EXAMEN EN DÉLÉGATION
Lors de sa réunion du 16 octobre 2024, la délégation sénatoriale aux Entreprises adopte le rapport à l'unanimité et en autorise la publication.
M. Olivier Rietmann, président. - Nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner le rapport de Lauriane Josende, Brigitte Devésa et Simon Uzenat, à qui nous avons confié une mission d'information sur les entreprises et le climat. Cette réunion, initialement programmée au mois de juillet dernier, a été reportée à la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale qui a bouleversé notre agenda sénatorial. Je remercie nos trois collègues pour leur formidable travail de fond, et je les laisse présenter leur rapport.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - Alors que le réchauffement climatique s'accélère et que ses impacts s'aggravent, nous avons dépassé les plafonds fixés par les Accords de Paris. Ces éléments convergent en faveur d'une accélération de la transition climatique des entreprises, pour la plupart très conscientes de ces enjeux, puisque 85 % des chefs d'entreprises affirment être sensibilisés.
La stratégie nationale bas carbone (SNBC) se fait attendre, et le bouclage financier de la transition climatique tarde alors même que l'emballement du réchauffement climatique devrait conduire à une accélération. De leur côté, les entreprises se mobilisent et agissent.
Les événements climatiques extrêmes ont coûté 120 milliards d'euros à l'économie française entre 1980 et 2022. L'impact climatique sur l'activité économique est croissant et pourrait coûter à l'ensemble des entreprises de la planète 1 000 milliards de dollars à l'horizon 2050. En France, si rien n'est fait d'ici 2100, le dérèglement climatique pourrait entraîner une perte de richesse de l'ordre de 10 % du PIB, soit 260 milliards d'euros, l'équivalent de 3 500 euros par an et par Français. Ce coût de l'inaction climatique, évalué par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), est à rapprocher du besoin net de financement de la transition climatique, qui pourrait atteindre 66 milliards d'euros d'ici 2030. Les objectifs économiques sont donc bien compatibles avec les objectifs climatiques.
Les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont très concentrées dans quelques entreprises et pays : depuis 1988, 71 % des émissions globales de GES sont issus de seulement 100 entreprises et la moitié de ces émissions est imputable à 25 d'entre elles. En revanche, le réchauffement climatique impacte toutes les entreprises, quelles que soient leur taille et leur localisation.
Plus généralement, les événements climatiques extrêmes perturbent les activités économiques en causant des arrêts de production, la fermeture de points de vente, une diminution des rendements agricoles, des impacts sur le tourisme et des ruptures d'approvisionnement. 64 % des entreprises européennes ont été affectées en 2023 par des pertes de productivité et économiques, des sinistres climatiques et par l'inflation des prix des matières premières, contre 57 % l'année précédente. Même l'eau, indispensable à l'activité économique, devient une ressource rare qui doit être gérée au mieux.
La prise de conscience des chefs d'entreprise témoigne de cet impact grandissant. Les entreprises n'ont pas attendu la loi PACTE de 2019 pour appréhender les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité, incitées par les consommateurs, qui sont 94 % à prendre en considération la durabilité de leurs achats. Cependant, les dirigeants d'entreprise sont démunis et insuffisamment outillés. Seuls 13 % d'entre eux disposent d'une stratégie de décarbonation. Si les petites et moyennes entreprises (PME) et les très petites entreprises (TPE) représentent environ 30 % de l'empreinte carbone, elles ont toutefois du mal à s'engager dans une démarche opérationnelle de transition climatique qui se réduit trop souvent à une diminution de leur consommation énergétique.
La mobilisation des réseaux d'entrepreneurs est un préalable indispensable à la transition climatique. Plus elle tarde, plus les effets négatifs du dérèglement climatique seront importants et plus les efforts pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de GES seront coûteux et difficiles. Cette mobilisation doit englober toute la chaîne de valeur. En effet, si la désindustrialisation a entraîné une baisse des émissions de carbone sur notre territoire, les émissions importées représentent la moitié de notre empreinte carbone.
La transition climatique est susceptible de créer des opportunités pour les entreprises et peut permettre à la France de faire valoir une nouvelle « compétitivité carbone ». Comme l'indique le président de France Industrie : « décarboner ne doit pas se traduire par un déplacement de la production en dehors de la France ou d'Europe », dans des pays qui luttent moins contre le réchauffement climatique ; ce qui revient, in fine, à augmenter les émissions de CO2.
La décarbonation est aussi un levier de croissance et un enjeu majeur de compétitivité. Elle représente un marché mondial de 1 800 milliards de dollars au centre duquel se trouvent les métaux critiques. La consommation des 27 matériaux nécessaires pour atteindre la neutralité climatique devrait être multipliée par sept d'ici 2050. Ce seul marché, aujourd'hui évalué à 325 milliards de dollars, devrait doubler d'ici à 2040. En France, grâce à un accompagnement actif de l'État, l'écosystème greentech est particulièrement dynamique et innovant, comptant plus de 2 500 entreprises. Mais toutes les PME ne sont pas des start-up de la greentech !
Enfin, la transition climatique conduit inévitablement à la transformation de l'emploi : 8 millions d'emplois seraient directement concernés par la transition climatique, qui pourrait être créatrice nette d'environ 150 000 nouveaux emplois d'ici 2030, ce qui suppose un effort massif de formation. Des pénuries pourraient freiner la transition climatique des entreprises, car les métiers nécessaires sont aussi ceux dont les difficultés de recrutement sont déjà très fortes. Ainsi, seuls 40 000 ingénieurs sont formés par an alors qu'il en faudrait 60 000 pour accompagner les entreprises. Une insuffisante adaptation à la transition, ou une mauvaise spécialisation, pourrait affaiblir davantage une industrie française déjà mise à l'épreuve par la désindustrialisation.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. - La politique publique de transition climatique s'inscrit dans un ambitieux objectif européen. La neutralité carbone en 2050 a été mise au coeur de la stratégie économique européenne depuis 2019, puis accentuée avec le paquet « Fit for fifty-five » et le Net-Zero Industry Act en mars 2023. L'objectif est de réduire de 90 % les émissions nettes de GES d'ici 2040 ; et avant 2030, les entreprises sont tenues de supporter la moitié de cet effort.
Avec un mix électrique avantageux, la France a souscrit à une politique ambitieuse de transition climatique. Le mix électrique français est très largement décarboné, à hauteur de 92 %. Les émissions de GES du système électrique français, qui représente plus d'un quart de la consommation finale d'énergie en France, pèsent moins de 5 % dans le bilan carbone national, contre 21 % en moyenne dans les pays de l'Union européenne. Cette situation conforte notre indépendance énergétique et représente un facteur important pour la compétitivité de nos entreprises. Si nos avis, entre rapporteurs, divergent sur la nécessité de relancer le nucléaire, nous partageons en revanche le constat selon lequel l'énergie nucléaire est la seule énergie qui permet, aujourd'hui, de décarboner rapidement et massivement.
La politique nationale cible les 50 entreprises les plus émettrices de CO2 et favorise l'innovation. Depuis 2011, la France, à la faveur de deux stratégies quinquennales d'adaptation au changement climatique, montre que la transition est économiquement possible et compatible avec une croissance plus soutenable. La réindustrialisation peut même aider à réduire l'empreinte carbone. Les plans France Relance puis France 2030 ont consacré des sommes importantes au soutien du développement de solution de décarbonation et à leur déploiement dans le tissu industriel. Cependant, dans son évaluation de ces plans, la Commission des finances du Sénat a déploré qu'avec l'attribution de seulement 6 % des aides de l'objectif de la décarbonation de l'industrie, les pouvoirs publics ne soient pas au rendez-vous de l'accélération provoquée par l'Union européenne.
Les grandes entreprises sont les mieux préparées à la transition climatique. Leurs administrateurs sont formés à ses enjeux, et les codes professionnels AFEP-MEDEF et Middlenext appellent même à une prise en compte du climat dans la rémunération des dirigeants d'entreprises. Ces éléments contribuent d'ailleurs à la réussite de Paris, désormais à la quatrième place financière mondiale grâce à son exemplarité en termes de critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG). Pourtant, même les grandes entreprises éprouvent des difficultés considérables à atteindre leurs objectifs de décarbonation.
Si 34 % des 2 000 plus grandes entreprises dans le monde ont pris des engagements de réduction de GES, seulement 7 à 11 % seraient en mesure de les atteindre. Au niveau mondial, le nombre d'entreprises capables de quantifier leurs émissions de GES stagne à 10 % depuis 2022. Par ailleurs, seulement 14 % des entreprises ont atteint une réduction d'émissions compatible avec leur ambition.
Les investisseurs et les contraintes normatives telles que la directive relative à la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises, dite directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), conduisent les grandes entreprises à intégrer la responsabilité sociale des entreprises (RSE) dans leur stratégie et à se préparer à la transition climatique. Elles entraînent les établissements de taille intermédiaire (ETI) et PME présentes dans leurs chaînes de valeur à s'engager dans la même démarche, bien que ces dernières ne soient pas aussi bien armées.
En effet, alors que les grandes entreprises peinent à atteindre leur objectif de décarbonation, la transition des PME et TPE est encore plus difficile, tant elles souffrent d'un déficit d'ingénierie et ne sont pas outillées pour se saisir spontanément d'opportunités dont elles ignorent souvent l'existence. Il est par conséquent essentiel que la mise en place de ces dispositifs ne s'accompagne pas de lourdeurs administratives, au risque de freiner toute velléité d'aller plus loin dans l'adaptation au changement climatique.
Seuls 42 % des dirigeants de TPE pensent que le dérèglement climatique aura des conséquences importantes sur leur entreprise, contre 75 % des dirigeants d'entreprises de plus de dix salariés. Le calcul des émissions de GES paraît hors de portée de nombreuses TPE et PME. Ainsi, elles éprouvent des difficultés à calculer leur empreinte écologique en englobant toute la chaîne de valeur, ce que l'on nomme « scope 3 » dans le cadre de la directive CSRD.
En résumé, je reprendrai ce constat dressé par Bpifrance en avril 2023 : « la majorité silencieuse des dirigeants de PME et ETI reste à quai. Perplexes face à la complexité du sujet, timorés devant l'importance des investissements à réaliser, ils semblent être à la croisée des chemins ».
M. Simon Uzenat, rapporteur. - Quelles sont les lacunes du pilotage par l'État de la transition climatique des entreprises ? Bpifrance, encore, dresse un constat lucide sur ce point : « les PME et ETI, souvent invisibles dans les politiques publiques, semblent ne pas compter pour la réussite de la transition écologique ». De notre point de vue, une erreur de granularité a été commise : la transition climatique, si elle veut atteindre les objectifs qu'elle s'est fixés, ne doit pas concerner les 50 entreprises les plus émettrices de CO2, elle doit concerner les 4,2 millions de PME et TPE françaises. Or, la politique de transition climatique, en attente de son cadrage national, ignore les PME et TPE. Elle connaît une évolution erratique de ces crédits alors que les investissements de la transition climatique requièrent un cap clair et un cadre macroéconomique et financier stable.
La stratégie macroéconomique de l'État est en attente, même si la déclaration de politique générale du Premier ministre du 1er octobre a indiqué que les travaux de planification allaient « reprendre immédiatement ». Il est temps, après plusieurs mois d'atermoiements ! La plupart des objectifs nationaux de la transition écologique n'ont pas été révisés depuis 2019, voire 2015, au point d'être désormais déconnectés des engagements européens de la France. Ainsi, la Stratégie nationale bas carbone ne donne plus aucune trajectoire après 2033.
Ces dérives de calendrier, dont le Haut conseil pour le climat s'est ému publiquement, concernent les instruments les plus structurants de la politique climatique, et ont conduit le Sénat à discuter d'une proposition de loi portant sur la programmation nationale et la simplification normative dans le secteur économique de l'énergie. Cette programmation est essentielle afin de guider l'action climatique à long terme. Elle doit, en outre, fixer le niveau des budgets carbone de la France pour les périodes 2029-2033 et 2034-2038 en cohérence avec l'objectif de neutralité carbone en 2050, établir les priorités d'action pour la production et la gestion de l'énergie au-delà de 2028, et fixer les nouveaux plafonds indicatifs d'émissions pour les transports internationaux et l'empreinte carbone de la France.
Cette stratégie macroéconomique sera-t-elle à la portée des PME et TPE ? Il est largement permis d'en douter. Plusieurs freins majeurs s'opposent à l'engagement résolu des PME et TPE : la lourdeur des investissements - et j'insiste sur ce point, car il recueille l'unanimité des présidents des organisations interprofessionnelles entendus hier soir par notre délégation - mais aussi le prix et la disponibilité des énergies, notamment décarbonées, la difficulté de prendre en compte les émissions indirectes (dites de « scope 3 »). Enfin, le financement de la transition climatique reste indéterminé, et cette impasse a été amplement soulignée par les représentants des organisations d'employeurs que nous avons rencontrés.
Cette question du financement de la transition climatique a été clairement posée dans trois rapports remis au Gouvernement en 2023, sans être jusqu'à présent résolue. L'ordre de grandeur des investissements supplémentaires que les acteurs publics et privés devront réaliser d'ici 2030 est de 100, voire 110 milliards d'euros. Mais la clé de répartition reste indéterminée, laissant les entreprises dans l'incertitude.
Pour financer les investissements requis par la transition climatique, une hausse des dépenses publiques comprise entre 25 et 34 milliards d'euros serait nécessaire. Or, la Cour des comptes a révélé l'ampleur de la dégradation de la situation financière de l'État, et le projet de loi de finances a rappelé l'exigence d'une maîtrise de la dépense publique, laquelle peut toutefois avoir un effet potentiellement récessif. Dans ces circonstances, quelles seront les marges de manoeuvre pour financer la transition climatique des PME et TPE ?
Par ailleurs, les évolutions de crédits publics sont erratiques. Alors que 10 milliards d'euros de crédits supplémentaires devaient abonder le ministère de la Transition écologique, la régulation budgétaire du 21 février 2024 l'a amputé de près de 3,1 milliards d'euros, privant de visibilité une politique qui devrait s'inscrire dans le long terme.
Au total, seul Bpifrance paraît en mesure de financer d'ici 2028 la transition écologique et énergétique à hauteur de 35 milliards d'euros, pour accélérer la transition des entreprises avec un continuum mêlant financement, garantie et accompagnement. Cependant, accompagner 20 000 entreprises en cinq ans demeure insuffisant, compte tenu des plus de 4 millions d'entreprises à mettre en mouvement. Il revient à l'État d'amplifier, d'industrialiser en quelque sorte, la décarbonation.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - En conclusion, notre rapport montre que les PME et TPE, pour s'engager durablement dans une démarche de décarbonation, ont un besoin impératif de trois éléments : des dispositifs d'aide publique simples, un accompagnement personnalisé, et une aide financière d'amorçage pour enclencher un cycle vertueux.
Pour changer le logiciel de l'action publique pour accélérer la transition climatique des entreprises, nous vous présentons 21 recommandations autour de trois axes.
Le premier axe se rapporte à la création d'un environnement plus favorable à la transition climatique des entreprises. En effet, il convient de mieux cibler la notion d'adaptation des entreprises à la transition climatique. Ni la compensation carbone, ni les technologies de captage, stockage et valorisation du CO2 ne sont à la hauteur de la quantité d'émissions de GES. Dès lors, il faut cibler la décarbonation nette, c'est-à-dire la réduction des émissions nettes de CO2, notamment dans les plans de transition climatique des entreprises. Ces derniers permettent aux entreprises d'ancrer dans leur stratégie des objectifs à long terme et d'en assurer le pilotage avec des horizons de court et de moyen termes, en cohérence avec l'horizon de planification financière et stratégique.
Nous recommandons que la politique publique de transition climatique en direction des entreprises, et particulièrement des TPE et PME, affiche la réduction nette des émissions de CO2 comme priorité de l'action publique. En outre, nous recommandons qu'elle se réfère dans le plan de transition climatique des entreprises à des objectifs de réduction nette des GES, lesquels ne doivent inclure ni les crédits carbone, ni les émissions séquestrées, ni les émissions évitées.
Par ailleurs, les actions dont les coûts d'abattement sont les plus importants sont à prioriser, afin d'ordonner différents projets pour déterminer lesquels permettent d'arriver à un même objectif à moindre coût, et lesquels sont socialement souhaitables. Il semble donc nécessaire, en particulier dans la situation actuelle des finances publiques, de privilégier les technologies de décarbonation dont le ratio « émissions de CO2 évitées/coût » est le plus fort, et celles dont le potentiel de réduction de GES est le plus élevé.
Il est ensuite nécessaire d'améliorer la mesure de la décarbonation des entreprises. En effet, si plusieurs scénarios prospectifs coexistent aujourd'hui, leurs méthodologies divergent et une harmonisation s'impose. De même, puisque seule une cartographie précise permettra de guider l'action publique, une harmonisation des méthodes d'évaluation de la demande énergétique à l'horizon 2050 est requise. Ces harmonisations doivent s'accompagner d'un débat public et parlementaire sur la décarbonation, dans un souci de transparence et de meilleure lisibilité des scénarios.
Pour agir en faveur d'une transition climatique efficace des entreprises, nous proposons de conduire une expérimentation à une large échelle. La facturation carbone indique, en instantané, les poids en carbone des produits et déchets et, en dynamique, la contribution de l'entreprise à la décarbonation. Cette mesure comptable environnementale permettrait de calculer les performances environnementales de base de l'entreprise, comme de facturer des produits dont le contenu en carbone n'est a priori pas connu. En outre, elle associe les consommateurs aux démarches de transition climatique des entreprises.
Par ailleurs, comme l'a souligné le rapport de la commission d'enquête du Sénat sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050, il apparaît indispensable d'intégrer la sobriété comme objectif des politiques publiques en amont. La sobriété vise la tempérance dans nos usages énergétiques et suppose un changement de comportement, de pratique ou de mode de vie.
Pour décarboner, nous formulons deux préconisations, dont la première fait l'objet de divergences : d'une part, relancer et prolonger le parc nucléaire en exploitation jusqu'à 60 ans avec une optimisation significative de sa performance ; d'autre part, développer, d'ici 2035, des moyens de production d'énergies renouvelables (EnR) en s'appuyant sur une répartition équilibrée entre les différentes technologies, et une implantation plus optimale sur l'ensemble du territoire.
Le retard de la France dans le domaine des énergies renouvelables est préoccupant. La part de ces énergies dans la consommation d'électricité a atteint 22,2 % en 2023, mais doit croître à 42,5 % en 2030, ce qui représente un effort considérable. La France a pourtant la chance de disposer de fortes ressources renouvelables qu'il appartient aux entreprises de valoriser, par exemple en développant l'autoconsommation. Sur ce point, il convient cependant de prendre en considération l'acceptabilité sociale des installations d'EnR.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. - Le deuxième axe de propositions s'inscrit dans le sillage des préconisations récurrentes de la délégation sénatoriale aux Entreprises. Il consiste à simplifier le processus d'adaptation et d'atténuation du changement climatique. En d'autres termes, il s'agit de s'attaquer aux effets du changement climatique comme à ses causes.
La politique de transition climatique des entreprises doit devenir plus agile. En effet, les gains de la décarbonation engrangés jusqu'à présent relèvent principalement, dans le domaine industriel, de l'efficience énergétique. Or, il faudra de plus en plus s'orienter vers des technologies de rupture dont la soutenabilité économique n'est à ce jour ni démontrée ni acquise, à l'image du recours massif à l'hydrogène, du captage et du stockage de dioxyde de carbone, ou des procédés de réduction directe en métallurgie. L'action publique devra s'orienter vers l'assouplissement du cadre normatif, afin de rendre efficientes des innovations, et vers un soutien public en mobilisant davantage France Expérimentation.
Il faudra aussi simplifier. Il existe près de 340 dispositifs d'aide à la transition climatique des entreprises proposés par les opérateurs publics. En avril 2023, l'Inspection générale des finances les décrivait ainsi : « foisonnants et complexes », « insuffisamment lisibles et visibles pour les entreprises, notamment les TPE et PME », « constituées par sédimentation sans réelle cohérence d'ensemble ». Les opérateurs publics proposent aux entreprises un mille-feuille indigeste d'aides sans véritable vision de long terme, sans cohérence et démuni de sens. Nous avons ainsi appris que des entreprises en viennent à rémunérer des sociétés de services spécialisées dans l'identification des aides publiques et le montage des dossiers, que les dirigeants des PME n'ont ni le temps d'effectuer ni la technicité pour le faire !
Le parcours des aides publiques doit être recentré sur une quinzaine de dispositifs, autour de l'aide au calcul des émissions de GES et à l'élaboration d'un bilan carbone pour les TPE et PME, et d'un plan de transition pour les grandes PME et les ETI. L'accompagnement doit émaner d'une demande des entreprises. Il doit être construit de manière transversale et adapté aux différentes catégories d'entreprises, quel que soit leur domaine d'activité. Il faut substituer une politique de l'offre à une politique de la demande, fondée sur le parcours usager de l'entreprise.
De la même manière, il importe de simplifier la méthodologie de la mesure de l'empreinte carbone. La confusion sur ce point pénalise la comparaison et la lecture des trajectoires de décarbonation. Il est par conséquent impératif de standardiser une méthode de mesure pour la décarbonation par secteur selon une approche en cycle de vie (ACV). Cette harmonisation devrait être confiée à l'ADEME, en liaison avec les organisations d'employeurs.
Par ailleurs, le plan France 2030 ressemble à un inventaire à la Prévert. Il propose en effet une centaine de dispositifs d'aide, qui ne ciblent pas tous la décarbonation des entreprises. Certaines aides s'adressent également aux associations, d'autres visent aussi le soutien à la politique de l'emploi ou à la politique culturelle. Par ailleurs, ce plan paraît excessivement centralisé, les aides étant accordées sur décision du Premier ministre.
Dès lors, la création de France Transition permettrait de regrouper les aides aux entreprises actuellement dispersées entre France Relance, Bpifrance ou l'ADEME, afin de regrouper tous les financements de la décarbonation. Au-delà d'une meilleure lisibilité, France Transition serait chargée d'accélérer de façon proactive l'émergence de projets stratégiques, là où le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI), l'ADEME et Bpifrance sont trop souvent considérés comme des guichets d'accueil.
M. Simon Uzenat, rapporteur. - Le troisième axe rassemble des préconisations de mesures susceptibles d'accompagner les entreprises dans leur processus de décarbonation.
L'aide de l'État pour les grandes entreprises est déjà subordonnée à la publication d'un bilan carbone et d'une stratégie de réduction des émissions de GES. A contrario, les aides destinées à financer des investissements de transformation vers l'industrie du futur des PME et ETI industrielles ne le sont pas. Il est essentiel d'aligner les aides publiques d'État à la décarbonation au respect, par l'entreprise qui en bénéficie, de la SNBC, des stratégies sectorielles et du Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC), lorsqu'ils seront publiés.
Nous affirmons avec force que les territoires seront le cadre de l'accélération nécessaire de la transition climatique. Tout ne descendra pas de Paris et beaucoup d'actions seront conduites dans nos territoires, comme elles le sont déjà.
Les entreprises ne doivent pas être les parties prenantes oubliées de la planification écologique territoriale, évoqué lors du débat en séance du 30 avril consacré à ce thème. Aussi, leur intégration dans les Conférences des parties (COP) devrait aller de soi, alors qu'une circulaire de la Première ministre de l'époque disait l'inverse. Une transition climatique réussie est une coalition entre acteurs publics et privés qui se fonde sur une planification territoriale ascendante, au plus près des entreprises. Lorsque la planification écologique nationale sera réalisée, il faudra en effet relier les trajectoires de planification. Les trajectoires locales devront être en phase avec l'objectif national et, réciproquement, les trajectoires nationales devront intégrer les réalités locales. Cela impliquera un dialogue régulier pour permettre l'ajustement du système, entre logiques descendantes et ascendantes.
Par ailleurs, la commande publique est un levier d'accélération écologique et climatique. Elle tient actuellement compte de la performance environnementale des biens, des produits et des services, en particulier de leur caractère biosourcé, et des exigences de lutte contre les émissions de GES. « L'offre économiquement et écologiquement la plus avantageuse » est une notion permettant d'instaurer un droit de préférence pour les offres des entreprises présentant des atouts en matière de transition climatique, à égalité de prix ou à équivalence d'offre. Ce critère avantage clairement le recours aux PME locales. Aller plus loin suppose un profond changement des règles européennes régissant les marchés publics, et les parlementaires nationaux auront à se faire entendre sur ce point.
Les régions doivent être en mesure de mieux piloter l'impact environnemental de la commande publique, et à cette fin disposer de chiffres précis. C'est la raison pour laquelle nous préconisons la création d'observatoires de la décarbonation. Il ne s'agirait pas d'instances, mais d'outils numériques chargés de collecter des données relatives à l'argent public investi et aux résultats en matière de diminution des GES afin d'évaluer, en toute transparence, la trajectoire empruntée. Dans une logique d'open data et de pilotage par la donnée, ces outils permettraient de rapprocher l'offre de la demande, et seraient déployés à l'échelle régionale, en lien avec les collectivités.
Outre l'achat public, les grandes entreprises ont également un rôle moteur d'entraînement dans leur chaîne de valeur composée d'ETI, de PME et de TPE. Les stratégies climatiques et les plans de décarbonation devraient être évoqués régulièrement lors des assemblées générales d'actionnaires pour les sensibiliser. Cette préconisation est portée par l'Autorité des marchés financiers comme par la commission d'enquête du Sénat de juin 2024 sur TotalEnergies, et fournit un complément logique aux recommandations des codes professionnels AFEP-MEDEF et Middlenext. Nous vous proposons toutefois de la limiter aux entreprises soumises à la directive CSRD. Cela inciterait davantage d'entreprises à se doter de plans de transition qui permettent de comprendre les efforts de l'entreprise parmi lesquels l'implication de la gouvernance, l'évolution de la stratégie, l'identification de leviers de décarbonation, la mobilisation des financements dédiés à ces plans d'action, et le suivi de l'exécution du plan.
La transition climatique fait désormais partie du dialogue social au sein de l'entreprise. Les salariés constituent, avec les territoires et les grandes entreprises, le troisième facteur d'accélération de la transition climatique. Dans les branches professionnelles, et afin de donner toute sa portée à l'accord national interprofessionnel du 11 avril 2023 relatif à la transition écologique et au dialogue social, il convient d'intégrer les sujets de transition climatique au dialogue social de branche. Celui-ci est nécessaire pour anticiper, accompagner et réguler les transformations de l'emploi dues à la transition climatique.
Quel sera notre rôle à nous, parlementaires, dans cette politique publique pour régler la question de « la dette écologique que nous laisserons en héritage à nos enfants », comme l'a pointé le Premier ministre dans son discours de politique générale ? Depuis la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015, des plafonds nationaux d'émissions de GES dénommés « budgets carbone » sont fixés par décret, pour cinq ans. La SNBC résulte de longues concertations, mais, de notre point de vue, contourne le Parlement, qui attend toujours les principaux éléments d'une stratégie de transition climatique et de son financement. Il y a urgence.
Le Parlement doit être associé à la définition de la stratégie d'adaptation de l'économie à la transition climatique : il s'agit là d'un message fort que nous souhaitons transmettre à travers ce rapport. Il doit pouvoir évaluer chaque année l'impact des politiques publiques qui y sont consacrées. La loi demeure le vecteur privilégié des décisions structurantes et les grandes orientations des politiques publiques se discutent au Parlement. Dès lors, la stratégie climatique, ses objectifs et son financement, ne sauraient continuer à être élaborée dans le huis clos des administrations et rester confinée dans les seuls arbitrages des cabinets ministériels. Il est urgent que le Parlement se saisisse de ces enjeux majeurs, en débatte et décide, car il s'agit d'engager l'avenir de la Nation.
C'est la raison pour laquelle nous préconisons de consacrer à la transition climatique de l'économie un débat public annuel au Parlement. Prenant appui sur les données et les politiques conduites par les collectivités locales, il doit permettre l'évaluation, avec l'aide de la Cour des comptes, des politiques accompagnant les entreprises. L'ensemble des données collectées, notamment dans le cadre des observatoires régionaux, faciliteraient le pilotage des politiques publiques climatiques locales et d'éventuelles réorientations des moyens alloués.
Enfin, nous préconisons une mesure fiscale et une évolution de moyen terme du cadre comptable. Le crédit d'impôt au titre des investissements en faveur de l'industrie verte (« C3IV ») est actuellement limité à quatre filières de la transition énergétique : les batteries, l'éolien, les panneaux solaires et les pompes à chaleur. Élargir ce crédit d'impôt pourrait inciter les ETI et les PME à passer de la phase de recherche-développement à celle de la production décarbonée ou d'industrialisation de nouveaux produits à plus faible teneur en carbone, et soutenir ainsi d'autres filières.
La comptabilité actuelle ne permet pas actuellement de valoriser des investissements en faveur de la décarbonation. Lorsqu'une banque, une entreprise ou un fonds d'investissement achète des parts d'une société, le bilan carbone de cette société lui est imputable en tant qu'investisseur, au prorata des parts. Actuellement, il n'existe pas de méthode permettant de valoriser un investissement dans une activité permettant de capter ou de réduire des émissions de GES. Pour combler ce vide, plusieurs acteurs proposent des « dividendes climat », c'est-à-dire un indicateur extrafinancier valorisant l'impact climatique positif des entreprises et les technologies les moins carbonées. Ils rémunèrent les actionnaires par tonne de CO2 évitée, et permettent d'orienter l'épargne vers le long terme et des projets innovants de technologies de rupture. Leur déploiement devrait faire l'objet d'une expérimentation conduite par France Expérimentation, et, à l'issue d'une évaluation, pourrait être accompagné d'une incitation fiscale. Les dividendes climats sont une initiative récente, mais portent des perspectives intéressantes à l'horizon 2030.
Avec ce rapport, la délégation sénatoriale aux Entreprises approfondit ses travaux dans le domaine de la RSE, que nous enrichissons par nos visites de terrain et nos auditions. Cette spécificité de notre méthode est notre bien commun, sachons en tirer le meilleur parti.
M. Olivier Rietmann, président. - Je vous remercie pour ce remarquable travail et votre sens des responsabilités qui vous a permis de réaliser ce travail commun alors que vous êtes issus de groupes politiques n'ayant pas toujours les mêmes vues concernant la politique de transition climatique. Parmi vos recommandations figurent certaines incitations fiscales dont je doute qu'elles seraient bien perçues dans le contexte du redressement des comptes publics. Cependant, je précise qu'il ne s'agit pas de les mettre en place à court terme, bien qu'en matière de climat, le temps presse.
M. Gilbert Favreau. - Permettez-moi d'endosser le rôle du sceptique à propos de ce rapport, par ailleurs fort bien préparé. Il me semble en effet très difficile de parvenir, en France, à une véritable décarbonation dans l'horizon de temps qui nous est proposé, voire imposé, c'est-à-dire une décennie. Il n'est qu'à constater que les énergies de substitution sont à la baisse. Ainsi, les ventes des véhicules électriques ont tendance à chuter, et je peine à concevoir comment les entreprises de transports routiers ou maritimes pourraient ne plus émettre de GES dans dix ans.
La situation financière de la France ne laisse guère de marges de manoeuvre en termes de politique de décarbonation, quand d'autres pays ne jouent pas le jeu, à commencer par la Chine, l'Inde et les États-Unis, qui produisent à eux trois les deux tiers des émissions de GES, mais également nos pragmatiques voisins allemands. Même en portant l'horizon à 2050, je ne suis pas certain que les économies mondiales supportent les efforts nécessaires à la décarbonation. Je suis donc sceptique, mais j'attends de nos orateurs qu'ils me démontrent que j'ai tort.
M. Guillaume Gontard. - Laisser s'aggraver le changement climatique aura un impact sur l'ensemble de la vie humaine, y compris sur les entreprises. Dès lors, il apparaît plus qu'indispensable de se donner des objectifs en termes de décarbonation, et de grandes orientations pour y parvenir. À cet égard, le rapport présente l'intérêt de mettre l'accent sur ce qui fonctionne et sur ce qui ne fonctionne pas, et de réfléchir à la manière d'accélérer les efforts, notamment les efforts financiers, qui ne seront pas perdus, bien au contraire.
Le prisme de la décarbonation ne doit pas masquer d'autres enjeux corrélés, tels que la gestion de la ressource en eau, qui est au coeur de l'activité industrielle, ou la question de la pollution. Aussi, travailler à la décarbonation revêt un enjeu plus global. Par ailleurs, il me semble pertinent que le rapport aborde le thème de la sobriété. En effet, quels que soient nos choix en matière d'énergie, cette question s'imposera.
Concernant la production électrique, je m'inquiète de la primauté du nucléaire qui, indépendamment de ce que l'on pense de cette énergie, occulte le développement des énergies renouvelables (EnR). De plus, l'objectif de construction d'EPR (European Pressurized Reactor) et de SMR (Small Modular Reactor) avant 2030 me semble illusoire, ce qui plaide en faveur d'un recours aux EnR qui, elles, sont déjà opérationnelles. Or, votre rapport montre que nous n'empruntons pas ce chemin. Au contraire, nous perdons ce qui reste des filières photovoltaïque et éolienne en France et en Europe, au moment même où le coût des EnR a chuté de 85 % au cours de la dernière décennie. Ainsi, le coût du mégawatt produit par les EnR est compris entre 50 et 70 euros, quand il s'établit à 160 ou 170 euros pour le nucléaire. Nous avons donc entériné la perspective d'une électricité chère, ce qui ne manquera pas d'impacter l'industrie.
Certaines orientations de votre rapport me semblent satisfaisantes, et répondent en partie à l'inquiétude que j'ai éprouvée à l'égard de l'audition des représentants des organisations d'employeurs du 15 octobre, durant laquelle les orientations, les objectifs, voire nos engagements européens en termes de développement des énergies renouvelables ont été remis en cause ; ce qui va à l'encontre de la transition, et par conséquent de la compétitivité de nos entreprises.
Mme Pauline Martin. - J'aimerais vous interroger sur quelques-unes des préconisations de votre rapport. Dans l'axe 1 je perçois une antinomie entre la recommandation 13, qui consiste à subordonner les aides publiques à l'adaptation climatique et à la décarbonation, et la recommandation 14, qui entend prioriser dans l'achat public les entreprises dont la chaîne de valeur est locale.
Hier, le 15 octobre, des représentants des entreprises nous ont confirmé que la prise de conscience est désormais acquise, mais qu'il est nécessaire d'être moins pressant en matière de transition vis-à-vis d'entreprises qui ne pourront pas suivre le rythme.
M. Olivier Rietmann, président. - Le redressement budgétaire de notre pays impose de demander un effort à tous, y compris aux entreprises. Il convient de se prémunir contre un effet ciseau en exigeant des entreprises, parallèlement à leur effort, qu'elles dépensent davantage sans être accompagnées.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. - La rédaction de ce rapport nous a amenés à partager de nombreux constats, mais aussi à formuler certaines divergences quant à nos recommandations. Les entreprises sont prêtes à faire un effort en matière de transition, mais elles réclament pour cela du bon sens et de la lisibilité. Leur premier réflexe consiste à raisonner en termes de coûts et de charge immédiate, mais elles ont aussi appris à raisonner en termes de transition, car elles sont convaincues de la nécessité de réduire notre empreinte carbone.
Nous avons choisi de nous montrer prudents dans nos recommandations, notamment eu égard à la situation des finances publiques. Notre but consiste à identifier des outils susceptibles d'aider les entreprises, alors que l'empilement des normes, des commissions, des instances, a engendré une forme de colère et d'exaspération des entreprises, qu'elles ont manifestées devant la délégation. Dès lors, nous préconisons avant tout de produire un effort d'harmonisation et de lisibilité des différents dispositifs d'aide à la décarbonation, et de mettre à leur disposition des instruments simples d'utilisation, à moyens constants. J'étais, par exemple, dubitative quant à la facturation carbone. Mais j'ai compris qu'elle était finalement très simple à mettre en place. Alors, expérimentons-la. J'ai suivi le même cheminement pour les observatoires, qui se rapportent à des outils numériques, et non à des instances. Le mot d'ordre est le dialogue avec les entreprises qui, si nous parvenons à donner du sens à nos actions, nous aideront plus que nous ne les aiderons à franchir le cap de la transition.
Le contexte international que vous avez évoqué, monsieur Favreau, est un argument « massue », d'ailleurs relayé par les entreprises. Toutefois, raisonner ainsi suppose de renoncer à beaucoup de choses, quand bien même les orientations de nos partenaires internationaux n'évolueraient pas, nous devons garder le cap de la transition climatique et de la réduction des émissions de GES.
M. Olivier Rietmann, président. - Permettez-moi d'apporter une nuance relative au contexte international. Les grandes puissances ont pris un virage, parce que la réduction des émissions représente pour eux un moyen de s'enrichir et d'investir des marchés internationaux, notamment le marché européen. J'en veux pour preuve le marché du photovoltaïque, où la Chine produit massivement des panneaux moins chers, plus efficaces et plus robustes.
J'étais de ceux qui pensaient qu'il est vain de faire des efforts, quand la part de la France s'élève à 0,9 % de la production mondiale de carbone. Désormais, j'ai conscience que capter des marchés internationaux implique de remplir certains critères environnementaux. En revanche, je suis inquiet quant à notre compétitivité, eu égard aux moyens colossaux que certaines puissances sont en mesure de mobiliser.
Mme Brigitte Devésa, rapporteure. - J'aimerais insister sur la simplification. Nous avons aujourd'hui plus de 340 dispositifs d'aide, qui parfois s'opposent entre eux. À quand une harmonisation des dispositifs, des normes, des lois qui nous permettrait d'emprunter sereinement la voie de la transition écologique ? Celle-ci est déjà en marche, et je me félicite de voir ce qu'il se passe en France, qui ne compte pas parmi les plus gros pollueurs, et qui fait partie des meilleurs élèves, bien qu'il reste de nombreux progrès à accomplir. Aussi nous devons répondre aux attentes des entreprises, qui demandent des solutions pour participer à la transition sans mettre en danger leur compétitivité.
Je souhaite également répondre à monsieur Favreau à propos des transports, en soulignant qu'en la matière des alternatives décarbonées existent et sont susceptibles de favoriser la transition, par exemple le transport maritime à voile.
M. Olivier Rietmann, président. - Je rappelle en effet que le transport est une des principales sources d'émissions de GES. Je disais précédemment que la France produit 0,9 % des émissions mondiales de carbone, mais si l'on y ajoute le carbone importé, alors cette part double.
M. Simon Uzenat, rapporteur. - Je voudrais rappeler, en réponse à l'intervention de monsieur Favreau, en quoi consiste l'objectif de décarbonation à l'horizon 2050. Il n'est pas question de ne plus émettre de carbone, mais d'atteindre une neutralité, c'est-à-dire un équilibre entre le carbone capté et séquestré, et les émissions produites malgré les évolutions technologiques et les efforts de sobriété.
Madame Devésa évoquait le transport maritime à voile. Airbus, qui recourt au transport maritime dans sa chaîne de production, travaille sur ce sujet, qui implique de l'innovation et des emplois. Parler de compétitivité carbone, comme nous le faisons dans le rapport, c'est entériner l'idée que la compétitivité par les prix n'a plus de sens désormais, ni économiquement ni sur le plan environnemental. La compétitivité carbone, au contraire, devient la nouvelle forme de la compétition à l'échelle européenne et mondiale. C'est pourquoi il importe de donner les moyens à nos TPE, PME et ETI de devenir compétitives dans ce domaine. Des entreprises chinoises ou indiennes, aujourd'hui plus vertueuses que les nôtres en matière environnementale, seront demain les mieux armées pour conquérir des marchés chez nous.
Nos propositions, notamment la facturation carbone et les dividendes climat, prennent en compte l'inextricabilité de la logique financière et de la logique de la transition. Il n'est plus possible de penser à l'une sans penser à l'autre, et c'est la réalité dans laquelle évoluent nos entreprises, au-delà de la directive CSRD. Nous avons rencontré des chefs d'entreprises membres de la Convention des entreprises pour le climat, qui nous ont confié ne plus seulement raisonner en termes de hausse du chiffre d'affaires, mais conjuguer aux objectifs financiers des objectifs environnementaux.
Tout en ayant conscience des contraintes budgétaires, je reste convaincu que les investissements réalisés au titre de la décarbonation doivent sortir du cadre européen tel qu'il est fixé en matière de déficit et de dette, parce que le coût de l'inaction climatique est trop élevé. Si demain nous n'agissons pas, nos entreprises mourront. Dès lors, il convient de continuer à mobiliser les moyens de l'État, tout en se montrant très exigeant sur le contrôle de l'efficacité de la dépense publique.
Je rejoins les propos de monsieur Gontard sur l'impératif de ne pas faire de la décarbonation le seul prisme de la transition. Celle-ci concerne de nombreux aspects, tels que l'eau ou l'énergie. Sur ce dernier point, je rappelle que nous ne sommes pas indépendants pour l'énergie nucléaire, et que la filière doit se moderniser pour gagner en plus efficacité. Il a fallu plus de dix ans au parc éolien marin de Saint-Brieuc pour produire ses premiers électrons, quand d'autres pays ont su mettre en place une production bien plus rapidement.
Enfin, pour répondre à madame Martin, je ne vois pas de contradiction entre les recommandations 13 et 14 du rapport, parce que l'enjeu consiste à évaluer de quelle manière la commande publique peut contribuer à la relocalisation des emplois. L'objectif est d'enclencher un cercle vertueux à la faveur de critères plus exigeants dans la commande publique, de former l'ambition la plus haute au niveau national comme au niveau local, et que les entreprises soient encouragées à s'investir. Je concède que la formulation des recommandations pourrait être revue, mais toutes sont alignées vers le même objectif.
M. Olivier Rietmann, président. - Merci à tous, il me reste à mettre aux voix l'adoption de ce rapport.
La délégation sénatoriale aux Entreprises adopte le rapport à l'unanimité et en autorise la publication.