II. COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE DU 16 MAI
« Quelle stratégie pour la transition écologique des entreprises ? »
M. Olivier Rietmann, président. - Je vous propose de commencer notre première table ronde sur la stratégie de transition écologique dans nos entreprises. Nous avons aujourd'hui quatre experts parmi nous ; je les remercie d'avoir accepté notre invitation.
Nous entendrons d'abord Monsieur Antoine Pellion, secrétaire général de la planification écologique, conseiller au cabinet du Premier ministre, chef de pôle écologie, transports, énergie, logement et agriculture. Monsieur Pellion, pourriez-vous nous rappeler l'articulation entre les acteurs institutionnels que sont le secrétariat que vous représentez, le Commissariat général au développement durable (CGDD), le Conseil de planification écologique et le Conseil national de la transition écologique ?
Madame Amélie Coantic, vous êtes Commissaire générale au développement durable par intérim, Thomas Lesueur ayant été appelé à d'autres fonctions il y a une dizaine de jours. Depuis sa mise en place en 2008, le CGDD, acteur interministériel et direction transversale du ministère en charge de l'environnement, éclaire et alimente l'action du ministère par la production de données et d'analyses. Vous pourrez nous présenter les politiques publiques qui accompagnent la transition écologique des entreprises et préciser le rôle précis du CGDD à cet égard.
Monsieur David Marchal, vous représentez ce matin Sylvain Waserman, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), qui accompagne le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, à une visite d'entreprise. Vous êtes directeur exécutif de l'expertise et des programmes de l'ADEME, désigné par l'État comme l'un des opérateurs du plan d'investissement France 2030. L'Agence a la charge d'expertiser et de financer les innovations et les industrialisations. Vous pourrez nous expliquer comment vous conduisez cette mission, en particulier comment s'opère la sensibilisation des entreprises et la sélection des projets.
Enfin, Madame Corinne Le Quéré, vous êtes présidente du Haut conseil pour le climat (HCC). Pourriez-vous nous dire quelques mots de la stratégie publique de décarbonation et comment cette dernière va pouvoir être déclinée par les petites ou moyennes entreprises (PME), déjà très sollicitées pour mettre en oeuvre les normes environnementales ?
Je vous laisse la parole pour un propos introductif d'une dizaine de minutes chacun dans l'ordre de vos présentations. Ensuite, mes collègues rapporteurs poseront leurs questions. Je rappelle que ce débat est capté et retransmis en direct sur le site Internet du Sénat.
M. Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique, conseiller au cabinet du Premier ministre, chef de pôle écologie, transports, énergie, logement et agriculture. - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), placé auprès du Premier ministre, exerce une fonction de synthèse sur l'ensemble des sujets de la planification écologique. Nous coordonnons les efforts interministériels en collaboration étroite avec nos collègues, notamment Amélie Coantic du CGDD, et préparons les ordres du jour du Conseil de planification écologique. Au sein de la commission spéciale sur la planification écologique du Conseil national de la transition écologique, nous rendons compte des phases d'élaboration et de mise en oeuvre du plan, en publiant des indicateurs précis sur l'évolution des secteurs tels que le transport, le logement, la décarbonation de l'industrie et l'agriculture. Nous travaillons également avec l'ADEME et le Haut conseil pour le climat, qui évalue les politiques publiques climatiques et nous conseille sur des sujets comme le stockage de carbone.
Dans le cadre de la planification écologique, nos objectifs incluent la réduction des émissions de GES de 55 % d'ici 2030 et la neutralité carbone en 2050. Nous nous concentrons également sur l'adaptation au changement climatique, avec l'élaboration du Plan national d'adaptation climatique (PNAC), qui sera présenté prochainement. Parmi les conséquences du changement climatique figure la forêt française avec une croissance divisée par deux en dix ans, les arbres poussant moins vite et leur mortalité étant plus importante. De même, la disponibilité en eau pourrait diminuer de 50 milliards de mètres cubes du fait de l'évaporation, alors que nous en prélevons actuellement 33 milliards pour divers usages. Les enjeux de biodiversité, de santé environnementale et de gestion des ressources finies sont également cruciaux. Nous devons en effet concilier notre vie, notre société et notre économie avec ces ressources limitées, telles que l'eau, la biomasse et le foncier.
Dans le cadre de cette planification, nous ne séparons pas les objectifs écologiques des objectifs économiques. Nous prenons en compte l'empreinte carbone et la réindustrialisation du pays, en intégrant dans nos calculs une hausse des émissions industrielles. Nous développons des filières industrielles cohérentes avec nos objectifs, comme celles des voitures électriques et des batteries. Le conditionnement du bonus automobile à l'empreinte carbone a, à cet égard, inversé les parts de marché entre les voitures d'origine européenne et celles d'origine non européenne. Nous travaillons de même sur les pompes à chaleur et les électrolyseurs.
La planification est également menée au niveau territorial, en collaboration avec les collectivités locales dans le cadre des COP (Conferences of the Parties) territoriales, sans imposer des directives depuis Paris. Les territoires peuvent ajuster leurs objectifs en fonction de leurs réalités locales, tout en maintenant une cohérence nationale. Pour atteindre nos objectifs de réduction des émissions de CO2 de 200 millions de tonnes par an d'ici 2030 par rapport au niveau de 2019, chacun doit contribuer, entreprises, pouvoirs publics et ménages. Les entreprises représentent environ la moitié de cette réduction, les pouvoirs publics un quart, et les ménages un autre quart.
Le SGPE a, dans ce cadre, mis en place, en partenariat avec les autres acteurs publics, un dispositif de suivi opérationnel et de publication des progrès réalisés. Il s'assure, par ailleurs, de la consolidation des planifications territoriales. En 2023, les émissions ont baissé de 4,8 %, ce qui constitue un bon résultat, mais il reste encore beaucoup à faire d'ici 2030. Nous continuerons ainsi à travailler avec l'ensemble des acteurs.
Mme Amélie Coantic, Commissaire général au développement durable par intérim. -Je vais commencer par vous présenter brièvement le Commissariat général au développement durable, une administration centrale du ministère chargé de l'Écologie. Nous accueillons un service de l'économie verte et solidaire, qui porte les politiques économiques et accompagne les entreprises. Nous sommes l'interlocuteur des directions générales de Bercy, responsables de la construction des politiques publiques pour les entreprises, et nous veillons à leur mobilisation en faveur de la transition écologique. Nous mettons en place des outils pour positionner correctement les trajectoires et outiller les entreprises pour réussir ce défi. Antoine Pellion l'a mentionné, les entreprises seront concernées par une part importante des objectifs à atteindre. Il est donc crucial qu'elles disposent des leviers nécessaires, en termes de compétences, de diagnostics et d'accompagnement financier. Nous devons également développer des politiques d'innovation pour parvenir aux ruptures industrielles nécessaires, car certaines solutions ne sont pas encore disponibles ou sont trop coûteuses.
Le deuxième volet de notre action est la mobilisation de l'ensemble des parties prenantes. Antoine Pellion l'a souligné, la réussite des politiques environnementales dépend de notre capacité à mobiliser à toutes les échelles et avec tous les partenaires. L'État, en tant qu'acteur du territoire employant des millions de salariés, doit lui-même se montrer exemplaire et effectuer sa transition, notamment en transformant la mobilité ou en rénovant les bâtiments. Cela nous permet de comprendre les difficultés que peuvent rencontrer les entreprises. La mobilisation des collectivités territoriales est également cruciale. Les COP territoriales de planification écologique sont, à cet égard, le lieu de débat pour identifier les priorités et veiller à l'articulation entre l'État, les collectivités et les acteurs économiques. Enfin, la mobilisation des citoyens est essentielle, car leur implication et leurs attentes influencent la réussite des transformations, en particulier à travers leur consommation.
Trois aspects sont particulièrement importants pour la prise en compte des enjeux climatiques par les entreprises. Premièrement, il ne s'agit pas seulement de climat, mais aussi de biodiversité et de ressources. Les entreprises doivent intégrer ces enjeux dès le départ, avec une approche systémique. Deuxièmement, la politique climatique doit inclure à la fois l'atténuation des changements climatiques et l'adaptation à ces changements. Troisièmement, la double matérialité doit être prise en compte avec l'impact des activités économiques sur l'environnement et l'impact des évolutions environnementales sur les modèles économiques. Certaines activités économiques seront fortement affectées par les transformations climatiques à venir. La diversité des acteurs économiques est un autre élément important. Les enjeux diffèrent entre les grands groupes internationaux, qui utilisent des outils européens comme la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), et les TPE-PME, qui sont nombreuses et réparties sur le territoire. Pour faciliter le passage à l'acte et accompagner les entreprises, nous mettons en place des mesures concrètes, notamment en application des lois récentes comme la loi climat et résilience. Nous proposons des feuilles de route sectorielles de décarbonation, qui permettent aux entreprises de se poser les bonnes questions pour réussir ce défi. Ces feuilles de route alimentent les stratégies d'accélération du plan d'investissement France 2030, dont 50 % des crédits doivent accompagner la transition environnementale. Nous travaillons avec les opérateurs de France 2030 pour lancer des appels à projets en cohérence avec ces feuilles de route. En termes d'accompagnement, nous nous efforçons de rendre les offres des opérateurs plus visibles et accessibles, en collaboration avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), Bpifrance, les CCI (Chambre de commerce et d'industrie) et les CMA (Chambre des Métiers et de l'Artisanat). Des plateformes numériques comme Mission Transition Écologique simplifient le parcours des entreprises souhaitant s'engager dans cette transition.
Au niveau européen, nous sommes mobilisés pour la validation et le déploiement de la directive relative au reporting de durabilité des entreprises, qui concerne non seulement les grandes entreprises, mais aussi toute leur chaîne de valeur et leurs sous-traitants. L'effet d'entraînement sera donc significatif.
Il s'agit d'un aperçu de nos actions et des outils que nous mettons en place pour faciliter la transition écologique des entreprises.
M. David Marchal, directeur exécutif et de l'expertise à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). - En tant que représentant de l'ADEME, l'Agence de la transition écologique, je tiens à rappeler nos deux missions principales que sont l'expertise et le financement. Avec plus de 1 000 salariés répartis sur le territoire, nous structurons notre action autour de trois grands axes : éclairer la décision publique ou privée, accompagner l'accélération de la transition et innover pour accompagner les solutions de demain. Pour les entreprises, nous déclinons ces missions en proposant des scénarios de décarbonation et de transition écologique ; nous alimentons également les discussions sur la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) et les réflexions des collectivités territoriales.
L'industrie française émet environ 80 millions de tonnes de CO2, soit 20 % des émissions totales, avec deux tiers de ces émissions concentrées sur neuf secteurs électro intensifs et une quinzaine de grandes zones industrialo portuaires. Si ce constat permet de cibler nos politiques publiques sur ces secteurs et zones spécifiques, il est crucial de ne pas négliger le secteur diffus, qui représente un tiers des émissions industrielles, mais 90 % des emplois. Nous devons donc accompagner cette transition sur ces deux fronts. Pour éclairer les trajectoires de transition, nous contribuons à des réflexions prospectives pour le compte de l'État, en proposant des scénarios de transition à l'horizon 2050. Dans le cadre du projet européen Finance ClimAct, nous élaborons des plans de transition sectoriels co construits avec les acteurs des secteurs électro intensifs comme le ciment, l'acier et le papier carton, visant des baisses de 80 % de leurs émissions de CO2 d'ici 2050.
Notre deuxième mission, historique, est d'accompagner financièrement la transition. Dans ce cadre, nous aidons aujourd'hui deux fois plus les entreprises que les collectivités. Nous opérons pour le compte de l'État divers dispositifs, notamment France 2030. Depuis 2020 et le plan de relance, nous avons distribué plus de 2,3 milliards d'euros d'aides aux entreprises industrielles, permettant d'éviter environ 10 millions de tonnes de CO2 et soutenant environ 450 lauréats. Ces aides sont efficaces, avec un coût d'abattement d'environ 11 euros par tonne de CO2 évitée. Les projets de décarbonation soutenus permettent souvent aux entreprises de produire plus tout en réduisant leurs émissions, contribuant ainsi à la réindustrialisation nationale. Pour le secteur diffus, nous avons soutenu 3 300 entreprises en 2023 avec diverses aides à l'investissement et à l'accompagnement, totalisant plus de 10 000 soutiens. Des programmes comme Eco Flux, un diagnostic de chasse aux gaspillages, sont, à cet égard, déclencheurs pour de nombreuses petites entreprises. Nous collaborons avec Bpifrance et les chambres consulaires pour massifier nos aides aux petites entreprises et mettons en place la plateforme Mission Transition Écologique pour faciliter l'accès aux aides d'État.
Au-delà des éléments que je vous ai présentés, nous nous demandons à quel moment les modèles d'affaires des entreprises vont véritablement basculer. Il y a dix ans, la transition écologique était souvent perçue comme un frein. Aujourd'hui, elle est vue comme une opportunité économique et une nécessité pour rester compétitif, face aux attentes croissantes des consommateurs et aux contraintes du monde de la finance. L'affichage environnemental et la directive européenne CSRD sur le reporting de durabilité pour les entreprises de plus de 250 salariés sont des leviers importants pour sensibiliser et faire évoluer les entreprises. S'il y a déjà des obligations de bilan GES, respectées par 43 % des entreprises et 38 % des collectivités, le plan de transition associé à la CSRD implique véritablement la mise en oeuvre d'actions pour abaisser les impacts et minimiser les risques. Au sein de l'ADEME, nous développons également l'outil ACT (Accelerate Carbon Transition), un label extra financier qui crédibilise et rend robustes les plans de transition des entreprises. Plus de 500 entreprises en France utilisent déjà cette démarche, qui est plus répandue que la démarche internationale SBTi (Science Based Targets Initiative). En conclusion, nous sommes convaincus que la transition écologique est une opportunité économique et une nécessité pour les entreprises ; c'est un message essentiel que nous portons à l'ADEME.
M. Olivier Rietmann, président. - Je tiens à souligner qu'à l'automne dernier, Anne-Sophie Romagny, ici présente, était avec Marion Canalès les rapporteurs d'une mission de la délégation aux Entreprises sur la directive CSRD. Je vous invite à consulter leur rapport, qui est particulièrement complet et intéressant.
Mme Corinne Le Quéré, présidente du Haut conseil pour le climat. - Je prends la parole au nom du Haut conseil pour le climat, un organisme indépendant inscrit dans la loi énergie climat de 2019. Notre mission principale est d'évaluer l'action publique en matière de climat. Chaque année, nous rendons un rapport sur la trajectoire de baisse des émissions au regard des objectifs de la France, notamment l'accord de Paris et les engagements européens. Nous évaluons également la mise en oeuvre et l'efficacité des politiques publiques pour réduire les émissions, développer les puits de carbone, réduire l'empreinte carbone et favoriser l'adaptation au changement climatique. Le Gouvernement doit répondre à notre rapport dans les six mois, ce qui crée une dynamique de rapports réponses visant à accélérer et à améliorer l'action climatique.
Les constats principaux de notre dernier rapport sont les suivants : une baisse rapide des émissions de GES est plus que jamais essentielle pour contenir l'intensification des impacts graves. En France, la baisse des émissions se poursuit, mais elle doit encore s'accélérer et être maintenue jusqu'à l'atteinte de la neutralité carbone. Il est ainsi crucial d'engager tous les acteurs, privés et publics. La France est, en effet, particulièrement vulnérable aux impacts du changement climatique en raison de sa géographie, exposée à plusieurs aléas climatiques tels que vagues de chaleur, sécheresses, feux de forêt, pluies intenses et inondations et réchauffement des climats de montagne. Actuellement, l'adaptation se fait de manière réactive et ponctuelle. Nous atteignons les limites de cette approche, et l'adaptation doit devenir anticipatrice et préventive. Toutes les entreprises doivent être impliquées dans la transition, en adaptant leurs opérations, en produisant de manière décarbonée, en incluant le transport et les chaînes d'approvisionnement, et en facilitant la décarbonation de leur secteur. Les entreprises de l'agroalimentaire, de la distribution et de la restauration doivent s'impliquer dans la décarbonation de la production alimentaire pour valoriser les produits moins intensifs en émissions. Les entreprises doivent aussi s'adapter au climat futur en utilisant la trajectoire de réchauffement de référence pour l'adaptation au changement climatique (TRACC), qui sera bientôt publiée dans le plan national d'adaptation au changement climatique 3. Elles doivent considérer l'accroissement des impacts climatiques, qui s'ajoutent à la variabilité naturelle.
Le suivi et les règles appliquées aux entreprises doivent être mis en oeuvre dans un esprit de transition juste, où chacun contribue selon ses moyens à l'ambition collective, qui est élevée face à l'urgence climatique. Nous avons, à cet égard, développé un cadre d'évaluation de l'action publique du Gouvernement, central pour l'implication des entreprises dans une transition juste. Le rôle du Gouvernement est de protéger les ménages et les entreprises des conditions climatiques et économiques changeantes, en créant les conditions favorables à une économie prospère, bas carbone et bien adaptée au changement climatique.
Le premier volet de notre évaluation concerne la stratégie du Gouvernement en matière de climat qui doit reposer sur un cadre d'action avec une trajectoire de décarbonation stable et visible pour tous les acteurs. Sa stratégie doit être claire et lisible sur le long terme pour permettre aux entreprises d'investir dans un contexte prévisible. Bien que la stratégie se construise de manière satisfaisante en France avec de nombreux plans d'action et documents stratégiques, et que la responsabilité des actions climatiques ait été positionnée au niveau du Premier ministre, les délais de publication des documents cadre, comme la programmation pluriannuelle de l'énergie et la stratégie nationale bas carbone, créent des incertitudes. Ces documents doivent être publiés rapidement et des trajectoires de financement sur plusieurs années doivent être établies pour appuyer les engagements pris.
Le deuxième volet de notre évaluation porte sur les politiques publiques déployées. Le Gouvernement doit créer les conditions favorables à une économie prospère, incluant la politique budgétaire, la fiscalité, la politique commerciale, la politique technologique, l'emploi et la recherche. Ces actions doivent s'intensifier pour offrir une vue d'ensemble à tous les secteurs. Si de nouvelles politiques en matière de souveraineté et de déploiements technologiques, comme le captage et le stockage du carbone, ont été évoquées, une vision d'ensemble pour l'économie est nécessaire, et ce sera un point d'attention important de notre rapport annuel à paraître en juin.
Nous avons également examiné les freins et leviers sectoriels. Actuellement, nous sommes dans une approche ponctuelle par projet, mais cette démarche évolue grâce au travail du Secrétariat général de la planification écologique. Nous pensons en termes de nouvelles infrastructures (réseau électrique, production d'hydrogène décarboné, capture et stockage du carbone...) et de nouvelles organisations, de l'emploi et pour la valorisation des nouveaux produits bas carbone. Par exemple, en agriculture, l'introduction de nouvelles espèces de céréales plus résilientes au changement climatique doit être absorbée par les marchés actuels. Les entreprises qui ne soutiennent pas la production, comme la restauration, doivent jouer par ailleurs un rôle de facilitateur dans cette transition.
Enfin, il est essentiel de suivre et d'ajuster les politiques publiques en place. Par exemple, la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable du 1er novembre 2018, dite EGALIM, qui vise à partager la valeur entre producteurs et distributeurs, et les dispositions de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités qui oblige les entreprises disposant d'une flotte de plus de 100 véhicules à un quota minimal de véhicules à faibles émissions lors du renouvellement de leur flotte, doivent être appliquées, cette deuxième loi devant faciliter l'accès des ménages aux véhicules électriques bon marché. Il faut construire la stratégie et la politique économique, tout en suivant et en opérant les ajustements nécessaires au fil du temps. J'invite en tout cas votre délégation à adopter la vision la plus large possible afin de contribuer à un rôle accru des entreprises.
Mme Anne-Sophie Romagny. -J'ai deux questions à poser. La première est plus une remarque concernant la directive CSRD, sujet sur lequel nous avons travaillé avec Marion Canalès. Une expérimentation a été lancée par le ministère de l'Économie et des Finances, appelée pré test PME, en lien avec l'entrée en vigueur de cette directive. Quinze PME ont, dans ce cadre, été interrogées, et les premiers résultats montrent que les entreprises rencontrent des difficultés pour calculer leurs émissions de GES, notamment le scope 3, qui calcule l'empreinte carbone d'une entreprise en couvrant les émissions associées aux activités en amont et en aval de la chaîne de valeur. Lors de nos auditions, nous avions déjà identifié cette difficulté. Ce test révèle que ce n'est pas seulement le scope 3 qui pose problème, mais que le calcul global des émissions de GES qui est complexe pour les entreprises. Comment pouvons-nous les aider à répondre efficacement et pragmatiquement à cette exigence ?
Ma deuxième question concerne un site agro-industriel dans la Marne, dont l'un des acteurs fait partie des 50 entreprises les plus émettrices de GES et qui s'engage activement dans sa décarbonation. Nous avons évoqué de nouvelles méthodes pour décarboner, et actuellement, les petits réacteurs modulaires (SMR) reviennent de manière récurrente dans les discussions. Pensez-vous qu'ils constituent une solution cohérente pour la décarbonation ?
M. Antoine Pellion. - Je vais répondre sur les Small Modular Reactors (SMR), les petits réacteurs nucléaires. Il est important de préciser que lorsqu'on parle de « baisses des GES des entreprises », cela inclut non seulement l'industrie, mais aussi des secteurs comme la logistique et les bâtiments tertiaires. L'ensemble du champ doit être pris en considération, notamment parce que le transport de marchandises et le chauffage sont des éléments significatifs en termes d'émissions de GES. Dans le cadre de la décarbonation des 50 sites industriels que vous avez évoqués, nous avons contractualisé avec chacun d'entre eux, avec des trajectoires d'investissement pour la décarbonation. Cela repose sur quatre axes principaux : l'économie d'énergie grâce à l'amélioration des procédés, l'hydrogène, l'électrification (ce qui inclut les SMR) et les bioénergies comme la biomasse, avec une vigilance particulière sur la disponibilité de la ressource en biomasse.
Concernant les SMR, dans le cadre de notre politique énergétique et du Conseil de politique nucléaire, nous avons décidé de nous mettre en capacité de les développer. Actuellement, notre objectif est d'avoir un démonstrateur à l'horizon 2030. Ensuite, en fonction des résultats et de la compétitivité des coûts de production d'électricité, nous pourrons envisager un certain nombre de déploiements. Cependant, ces déploiements interviendront plutôt lors d'une nouvelle vague de rénovation du site industriel dont vous parlez. À court terme, ce n'est pas une solution immédiatement accessible. Il existe néanmoins des alternatives décarbonées possibles que nous étudions pour l'avenir. Pour l'instant, nous développons une technologie française de SMR, notamment avec EDF (Électricité de France). Par ailleurs, dans le cadre de France 2030, des appels à projets ont été lancés pour d'autres technologies de petits réacteurs. Nous sommes donc encore en phase de développement, avec un premier type de réacteur SMR prévu pour 2030. Ensuite, d'autres technologies pourraient émerger en fonction des résultats des start up, qui travaillent sur des dispositifs très différents. Cela implique également des innovations en matière de conception des combustibles, sur lesquelles nous collaborons avec les acteurs de l'amont du cycle nucléaire.
Je laisserai peut-être mes collègues compléter sur les aspects relatifs à la CSRD et au scope 3. Nous avons une approche centrée sur les actions clés permettant de décarboner, plutôt que l'obtention d'un bilan complet de toutes les émissions. Toutefois, une vision plus large est nécessaire au titre de la réglementation, et je vous laisse compléter sur ce point.
Mme Amélie Coantic. - Je vais aborder quelques points, mais c'est principalement la direction générale de l'Énergie et du climat qui gère les méthodologies de comptabilité des BEGES. Pour répondre à votre préoccupation, Madame la Sénatrice, nous savons que ce volet de diagnostic est essentiel. Le scope 3 mobilise fortement les entreprises, car il les pousse à réfléchir au-delà des deux premiers scopes, sur lesquels elles avaient déjà accumulé beaucoup de connaissances. Nous changeons de dimension avec des questions qui dépassent le simple fonctionnement. Des travaux d'expérimentation sont, dans ce cadre, en cours. Je vais laisser l'ADEME, qui intervient également dans l'outillage des méthodes et le cadrage, apporter des éléments sur les modalités de comptabilisation.
M. David Marchal. - En réponse à la question que vous posiez sur le pré test concernant les PME et leur retour, nous ressentons que les PME perçoivent la CSRD comme comportant énormément de données à remplir, et la partie environnementale n'en représente qu'une partie. Il y a un fort intérêt pour la méthodologie ACT que j'ai mentionnée précédemment. ACT existe en deux versions : ACT Évaluation, qui permet de noter le niveau d'ambition d'une entreprise par rapport à une trajectoire bas carbone, et ACT Pas à Pas, un dispositif d'accompagnement pour la réalisation de ce plan d'action. ACT Pas à Pas est particulièrement adapté aux PME moins matures sur le sujet carbone, pour les aider à établir leur bilan et déterminer un plan d'action. Nous avons un programme volontaire français avec un appel à projets et des financements pour accompagner les PME. Plus de 500 PME sont engagées dans ce programme. Nous les aidons à mettre en place cette méthodologie ACT. Notre promesse est de faire évoluer nos outils ACT pour qu'à la fin d'un ACT Pas à Pas, en un clic, le reporting CSRD soit disponible. Nous travaillons sur cette méthode pour faciliter le chemin vers le reporting CSRD, notamment pour les PME.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Je souhaite que les entreprises parviennent à répondre à leurs obligations et il faut, pour cela, les aider dans cette démarche, car elles sont soumises à un certain nombre de normes et d'obligations. Bien qu'elles soient volontaires, elles se sentent parfois contraintes de les respecter, non pas par manque de volonté d'accélérer leur transition, mais parce que cela représente une charge supplémentaire pour elles. Il est ainsi essentiel de les accompagner dans cette transition.
Mme Corinne Le Quéré. - La faiblesse du reporting européen et international est bien connue, notamment en raison des risques importants de greenwashing. Cela pénalise les entreprises qui souhaitent agir de manière responsable. La méthode ACT a été mentionnée ; elle est unique en son genre et jouit d'une reconnaissance internationale considérable. Je tiens, par ailleurs, à souligner les efforts significatifs réalisés au niveau des Nations-Unies. Un nouveau groupe d'experts de haut niveau sur les engagements de zéro émission nette des entités non étatiques, incluant les entreprises, a élaboré un guide directeur. Ce guide, bien que parallèle à la méthode ACT, présente une forte intersection et fournit des lignes directrices précieuses.
Pour le Haut conseil pour le climat, le scope 3 et les chaînes d'approvisionnement constituent des sujets essentiels. En effet, l'empreinte carbone de la France résulte aux trois quarts des décisions prises par les ménages et les entreprises, et même à 85 % si l'on inclut le niveau européen. En reportant leurs émissions du scope 3 sur les chaînes d'approvisionnement, les entreprises peuvent non seulement réduire leurs propres émissions grâce à un suivi détaillé, mais aussi diminuer l'empreinte carbone globale, y compris celle des autres pays. C'est cette réduction de l'empreinte globale qui fera réellement la différence pour le climat.
M. Olivier Rietmann, président. - Merci, Madame la Présidente. Nous allons maintenant passer aux questions et interrogations de nos rapporteurs. J'aimerais en préalable faire une remarque, et poser une question. Vous avez mentionné le bilan carbone. Nous savons que la France, bien que commençant à amorcer un virage, reste un grand paquebot, notamment sur le plan économique. En parlant de bilan carbone, j'ai compris, Monsieur le Secrétaire général, qu'il est peut-être préférable de produire chez nous avec une production de carbone légèrement inférieure plutôt que de consommer des produits fabriqués ailleurs avec des techniques beaucoup moins décarbonées que les nôtres. On entend souvent qu'il faut rester en dessous de 1 % de production de carbone. Dans ce bilan carbone, inclut-on également le carbone produit par les moyens de transport à l'échelle planétaire qui nous approvisionnent en produits et denrées ? Prend on en compte le carbone produit par les industries qui fabriquent les produits importés ? Dans ce cas, ne serions-nous pas bien au-delà de ce seuil de 1 % ?
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Nous menons cette mission d'information depuis plusieurs mois. Nous avons déjà rencontré de nombreux acteurs et entreprises, puisque c'est l'objet de notre rapport, et avons constaté un manque de lisibilité, même pour nous, parlementaires. Il existe autant de structures de coordination sur le climat qu'il y a de besoins. Ne serait-il pas pertinent d'unifier ces structures pour gagner en lisibilité et en efficacité ?
En ce qui concerne la programmation et le plan d'action, pourriez-vous expliquer pourquoi la stratégie de décarbonation et les instruments de planification ne sont pas encore publics ? Nous nous interrogeons également sur le rôle que vous envisagez pour le Parlement dans cette stratégie et la poursuite de ces objectifs. Nous attendons beaucoup de la loi de programmation sur l'énergie et le climat, qui tarde à venir. Bien que nous reconnaissions le travail accompli et les résultats obtenus en matière de réduction des émissions de GES, il serait utile de poser les choses clairement aujourd'hui, notamment avec le Parlement, afin que nous ayons des objectifs mieux identifiés, à partager avec les entreprises et les collectivités, non seulement au niveau local, mais au niveau national pour que cela puisse davantage infuser et être diffusé sur tous nos territoires.
M. Antoine Pellion. - Je vais répondre à votre question sur l'empreinte carbone. Les ordres de grandeur sont corrects : les émissions directes de la France représentent moins de 1 % des émissions mondiales. Nous devons toutefois également prendre en compte les émissions importées, c'est-à-dire celles générées par les produits que nous importons. Actuellement, les émissions importées sont équivalentes aux émissions directes du pays, ce qui double l'empreinte carbone de la France. Dans les émissions directes, nous incluons également le transport international, selon une règle conventionnelle qui attribue la moitié du trajet au pays de départ et l'autre moitié au pays d'arrivée.
Nous travaillons sur l'idée que la réindustrialisation peut aider à réduire l'empreinte carbone. Par exemple, nous visons une réduction de 200 millions de tonnes de CO2 par an d'ici 2030 par rapport à 2019. Environ 20 millions de tonnes de CO2 supplémentaires ont été émises en France. Si nous n'avions pas réindustrialisé ou si la population n'avait pas augmenté, il aurait donc suffi de réduire de 180 millions de tonnes, mais en raison de la réindustrialisation, nous visons précisément une réduction de 200 millions.
Notre objectif est de répondre précisément au souci que vous avez exprimé, à savoir que la planification écologique et la création du Secrétariat général placé auprès du Premier ministre visent à unifier l'ensemble des planifications afin de garantir leur cohérence. Le travail mené avec les ministères et les opérateurs consiste à avoir une vision complète de tous les sujets et à élaborer un « master plan ». La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) est, en ce sens, un zoom sur l'énergie, la SNBC sur le climat, et la SNB sur la biodiversité. Nous avons publié l'intégralité du « master plan » lors du Conseil de planification écologique de septembre 2023. Toutes les trajectoires sont connues et les indicateurs sont publiés annuellement, ce qui est essentiel pour la lisibilité des entreprises. Le projet de PPE, mis sur la table en décembre, est coordonné avec ce que nous avons publié l'été dernier. Le projet de SNBC 2030, que nous avons finalisé avant hier et qui sera bientôt mis en consultation est également aligné avec les précédentes publications. Il en va de même pour la biodiversité. Nous cherchons également à unifier les planifications nationales et locales, notamment avec les COP au niveau territorial.
Concernant les prochaines étapes en matière de textes réglementaires et de lois, la PPE est actuellement en consultation et devrait être adoptée d'ici la fin de l'année. Elle sera ajustée pour rester compatible avec les évolutions législatives. La stratégie nationale bas carbone à l'horizon 2030 sera présentée dans les prochains jours, et la version 2030 2050 à la rentrée. Le plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) sera publié en mai. D'autres documents, comme le plan Ecophyto, sont déjà publiés et alignés avec la vision d'ensemble. Si des évolutions sont nécessaires, nous ajusterons ce « master plan » pour maintenir une cohérence.
L'articulation des différentes entités au sein de l'État et des opérateurs vise également à aligner l'ensemble des acteurs sur cette vision. Nous y sommes parvenus ces derniers mois. Cependant, nous ne sommes pas favorables à une fusion de tous les acteurs. Certains de vos collègues m'ont auditionné sur les évolutions avec France Stratégie, le SGPE, le Commissariat au plan ou encore le HCC. Le HCC, par les textes, est indépendant, ce qui est bénéfique pour s'assurer d'une évaluation légitime d'un point de vue scientifique. Notre travail de planification opérationnelle se complète avec la prospective de long terme de France Stratégie ou du Commissariat au plan. Nous utilisons leurs productions pour consolider une planification opérationnelle. Il est important d'avoir des entités libres dans leur réflexion à long terme, dont nous pouvons nous nourrir. France Stratégie réalise de nombreuses évaluations, et il est essentiel que nous soyons évalués par des entités distinctes pour mieux identifier les points à améliorer.
Mme Amélie Coantic. - En parallèle de tout ce travail de mise en cohérence et de lisibilité sur les trajectoires et la planification, est mené un travail d'opérationnalisation et de mise en mouvement. Nous avons, en effet, besoin d'outils opérationnels très concrets pour accompagner les entreprises.
Ce que vous avez ressenti dans vos auditions, c'est le passage à l'acte, la transition, le changement. Il nécessite pour les entreprises d'avoir un peu de visibilité parce qu'elles prennent des risques, impliquant la pérennité même de leur activité. Ce passage à l'acte ne pourra se faire que si les diagnostics ont été bien faits, si la réflexion et la gouvernance ont été réfléchies. Les acteurs ne sont toutefois pas en train d'attendre une macro visibilité parce qu'en réalité, les documents qu'évoquait Antoine Pellion sont des mises à jour. Il existe déjà des trajectoires et celles-ci sont simplement réajustées pour prendre en compte les évolutions.
Si les réflexions à l'échelle stratégique de planification sont extrêmement importantes, leur appropriation territoriale est cruciale, car c'est à l'échelle des territoires que vont se conduire les actions et les transformations. Tout l'outillage, que ce soit des moyens économiques ou des leviers d'accompagnement, permet d'accompagner les acteurs pour réussir cette transition. Enfin, la cohérence avec les attentes dans le territoire et celles du consommateur est également importante. Toutes ces échelles sont toutefois travaillées en même temps.
M. David Marchal. - Pour revenir sur la plateforme Mission Transition, cette start up d'État a pour objectif de faciliter le parcours des entreprises pour accéder à toutes les aides disponibles, y compris les aides locales. Si de nombreux acteurs proposent des aides publiques, cela pourrait inciter à envisager une fusion, même si cela impliquerait également une fusion avec les régions, qui fournissent aussi des aides, cependant l'optique retenue est plutôt celle de mettre en place une plateforme simple d'accès. Une entreprise n'a qu'à fournir son numéro SIRET et indiquer si elle a une idée précise de son projet ou non. En fonction de son secteur d'activité et de sa localisation, en trois ou quatre questions, elle obtient une liste précise des aides disponibles, avec les contacts de tous les opérateurs concernés. Ce service est co construit avec des entreprises et testé pour répondre à leurs attentes.
Mme Corinne Le Quéré. - Je souhaitais revenir sur la réindustrialisation et sur sa pertinence d'un point de vue des émissions. Il y a des conditions pour que la réindustrialisation soit réussie dans un contexte d'atteinte de la neutralité carbone. Premièrement, il faut que les émissions de GES de l'industrie soient moins fortes que celles des importations, en prenant en compte les émissions du transport. Il convient de noter, sur ce point, que le transport routier est beaucoup plus émetteur que le transport longue distance en bateau. Il faut donc que cela soit accompagné de la décarbonation du transport routier, en particulier des poids lourds. L'industrie française doit, par ailleurs, être adaptée aux impacts du changement climatique, et il y en a beaucoup en France. Mais le point le plus important, c'est vraiment la stabilité et la prédictibilité. Le Haut conseil pour le climat a récemment écrit une lettre au Premier ministre pour souligner que le délai de publication des documents cadres mettait à mal la lisibilité des trajectoires. S'il est fondamental de mettre en place des trajectoires de financement pluriannuelles, plusieurs trajectoires annexes doivent également être définies : le renouvellement du parc de véhicules électriques, le nombre de rénovations énergétiques du bâtiment, le nombre d'installations de pompes à chaleur ou encore le prix du carbone au sein du système européen d'échange de quotas. Toutes ces trajectoires ont été établies au sein d'un cadre européen où la France opère et qui impose des règles. Dans ce cadre, une stabilité est nécessaire et il faut définir la mise en oeuvre et le financement correspondants sur plusieurs années, tout en faisant attention aux actes qui fragilisent ces trajectoires et donc les investissements. Ce n'est qu'ensuite que les différentes actions pourront être renforcées.
M. Antoine Pellion. - Si les informations sont désormais disponibles de manière précise pour tous les secteurs, la maturité réglementaire ou législative doit encore être améliorée. Cela touche à la pérennité et à la stabilité des trajectoires dans le temps. Nous travaillons activement sur ce point pour y remédier.
M. Olivier Rietmann, président. - Je me permets une réflexion, influencée par mon penchant libéral. Je tiens à rappeler que le premier objectif d'une entreprise est de créer de la valeur, de générer de la richesse et de payer des salaires, contribuant ainsi à la richesse sociale. Bien sûr, cela ne doit pas se faire de manière désordonnée, mais son objectif principal n'est pas de remplir des dossiers ni de rédiger des comptes rendus, même si cela reste nécessaire. N'oublions pas ces priorités.
M. Pierre Cuypers. - Ma question rejoint votre réflexion précédente. Je souhaite revenir sur l'aspect économique. J'ai lu attentivement les documents du Haut conseil pour le climat, qui évoquent la fragilité économique. Cette fragilité se manifeste aujourd'hui par une forme d'interdiction de produire ce dont nous avons besoin, nous obligeant à importer. Par exemple, un poulet sur deux que nous consommons est importé. Nous avons une autre fragilité lorsque nous nous interdisons certaines productions alors qu'elles sont autorisées ailleurs, et que nous cessons d'exporter et de produire, ce qui a de graves conséquences économiques. Prenez-vous en compte ces aspects dans vos analyses ? Notre souveraineté alimentaire et énergétique est terriblement fragilisée. Le monde animal est comme il est depuis des millénaires. Nous ne changerons pas le métabolisme des animaux. Nous risquons cependant d'accroître encore notre vulnérabilité. Actuellement, nous importons du sucre, mais les volumes concernés en provenance d'Europe centrale, notamment d'Ukraine, sont passés de 20 000 tonnes à 700 000 tonnes et nous risquons bientôt de fermer nos usines. Nous sommes tous pour la cause climatique, mais si la France ne représente que 1ou 2 % des émissions, il faut que tout le monde travaille dans le même sens et il faut tout comptabiliser, y compris les coûts liés à l'importation de sucre d'Ukraine. Concernant le conflit en Europe de l'Est, nous importions 17 % de notre gaz de cette région. Aujourd'hui, nous développons la méthanisation avec la biomasse, ressource dont vous avez mentionné la disponibilité. Heureusement, nous produisons du méthane en France. Cependant, il ne doit pas y avoir d'interdictions qui ralentissent nos projets. En France, il faut trois ans pour monter un projet, contre six mois en Allemagne. Lorsque des décrets sont pris puis annulés pour des raisons écologiques ou environnementales, nous nous empêchons de produire localement et d'assurer notre sécurité alimentaire et énergétique.
M. Antoine Pellion. - Nous intégrons le sujet de la souveraineté dans notre réflexion sur la planification écologique. Le point central, c'est notre dépendance énergétique. Aujourd'hui, nous ne sommes pas souverains énergétiquement. Nous importons massivement notre énergie depuis des décennies et 60 % de notre consommation énergétique provient des énergies fossiles, ce qui nous rend vulnérables économiquement et en termes de sécurité d'approvisionnement. La guerre en Ukraine l'a illustré. En ce sens, décarboner notre économie est avant tout un acte de souveraineté nationale pour réduire notre dépendance aux importations d'énergies fossiles. Les crises économiques les plus graves que nous avons connues ont, d'ailleurs, toujours été liées à cette dépendance. La crise des années 70 et celle actuelle due à la guerre en Ukraine et à la hausse des prix du gaz en sont des exemples. Réduire cette dépendance est ainsi vital pour notre économie à long terme, car les crises économiques liées à la flambée des prix des énergies fossiles risquent d'être de plus en plus fréquentes et de plus en plus graves à l'avenir. Indépendamment des préoccupations écologiques, décarboner l'économie, changer les mobilités et les usines est une question de survie économique pour le pays à moyen et long terme. En ce sens, quel que soit le niveau de départ, réduire les émissions signifie réduire la consommation d'énergies fossiles, ce qui est bénéfique pour la résilience de notre économie.
Concernant la souveraineté alimentaire et agricole, sur laquelle nous avons établi un rapport, je voudrais souligner que la France n'a pas perdu en termes de capacité de fermes productives ces dernières années. Nous restons largement le premier pays producteur agricole européen. Cependant, certaines filières se portent mieux que d'autres. Par exemple, la diminution de la production de betteraves sucrières a été compensée par une augmentation de la production céréalière et des exportations associées. Il y a donc eu des gagnants et des perdants. Certaines filières alimentaires symboliques ont souffert, mais globalement, la situation s'est améliorée, notamment en termes d'exportations.
Concernant l'élevage, la planification écologique a entraîné une baisse rapide du cheptel bovin. Il est maintenant crucial de le stabiliser, car il y a des besoins de prairie. Il faut aussi que cela soit cohérent avec l'évolution de notre consommation alimentaire. Réduire le cheptel pour ensuite importer massivement serait, en effet, un contresens absolu. Nous cherchons ainsi à stabiliser le cheptel bovin d'ici 2030, en évitant d'être naïfs face à la mondialisation et en construisant une cohérence globale.
Enfin, le terme même de « planification » au sein d'une économie de marché peut interroger, mais il ne s'agit pas de dire à chaque entreprise ce qu'elle doit faire. Le travail que nous menons avec les filières du transport maritime et aérien constitue un exemple concret de l'utilité d'une telle planification. Chacune de ces filières a un plan de décarbonation reposant sur des biocarburants, des e fuels, etc. Cependant, la somme des ressources nécessaires dépasse les ressources disponibles. Il est donc indispensable d'échanger sur ce sujet pour éviter une explosion des prix due à une pénurie de ressources.
M. Pierre Cuypers. - On ne peut pas remplacer à 100 % une énergie fossile. C'est un bouquet d'énergies qui doit être mis en place.
M. Antoine Pellion. - Nous souhaitons supprimer totalement les énergies fossiles, avec de l'électricité et de la chaleur renouvelable, et des bioénergies.
Mme Corinne Le Quéré. - En réponse à la question soulevée, je tenais à souligner que les implications pour les importations étaient bien prises en compte au niveau du Haut conseil pour le climat.
M. Simon Uzenat, rapporteur. - Ce matin, en vous écoutant, j'ai perçu des progrès, des améliorations et de la bonne volonté. Cependant, à titre personnel, je pense que nous sommes encore au milieu du gué en termes de modèle et d'ambition. Nous restons dans une logique de bilans des émissions de GES, encore un peu extérieure aux logiques économiques, alors que tout l'enjeu est de lier définitivement et intimement cette double matérialité, à la fois en termes d'impact et de business model.
Ce qui m'a frappé dans vos propos, c'est que vous mentionnez qu'il n'y a pas que le climat, mais aussi la biodiversité, les ressources, etc. En me mettant à la place d'un chef d'entreprise non spécialiste, cela peut sembler complexe et je crois que dans notre rapport d'information, nous devons veiller à être clairs sans trop complexifier inutilement, au sens où l'enjeu de résilience climatique doit être clairement mis en avant.
Concernant les BEGES, vous mentionnez que 43 % des entreprises les ont réalisés. Beaucoup nous disent que ce n'est pas simple, et il faudra sans doute faire pivoter le modèle pour que demain, les BEGES soient directement intégrés à la logique économique.
Sur l'exemplarité de la puissance publique, il est crucial que l'État et les collectivités soient au rendez-vous. Actuellement, le cadre réglementaire, la commande publique et les aides financières semblent calés sur le monde d'avant, ce qui bloque des avancées possibles.
J'ai une question précise pour l'ADEME sur la simplification des aides. Aujourd'hui, il y a plus de 300 aides identifiées, et cette difficulté est soulignée dans un rapport de l'Inspection générale des finances. Ce sujet est également régulièrement remonté par les organisations patronales et professionnelles. Peut-on simplifier ces aides, notamment en articulation avec Bpifrance ?
Le Gouvernement cherche actuellement à justifier les annulations de crédits opérées. Prenons l'exemple du fonds vert pour les collectivités, il faut une montée en puissance financière. Comment demander aux entreprises de s'engager davantage alors que l'État freine ? Le rapport Pisani Ferry est clair sur ce point. Il faut être au rendez-vous.
Enfin, le pilotage par la donnée est un sujet qui me tient à coeur. La transparence en quasi temps réel me paraît essentielle pour mobiliser les acteurs, publics comme privés, et mesurer les effets de nos actions. Je m'adresse là au CGDD : quelle méthodologie développez-vous pour évaluer ces politiques publiques ? Est-ce que vous avez pu avancer sur le sujet des achats durables dans le cadre du PNAD (Plan National pour des Achats Durables) ?
Mme Le Quéré, dans votre rapport, vous recommandiez de concevoir les éléments opérationnels manquants des feuilles de route afin de clarifier les responsabilités, les objectifs assortis d'indicateurs de suivi et l'évaluation périodique. Pouvez-vous préciser cet aspect du pilotage par la donnée, qui est pour nous un élément clé pour relever le défi climatique ?
M. Michel Canevet, vice-président de la délégation, remplace à la présidence M. Olivier Rietmann.
M. David Marchal. - La simplification des aides et leur lisibilité sont des sujets sur lesquels nous travaillons depuis plusieurs années. Nos aides sont désormais disponibles en ligne sur un site appelé Agir pour la transition. Nous consolidons et améliorons ce site quotidiennement pour offrir des parcours adaptés aux collectivités et aux entreprises en fonction de la spécificité de chacune. C'est un premier levier important. Il ne faut pas non plus oublier que les aides d'État sont interdites, sauf si elles respectent le cadre européen. Nous sommes ainsi contraints par ce cadre, qui varie selon les domaines (économie circulaire, énergies renouvelables, mobilité, efficacité énergétique...).
Notre partenariat avec Bpifrance est une collaboration essentielle que nous développons depuis quelques années. À l'ADEME, nous sommes une agence d'expertise. Nous inventons des dispositifs que nous testons sur un certain nombre d'entreprises. Par exemple, le diagnostic Eco flux a été engagé il y a 5 ans sous d'autres noms et nous avons constaté qu'un diagnostic coûtant entre 1 000 et 2 000 euros pouvait générer très rapidement des économies de 10 000 euros, simplement par la prise de conscience des pertes. Cependant, avec nos ressources limitées, nous n'avions pas la capacité de déployer ce dispositif massivement auprès des TPE et PME. C'est là qu'est intervenu notre partenariat avec Bpifrance, qui a amélioré l'outil et la marque « Diag Éco Flux » et le distribue désormais avec des subventions de l'ADEME pour couvrir le surcoût pour les entreprises. Aujourd'hui, de nombreux diagnostics sont déployés par Bpifrance avec l'ADEME, tels que « Diag Écoconception », « Diag Perf'Immo » sur le décret tertiaire, et « Diag Décarbon'Action ». Il y a une véritable synergie entre les actions de l'ADEME et celles de Bpifrance. Nous sensibilisons les entreprises à leurs impacts, tandis que Bpifrance, en distribuant ces diagnostics, peut ensuite proposer des prêts et d'autres actions aux entreprises.
M. Antoine Pellion. - Je souhaiterais aborder la question des financements. Notre référence principale est le rapport Pisani Ferry Mahfouz, car nous avons travaillé ensemble sur ce sujet. Selon ce rapport, il faut atteindre plus de 60 milliards d'euros d'investissements par an d'ici 2030. Ces investissements devraient être répartis à parts égales entre le secteur public et le secteur privé. Nous cherchons donc à obtenir quelque 30 milliards d'euros de fonds publics (État et collectivités). Nous réévaluons toutefois chaque étape, notre objectif étant de maximiser les investissements privés afin d'alléger le niveau global de dépenses publiques. La majorité de ces fonds sont destinés aux bâtiments publics, aux transports en commun et aux réseaux d'eau, qui relèvent principalement des compétences des collectivités. Dès 2024, nous avons prévu plus de 10 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2024. Je reconnais que la réduction de 10 à 8 milliards d'euros, en raison du décret d'annulation, pourrait entraîner une diminution des réalisations. Cependant, même avec cette réduction, nous restons sur une trajectoire significative par rapport aux objectifs Jean Pisani Ferry et Selma Mahfouz. Par approximation, si nous considérons que les 30 milliards recommandés sont répartis à parts égales entre l'État et les collectivités, nous avons déjà atteint 8 milliards sur les 15 nécessaires d'ici 2030.
Concernant la baisse de 2 milliards d'euros, un milliard est lié à « MaPrimeRénov' », en raison du ralentissement du secteur de la construction, ce qui a entraîné une diminution des dossiers déposés. Malgré cela, les prises en charge de « MaPrimeRénov' » ont été améliorées dans certains cas. Il reste un milliard, notamment pour le fonds vert, qui est un sujet important. Nous considérons au sein du SGP que l'accompagnement via cet outil devra être poursuivi à l'avenir.
Mme Corinne Le Quéré. - En complément de ce qu'a dit Antoine Pellion, je tiens à souligner l'importance de clarifier la trajectoire de financement au niveau européen sur le plan opérationnel.
Dans notre rapport, nous avons noté que, dans le cadre de la loi climat et résilience de 2021, la stratégie gouvernementale s'orientait principalement vers des feuilles de route sectorielles. Par la suite, nous avons concentré nos efforts sur les 50 sites industriels les plus émetteurs, ce qui a permis des avancées significatives sur ces sites spécifiques. Cependant, nous n'avons pas aligné ces efforts avec les feuilles de route sectorielles, ce qui a créé une certaine incohérence. Il existe, en outre, des acteurs plus diffus, notamment ceux impliqués dans la transition énergétique, pour lesquels nous disposons de moins d'éléments précis pour identifier leurs besoins en matière de décarbonation et les obstacles qu'ils rencontrent.
Mme Amélie Coantic. - La question de la donnée est, bien sûr, fondamentale avec deux enjeux. Le premier, c'est l'accès à la donnée, car en réalité, des données environnementales, il y en a beaucoup. Le deuxième enjeu, c'est sa qualité. Comment m'assurer que la donnée environnementale à ma disposition est juste ?
Nous avons conduit un travail extrêmement important en lien avec les équipes d'Antoine Pellion pour doter la planification écologique d'indicateurs nationaux régionalisables et ainsi obtenir des données territoriales sur l'état de l'environnement de qualité. S'agissant de l'utilisation de la donnée pour les structures ou les entreprises, notamment dans le cadre de la commande publique, nous cherchons à harmoniser et consolider les démarches, dans une logique étatique visant à donner accès, le plus gratuitement possible, à la donnée pour permettre aux différents acteurs de se mobiliser. Météo France vient, par exemple, de publier un outil qui permettra aux territoires de se projeter dans le temps en termes de climat.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. -Beaucoup de choses ont été dites, notamment par mon collègue. Vous avez mentionné, Madame Le Quéré, qu'en France, nous ne voyions pas arriver la nécessaire accélération de la baisse des émissions de GES Vous avez ajouté que la réponse française au réchauffement climatique n'était pas si mauvaise. Pour autant, nous avons l'impression que la pression est constamment mise sur les entreprises. La question qui se pose est financière : est-ce que les aides publiques sont suffisantes pour accompagner la transition écologique ? Ce sujet est important, car cela peut aussi influencer les entreprises et leurs investissements à l'étranger. Vous avez évoqué un parcours sur les aides financières. Est-il suffisamment clair ?
M. Guillaume Gontard. - Il me paraît essentiel tout d'abord de rappeler que la décarbonation et la lutte contre le réchauffement climatique ne sont pas seulement une « bonne cause », mais une nécessité absolue, y compris pour la compétitivité des entreprises. Si nous n'avançons pas, c'est en grande partie dû à un manque d'anticipation et nous devons accomplir aujourd'hui en six ans ce que nous n'avons pas su faire en trente ans.
Je m'interroge également sur notre incapacité à mettre en place des filières qui semblent pourtant évidentes. Prenons l'exemple du secteur du bâtiment, nous avons des orientations politiques claires avec la réglementation environnementale RE 2020 et les matériaux biosourcés, qui vont devenir une obligation ; pourtant, nous sommes très en retard dans la mise en place de ces filières, malgré leur lien local et leur potentiel en termes d'emplois et de synergies avec l'agriculture. Pourquoi est-il, à votre sens, si compliqué d'avancer dans ce domaine ?
Un autre exemple, plus complexe, est celui du photovoltaïque. Nous avons perdu notre dernière entreprise dans ce secteur. Bien qu'il y ait des projets comme la Gigafactory Carbon, il manque une vision globale. Pour établir une filière photovoltaïque, il faut, en effet, une approche intégrale. Or, nous avons fermé une entreprise de fabrication de silicium décarbonée pour transférer cette production en Espagne, où elle est désormais carbonée. Nous risquons de faire la même erreur avec le corindon blanc, essentiel pour les batteries et l'industrie automobile. Quelle est votre visibilité sur ces entreprises que nous perdons, souvent déjà engagées dans la décarbonation, comme celles autour des vallées savoyardes et iséroises dans le secteur de l'hydroélectricité ?
Mme Corinne Le Quéré. - Nos politiques publiques fonctionnent globalement et parviennent à réduire les émissions. Cependant, il est important de noter que la France n'agit pas seule et n'est pas l'unique pays où les émissions diminuent. Au moins 18 pays, dont les États Unis et le Royaume Uni, ont réussi à réduire leurs émissions. Le Royaume Uni, par exemple, a diminué ses émissions de plus de 50 % jusqu'à présent. La France évolue ainsi dans un cadre international très compétitif dans lequel ses concurrents se décarbonent. Aux États Unis, par exemple, l'Inflation Reduction Act (IRA) est fortement axé sur l'économie bas carbone de demain. La décarbonation actuelle fonctionne, mais cela ne signifie pas qu'il faut ralentir. Protéger les entreprises d'aujourd'hui dans un monde qui se réchauffe, c'est les mettre en position de compétitivité pour l'économie de demain.
M. David Marchal. - Il est vrai qu'il existe plusieurs dispositifs pour développer les filières vertes que nous n'avons pas mentionnés. En tant qu'opérateur de France 2030 sur les sujets de l'innovation, nous soutenons toujours les projets liés au photovoltaïque et aux pompes à chaleur, en aidant les industriels à innover dans ces domaines. En réponse à l'IRA américain, l'État a mis en place le crédit d'impôt au titre des investissements dans l'industrie verte (C3IV) par la loi de finances pour 2024. À l'ADEME, nous délivrons des agréments techniques et traitons les demandes d'agrément de la direction générale des finances publiques (DGFiP) sur ce sujet. Bien que ces données soient soumises au secret fiscal, nous observons une forte dynamique autour de ce dispositif C3IV, qui facilite l'obtention de crédits d'impôt pour les industries qui se développent dans les secteurs des pompes à chaleur ou du photovoltaïque.
Je souhaiterais également aborder la question de la souveraineté et de l'affichage environnemental. Il s'agit d'un point peu évoqué, mais il existe des signaux économiques que nous pouvons transmettre via les dispositifs d'affichage environnemental pour les aligner avec les questions de souveraineté. Antoine a mentionné le bonus écologique, où nous mettons en place un label bas carbone pour les véhicules électriques afin de favoriser ceux ayant un contenu carbone le plus faible, ce qui encourage la production en France. L'État réfléchit à appliquer cette logique à d'autres technologies pour orienter les consommateurs vers des produits à faible impact environnemental et fabriquer en France. Je pense que cela peut aller jusqu'à l'économie de la fonctionnalité. Nos entreprises doivent être ouvertes à l'évolution de leur modèle d'affaires. Actuellement, nous sommes encore largement dans un modèle de croissance en volume, où plus je produis, plus cela me rapporte. Cependant, dans une logique de résilience face aux risques et aux tensions d'approvisionnement, que ce soit en énergie ou en matériaux, il est essentiel de se projeter dans un monde où il est possible de créer de la valeur ajoutée en produisant moins. L'économie de la fonctionnalité est une nouvelle tendance qui intéresse fortement les PME et les grands groupes : comment vendre un service plutôt qu'un bien, et faire en sorte que ce service génère des revenus sur le long terme ? C'est une question cruciale dans l'évolution des modèles d'affaires des entreprises qui ont, effectivement, vocation à créer de la valeur.
Mme Amélie Coantic. - Pour répondre à Madame Devésa sur la question de la structuration des aides, je tiens à souligner qu'il s'agit d'une priorité qui nous mobilise. Nous avons plusieurs millions d'entreprises de proximité et il est crucial de leur permettre d'accéder aux solutions disponibles. En réponse à Monsieur Uzenat, leur priorité reste la question carbone, avec deux enjeux principaux : le bâti et le transport.
Nous avons mis en place une plateforme qui regroupe toutes les aides publiques, qu'elles proviennent de Bpifrance, de l'ADEME ou d'autres organismes. L'utilisateur n'a pas besoin de savoir d'où provient l'aide, l'important est de répondre à son besoin et de l'accompagner efficacement. Cela permet également de mettre de la cohérence, d'éviter les doublons et de gagner en efficacité, comme l'a souligné l'IGF (Inspection générale des finances).
Je souhaitais également intervenir sur la question des filières. Nous avons initié un chantier important concernant l'emploi, la formation et les compétences, qui constitue un des chantiers transversaux de la planification écologique. Dans les secteurs évoqués, l'un des freins à la structuration des filières est le manque de compétences. Nous devons, en effet, nous assurer que nos territoires disposent des compétences nécessaires et des formations adéquates. Un autre point important est la place de la commande publique, qui représente 10 % du PIB (Produit intérieur brut). La commande publique peut croiser des enjeux de souveraineté et aider les entreprises dans leurs efforts de transition et d'exemplarité en tirant les marchés.
M. Antoine Pellion. - L'accompagnement des entreprises est, dans les faits, majeur et massif. France 2030, sur la partie innovation, met énormément de moyens sur la table. En plus de ces moyens d'innovation, il y a d'importants moyens d'accompagnement au déploiement. Quand on investit sur les 50 sites industriels d'ores et déjà 4 milliards et bientôt 5 autres de plus pour pouvoir décarboner, c'est très significatif. Il convient également d'ajouter le soutien à l'hydrogène ou encore le soutien à la décarbonation des poids lourds. Les moyens sont ainsi très conséquents et la limite est désormais, en termes de rythme de déploiement, plutôt la capacité technique à faire.
Je partage le fait qu'il faut des filières fortes. Néanmoins, pour qu'une filière puisse décoller, il faut s'y intéresser dans tous ses aspects. S'agissant du biosourcé, l'une des limites réside dans la capacité de déploiement chez les artisans et dans le développement d'une demande suffisante. Concernant le sujet de l'éolien en mer, nous avons une filière industrielle, mais les acteurs ne se portent pas bien au niveau européen.
Je termine d'un mot sur les sujets de l'emploi et des compétences. Ces éléments ont bien été intégrés dans la planification. 8 millions d'emplois sont globalement concernés par les filières évoquées. À cet égard, ce n'est pas tant la structuration de l'emploi qui évolue que des vagues massives de départs à la retraite qui nous touchent, avec, en corollaire des besoins très forts de formations
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Dernière question très courte, Madame Le Quéré. La décarbonation est mise en avant dans le cadre de la transition écologique. Nous savons tous que les entreprises abordent cela en termes d'opportunités. Elles sont très inventives, mais, selon vous, existe-t-il d'autres objectifs de même importance que la décarbonation qui pourraient être affichés comme des objectifs à poursuivre pour les entreprises, tant sur le plan scientifique qu'économique ?
Mme Corinne Le Quéré. - Nous pouvons évoquer tous les nouveaux marchés qui s'ouvrent. Il s'agit, dans ce cadre, de produire les infrastructures de demain. Nous avons déjà abordé les sujets des batteries et des véhicules électriques. Il existe également des opportunités dans le secteur forestier, avec la nécessité d'augmenter les puits de carbone, ce qui peut se traduire par une utilisation accrue du bois de la forêt et, dans une moindre mesure, du bois énergie. Il est essentiel de déterminer nos besoins futurs pour décarboner l'ensemble de l'économie. Toutes ces infrastructures de base doivent être développées. Il y a aussi des opportunités au niveau du financement, avec le soutien des banques et de l'ensemble de l'économie. Enfin, il est impératif de s'adapter au changement climatique, ce qui implique de revoir la structure des bâtiments, la protection côtière ou encore la gestion de l'eau.
M. Michel Canévet. - Je remercie nos intervenants pour leur éclairage qui sera très utile à nos rapporteurs et je vous souhaite une bonne journée.