CONCLUSION
Muriel Jourda
Sénateur du Morbihan
Le succès d'un colloque dépend de la qualité de sa conception - de l'agencement des interventions qui le composent à la richesse des débats qui le ponctuent. De ce point de vue, la journée qui s'achève aura permis d'examiner la saisine parlementaire du Conseil constitutionnel sous de nombreux angles, très complémentaires.
La révision constitutionnelle de 1974 continue de déployer des effets nouveaux, à mesure que les équilibres institutionnels évoluent. La présence d'un public nombreux atteste de l'intérêt que suscite la saisine parlementaire hors de nos murs.
Les quatre séquences de ce colloque ont permis d'éclairer les aspects structurants de cette saisine.
Le premier temps du colloque, consacré à la genèse de cette saisine, a permis de formuler quelques précieux rappels ; rappels essentiels tant à l'analyse, passée et présente de ce recours, qu'à la réflexion prospective. Nous devons en effet conserver à l'esprit l'originalité de l'introduction d'un tel dispositif au sein du système institutionnel français, lequel est traditionnellement attaché à la souveraineté de la loi et rétif à l'affirmation des droits de l'opposition.
Ce fut donc une réforme libérale vertueuse, comme l'a souligné le professeur François Saint-Bonnet, et ce à deux égards. D'une part, car elle a constitué le premier des droits nouveaux de l'opposition, selon les mots souvent cités du professeur Guy Carcassonne. D'autre part et surtout, puisqu'elle favorise la garantie des droits fondamentaux.
Le professeur Philippe Blachèr a ensuite utilement rappelé la nature protéiforme de l'opposition initiale à cette réforme désormais incontestée. Cette intervention illustre au surplus combien le Conseil constitutionnel interprète et façonne son positionnement institutionnel.
Le professeur Frédéric Rouvillois, enfin, en évoquant les projets inaboutis d'autosaisine du Conseil constitutionnel, a souligné en creux les limites que le constituant entend poser à l'activité du Conseil constitutionnel.
La deuxième séquence du colloque, sous la présidence de mon collègue Philippe Bas, dédiée à la pratique de la saisine parlementaire, a fourni des éléments nécessaires à la compréhension de cette saisine. Nous nous cantonnons trop souvent en France aux considérations théoriques et à l'analyse des textes seuls. Or, celles-ci doivent s'enrichir de la pratique. Les différentes interventions du jour le prouvent sans conteste.
Victor Fouquet nous a renseignés sur la préparation de la saisine parlementaire par les groupes politiques parlementaires, qui sont les premiers à la manoeuvre, en définissant les dispositifs à soumettre à l'examen du Conseil constitutionnel et en assurant le recueil des signatures nécessaires pour assurer la recevabilité du recours.
Dominique Lottin, par sa connaissance de l'institution, nous a très précisément éclairés sur la réception de la saisine parlementaire par le Conseil constitutionnel lui-même, montrant ainsi la procédure d'examen suivie et la façon dont ses membres exercent leur office.
Ces considérations pratiques, procédurales, apparaissent primordiales pour comprendre les ressorts de cette saisine - et, le cas échéant, envisager de potentielles améliorations de cette dernière.
L'analyse comparée présentée par Damien Connil et Dimitri Löhrer, détaillant les mécanismes à l'oeuvre en Allemagne, Belgique, Espagne et Portugal, nous apporte quelques inspirations issues de modèles voisins. Elle montre qu'un mécanisme de saisine parlementaire s'inscrit dans un terreau juridique et politique spécifique, et pour ce qui concerne la réforme de 1974, fait apparaître que, plus que chez nos voisins, cette modalité de saisine demeure, malgré l'essor de la question prioritaire de constitutionnalité, une voie privilégiée d'accès au juge constitutionnel.
La troisième partie du colloque, relative aux effets de la saisine parlementaire, fut l'occasion de souligner les conséquences plurielles et significatives de cette réforme institutionnelle.
Sur le Parlement, d'abord. Le professeur Benjamin Lecoq-Pujade s'est interrogé sur la valorisation du rôle de ce dernier. Nous attachons souvent au Parlement le terme de valorisation, et plus souvent encore, depuis la révision du 23 juillet 2008, celui de revalorisation. La pratique compte en l'espèce plus que les textes. La valorisation du Parlement ne se décrète pas ; elle procède d'une culture institutionnelle partagée.
La doctrine constitutionnelle a toutefois, dans une certaine mesure, pâti de l'affirmation du juge constitutionnel que cette saisine a favorisée, comme l'a souligné Madame Manouguian. Il importe en effet de veiller à ce que notre approche du droit constitutionnel ne se réduise pas à l'exégèse de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Thibault Desmoulins a, enfin, rappelé le ressort qu'a représenté la saisine parlementaire pour le contentieux constitutionnel, qui n'était jusqu'alors qu'embryonnaire.
Le dernier moment du colloque - échange prospectif sur l'avenir de la saisine parlementaire - a permis de réunir la doctrine, d'une part, et les parlementaires, d'autre part, afin de croiser les points de vue des « praticiens » et des « commentateurs ».
Il en résulte toujours des échanges féconds. La commission des lois du Sénat est d'ailleurs très attachée au développement des liens entre l'Université et le Parlement - qu'il s'agisse de nos travaux législatifs et de contrôle, à l'occasion desquels nous auditionnons volontiers les universitaires pour enrichir l'examen des textes, ou, comme c'est le cas aujourd'hui, de nos réflexions institutionnelles.
On l'a vu, dans son état actuel, le Conseil constitutionnel et la procédure suivie devant lui peuvent faire l'objet d'interrogations, voire de critiques, qui doivent rester constructives. Le « modèle français » doit-il évoluer encore davantage vers une cour constitutionnelle ? Les modes de désignation de ses membres sont-ils pertinents ? La procédure, quoique contradictoire, ne reste-t-elle pas encore asymétrique entre le Gouvernement et le Parlement ? La lecture de certaines dispositions procédurales - notamment le bien connu « article 45 » - évoluera-t-elle (enfin) dans le futur ?
Assurément, les choses ne sont pas figées, et le colloque a bien montré quelles ont été, depuis 1974, les évolutions intervenues dans la pratique de la saisine parlementaire.
En matière constitutionnelle plus que dans d'autres pans du droit, les évolutions se font sur le temps long, avec parfois un évènement majeur, qu'il soit le fait du constituant - comme l'a montré la révision de 1974 - ou du Conseil constitutionnel lui-même - pour évoquer à nouveau la décision de 1971. Donnons-nous donc rendez-vous dans 10 ans pour constater l'évolution intervenue depuis notre constat de ce jour.
À tous, intervenants et participants, j'adresse mes remerciements pour cette riche journée d'échange.