C. LE DÉFI DE L'ASSURABILITÉ DES ENTREPRISES FACE AU RISQUE CLIMATIQUE

Le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles a fait l'objet d'un récent rapport d'information n° 603 (2023-2024), de Mme Christine Lavarde du 15 mai 2024 et d'une proposition de loi visant à assurer l'équilibre du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, n° 624 du 21 mai 2024.

Sa modernisation a fait l'objet d'une loi n° 2021-1837 du 28 décembre 2021 relative à l'indemnisation des catastrophes naturelles, mais la commission des finances du Sénat avait alors estimé « qu'elle ne répondait pas aux défis à venir pour la pérennité du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles ».

1. Un doublement du coût des aléas climatiques d'ici 2050

Remis au gouvernement en décembre 2023 et rendu public en avril 2024, le rapport de la mission sur l'assurabilité des risques climatiques204(*), a souligné la nécessité de parvenir à prendre en compte des phénomènes susceptibles de démultiplier les conséquences financières des catastrophes naturelles tels que les « points de bascule climatiques ou sociétaux » ainsi que les « événements uniques extrêmement coûteux ».

Jusqu'à présent, le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles (CatNat) a permis de rendre accessible la couverture assurantielle sur l'ensemble du territoire national : « la mutualisation entre tous les assurés des périls climatiques couverts par le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles constitue un modèle très protecteur (et donc précieux) pour garantir une couverture assurantielle large, y compris dans les zones les plus exposées aux périls climatiques ». Ce modèle « a démontré une certaine efficacité pour contenir les risques de non-assurance ou d'intervention de l'État. Ce modèle présente l'avantage de mutualiser, au moins en partie, le niveau des primes pour rendre l'assurance accessible dans les zones les plus exposées aux aléas ».

Les sinistres liés au climat (inondations, sécheresse, tempêtes et grêle) ont coûté 6,5 milliards d'euros en 2023 aux assureurs, faisant de cet exercice le troisième le plus coûteux pour le secteur après 1999 (16,6 milliards d'euros avec les tempêtes Lothar et Martin) et 2022 (10,6 milliards d'euros, principalement pour cause de sécheresse et de grêle), selon le bilan annuel de la fédération France Assureurs.

Selon les travaux de la Caisse centrale de réassurance (CCR), gestionnaire du régime CatNat, les dommages causés par les sinistres que couvre celui-ci (inondation, sécheresse, submersion marine, cycloniques, tremblement de terre) pourraient augmenter de 40 %, soit de 811 millions d'euros par an, à l'horizon 2050, et même de 60 % en prenant en compte l'augmentation de la valeur globale des biens assurés.

Dans le monde, les pertes du secteur mondial de l'assurance liées aux sinistres météorologiques sont passées d'une moyenne annuelle (corrigée de l'inflation) de 10 milliards de dollars dans les années 1980 à 50 milliards de dollars au cours de la présente décennie, selon le réassureur Munich Ré.

Le risque d'un doublement du coût des aléas climatiques avait été souligné dès 2022205(*).

2. Une nécessaire adaptation de l'assurance au changement climatique

Les conséquences du dérèglement climatique risquent d'accentuer la fréquence et l'intensité de phénomènes particulièrement complexes à modéliser tels que les combinaisons ou « cascades » de risques qui amplifient sensiblement les dommages constatés et le coût des sinistres à indemniser. Elles percutent un modèle particulièrement efficace pour les entreprises. La France est ainsi le seul pays de l'Union européenne à avoir intégré le risque sécheresse au sein de son système d'indemnisation des catastrophes naturelles.

Pour le rapport de la commission des finances du Sénat : « le principe de solidarité inhérent au régime CatNat permet de réduire la variabilité des primes d'assurance sur le territoire. Selon certaines compagnies d'assurance, sans un modèle de mutualisation tel que le régime CatNat, les primes d'assurance pourraient varier sur une échelle de 1 à 30 selon les localisations. Certains territoires et certains biens ne seraient plus assurables à des tarifs abordables ».

Le régime actuel fonctionne convenablement et le réhaussement à 20 % du taux de la surprime206(*) a été jugé nécessaire mais non suffisant pour garantir l'équilibre du régime CatNat dans la durée.

Or, l'ajustement financier ponctuel du régime d'assurance risque de ne pas suffire, selon un expert207(*) : « les assureurs semblent s'être longtemps illusionnés sur leur capacité d'adaptation au risque du changement climatique. Ils pensaient n'avoir qu'à réviser leurs tarifs - à la hausse - chaque année. Mais la violence des chocs, l'incertitude sur leur variabilité, le caractère systémique d'événements extrêmes de plus en plus complexes et aux effets mal anticipés ont fait vaciller les certitudes et les croyances du marché ».

Le risque du dérèglement climatique n'a rien à voir avec le risque climatique, un risque bien connu par le passé. Le risque du dérèglement climatique, c'est en effet le dérèglement du risque climatique. « Il s'avère, en effet, difficile à modéliser, à quantifier, à anticiper ; et, donc, à assurer. Cessons de croire que la modélisation statistique du dérèglement climatique va permettre de quantifier et donc de maîtriser l'assurance de ce risque ; cessons de croire que les marchés financiers, par leurs innovations (comme les « obligations catastrophe »), vont pouvoir épauler des réassureurs privés en manque de fonds propres ; cessons de nous réfugier derrière l'idée que les capitaux et les hommes vont continuer de s'accumuler dans les endroits les plus exposés aux transformations du climat ».

Face à l'accélération du dérèglement climatique, le concept traditionnel de réparation ad integrum (remise dans la situation antérieure) risque de devenir théorique. Si l'environnement a radicalement changé, le rétablissement d'une situation antérieure devient impossible, comme par exemple, si une entreprise est menacée par la montée du niveau des océans.

De même, l'assureur calcule traditionnellement le montant des primes et indemnités en fonction de la fréquence de survenance des sinistres. Ce principe s'applique à un seul risque à la fois. L'intensité, la fréquence et l'interaction des catastrophes peuvent conduire à des effets d'amplification des indemnisations dues. Enfin, l'analyse rétrospective de la survenance des risques ne pouvant suffire, les assureurs ont de plus en plus souvent recours à des modélisations pour envisager les risques prospectifs. Mais l'expérience a montré que la modélisation connaît elle-même des limites lorsque les risques atteignent une ampleur inédite et cumulative.

Ces évolutions tendent ainsi à réduire le champ de l'intervention de l'assurance : « les risques à fréquence trop élevée deviennent inassurables ; l'augmentation de la part laissée à la charge de l'assuré (la franchise) peut devenir insupportable »208(*).

Aux États-Unis, des assureurs renoncent à proposer une couverture contre les catastrophes climatiques209(*).

Des experts avancent ainsi l'idée d'assurance « paramétrique » dans laquelle l'assureur et l'assuré définissent des critères prédéterminés sur la base desquels s'opérera le versement d'un montant d'indemnisation convenu dans le contrat. Par rapport à l'assurance indemnitaire, ces garanties limitent le calcul du risque à la fréquence de survenance de l'événement déclencheur et font disparaître pour l'assureur les incertitudes sur le montant du sinistre.

La mesure n° 2 du PNACC 3 présenté en octobre 2024 indique que le Gouvernement « visera à inciter les assureurs à maintenir une offre assurantielle à tarification abordable sur l'ensemble du territoire ».


* 204 « Adapter le système assurantiel français face à l'évolution des risques climatiques », Thierry Langreney, Gonéri Le Cozannet, Myriam Mérad, décembre 2023.

* 205 « Le coût des aléas climatiques pris en charge par l'assurance pourrait doubler à l'horizon 2050 » Jean-Louis Bancel et Roland Nussbaum, Le Monde, 23 septembre 2022.

* 206 Sans attendre la publication du rapport, le gouvernement avait annoncé, le 28 décembre 2023, un relèvement, effectif au 1er janvier 2025, de la « surprime » sur les contrats d'assurance qui finance le régime. Cette surprime prélevée sur tous les contrats d'assurance multirisque habitation passera donc, en 2025, de 12 % à 20 % afin d'assurer au régime environ 1,3 milliard d'euros de ressources supplémentaires chaque année et porter sa capacité à quelque 3,2 milliards d'euros.

* 207 « Les assureurs semblent s'être longtemps illusionnés sur leur capacité d'adaptation au risque du changement climatique », Michel Lepetit, Le Monde, 9 juillet 2023.

* 208 « Le coût des aléas climatiques pris en charge par l'assurance pourrait doubler à l'horizon 2050 », art. préc.

* 209 « Ni les assureurs ni les gouvernements ne sont préparés à l'augmentation exponentielle des pertes liées au risque climatique », Arthur Charpentier, Le Monde, 9 juillet 2023.

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