QUATRIÈME PARTIE - L'AVENIR DE LA SAISINE PARLEMENTAIRE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Présidence : Philippe Bas

Sénateur de la Manche
Ancien président de la commission des lois du Sénat

I. QUEL AVENIR POUR LES RELATIONS ENTRE LES PARLEMENTAIRES ET LES JUGES CONSTITUTIONNELS ?

Cécile Cukierman

Sénatrice de la Loire

En préambule, je tiens à souligner qu'il n'y a de saisine parlementaire que parce qu'il existe un Parlement, témoignant de la vitalité démocratique de notre pays, avec parfois des points de vue divergents.

En tant que présidente de groupe parlementaire, mon propos sera résolument politique. Le droit n'existe que parce que nous faisons société, un acte humain impliquant des avis différents et des engagements divergents, mais toujours dans l'objectif de défendre l'intérêt général. Il n'y a pas de droit naturel, si ce n'est celui de la majorité politique en place.

Concernant l'avenir des relations entre parlementaires et juges constitutionnels, il ne peut se résumer à un affrontement entre représentants du peuple et une institution aux confins du droit et de la politique. Cette question soulève celle de l'avenir de nos institutions dans leur ensemble. L'affaiblissement du Parlement et du politique ne peut qu'accentuer le déséquilibre entre celui qui édicte la loi et celui qui en examine la constitutionnalité.

Le rôle du Conseil constitutionnel s'est considérablement renforcé depuis l'instauration de la saisine parlementaire en 1974 et de la QPC en 2008. Cela a suscité des polémiques, le Conseil étant tantôt accusé d'être un gouvernement des juges, tantôt perçu comme le gardien de l'ordre public protégeant l'exécutif. Le nombre de censures a diminué au fil des années.

L'année 2023 a marqué un tournant dans le positionnement du Conseil constitutionnel par rapport au Parlement et aux débats politiques. Si son intervention sur le projet de loi immigration est restée dans sa fonction de juge de la constitutionnalité, son positionnement sur la réforme des retraites a été plus controversé.

Sur le projet de loi immigration, il était évident qu'une révision constitutionnelle serait nécessaire, d'où la persistance de l'exigence d'un référendum. La décision du Conseil constitutionnel était prévisible.

En revanche, sa décision du 14 avril 2023 concernant la réforme des retraites a suscité un tollé chez de nombreux constitutionnalistes et dans l'opinion publique. La population s'est emparée des articles de la Constitution, qui sont devenus un objet de débat public sans précédent.

La décision du Conseil constitutionnel a été jugée hors-norme, tout comme la mobilisation sociale et l'action du gouvernement sur ce texte. Les juges constitutionnels ont fait abstraction du contexte et de la réalité de la situation, validant l'utilisation combinée des procédures constitutionnelles pour accélérer l'examen de la loi, sans la juger inconstitutionnelle dans son ensemble. « Énorme ! » s'est alors exclamé le professeur Dominique Rousseau face à un tel arbitraire injustifié juridiquement.

Dans sa décision sur la réforme des retraites, le Conseil constitutionnel a constaté des informations erronées fournies par le gouvernement, sans en tirer de conséquences. L'utilisation de l'article 47-1 pour fonder le projet de loi était manifestement anticonstitutionnelle, cet article ne concernant que des mesures pour l'exercice annuel à venir. Le Conseil n'a pas tenu compte de cette violation expresse de la Constitution.

La décision du 14 avril 2023 représente un tournant dans la jurisprudence du Conseil. Laurent Fabius a déclaré que « le Conseil constitutionnel n'est pas une chambre d'appel des choix du Parlement, il est le juge de la constitutionnalité des lois ». On peut s'interroger si le Conseil n'a pas intégré le corpus du parlementarisme, assurant la prééminence de l'exécutif sur le législatif, du gouvernement sur le parlement, et de la majorité sur l'opposition.

Le Conseil constitutionnel a pris une certaine liberté avec le droit constitutionnel en 2023, son interprétation étant quelque peu partiale. Dès l'origine, mon groupe politique - le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky - a souligné la difficulté à l'avenir à ouvrir un nouveau droit aux citoyens, notamment sur la capacité à intervenir dans le domaine réservé du Parlement. Permettre d'intervenir a posteriori sur une loi dont la constitutionnalité n'a pas été examinée auparavant peut paraître comme un renforcement de l'État de droit, mais elle peut aussi affaiblir le pouvoir législatif.

Il est indispensable de préserver et renforcer la saisine parlementaire, de revaloriser le pouvoir des assemblées et leur capacité à légiférer. Le Conseil constitutionnel doit être le garant d'un État de droit qui ne soit pas celui du fait majoritaire, mais celui des citoyens rassemblés en société, décidant ensemble de leurs droits pour bien vivre collectivement.

Muriel Jourda

Sénateur du Morbihan

Avant d'être parlementaire, on peut avoir une vision idéalisée du Conseil constitutionnel, dans une démocratie représentative où des élus votent des lois encadrées par des principes fondamentaux. La Constitution, rédigée par le constituant, confie au Conseil constitutionnel la tâche de vérifier la conformité des textes à ses principes.

Cependant, cette vision évolue lorsqu'on est confronté à la réalité politique. On a souvent affirmé que la réforme de 1974, permettant à soixante députés ou sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel, a introduit la politique dans son fonctionnement. Je pense que la politique était déjà présente, le droit étant un outil au service d'un projet de société. En tant que parlementaires, nous ne saisissons pas le Conseil constitutionnel pour la pureté du droit, mais parce que nous contestons un projet politique.

La politique est donc déjà présente dans le travail des parlementaires, mais la situation se complique lorsque la politique s'immisce dans le travail du Conseil constitutionnel. Celui-ci s'en défend, affirmant qu'il ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même nature que celui du Parlement. Le président Laurent Fabius a rappelé que le Conseil n'est pas une chambre d'appel des choix du Parlement, mais le juge de la constitutionnalité des lois.

Bien que ces principes soient louables, je doute qu'ils reflètent toujours la réalité. Le Conseil constitutionnel semble faire de la politique malgré tout. L'article 45 de la Constitution, modifié en 2008, visait à assouplir la jurisprudence du Conseil concernant les amendements parlementaires. Il prévoit désormais que tout amendement ayant un lien direct ou indirect avec le texte doit être accepté, redonnant ainsi une primauté au Parlement. Le Conseil constitutionnel avait dès lors un pouvoir de sanction moins important.

Selon l'ouvrage de Guy Carcassonne, le Conseil constitutionnel n'a pas modifié sa jurisprudence. L'article 45 n'est finalement pas appliqué conformément à l'intention du constituant. Concernant la récente loi sur l'immigration, le Conseil a jugé que le rétablissement du délit de séjour irrégulier n'avait pas de lien direct ou indirect avec le texte, bien que celui-ci traite du contrôle de l'immigration légale et illégale. Cette décision peut sembler restrictive.

Lors de son audition par la commission des lois en février 2022, François Seners, désormais membre éminent du Conseil constitutionnel, a critiqué la jurisprudence invalidant une infraction pénale visant ceux qui aidaient les étrangers en situation irrégulière sur le territoire au nom du principe de fraternité contenu dans la Constitution dans la devise française. Selon lui, on ne peut tirer un principe d'un simple mot de la devise républicaine.

Les parlementaires ont parfois le sentiment que le Conseil constitutionnel, au lieu de se limiter au droit, exprime parfois des opinions politiques. Cela peut être dangereux pour l'État de droit, concept très présent dans l'actualité politique récente. Ma perception de l'état de droit repose sur deux aspects essentiels. Premièrement, il établit l'égalité entre les citoyens, abolissant la loi du plus fort qui prévaut à l'état naturel. Deuxièmement, il instaure un ordre dans nos relations tout en limitant le pouvoir de l'État chargé de le maintenir. L'État de droit nécessite une architecture complexe incluant la démocratie, le Parlement et le Conseil constitutionnel. Cependant, si ces institutions outrepassent leurs rôles, l'édifice peut s'effondrer. Le Parlement, par exemple, produit des lois peu intelligibles et trop nombreuses, rendant difficile la vie des citoyens dans un État de droit. De même, si le Conseil constitutionnel, censé appliquer le droit, se mêle de politique, il met en péril l'État de droit.

Pour que notre avenir s'éclaircisse, il faut que chaque institution respecte son rôle. Le droit, outil politique, doit rester l'apanage des parlementaires. Les membres du Conseil constitutionnel, bien que leur mode de désignation puisse laisser penser le contraire, ne devraient pas faire de politique. On peut s'interroger sur la nécessité de modifier la composition du Conseil constitutionnel pour qu'il ne soit plus désigné par le politique.

Une solution évoquée par Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, serait de revenir à la pratique d'antan où les juges se contentaient d'apprécier l'erreur manifeste d'appréciation dans les textes examinés, sans les interpréter ni inventer de nouveaux principes. Cette approche laisserait plus de latitude aux législateurs.

L'avenir reste incertain, mais il est crucial que chaque institution remplisse le rôle pour lequel elle a été créée, au risque de détruire l'édifice de l'état de droit. Comme il est dit dans le Dialogue des Carmélites, ce n'est pas la règle qui nous garde, c'est nous qui gardons la règle. Il serait peut-être temps que le Conseil constitutionnel garde la règle, et ne l'invente pas.

Philippe Bas. - Il est évident que, pour le législateur, même longtemps après 1974, la déférence envers les décisions du Conseil constitutionnel n'est ni spontanée ni totalement acquise ! Bien que la Constitution fasse du Conseil constitutionnel le juge de la loi, elle ne fait pas du Parlement le juge du juge.

Anne-Charlène Bezzina

Maître de conférences à l'Université de Rouen

Je commencerai par citer Édouard Balladur qui, en 1993 au Congrès de Versailles, proposait que le Parlement soit l'interprète ultime de la Constitution. Cette réforme constitutionnelle fait suite à une décision du Conseil constitutionnel, et en réalité chacun est dans son rôle : le politique dans l'expression de la volonté générale, le Conseil constitutionnel dans l'interprétation de la parole juridique. Il faut un dialogue entre les deux, chacun intériorisant une forme de frustration tout en intégrant les réflexes de l'autre.

La question de la politisation du Conseil constitutionnel est plus que jamais d'actualité, notamment pour le contentieux a priori que je vais défendre. Je m'interroge aussi sur le rôle du peuple, constituant le plus ultime. Je développerai deux points : le fait que la saisine a priori est politique, au sens noble du terme, et je m'interrogerai sur son éventuelle évolution vers un contrôle exclusivement procédural.

Pour que le contentieux a priori fonctionne, il ne faut pas en attendre une cristallisation des frustrations du débat politique ni une réponse ultime. Le principe de sincérité financière, par exemple, ne doit pas être surestimé dans son contrôle par le juge constitutionnel par les requérants sous peine d'être « déçu » par ses conséquences contentieuses.

Autre exemple, il nous semble que Le Conseil constitutionnel n'a pas vocation à juger de l'utilisation de l'article 49, alinéa 3, dans le débat citoyen et que c'est pourquoi il a fait cette réponse à plusieurs reprises dans ses décisions.

Parallèlement, il ne faut pas non plus trop « d'inventivité » politique dans les saisines. On en a vu une illustration, dans le cadre de la discussion sur la décision du Conseil relative à la réforme des retraites, L'objectif de clarté et de sincérité des débats parlementaires n'a jamais conduit à une censure du Conseil constitutionnel.

À l'inverse, si elle est bien utilisée, la saisine du Conseil constitutionnel pourrait en réalité entraîner une diffusion du contentieux constitutionnel au sein du Parlement. La diminution des décisions en 2022, malgré un contexte parlementaire tendu, suggère une meilleure intégration de la Constitution par les parlementaires. En tant que constitutionnaliste, je soutiens l'idée d'un précontentieux, c'est-à-dire un travail approfondi sur la Constitution au sein des assemblées. Un nombre réduit de saisines pourrait indiquer un usage plus judicieux de ce mécanisme.

Autre apport, la saisine parlementaire pourrait structurer l'opposition, notamment à l'Assemblée nationale. Elle pourrait révéler les alliances entre groupes parlementaires, y compris entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Le rôle des présidents de chambre dans les saisines pourrait être revalorisé, portant une voix parlementaire. Une dépolitisation pourrait permettre à de petits groupes de s'unir autour du droit pour prolonger le débat constitutionnel. Il est envisageable de diluer les aspects politiques du débat parlementaire dans la saisine du Conseil constitutionnel pour renforcer cette voix. Le Conseil constitutionnel pourrait-il devenir le conciliateur post-débat parlementaire ? La question mérite de rester ouverte.

Au final, si la saisine parlementaire ne structure pas l'opposition, le recours au Conseil constitutionnel pourrait être renouvelé. L'article 10, alinéa 2, utilisé de manière inédite lors de la loi immigration, pourrait être davantage exploité. Une saisine majoritaire n'est pas exclue, étant donné l'absence de majorité claire à l'Assemblée nationale. La politique des labellisations, chère au contentieux constitutionnel, et les saisines blanches offrent des pistes à explorer.

Le risque de prolonger le débat politique existe, mais il faut rappeler en effet que le constituant, principalement le pouvoir politique, a le dernier mot. Il est toujours possible de contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel, comme l'illustre le débat à venir sur une nouvelle loi d'immigration, où les vices de procédure pourraient cette fois-ci obtenir une réponse sur le fond.

Seconde réflexion, il convient de s'interroger sur la procéduralisation de cette saisine a priori. Servira-t-elle uniquement à préciser les domaines de chaque loi de financement ? Je m'oppose à cette approche.

Concernant l'articulation des contrôles, le contrôle a priori présente des spécificités qui pourraient assurer sa pérennité, notamment l'usage des portes étroites récemment revalorisé et la pratique des auditions de parlementaires. Le nouveau règlement intérieur du Conseil constitutionnel permet désormais d'entendre les parlementaires au Palais Royal, ce qui pourrait apporter une subjectivité originale au contrôle a priori.

Le contentieux a priori me semble indispensable, particulièrement en matière de délits pénaux. Les rares décisions des 15e et 16e législatures en 2022 concernent souvent le droit pénal, domaine où le contrôle a priori est crucial. Ce contentieux cristallise également de nombreux éléments de garantie des droits fondamentaux qu'il faudra repenser.

Il est essentiel de préserver l'intégrité des contrôles a priori et a posteriori, notamment à travers les questions soulevées d'office. Ces dernières, que j'ai étudiées pendant cinq ans pour ma thèse, sont désormais réservées par le Conseil constitutionnel aux cavaliers législatifs et aux éléments de procédures. Elles ne représentent pas nécessairement un pouvoir créateur du juge, mais permettent souvent d'apporter des réserves et de consolider des positions déjà établies sur la base des saisines motivées.

Les questions soulevées d'office sont parfois nécessaires pour sortir du dilemme du contrôle a priori, intervenant juste après l'éclosion politique. Les contrôles a priori et a posteriori fonctionnent comme une partition de musique de chambre où chacun a son solo à un moment donné, mais où l'essentiel se joue dans l'articulation des deux instruments.

La QPC apporte une valeur ajoutée au contrôle a priori. Il ne faut pas considérer le vice de procédure comme exclusif au contrôle a priori, car cette notion est mal perçue par l'opinion publique et par le Parlement. On ne peut imaginer un contrôle a priori spécialisé à la censure des cavaliers, cela le priverait de toute son utilité pour les libertés.

En conclusion, le Conseil constitutionnel peut-il s'entendre avec le Parlement et les parlementaires ? j'en suis convaincue. J'entends parfois évoquer une réduction des pouvoirs du Conseil constitutionnel pour permettre une meilleure gouvernance, mais je m'interroge alors, qui gardera les gardiens de nos gardiens, dans cette hypothèse ?

Je conclus en plaidant pour la confiance entre les acteurs, notion cruciale dans ce dialogue à deux - voire à trois avec le peuple -, et n'oublions pas que créer cette confiance avec le citoyen est le rôle du politique, c'est donc lui qui a le dernier mot.

Benjamin Morel

Maître de conférences à l'Université Paris Panthéon-Assas

Notre paysage politique actuel ressemble à ces déserts africains qui se transforment soudainement après une pluie. Malgré la difficulté de l'exercice, je vais tenter quelques éléments prospectifs en me basant sur une typologie des motivations de saisine du Conseil constitutionnel.

On peut distinguer deux grandes catégories de motivations : celles portant sur le fond des textes, visant une censure, et celles plus politiques, recherchant la décision pour sa portée politique. Concernant les motivations de fond, trois éléments sont à considérer :

· L'inconstitutionnalité intrinsèque d'une disposition est rarement la motivation principale des parlementaires pour saisir le Conseil constitutionnel.

· Le rôle des groupes d'intérêts, autrefois important, s'est amoindri. Ils privilégient désormais la QPC, jugée moins coûteuse et potentiellement plus efficace. Le renouvellement politique de 2017 a également fragilisé les anciennes filières d'influence.

· La procédure parlementaire est de plus en plus contestée dans ses fondements, comme l'illustre la saisine sur la réforme des retraites questionnant l'utilisation de l'article 47-1. Les conventions parlementaires sont remises en cause, incitant les parlementaires à saisir le Conseil constitutionnel sur ces sujets.

Ces évolutions tendent globalement vers une baisse du nombre de saisines motivées par des questions de fond.

Je constate que lorsque nous ne sommes plus d'accord sur les pratiques parlementaires et qu'elles deviennent un enjeu politique, nous faisons appel au juge. Depuis 2017, de nombreuses lois ont subi une procédure parlementaire chaotique, comme la loi sur la sécurité globale, fragilisant ainsi le processus législatif. Cela pourrait avoir un effet de rétroaction sur le débat parlementaire, avec une invocation croissante du Conseil constitutionnel pour faire appliquer ce que l'on considère comme la lettre du droit.

Concernant les motivations plus politiques, il existe deux grandes catégories. Premièrement, le Conseil constitutionnel est saisi pour marquer une opposition. La réforme de 1974 a donné un droit de saisine aux oppositions, faisant des groupes d'opposition les principaux bénéficiaires dans une perspective de séparation des pouvoirs. Quand l'opposition saisit le Conseil, elle espère que celui-ci lui donne raison, et elle cherche à remettre en question la légitimité de la réforme par l'acte de saisine lui-même. Ces dernières années, nous assistons à une surmédiatisation des saisines, comme lors de la réforme des retraites.

Dans un contexte d'exacerbation politique, la saisine devient un outil payant, car elle interroge les intentions du gouvernement en mettant en doute la constitutionnalité du texte proposé. Le Président de la République joue également ce jeu en saisissant le Conseil, créant ainsi un contre-jeu entre l'opposition parlementaire et lui-même.

Deuxièmement, il y a parfois une volonté de tester les cadres constitutionnels. Les parlementaires cherchent à connaître la jurisprudence du Conseil constitutionnel pour mieux légiférer à l'avenir. Cette démarche est relativement saine d'un point de vue parlementaire, car elle vise à déterminer les limites dans lesquelles on peut s'inscrire pour légiférer.

Cependant, nous sommes entrés dans une nouvelle phase où ces cadres sont perçus comme une forme de prison. La saisine devient un moyen de montrer ce que l'on ne peut pas faire et de justifier la nécessité de réformer la Constitution ou d'envisager des modifications constitutionnelles. La question se pose de plus en plus parmi les politiques sur l'impossibilité de tenir certaines promesses et propositions politiques à constitution constante.

Je pense que les futures saisines parlementaires seront plus politiques et médiatisées. Nous n'avons pas fini de parler du Parlement ni du Conseil constitutionnel, et il est probable que nous nous retrouverons dans dix ans avec de nouvelles conclusions sur ce sujet.

Jean de Saint-Sernin

Maître de conférences à l'Université Paris Nanterre

Je tiens à souligner que la date du 17 octobre a été particulièrement bien choisie. En effet, il y a cinquante ans jour pour jour, les deux assemblées ont adopté, en termes identiques, le projet de loi constitutionnelle ouvrant la saisine du Conseil constitutionnel à soixante députés ou soixante sénateurs.

Abordons l'avenir de la saisine parlementaire. Mes échanges avec des élus ont fait émerger trois pistes d'évolution possibles.

Premièrement, de nombreux parlementaires ont confié envisager une saisine individuelle du Conseil constitutionnel. Entre 2016 et 2019, trois propositions de loi constitutionnelle ont été déposées en ce sens. Pourquoi une saisine individuelle ? Le seuil de soixante parlementaires reste contraignant dans l'esprit des parlementaires saisissant, seuls deux ou trois groupes pouvant actuellement saisir le Conseil. La saisine individuelle remédierait à cette difficulté, ainsi qu'au court délai imposé pour réunir les signatures. Certains parlementaires critiquent aussi la QPC, estimant qu'elle ne devrait pas être la norme et qu'il incombe d'abord aux parlementaires de contester la loi.

Deuxièmement, une seconde possibilité confiée est d'abaisser le seuil de soixante pour l'aligner sur l'effectif actuel des groupes parlementaires. En 2014, aucun groupe ne pouvait seul saisir le Conseil constitutionnel. Aujourd'hui, avec la multiplication des groupes (huit à l'Assemblée, sept au Sénat), une telle modification faciliterait la saisine collective. Il faudrait prendre en compte le rôle majeur des groupes parlementaires dans la saisine et la rédaction des requêtes. Faire coïncider la saisine avec les groupes parlementaires pourrait être intéressant, notamment depuis que le constituant a favorisé les groupes d'opposition et minoritaires en 2008. Cependant, ces derniers ne peuvent pas toujours saisir seuls le Conseil. Il faut donc se demander si abaisser le seuil de soixante parlementaires permettrait de revenir à un droit de la minorité parlementaire, pas seulement de l'opposition.

Dernièrement, il a été question de l'audition des parlementaires devant le Conseil constitutionnel. Il y a un paradoxe. Les parlementaires ne sont pas parties au procès constitutionnel alors qu'ils sont à l'origine de la saisine. Ils peuvent demander une audition, mais le Conseil décide d'y accéder ou non. On peut comprendre leur déception de ne pas pouvoir soutenir publiquement leurs arguments.

Cependant, l'audition poserait plusieurs problèmes. Le Conseil n'a qu'un mois (ou huit jours en procédure accélérée) pour se prononcer, ce qui laisse peu de temps pour des auditions. De plus, le contrôle de constitutionnalité est un processus objectif visant à vérifier la conformité à la Constitution, pas à retarder le pouvoir législatif. Les auditions risqueraient de devenir une tribune politique au détriment de l'argumentation juridique. Enfin, il serait difficile de déterminer qui représenterait le Parlement quand la saisine émane des groupes et non des auteurs directs de la loi.

En résumé, l'avenir possible des relations entre le Parlement et le Conseil constitutionnel dépend des saisissants parlementaires. C'est à eux de les faire évoluer.

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