la composition du Conseil Constitutionnel. Ne devrions-nous pas, en tant que parlementaires, exiger des qualifications plus élevées lors de la désignation de ses membres ?

Les auditions et les votes récents ont révélé des disparités selon les personnalités auditionnées. Il est indéniable qu'une longue carrière politique peut entraver la capacité à s'en détacher. Néanmoins, l'honneur des juges constitutionnels, comme de tous les juges, réside dans leur aptitude à faire preuve d'indépendance et d'impartialité.

Aïda Manouguian. - J'aimerais aborder la question des opinions dissidentes au sein du Conseil constitutionnel. Bien que contraire à notre tradition juridique, leur introduction pourrait avoir un mérite évident : démystifier l'idée d'une vérité juridictionnelle absolue. Cela permettrait de reconnaître que le juge doit trancher entre différentes options, exerçant ainsi un certain pouvoir discrétionnaire.

Cette approche est particulièrement pertinente lorsqu'il s'agit d'arbitrer entre des droits contradictoires, comme récemment entre le droit à la santé et la liberté de circulation. Les opinions dissidentes, à l'instar de la Cour suprême américaine, mettraient en lumière la nature politique - et non politisée - du juge constitutionnel. Sans remettre en question son indépendance ou son impartialité, elles souligneraient que, comme le politique, le juge constitutionnel choisit entre plusieurs options, confirmant ainsi son rôle de juge politique.

Anne-Charlène Bezzina. - Je dirais « pourquoi pas ? ». Cependant, je m'interroge parfois sur la pertinence des opinions dissidentes au sein du Conseil constitutionnel. En effet, cette institution incarne le dernier bastion de l'idée de volonté collective, puisque ses décisions doivent être prises à l'unanimité.

Je pense que l'idée d'une décision unique prise en commun reste pertinente, à l'heure où l'on promeut la culture du consensus et la recherche de pairs constitutionnels. À mon avis, ce qui fait défaut, c'est la capacité à assumer pleinement cette décision collective, sans trahir le secret des délibérations après avoir quitté ses fonctions. C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles il serait préférable de ne pas introduire ce type de pratique dans notre droit.

Benjamin Morel. - Je rejoins l'avis d'Aïda Manouguian. Le véritable enjeu ne réside pas dans une supposée politisation partisane des juges. Des études statistiques sur les décisions du Conseil constitutionnel n'ont pas établi de corrélation entre l'orientation politique des membres et leurs jugements. Il n'est pas démontré que la prédominance de membres de gauche favorise des décisions pro-gauche et anti-droite, ou inversement. Le débat sur ce point est donc mal orienté. L'enjeu essentiel concerne la motivation des décisions. L'introduction d'opinions dissidentes devrait contribuer à une meilleure argumentation des jugements rendus.

La motivation des membres du Conseil constitutionnel dépend également d'une délibération collective. Il semble peu probable qu'un Conseil dont le Président s'appuie sur l'administration et dont les membres manquent de ressources humaines et d'expertise puisse mener une délibération juridique approfondie, permettant d'examiner les arguments pour et contre, voire d'exprimer des opinions dissidentes.

Les archives publiques du Conseil constitutionnel révèlent des délibérations souvent sommaires, pas toujours fondées sur des éléments juridiques solides. Une éventuelle réforme du Conseil devrait donc se concentrer sur le renforcement des moyens mis à disposition de ses membres, notamment en termes de collaborateurs et d'expertise.

Actuellement, chaque membre du Conseil constitutionnel travaille de manière isolée, sans véritable équipe. Cette situation contraste fortement avec celle des juges de la Cour suprême américaine ou de la Cour constitutionnelle allemande, qui bénéficient de ressources bien plus importantes.

Une réforme structurelle, plutôt qu'une simple modification du mode de nomination, semble donc nécessaire pour améliorer le fonctionnement du Conseil constitutionnel.

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