C. DES ENTREPRISES ENGAGÉES DANS LA TRANSITION CLIMATIQUE SOUS LA PRESSION DE LEURS PARTIES PRENANTES
Les précédents rapports de la délégation aux Entreprises135(*) ont mis en lumière l'impact sur les entreprises des investisseurs et de la finance durable, comme celui des salariés comme des consommateurs, plus attentifs qu'auparavant aux engagements des entreprises, lesquelles sont de plus en plus sensibles aux enjeux de la transition climatique.
1. Un engagement des entreprises
Adopter une démarche de lutte contre le dérèglement climatique est essentielle pour les entreprises. En plus de minimiser les impacts négatifs, cet engagement offre certains bénéfices. Intégrer des pratiques de développement durable permet ainsi aux entreprises de contribuer à la lutte globale contre le dérèglement climatique, tout en les rendant plus résilientes, flexibles et compétitives, en renforçant leur capacité d'adaptation face aux imprévus.
Si de nombreux dirigeants d'entreprise se disent conscients de l'urgence climatique, ils sont encore trop peu nombreux à intégrer cet aspect dans leur stratégie et à mettre en place des mesures d'adaptation. Cela est lié aux incertitudes ou méconnaissances quant aux solutions possibles pour lutter efficacement contre le dérèglement climatique, tout en maintenant la croissance de l'entreprise. Or, adopter une démarche d'adaptation est capitale pour les entreprises, afin de renforcer la robustesse de leur chaîne de valeur et d'assurer leur pérennité sur le long terme.
Parmi de nombreux exemples que les déplacements de terrain de la délégation aux Entreprises ont pu mettre en exergue, le cas de l'entreprise SILVADEC à Arzal, qui a accueilli vos rapporteurs le 5 avril 2024, souligne que certaines entreprises ont été, dès leur création, inspirées par des valeurs de durabilité.
Ainsi, le bois composite, innovation technologique tombée dans le domaine public a permis la création, en 2001, de cette entreprise, qui en a amélioré le procédé. Elle valorise le recyclage, en utilisant les copeaux et sciures issus de scieries locales ainsi que les déchets plastiques, évitant la déforestation et limitant les importations de plastique. Elle recycle ses rebuts de production. Selon ses dirigeants, « créée dans un monde aux ressources alors infinies, elle créée désormais de la valeur dans un monde aux ressources finies ».
2. Un engagement des salariés
Les salariés sont en première ligne de la transition climatique. Ils sont ceux qui la mettent en oeuvre. Ils sont également les premiers à subir les conséquences non anticipées du dérèglement climatique.
a) La question climatique est devenue un enjeu social
La transition climatique impacte en premier lieu la santé des travailleurs, notamment avec l'augmentation des températures, l'exposition aux rayons ultraviolets, le contact avec des agents pathogènes, la pollution de l'air à l'intérieur et à l'extérieur et les conditions météorologiques extrêmes. Cet impact a été évalué par l'Agence française de l'alimentation, de l'environnement et de la sécurité au travail (ANSES) dès 2013. Selon un rapport de 2018136(*), « sur les quinze risques professionnels qui pourraient être affectés par les changements climatiques et environnementaux, treize seront influencés par l'augmentation de la température, et plus spécifiquement par l'augmentation de la fréquence, de la durée et/ou de l'intensité des vagues de chaleur, ainsi que par celle des températures extrêmes chaudes ».
L'une des préoccupations majeures de l'Organisation internationale du travail est devenue d'« assurer la sécurité et la santé au travail à l'heure du changement climatique ». En effet, comme l'indique un rapport de 2024, chaque année : « la chaleur excessive137(*) est responsable à elle seule de 22,85 millions d'accidents du travail, 18 970 décès et 2,09 millions d'années de vie corrigées de l'incapacité (AVCI). En outre, des milliers de personnes meurent à cause d'intoxications par des pesticides (300 000), de la pollution de l'air sur le lieu de travail (860 000), du rayonnement UV solaire (18 960 décès dus aux seuls cancers de la peau non-mélanome) et de maladies parasitaires et à transmission vectorielle ».
Les entreprises doivent désormais anticiper et prévoir un fonctionnement en mode dégradé compte tenu de phénomènes susceptibles d'empêcher leurs salariés de travailler, comme l'illustre cet accord d'entreprise :
L'accord d'entreprise d'ERAM Logistique de 2022
Il définit la canicule comme une période de chaleur intense pour laquelle les températures atteignent ou dépassent les seuils départementaux pendant trois jours et trois nuits consécutifs et susceptible de constituer un risque sanitaire notamment pour les populations fragiles ou surexposées. Elle est associée au niveau de vigilance météorologique orange, et rouge lorsqu'elle est extrême. Les seuils sont fixés pour le département du Maine-et-Loire en 2022 à 34° la journée et 20° la nuit.
Il met en place des mesures de prévention : messages affichés dans les espaces de communication de l'entreprise rappelant l'importance de l'hydratation, les principaux signes de la déshydratation, les signes annonciateurs du coup de chaleur et les moyens de s'en prévenir. L'entreprise s'assure que de l'eau fraiche est mise à disposition de chaque collaborateur (fontaine à eau/bouteille d'eau). Des ventilateurs sont mis à disposition pour les postes qui le permettent. La pause de l'après-midi est allongée de 5 minutes. Les horaires sont avancés d'une heure : 7h-12h ; 13h-15h33.
Vos rapporteurs ont organisé une table-ronde le 3 juin avec les organisations représentatives de salariés ainsi qu'avec l'Organisation internationale du travail, auteur en mai 2023 d'un rapport sur les entreprises écologiques et la transformation des processus et des lieux de travail.
La Conférence internationale du travail138(*) a adopté le 16 juin 2023 une nouvelle139(*) résolution concernant une transition juste vers des économies et des sociétés écologiquement durables pour tous, qui appelle notamment à « promouvoir activement, à tous les niveaux, un dialogue social inclusif et effectif, notamment la négociation collective et la coopération tripartite, afin de créer un consensus social autour de politiques et de mesures ambitieuses pour une transition juste ». Selon l'OIT, seulement 23 % des conventions collectives analysées en 2022 intégraient les questions climatiques.
En France, la loi sur les nouvelles régulations économiques de 2001140(*), et plus particulièrement son article 116, avait imposé à 700 grandes entreprises françaises cotées de faire état des conséquences sociales et environnementales de leurs activités et de les inscrire dans leur rapport annuel de gestion141(*).
Depuis la loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, les entreprises doivent modifier leur approche du dialogue social en y intégrant la dimension environnementale.
En effet, dans les entreprises soumises à l'obligation de conclure un accord relatif à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, le dispositif doit notamment « répondre aux enjeux de la transition écologique ». Le comité social et économique (CSE) voit sa mission générale s'élargir. Il doit assurer une expression collective des salariés « notamment au regard des conséquences environnementales de ces décisions », la consultation sur la marche générale de l'entreprise inclut les conséquences environnementales des mesures. De même, chacune des trois consultations annuelles récurrentes (orientations stratégiques de l'entreprise ; situation économique et financière de l'entreprise ; politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi) donne lieu à une information de l'instance sur « les conséquences environnementales de l'activité de l'entreprise ». Enfin, la Base de Données Économiques et Sociales (BDES) est devenue une « Base de données économiques sociales et environnementales » (BDESE), intégrant ainsi un thème relatif aux conséquences environnementales des activités de l'entreprise.
En pratique, de nombreuses entreprises ont eu du mal à appréhender la notion de « conséquences environnementales » en l'absence de précision sur la définition de cette notion, l'étendue de cette obligation, et le champ des informations devant être communiquées au CSE.
C'est notamment la raison pour laquelle les partenaires sociaux, ont conclu un l'Accord National Interprofessionnel (ANI) relatif à la transition écologique et le dialogue social du 11 avril 2023142(*). Il marque la volonté d'offrir des outils aux entreprises pour mieux appréhender cette notion, en préconisant de mobiliser l'audit énergétique, le bilan des émissions de gaz à effets de serre, la déclaration de performance extrafinancière, le plan de vigilance ou encore le plan de continuité d'activité.
Cet accord comporte 5 chapitres :
1. Identifier des leviers de changement dans le cadre d'un dialogue social éclairé sur la transition écologique ;
2. Permettre aux dialogues social et professionnel de traiter les enjeux environnementaux au niveau de l'entreprise ;
3. Intégrer les enjeux environnementaux dans les négociations collectives ;
4. Traiter les enjeux environnementaux dans les espaces de dialogue social territoriaux et sectoriels ;
5. Traiter les enjeux relatifs aux emplois et compétences dans la mise en oeuvre de la transition écologique : quelles opportunités ?
Si l'internalisation de la question climatique dans le dialogue social résulte d'une longue évolution143(*), il est désormais incontestable que « l'implication des salariés et de leurs représentants dans les actions menées en faveur de la transition écologique est déterminante pour atteindre les objectifs fixés par l'entreprise » en matière de transition climatique, comme le reconnaît l'ANI. Cette évolution entamée à partir des « écogestes »144(*) dans les entreprises recouvre désormais une appréhension plus globale du sujet.
Des accords d'entreprise sur la transition climatique se déploient progressivement.
L'accord relatif à l'environnement et à la transition écologique d'Engie Green (mars 2024)
Cet accord prévoit la création d'un « Eco-workshop » qui doit établir un état des lieux ; de dresser un bilan carbone ; d'identifier les leviers d'actions prioritaires dans l'entreprise pour mettre en oeuvre la transition écologique de manière globale et progressive tout en assurant une viabilité économique durable.
Il crée par ailleurs un forfait mobilités durables. Chaque salarié réalisant, sur l'année civile, au moins 70 % de la distance entre sa résidence habituelle et son lieu de travail en utilisant les modes de transport durables se verra attribuer un montant forfaitaire de 350 euros par an.
Il entend enfin flexibiliser les horaires de travail afin de privilégier le train ; d'instaurer deux jours de télétravail par semaine ; de favoriser la visio-conférence.
b) Le dialogue social sur la question climatique doit pouvoir progresser
Pour la CFDT145(*), la transition climatique ne peut se réaliser « sans justice sociale. C'est la condition pour qu'elle soit acceptée par tous et réellement mise en oeuvre ». Elle ne peut se décréter d'en haut mais doit associer tous les salariés : « à tous les niveaux, les travailleurs et leurs représentants doivent être associés à la co-construction de la mise en oeuvre concrète des transformations écologiques. Cette démarche doit intégrer l'ensemble de la chaîne de valeur, tant au niveau de la filière que de la chaîne de sous-traitance, pour ne pas reporter les risques sur d'autres maillons et faire émerger de nouvelles vulnérabilités ». Elle propose d'intégrer les questions de qualité du travail et de l'environnement dans l'évaluation de la performance de l'activité de l'entreprise.
Plusieurs motifs d'insatisfaction ont été exprimées lors de la table ronde du 4 juin 2024 réunissant les représentants des organisations de salariés.
La formation des représentants des salariés aux enjeux de la transition climatique est insuffisante alors que, selon l'OIT, 70 % des entreprises s'attendent à un impact considérable de celle-ci. Selon le CESE146(*), seuls 34 % des salariés indiquent avoir suivi une formation sur ce sujet dans le cadre professionnel. Par ailleurs, les inquiétudes sur le maintien de la représentation de proximité sont récurrentes.
S'agissant des lieux du dialogue social climatique, le CSE traite déjà trop de sujets. Par ailleurs, son implication semble ambiguë.
Dans sa nouvelle rédaction l'article L. 2312-8 du code du travail rattache la question des « conséquences environnementales » à la mission du CSE. Il précise, dans son troisième paragraphe, que « le comité est informé et consulté sur les conséquences environnementales » de décisions prises dans les domaines suivants : 1° le volume et la structure des effectifs ; 2° la modification de l'organisation économique ou juridique ; 3° les conditions d'emploi et de travail dont la durée du travail et la formation professionnelle ; 4° l'introduction de nouvelles technologies et tout aménagement important modifiant la santé, la sécurité ou les conditions de travail ; 5° les mesures d'insertion et de maintien au travail des personnes accidentées, invalides ou atteintes de maladies chroniques.
L'article L. 2312-17 du code du travail prévoit désormais une simple information du comité sur les conséquences environnementales au cours des consultations récurrentes sur les orientations stratégiques de l'entreprise ; sa situation économique et financière ; sa politique sociale et les conditions de travail et d'emploi.
L'articulation de ces deux articles apparaît complexe. Dans le premier cas, le CSE est non seulement informé mais il est appelé à rendre un avis sur les conséquences environnementales de décisions de l'employeur dans des domaines précisément énumérés (article L. 2312-8 III). Dans le second, il est simplement informé des conséquences environnementales des décisions dans le cadre des consultations récurrentes à caractère plus stratégique (article L. 2312-17).
S'il est indéniable que la loi « Climat et résilience » marque une étape en faisant entrer les questions environnementales dans la matière même du dialogue social d'entreprise, l'intégration des enjeux de la transition écologique et de la lutte contre le dérèglement climatique dans la discussion sur les orientations stratégiques reste cependant très partielle.
Source : « Travail et santé-environnement : quels défis à relever face aux dérèglements climatiques ? », avis du CESE du 25 avril 2023.
Créer une sous-commission dédiée aux questions climatiques, comme l'a proposé la CGC147(*), n'a pas rencontré l'adhésion des autres représentants syndicaux, en raison du risque de cantonnement de ce sujet qui doit au contraire être abordé de façon transversale par l'instance du pilotage stratégique de l'entreprise. Or, si le conseil d'administration est le plus approprié, puisqu'il traite de la stratégie globale de l'entreprise, les salariés n'y sont pas nécessairement représentés.
S'agissant de la portée du dialogue social climatique, les organisations de salariés souhaitent faire de la transition climatique un sujet de négociation obligatoire dans les négociations relatives à l'emploi. Le CESE le préconise également dans son avis précité, afin de mettre en oeuvre l'ANI de 2023 et d'aborder de façon régulière les points suivants :
1. l'impact de l'environnement sur les conditions de travail ;
2. l'impact de l'environnement sur les emplois, les compétences et la formation professionnelle dans l'entreprise ;
3. l'anticipation des mutations nécessaires de l'emploi et du travail pour contribuer à la réussite de la transition écologique
S'agissant des outils du dialogue social climatique, le BDSE n'est pas le plus approprié car il constitue un outil d'information plus que de décision. Sous réserve de prévoir obligatoirement des thèmes relatifs, notamment, aux conséquences environnementales de l'activité de l'entreprise, les partenaires sociaux sont libres de définir le contenu des informations à inscrire dans la BDESE. Ces informations peuvent donc être très différentes d'une entreprise à une autre.
Aujourd'hui, cette base de données paraît insuffisamment alimentée, en particulier dans les PME qui ont peu d'obligations de reporting environnemental. De surcroît, force est de constater que la BDESE fait rarement l'objet d'une présentation ou d'un échange dans les réunions de CSE. Certes, cette base de données devrait dès 2025 être alimentée de plus en plus par les données CSRD dans les entreprises de plus de 500 salariés qui y sont soumises et la pression des grandes entreprises sur leurs fournisseurs devrait conduire à une amélioration de la quantité et qualité de ces données déjà mises à disposition sur des plateformes telles qu'Ecovadis.
3. Un effort d'adaptation pour les grandes entreprises
a) Les grandes entreprises sont les mieux préparées à la transition climatique
La moitié de l'effort de réduction des émissions de GES d'ici 2030 sera portée par les entreprises.
Comme l'a indiqué Mme Cécile Goubet, directrice générale de l'Institut de la finance durable lors de son audition du 18 mars 2024, la finance durable148(*) et les contraintes normatives, comme la directive CSRD149(*), ont conduit les grandes entreprises à engager de profondes mutations internes et à se doter d'outils leur permettant de se préparer à la transition climatique :
(1) Les grandes entreprises ont intégré la RSE dans leur pilotage stratégique.
Ambitionnant de faire de la place de Paris « une référence pour la transition climatique », le rapport Perrier de mars 2022, précisait « La gouvernance des stratégies de décarbonation par les entreprises est une condition clé de l'efficacité de leur mise en oeuvre. Dès lors, il est nécessaire que les conseils d'administration ainsi que les comités exécutifs soient impliqués dans la validation des stratégies carbone, les arbitrages qui en découlent et le suivi de leur mise en oeuvre ».
En 2022, 94 % des sociétés du CAC 40 avaient mis en place un Comité RSE. La part des conseils des entreprises du SBF 120 ayant un comité en charge de la RSE (Comité RSE dédié et combiné) représente 86,53 % en 2024, soit 90 sociétés sur 1045. En 2021, 54 % des entreprises du SBF 80 avaient un comité RSE, contre 43 % en 2020. En 2022, 34 % des Conseils ont inscrit l'analyse de l'impact du changement climatique parmi leurs thèmes de travail, tandis que ce même pourcentage était proche de zéro il y a deux ans, selon une étude du cabinet de Conseil EY Consulting. Par ailleurs, la directive CSRD renforce le rôle du comité d'audit tout en ouvrant la possibilité qu'un autre comité du conseil ou les membres des organes d'administration et de surveillance aient la responsabilité de s'assurer que les documents publiés par l'entreprise respectent les normes d'information en matière de durabilité.
C'est la raison pour laquelle l'Institut français des administrateurs a recommandé, en 2019 puis en 2021, de « mettre à l'agenda du conseil [d'administration], sous la responsabilité d'un membre du comex, les enjeux climat tous les ans a minima aux titres de la stratégie et de la gestion des risques ».
Toutefois, « plusieurs sociétés ne donnaient peu ou pas d'information dans leur documentation sur la présentation par la direction au comité d'audit, lors l'examen des comptes, de l'exposition aux risques de nature sociale et environnementale » a noté le Haut Comité de Gouvernement d'Entreprise, qui assure le suivi de la mise en oeuvre du code Afep-MEDEF dans son rapport 2022.
(2) Le thème du climat constitue l'un des grands thèmes abordés au cours des assemblées générales des sociétés cotées depuis plusieurs années à l'occasion du dialogue entre les émetteurs, leurs actionnaires et plus généralement les parties prenantes.
« Depuis trois ans, de plus en plus d'investisseurs expriment leur volonté de pouvoir se prononcer et donc de voter en assemblée générale sur la politique environnementale des sociétés dans lesquelles ils investissent. Un certain nombre d'émetteurs en France et à l'étranger ont ainsi sollicité le vote consultatif de leurs actionnaires » a ainsi constaté le Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris dans son rapport sur les résolutions climatiques « say on climate » du 15 décembre 2022.
Le Say on Climate est né en 2019 de l'activisme actionnarial par le dépôt de propositions d'actionnaires sur le climat. Il encourage les entreprises à présenter leurs propres résolutions sur le climat, faute de quoi une résolution des actionnaires serait déposée. Ces « résolutions climatiques » sont non contraignantes.
(3) Le risque climatique constitue également un élément de l'information extrafinancière.
La présentation de « plans de transition climatique »150(*) est encouragée par le code Afep-MEDEF, Middlenext151(*), les Recommandations sur le gouvernement d'entreprise de l'AFG, ou encore par l'Institut français des administrateurs.
Les normes européennes d'information en matière de durabilité (ESRS), mettant en oeuvre la directive CSRD, obligent également les entreprises à analyser les risques climats (risques financiers pour l'entreprise du fait du changement climatique) et notamment les risques physiques et les risques de transition. L'entreprise doit publier « les informations sur les principales caractéristiques de son système de gestion des risques et de contrôle interne lié à la procédure d'information en matière de durabilité » ainsi que sur « les stratégies élaborées pour les atténuer ».
Les plans de transition climatique constituent des éléments du reporting extrafinancier prévu par la directive CSRD comme par l'IFRS152(*).
Dans la norme européenne ESRS E1153(*), le plan de transition pour l'atténuation du changement climatique est défini comme suit : « Un aspect de la stratégie globale de l'entreprise définissant les cibles, les actions et les ressources de l'entreprise en vue de sa transition vers une économie à plus faible intensité de carbone, y compris des actions telles que la réduction des émissions de GES eu égard à l'objectif de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C et d'atteindre la neutralité climatique ». Si l'entreprise n'a pas mis en place de plan de transition, elle doit indiquer si et, le cas échéant, quand elle adoptera un plan de transition.
L'IFRS S2154(*) définit le plan de transition comme « un aspect de la stratégie globale d'une entité qui énonce les objectifs, actions ou ressources de l'entité pour sa transition vers une économie à faible émissions de carbone, incluant des mesures telles que la réduction de ses émissions de GES ». Il fait référence aux informations sur « comment l'entreprise a réagi et prévoit de réagir aux risques et opportunités liés au climat dans sa stratégie et ses prises de décision, notamment la manière dont elle prévoit d'atteindre les objectifs liés au climat qu'elle a fixés et ceux qu'elle est tenue de respecter en vertu de la loi ou de la réglementation ». Les informations concernant les objectifs liés au climat se réfèrent à « (i) la procédure en place pour l'examen des objectifs ; (ii) le montant de l'objectif d'émissions de l'entité à atteindre grâce à des réductions d'émissions au sein de la chaine de valeur de l'entité ; (iii) l'utilisation prévue des compensations carbone dans l'atteinte des objectifs d'émissions ».
(4) Les administrateurs des grandes entreprises sont formés aux enjeux climatiques.
La formation des administrateurs en matière de RSE et spécialement sur les sujets climatiques est prévue par la version révisée du code AFEP-MEDEF publiée en décembre 2022 comme dans les « Recommandations sur le gouvernement des entreprises » de 2023 publié par l'Association française de la gestion financière (AFG).
Dans la pratique, l'Autorité des marchés financiers a constaté, dans son rapport 2022, qu'en moyenne, 58 % des comités RSE sont composés d'une majorité d'administrateurs disposant d'une expertise en RSE.
(5) Les codes professionnels Afep-MEDEF et Middlenext, recommandent une prise en compte des efforts de transition climatique de l'entreprise dans la rémunération de leurs dirigeants.
Le rapport précité du cabinet EY sur la gouvernance des entreprises précise qu'au cours de l'exercice 2021, 43 % des 100 entreprises sélectionnées du SBF 120 ont mis en place un système de rémunération variable incitatif basé sur des objectifs RSE pour plusieurs cadres dirigeants (au-delà du COMEX).
Le rapport précité du Haut comité de gouvernement d'entreprise note quant à lui une nette amélioration de l'intégration, par les entreprises, des critères environnementaux dans la partie variable de la rémunération de leurs dirigeants mandataires sociaux. Cela concerne désormais 99 % des sociétés du SBF 120 et 100 % des sociétés du CAC40.
La charge des indicateurs extrafinanciers retenue varie généralement entre 10 % et 50 % de la part variable annuelle attribuée aux dirigeants des entreprises du CAC 40.
Certains proposent d'aller plus loin.
Le Haut Comité du gouvernement d'entreprise considère qu'une simple référence à l'application des politiques RSE, le renvoi à un programme interne RSE ou à des enjeux généraux non définis ne sont pas suffisants. Il attend notamment que les critères RSE soient définis de manière précise, soient plus lisibles et pertinents et intègrent les enjeux sociaux et environnementaux propres à l'entreprise.
Le Collège des directeurs du développement durable (C3D), présidé par Fabrice Bonnifet promeut, quant à lui, l'instauration d'un « golden climat », mesuré tous les ans (temporalité néanmoins adaptée en fonction du profil de l'entreprise). Celui-ci pèserait pour 50 % de la rémunération variable de court et long terme et serait conditionné à une baisse des émissions de GES en absolu, y compris si la société est en croissance, sur ses scopes 1, 2 et 3155(*). Cette variable ne serait versée ou attribuée que si la trajectoire de décarbonation de l'entreprise était validée par la science. Ce dispositif se substituerait aux rémunérations variables actuelles et devrait permettre de limiter le risque de compensation de critères financiers plus difficiles à atteindre par des critères extrafinanciers qualitatifs, plus discrétionnaires.
L'Institut pour la finance durable propose, pour sa part, d'intégrer dans la part variable de la rémunération des dirigeants, de court et moyen terme, au moins un critère en lien avec les objectifs climatiques de l'entreprise, en veillant à la précision des critères choisis et en privilégiant des critères quantitatifs en cohérence avec le plan de transition défini par l'entreprise156(*).
Tous ces éléments convergent pour contribuer à la réussite de la transition climatique de la place de Paris puisqu'elle s'est hissée de la 25e à la 4e place financière mondiale grâce notamment à son exemplarité ESG, comme l'a souligné Mme Cécile Goubet lors de son audition.
b) Des normes de plus en plus contraignantes et des échanges de bonnes pratiques
Si de nombreuses entreprises se sont engagées dans la RSE, c'est-à-dire l'intégration volontaire de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes, seules quelques grandes entreprises inscrivent, avec difficulté, cette démarche dans la trajectoire de décarbonation des Accords de Paris pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
Les normes s'articulent autour de la directive CSRD ou des normes de l'IFRS, auxquelles la délégation du Sénat a consacré récemment un rapport d'information.
En parallèle, plusieurs les grandes entreprises prennent des engagements volontaires pour tendre vers la neutralité climatique :
v La Science Based Target Initiative (SBTI) accompagne les entreprises dans la définition d'objectifs à court (5 à 10 ans maximum), moyen (2040 par exemple) et long terme (2050 au plus tard) de réduction des émissions à un niveau compatible avec le scénario de réchauffement à 1,5°C, en ligne avec le niveau de décarbonation nécessaire pour atteindre l'objectif net zéro au niveau mondial.
v Le Pacte Mondial Réseau France compte 122 entreprises dont 72 % sont de grandes entreprises, dont 61 ont vu leur objectif validé : si deux tiers fixent un objectif à court terme de respecter l'objectif de réchauffement de +1,5°C, un tiers s'engage à respecter +2°C et moins de 7 % ont un objectif de trajectoire à long terme de +1,5°C. Pour ce faire, les entreprises ont collectivement réduit leurs émissions de scope 1 et 2 de 12 % en 2020. Ces données sont toutefois déclaratives.
ü L' Assessing low Carbon Transition (ACT) a été lancée en 2018 par l'ADEME en coopération avec le Carbon Disclosure Project, afin d'offrir aux entreprises, quels que soient leur taille ou leurs marchés, une méthodologie pour développer et évaluer leurs stratégies et les moyens mis en oeuvre pour les réaliser au regard de l'objectif de l'Accord de Paris et de la SNBC. Elle utilise la méthodologie du SBTI. Elle s'articule autour de deux axes : un volet méthodologique (ACT Pas à Pas), qui vise l'établissement d'une stratégie de transition bas-carbone et d'un plan d'action y afférent et un volet d'évaluation (ACT assessment). D'après l'ADEME, plus de 500 entreprises dans le monde se sont engagées dans l'ACT, dont 119 entreprises françaises (pour l'essentiel, s'agissant d' « ACT Pas à Pas », des PME et des ETI).
ü La Net Zero Initiative (NZI), portée depuis 2018 par Carbone 4, vise à assurer la cohérence et l'articulation entre les méthodes existantes (SBTi et ACT). Elle place la réduction des émissions de l'entreprise comme l'absolue priorité de l'action en faveur du net zéro, (le pilier A), distincte de l'évitement (pilier B) et de la séquestration (pilier C). Les entreprises engagées sont tenues de suivre une trajectoire de décarbonation compatible avec la science du climat. La Net Zero Initiative vise ainsi à mesurer l'ensemble des émissions à travers une comptabilité carbone à triple entrée : émissions induites (pilier A), émissions évitées (pilier B) et émissions négatives (pilier C).
ü En juillet 2023, une « Alliance Pacte PME » a été signée entre sept groupes du CAC 40157(*) et des PME.
Par cette charte, les grandes entreprises signataires s'engagent à accompagner plusieurs milliers de PME dans leur stratégie de décarbonation. Trois parcours ont été définis en fonction de la situation des entreprises. Le premier a vocation à accompagner celles qui n'ont pas commencé leur décarbonation vers l'établissement d'un bilan carbone. Un autre parcours est dédié à celles qui ont déjà établi leur bilan carbone et qui doivent à présent de définir un plan d'actions. Enfin, le troisième s'adresse aux « 10 % » des entreprises les plus avancées dans ce processus, et qui ont besoin de mettre en place des solutions opérationnelles.
c) La compensation carbone est-elle une bonne pratique ?
Les démarches volontaires vertueuses au regard de cet objectif sont celles qui excluent la réduction des émissions après l'acquisition de crédits carbone destinés à compenser leurs émissions, à l'instar du système de compensation Reducing Emissions from Deforestation and forest Degradation (REDD +), mis en place par les Nations-Unies.
Une enquête a en effet révélé en janvier 2023 que, sur une centaine de millions de crédits carbone équivalent à la compensation des émissions annuelles d'une vingtaine de centrales à charbon, « seulement 5,5 % de ces crédits étaient réels, compensant les émissions de GES qu'ils sont supposés neutraliser. Le reste, c'est-à-dire près de 95 %, sont des « crédits fantômes » qui s'échangent sur un marché sans correspondre à aucun bénéfice climatique »158(*).
Ainsi, en janvier 2023, une enquête menée de front pendant neuf mois a démontré que 90 % des crédits carbone REDD+159(*) du plus gros label de compensation du monde n'avaient en réalité aucun impact positif sur le climat. L'équipe des journalistes de The Guardian, Die Zeit et SourceMaterial s'est basée sur trois récentes publications scientifiques d'analyse des crédits du label Verra160(*), ainsi que sur une douzaine d'entretiens avec des climatologues, des acteurs du marché volontaire du carbone, et des porteurs de projets de compensation.
La compensation carbone, une mystification ?
Le résultat de l'enquête est sans appel : ce mécanisme de financement, dont le but est d'apporter des fonds privés pour protéger la forêt primaire dans des zones sensibles, semble n'avoir provoqué un réel évitement de la déforestation que dans un nombre très restreint de cas. 94 % des crédits n'auraient eu aucun effet sur la lutte contre le changement climatique.
Pourquoi un tel écart entre la prévision du standard Verra et la réalité ? Il faut d'abord comprendre que les crédits carbone REDD+ sont émis proportionnellement à la quantité de déforestation évitée, c'est-à-dire à l'écart entre la situation où la forêt est protégée, et une situation alternative, appelée “scénario de référence”, qui aurait eu lieu en l'absence de protection. Les crédits sont alors générés sur la base de la quantité de carbone qui n'a pas été émise dans l'atmosphère grâce au financement du programme de conservation.
Le mécanisme REDD+ récompense les projets évitant la déforestation en leur permettant de générer autant de crédits carbone que d'émissions évitées. À noter que ces projets ne permettent pas forcément une réduction d'émissions, mais simplement une stabilisation, voire une « moindre augmentation ».
Or, il apparaît que ces scénarios de référence ont exagéré la menace de déforestation sur les zones considérées, ce qui a eu pour effet de surestimer l'effet bénéfique des projets. L'une des trois études estime cette surestimation à +400 %, voire à +950 % si l'on exclut du calcul trois projets malgaches particulièrement performants.
Verra certifie les trois quarts de tous les crédits carbone de la planète, et a émis plus d'un milliard de crédits depuis sa création. Son programme de protection de la forêt, celui visé par l'enquête du Guardian, représente 40 % de ses crédits. Il est à noter que les crédits carbone sont l'élément essentiel des allégations de “neutralité carbone” utilisés par un grand nombre d'entreprises, soit pour leurs produits et services, soit pour leurs propres activités. Parfois, ces crédits carbone sont même directement comptés comme une réduction directe de leur empreinte carbone, chose pourtant interdite par les standards de comptabilité climat internationaux.
Outre le fait que la notion de “neutralité” à de si petites échelles pose des problèmes conceptuels forts, l'étude du Guardian rappelle que c'est le système même de calcul et génération des crédits carbone qui s'avère miné par des problèmes de méthodologie. L'enquête s'est basée sur trois papiers de recherche. Deux d'entre eux ont été produits par une même équipe internationale, le troisième par une équipe de l'Université de Cambridge. Les travaux portent sur l'analyse de 87 projets de préservation certifiés par le standard Verra. Parmi les 29 projets dont la donnée s'est avérée exploitable, seuls 8 ont eu un impact réel sur le climat. Parmi eux, un seul a eu un effet égal ou supérieur à ce qui avait été calculé par Verra.
« Est-il vrai que 90 % des crédits carbone ne valent rien ? »
César Dugast, Carbone 4, 26 janvier 2023
d) Les grandes entreprises peinent à respecter leurs trajectoires de décarbonation
Malgré ces synergies et ces partages de bonnes pratiques, malgré des normes volontaires et obligatoires qui se durcissent, même les grandes entreprises éprouvent des difficultés considérables à atteindre les objectifs de décarbonation qu'elles se sont fixés.
Les difficultés pour les grandes entreprises d'atteindre la neutralité climatique d'ici 2050 ont été soulignées par une enquête d'Accenture de novembre 2022 : sur les 2 000 plus grandes entreprises dans le monde, si 34 % d'entre-elles ont pris des engagements de réduction de GES (+7 points par rapport à l'année précédente), seulement 7 % des entreprises engagées seraient aujourd'hui en mesure de les atteindre. Les entreprises européennes et françaises seraient néanmoins mieux positionnées, puisqu'elles seraient respectivement 51 % (+14 points) et 59 % (+12 points) à s'être engagées, alors que 9 % des entreprises européennes seraient en mesure de les atteindre. Si les efforts étaient multipliés par deux jusqu'en 2030 puis par trois jusqu'en 2050, la part d'entreprises susceptibles d'atteindre la neutralité carbone ne s'élèverait qu'à 41 %.
Pour atteindre une proportion plus significative de 78 %, il faudrait que les efforts soient quintuplés entre 2030 et 2050.
De même, le cabinet de conseil Boston Consulting Group (BCG) a dans son rapport annuel sur la mesure des émissions carbone par les entreprises (19 septembre 2024), constaté161(*) un ralentissement des progrès des entreprises en matière de décarbonation.
Parmi les quelque 2 000 entreprises mondiales interrogées en 2024, seules 9 % ont réalisé des rapports complets sur les émissions des scopes 1, 2 et 3. En outre, seules 16 % d'entre elles ont fixé des objectifs pour les trois scopes, et seulement 11 % ont réalisé des réductions d'émissions conformes à leurs ambitions.
Ces chiffres sont inférieurs à ceux déclarés par les entreprises en 2023. L'an passé, 10 % des entreprises mesuraient avec précision leurs émissions carbone et 14 % avaient réduit leurs émissions conformément à leurs ambitions, ce qui montre leur difficulté croissante à tenir la trajectoire en matière climatique.
C'est au Brésil, en Inde et en Chine que les chiffres concernant la déclaration complète des émissions, la fixation d'objectifs et les réductions d'émissions sont les meilleurs, en raison d'un fort volontarisme des pouvoirs publics.
Pourtant, la décarbonation paye : 25 % des entreprises interrogées ont déclaré des bénéfices annuels liés à la décarbonation équivalant à plus de 7 % de leurs ventes, soit un bénéfice net moyen de 200 millions de dollars par an. Ces bénéfices résultent notamment de la réduction des coûts d'exploitation (réduction des déchets, rationalisation des matériaux ou des empreintes, utilisation d'énergies renouvelables).
La décarbonation comme vecteur de création de valeur pour l'entreprise Cette création de valeur se mesure à trois niveaux : - Dans la mesure des émissions : Ø Les entreprises qui mesurent les trois scopes de manière exhaustive sont 1,6 fois plus susceptibles d'obtenir des avantages significatifs en matière de décarbonation. Ø Celles qui calculent les émissions au niveau des produits ont quatre fois plus de chances d'obtenir des avantages significatifs en matière de décarbonation. - Dans le reporting des émissions : Ø Les entreprises qui établissent des rapports complets sur chaque scope sont 1,5 fois plus susceptibles d'obtenir des avantages significatifs en matière de décarbonation. Ø Celles qui utilisent l'intelligence artificielle (IA) pour réduire leurs émissions ont 4,5 fois plus de chances d'obtenir des avantages significatifs en matière de décarbonation. Les outils d'IA automatisent notamment certaines tâches, ce qui permet aux équipes de se concentrer sur des objectifs stratégiques telles que la réduction des émissions et la création de valeur. - Dans la fixation d'objectifs : Ø Les entreprises qui fixent des objectifs pour chaque scope sont 1,9 fois plus susceptibles de connaître des avantages importants en matière de décarbonation. Ø Celles qui adoptent un plan de transition climatique ont 2,9 fois plus de chances de bénéficier d'avantages significatifs en matière de décarbonation et 3,3 fois plus susceptibles de réduire leurs émissions conformément à une trajectoire de 1,5°C. Source : rapport BCG précité |
En France, une enquête menée en novembre 2023 par La Fabrique de l'Industrie et KPMG auprès d'une trentaine de grandes entreprises françaises, principalement industrielles et dotées d'une stratégie de décarbonation, a indiqué que près de 40 % d'entre elles affichaient des objectifs de réduction de leurs émissions compatibles avec la Stratégie nationale bas carbone. Peu enclines à modifier leur modèle d'affaires, la grande majorité des entreprises interrogées investissent dans la sobriété et l'efficacité énergétiques, misant sur des leviers éprouvés, peu coûteux et rapides à mettre en place : éclairage et chauffage (100 % des répondants), investissement dans des équipements moins énergivores (86 %), etc.
Or, l'accélération de la décarbonation de l'industrie162(*) ne saurait faire l'économie de chantiers plus ambitieux, comme la réduction des émissions de procédés (liées au processus de production), très concentrées dans un petit nombre de secteurs (métallurgie, ciment, industries chimiques). Présentant un fort potentiel de réduction des GES (-44 % entre 1990 et 2021 pour l'industrie manufacturière), les deux grands leviers de réduction des émissions de procédés ne suscitent pas l'engagement de toutes les grandes entreprises selon l'enquête. La substitution des matières premières carbonées est citée par 57 % des répondants et le recours aux technologies de stockage et de valorisation du carbone par 30 %.
L'enquête identifie trois principaux freins à la transition énergétique :
• La lourdeur des investissements jusqu'en 2050. La Fabrique de l'Industrie avance des estimations sectorielles d'un coût de 1,8 Md€ sur l'année 2023, 3,7 Md€ en 2030, 7,9 Md€ en 2050. Les grandes entreprises déplorent en outre une faible visibilité sur la rentabilité de leurs investissements, a fortiori dans le contexte actuel d'inflation énergétique, et composent avec une réglementation en matière d'aides d'État plus stricte que pour les PME.
• Dans le contexte de la crise énergétique en Europe depuis 2022, les entreprises s'inquiètent aussi du prix et de la disponibilité des énergies, notamment décarbonées (électricité à partir d'énergies renouvelables, hydrogène vert, etc.), qui accompagneraient la sortie des combustibles fossiles.
• La réduction de l'empreinte carbone globale des entreprises, c'est-à-dire des émissions indirectes dites de scope 3, est un chantier encore peu engagé. En l'absence de réglementation forte, les entreprises sondées restent prudentes et privilégient la collaboration avec leurs fournisseurs (72 %) et le développement de la seconde vie de leurs produits (59 %), mesures dont les retombées environnementales restent, selon elles, incertaines dans le contexte d'asymétrie des politiques climatiques à l'échelle mondiale.
4. Un effort inatteignable pour les PME et TPE ?
Alors que les grandes entreprises peinent à atteindre leur objectif de décarbonation, la transition climatique des PME et TPE et encore plus difficile, malgré -ou en raison ? - une offre d'accompagnement sans doute trop abondante.
Leur efficacité dépendra aussi des moyens mis dans l'accompagnement des TPE-PME. Ces dernières souffrent d'un déficit d'ingénierie et ne sont pas armées pour se saisir spontanément d'opportunités dont elles ignorent souvent l'existence. Il est essentiel que la mise en place de ces dispositifs ne s'accompagne pas de lourdeurs administratives au risque de freiner toute velléité d'aller plus loin dans l'adaptation au dérèglement climatique.
La politique de transition climatique de cette catégorie d'entreprises souffre de plusieurs défauts majeurs :
ü Des PME invisibles dans la politique de décarbonation
Comme l'a souligné Bpifrance : « souvent invisibles dans les politiques publiques, les PME ETI semblent ne pas compter pour la réussite de la transition écologique. Par pragmatisme, la politique énergie climat européenne et le plan France 2030 ciblent les sites industriels les plus émetteurs, soit une poignée de grandes entreprises et d'ETI : 1 300 environ pour le marché carbone européen, 150 pour l'initiative « Industrie Zéro Carbone ». Les obligations réglementaires pour le climat, qu'il s'agisse du bilan d'émissions de GES ou du reporting carbone de la déclaration de performance extrafinancière ne s'appliquent pas directement aux PME. Les estimations nationales d'émissions carbone sont réalisées par secteur d'activité, et le détail par taille d'entreprises n'existe pas ».
ü Des obligations parfois inadaptées pour les PME
La question de l'adaptation des normes simplifiées pour les PME dans le cadre de la CSRD se pose toujours163(*). Le rapport sur la compétitivité européenne du 9 septembre 2024 de Mario Draghi, souligne qu'elle représente, parmi d'autres normes européennes, une contrainte trop forte sur la compétitivité des entreprises européennes.
Le bilan des émissions de gaz à effet de serre (BEGES) cristallise ces inquiétudes. L'article L. 229-25 du code de l'environnement rend obligatoire pour les entreprises employant plus de 500 salariés en France métropolitaine la réalisation d'un tel bilan.
La CPME souligne que : « l'élaboration d'un bilan des émissions de GES est une démarche relativement complexe qui, si elle était généralisée, représenterait une contrainte lourde pour les petites entreprises. L'appréhension des émissions du scope 3 constitue un exercice difficile pour la plupart des entreprises ». En effet, il s'agit de répertorier les émissions émises par les fournisseurs et les émissions liées à l'utilisation et à la fin de vie des produits. L'évaluation de ces émissions ne dépend pas de l'entreprise déclarante ; pas plus que leur maîtrise.
Si « la plupart des PME ont bien conscience qu'un audit de leur consommation énergétique et une évaluation de leurs émissions carbonées peuvent être utiles pour, le cas échéant, adopter des comportements plus sobres » les entreprises qui le souhaitent peuvent déjà publier, sur la plateforme de l'ADEME, un bilan des émissions de GES, à titre volontaire.
Le créateur de la Fresque pour le climat164(*) estime pour sa part, que, « pour que le modèle d'affaires des entreprises permette de décarboner leur activité, les dirigeants doivent mieux faire la différence entre risque de transition, risques physiques et plan de décarbonation ». Or, de nombreux dirigeants confondent encore trois notions proches mais différentes : « Les risques physiques sont les conséquences du changement climatique sur mon activité. Les plans de décarbonation sont des engagements pris sur les émissions dont je suis responsable. Les risques de transition, eux, portent sur des changements de règle du jeu qui peuvent affecter mon modèle d'affaires »165(*).
Plus généralement, le calcul des émissions de GES paraît hors de portée de nombreuses TPE malgré les efforts pédagogiques de l'État, de ses opérateurs et des nombreux acteurs engagés dans la décarbonation des entreprises.
Il apparaitrait opportun de proposer, spécifiquement pour les TPE, un outil extrêmement simplifié de sorte que son usage permette le développement de bonnes pratiques qui, avec le temps, pourront se renforcer.
ü Des TPE sans outil adapté et sans cap fixé par l'État
Les TPE ne se sont pas encore engagées dans la transition climatique à la hauteur des défis posés par l'accélération du dérèglement climatique.
Selon une enquête menée par OpinionWay pour CCI France publiée en janvier 2023, trois dirigeants interrogés sur quatre considèrent que la transition écologique aura des impacts importants sur l'économie française d'ici 2025, mais moins d'un sur deux pense que cela aura des répercussions majeures sur leur entreprise. Ce résultat est à nuancer cependant en fonction de la taille de l'entreprise : près de 3/4 des dirigeants des structures comptant 10 salariés ou plus estiment que la transition écologique aura un impact important sur leur entreprise, contre 42 % dans celles de moins de 10 salariés.
Si la prise de conscience de l'impact du changement climatique est très largement partagée, sa traduction en termes d'actions à mener l'est beaucoup moins, et dépend de la taille de l'entreprise.
À court terme, trois entreprises sur quatre déclaraient ne pas prévoir de réduire leur consommation d'énergie. Pour les 25 % ayant engagé des plans de décarbonation, les mesures mises en oeuvre consistent essentiellement -pour trois PME sur cinq- en des plans de réduction de la consommation énergétique : vigilance renforcée sur le gaspillage d'énergie dans les bureaux, remplacement d'équipements (automobile, chauffage, informatique, machines-outils...). La remise en question du modèle économique de l'entreprise ou la réduction de son activité font partie des mesures et solutions les moins citées (respectivement 21 % et 7 %).
Les différents entretiens conduits au cours de la mission ont mené à la conclusion que les PME et TPE avaient impérativement besoin, pour s'engager durablement dans une démarche de décarbonation, de trois éléments :
1. Une simplicité des dispositifs d'aide publique :
Ce qui vrai pour l'ensemble des entreprises l'est davantage pour les PME-TPE : « la majorité silencieuse des dirigeants de PME ETI reste à quai. Perplexes face à la complexité du sujet, timorés devant l'importance des investissements à réaliser, ils semblent être à la croisée des chemins » constatait ainsi Bpifrance en avril 2023166(*).
Pour la CPME, la réduction des émissions de GES par les PME et TPE doit se traduire par « une offre suffisante et adaptée d'aides techniques (conseils, accompagnements personnalisés) pour permettre aux TPE et PME de réaliser des audits préalables à la mise en place de dispositifs parfois complexes ».
2. Un accompagnement personnalisé :
Pour la CPME, « diffuser des guides et des informations via des plateformes numériques ne suffira pas pour que les PME s'engagent dans des démarches de transition si ces outils ne sont pas complétés par des accompagnements personnalisés assurés par des conseillers/experts ».
Ainsi, les subventions ADEME sont « globalement très peu connues et difficilement accessibles aux PME, sans intermédiation. Il est, en effet, très compliqué de suivre les appels à projets et de contacter les bons interlocuteurs ».
3. Une aide financière d'amorçage :
Plus que des aides financières directes ponctuelles, les entreprises ont en effet besoin d'incitations pour orienter leur modèle d'affaires vers plus de sobriété.
Pour la CPME, « la transition bas-carbone est un processus de moyen et long terme ; il convient donc de maintenir les dispositifs incitatifs (crédits ou réductions d'impôt, notamment) sur une période suffisamment longue pour que les entreprises puissent les solliciter au moment le plus opportun, en fonction de leur stratégie de développement, de l'avancée des nouvelles technologies et/ou de leur prise de conscience des enjeux et des moyens d'y faire face ».
Or, l'offre d'aides à la transition climatique des entreprises est particulièrement complexe et disparate.
* 135 « Faire de la RSE une ambition et un atout pour chaque entreprise », rapports d'information n° 89 de Martine Berthet, Florence Blatrix-Contat et Jacques Le Nay, du 27 octobre 2022.
* 136 « Évaluation des risques pour la santé des travailleurs posés par le changement climatique », avis du 24 janvier 2018.
* 137 L'Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS) précise que la chaleur peut constituer un risque pour les travailleurs exerçant une activité physique notamment au-dessus de 28 °C.
* 138 Les grandes orientations de l'OIT sont établies par la Conférence internationale du Travail, qui se réunit une fois par an en juin à Genève. Cette conférence annuelle rassemble les délégués des gouvernements, des travailleurs et des employeurs des Etats membres de l'OIT. La Conférence, que l'on désigne souvent comme un parlement international du travail, élabore et adopte les normes internationales du travail ; elle constitue un forum de discussion sur les questions sociales et de travail.
* 139 Après les « Principes directeurs pour une transition juste vers des économies et des sociétés écologiquement durables pour tous », établis par l'OIT en 2015.
* 140 Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques.
* 141 Un décret du 20 février 2002 précisait le contenu des informations sociales et environnementales à fournir. Parmi celles-ci doivent notamment se trouver, selon l'article R. 225-105 du Code de commerce, « la manière dont la société prend en compte l'impact territorial de ses activités en matière d'emploi et de développement régional [...] les relations entretenues par la société avec [...] les associations de défense de l'environnement, [...] les populations riveraines ».
* 142 Étendu par l'arrêté du 22 janvier 2024, il est désormais obligatoire pour tous les employeurs et salariés dans son champ d'application.
* 143 Voir à cet égard « Les syndicats face aux défis environnementaux », IRES, décembre 2023.
* 144 Un écogeste est un geste simple et banal de la vie de tous les jours comme aller au travail, faire la cuisine, se laver, jardiner, faire ses courses, un geste que chacun de nous peut faire afin de diminuer la pollution et améliorer son environnement, selon le ministère de l'Économie.
* 145 « Manifeste pour une la transition écologique juste », décembre 2023.
* 146 « Travail et santé-environnement : quels défis à relever face aux dérèglements climatiques ? », avis du CESE du 25 avril 2023.
* 147 Confédération générale des cadres
* 148 Voir à ce sujet, le rapport d'information n° 572 (2019-2020) de Mme Élisabeth Lamure et M. Jacques Le Nay, sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), fait au nom de la délégation aux entreprises, du 25 juin 2020.
* 149 Voir à ce sujet le rapport d'information n°327 (2023-2024), de Mmes Anne-Sophie Romagny et Marion Canalès sur la directive CSRD, fait au nom de la délégation aux entreprises, du 7 février 2024.
* 150 « Cette stratégie est assortie d'objectifs précis définis pour différents horizons de temps. Le conseil examine annuellement les résultats obtenus et l'opportunité, le cas échéant, d'adapter le plan d'action
ou de modifier les objectifs au vu notamment de l'évolution de la stratégie de l'entreprise, des technologies, des attentes des actionnaires et de la capacité économique à les mettre en oeuvre », rapport « Gouvernance de la transition climat dans les entreprises : 10 recommandations de la place de Paris », Institut de la finance durable, janvier 2024.
* 151 Middlenext est l'association professionnelle française indépendante représentative des valeurs moyennes cotées. Créée en 1987, Middlenext fédère et représente des sociétés cotées sur Euronext et Euronext Growth, tous secteurs d'activités confondus.
* 152 Les International Financial Reporting Standards (IFRS) sont un référentiel comptable, un ensemble de normes (règles) définissant les méthodes de comptabilisation, produit par le Bureau international des normes comptables (International Accounting Standards Board, IASB). Les IFRS complètent les International Accounting Standards (IAS, « standards comptables internationaux »).
* 153 Prise en application de la directive CSRD qui impose à certaines entreprises la publication d'un reporting de durabilité abordant des thématiques environnementales, sociales et de gouvernance, ESRS E1 est la première norme du volet environnemental des normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards). Elle a pour objet le changement climatique.
* 154 Les normes IFRS S1 et S2 sont des normes élaborées par l'International Sustainability Standards Board. Elles réglementent au niveau mondial l'intégration de la durabilité dans le reporting des entreprises. Elles exigent des sociétés une appréciation de leurs risques et opportunités liés au développement durable en se basant sur un principe de matérialité financière. Elles sont entrées en vigueur le 1er janvier 2024.
* 155 Le scope 1 représente les émissions directes de GES produits par l'entreprise, le scope 2 correspond aux émissions indirectes liées à l'énergie, mais qui ne se produisent pas directement sur le site de l'entreprise et enfin le scope 3 est lié aux émissions indirectes qui ne sont pas sous le contrôle de l'entreprise.
* 156 « La gouvernance et à l'engagement social, appréciés globalement pour la rémunération variable (annuelle et de long terme), devraient représenter une part significative des déterminants extrafinanciers de la rémunération variable. Cette pondération peut légitimement varier selon les secteurs et les entreprises. L'IFD souhaite que le Scope 3 soit intégré dans les critères de rémunération dès que cela est possible, après avoir précisément identifié les catégories sur lesquelles l'entreprise a des moyens d'action ».
* 157 Aéroports de Paris, Bouygues construction, EDF, Engie, Sanofi, Schneider Electric et Thales.
* 158 « Les bénéfices climatiques de la “compensation carbone” sont au mieux exagérés, au pire imaginaires », Stéphane Foucart, Le Monde, 30 janvier 2023.
* 159 Les projets REDD+ s'appuient sur la finance carbone pour financer des initiatives locales qui réduisent les émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts tout en favorisant une gestion durable des massifs forestiers.
* 160 Fondée en 2007, Verra est l'un des leaders mondiaux dans la gestion et la création de labels de compensation carbone et regroupe de nombreux programmes de certification pour favoriser le développement durable et l'action climatique.
* 161 L'étude a été menée auprès de 1 864 cadres supervisant les initiatives de mesure, de reporting et de réduction des émissions de leur entreprise. Les personnes interrogées représentent 16 grands secteurs d'activité dans 26 pays et sont collectivement responsables d'environ 45 % des émissions mondiales de GES.
« Cette édition met en évidence les avantages substantiels que certaines entre
* 162 Pour respecter la stratégie nationale bas carbone, d'ici 2030, les émissions industrielles devraient être réduites de 45% par rapport à leurs niveaux de 2015 d'ici 2030, ce qui implique de tripler le rythme annuel de décarbonation des entreprises industrielles par rapport à la moyenne des trente dernières années.
* 163 Voir à ce sujet le rapport d'information n°327 (2023-2024), de Mmes Anne-Sophie Romagny et Marion Canalès sur la directive CSRD, fait au nom de la délégation aux Entreprises, du 7 février 2024.
* 164 La Fresque du climat est une association loi de 1901 française, fondée en décembre 2018, portée par l'ambition de sensibiliser le plus grand nombre aux enjeux climatiques à travers un atelier pédagogique et collaboratif, adapté à tous les publics. L'outil repose sur un jeu de 42 cartes, traduites dans plus de 45 langues, dont le contenu est issu des rapports scientifiques du GIEC.
* 165 « Transition écologique : faut-il sortir de la RSE ? », Les Echos, 14 juin 2024, Cédric Ringenbach.
* 166 « Décarboner les PME & ETI Françaises des petits pas aux virages stratégiques ».