B. UNE AIDE PUBLIQUE COMPLEXE ET DISPARATE
1. Une articulation entre l'ADEME et Bpifrance
a) L'ADEME : l'expertise environnementale
L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) est l'un des opérateurs du plan d'investissement France 2030. Elle a la charge d'expertiser et de financer les innovations et les industrialisations, de veiller à leur mobilisation en faveur de la transition écologique et soutient des politiques d'innovation pour parvenir aux ruptures industrielles nécessaires, car certaines solutions ne sont pas encore disponibles ou sont trop coûteuses.
La doctrine d'intervention de l'ADEME a été présentée lors de la table ronde organisée par la délégation aux Entreprises le 16 mai 2024 par Mme Amélie Coantic, Commissaire général au développement durable par intérim :
« Trois aspects sont particulièrement importants pour la prise en compte des enjeux climatiques par les entreprises. Premièrement, il ne s'agit pas seulement de climat, mais aussi de biodiversité et de ressources. Les entreprises doivent intégrer ces enjeux dès le départ, avec une approche systémique. Deuxièmement, la politique climatique doit inclure à la fois l'atténuation des changements climatiques et l'adaptation à ces changements. Troisièmement, la double matérialité doit être prise en compte avec l'impact des activités économiques sur l'environnement et l'impact des évolutions environnementales sur les modèles économiques. Certaines activités économiques seront fortement affectées par les transformations climatiques à venir ».
À cet effet, des feuilles de route sectorielles de décarbonation sont élaborées. Elles alimentent les stratégies d'accélération du plan d'investissement France 2030, dont 50 % des crédits doivent accompagner la transition environnementale.
L'ADEME renseigne des plateformes numériques comme Mission Transition Écologique censée simplifier le parcours des entreprises souhaitant s'engager dans cette transition. Au-delà de ces modes d'actions, le site Agir pour la transition de l'ADEME présente une offre de services en proposant des guides, des programmes, des formations et des outils d'accompagnement aux entreprises.
L'ADEME est le premier opérateur de la transition climatique des entreprises en termes de financements publics à travers 114 dispositifs d'aides nationaux déployés en 2022 pour un montant total de 1 233 millions d'euros194(*). Ces dispositifs sont fortement concentrés en montants : 15 aides sur 114 (soit 13 %) représentent 1 094 millions (soit 89 % du montant total), les trois premiers dispositifs étant l'appel à projets « BCIAT » (230 M€), l'appel à projets « DECARB'IND » (214 M€) et le dispositif « extension et création de réseaux de chaleur ou de froid » (208 M€).
Ces aides ont été versées en 2022 à près de 40 % en montants aux petites et moyennes entreprises (PME), 20 % aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) et 40 % aux grandes entreprises, soit une part proche de la valeur ajoutée de chaque type d'entreprise au plan national.
b) Bpifrance : l'expertise des entreprises
Bpifrance a comme interlocuteurs plus de 200 000 entreprises et se définit comme « la plus importante société de conseil aux PME »195(*), outre son activité de distribution de crédit orienté vers l'activité industrielle.
Entre 2020 et 2023, elle a engagé 20 milliards d'euros dans un « plan climat » constitué de trois volets :
· Accélérer la transition des entreprises avec un continuum unique mêlant financement, garantie et accompagnement (5 milliards d'euros) ;
· Financer et accompagner massivement l'innovation, notamment dans les Greentechs pour faire émerger et croître des « licornes vertes » (6,5 milliards d'euros) ;
· Accompagner le développement des énergies décarbonées (6,5 milliards d'euros).
Bpifrance propose aux entreprises un accompagnement pour les aider à dresser le bilan de leur impact environnemental196(*), à construire leurs feuilles de route, en fonction de leur état d'avancement dans leur transition énergétique et écologique, par la formation des dirigeants d'entreprises, des missions de conseil, des accélérateurs. Ces offres sont majoritairement subventionnées, et co-construites avec l'expertise de l'ADEME.
Cette aide s'accompagne de prêts sans garantie197(*), c'est-à-dire sans sûreté sur le dirigeant ou l'entreprise, pour faciliter le financement des projets de transition énergétique et écologique, par la prise en charge des investissements immatériels et matériels à faible valeur de gage, ainsi que de solutions de financement spécifiques pour renouveler ses actifs matériels (renouvellement du parc automobile et des équipements) et immobilier (rénovation et construction de bâtiments neufs selon les meilleures normes environnementales), et afin de répondre aux exigences règlementaires
Le plan stratégique 2024-2028 prévoit de déployer 35 milliards sur la décarbonation de l'industrie. Bpifrance est le leader français du secteur bancaire dans le financement des infrastructures de la transition énergétique.
Les aides de Bpifrance sont principalement constituées de prêts aux entreprises. L'offre d'aides à la transition climatique est constituée de 23 dispositifs pour un total de 2,54 Md€ en 2022, l'essentiel de ce montant (2,20 Md€, soit 86 %) étant constitué par deux dispositifs de prêts (le prêt vert et le prêt énergie environnement) ciblés vers des opérations de transition écologique.
Bpifrance prévoit d'accompagner sur quatre ans 20 000 entreprises dans la décarbonation, par un porte-à-porte de masse ainsi présenté par M. Nicolas Dufourcq lors de son audition par la délégation aux Entreprises, le 30 mai 2024 : « Cela se fait physiquement et non via des e-mails, des PowerPoints ou des webinaires. Il faut absolument être présent physiquement dans les PME pour leur présenter l'ensemble du catalogue de nos prestations de conseil. Chaque année Bpifrance réalise à peu près 8 000 missions de conseil et fait rentrer dans ses écoles entre 900 et 1 000 entreprises (...), les Accélérateurs, qui fonctionnent très bien, avec un taux de satisfaction 98,5 %. Ces dépenses de quelques petites dizaines de millions d'euros ont un effet multiplicateur absolument considérable ».
Ses 55 agences locales permettent d'apporter une certaine lisibilité dans l'offre complexe des aides publiques : « Le rôle d'un chargé d'affaires, c'est de simplifier le catalogue et de construire un ensemble de solutions adaptées aux besoins du client ».
Bilan par Bpifrance des aides de à la transition climatique des entreprises
Nom du dispositif d'aide |
Objet |
Financement annoncé |
Financement réalisé (en nombre d'entreprises concernées et en crédits engagés) |
Garanties vertes |
Cette garantie, spécifiquement sur les projets de transition énergétique, portera exceptionnellement sur 80 % du prêt durant 10 ans (contre 50 % et 7 ans pour les garanties classiques). |
1 Md€ de prêts garantis |
Lancement de la nouvelle garantie verte telle que décrite ci-contre le 20 mars 2024. À date, 95 garanties vertes ont été accordées pour 25M€ de risque et 45,3M€ d'autorisations. Le démarrage est en ligne avec la courbe d'adoption prévue du dispositif (200M€ attendus la première année, croissance exponentielle les années suivantes). Le versement de la dotation est toujours en attente. |
Garantie verte de fonds propres |
Garantie des pertes jusqu'à 70 % durant 10 ans et jusqu'à 3 M€ par investissement et 6M€ par entreprise |
150 M€ de fonds propres |
Faute d'une demande de marché suffisante, il n'y a pas de produit vert dédié pour les garanties de fonds propres. En revanche pour toute garantie de fonds propres classique attribuée à un projet contribuant à la transition écologique, un tag vert est apposé. Le montant total de ce type de garantie de fonds propres pour des projets verts s'élève à 34M€ à date, depuis 2023. Dotation pluriannuelle acquise en 2021 pour l'ensemble du dispositif et devant être renouvelée en 2025 |
Prêts verts |
Prêt vert à 10 ans et jusqu'à 5 M€, conditionné à un cofinancement de 50 % et sans garantie exigée de la part de l'entrepreneur |
750 M€ de prêts verts financés |
2,6Md€ de prêts verts (dotation ADEME et État) au 31/04/2024 pour plus de 2 100 bénéficiaires (en cumul depuis 2020) dont 824M€ pour la période 01/012023 - 30/04/2024. Pas de problème de dotation mais le retrait de la bonification de taux apporté par l'État en 2023 a créé une baisse de l'attractivité du produit, au regard des taux pratiqués par la concurrence privée |
Prêts industrie verte |
Prêt à 12 ans jusqu'à 10 M€ pour les plus grosses industries |
200 M€ de prêts financés |
Déjà deux dossiers accordés pour 10M€ (lancement de l'offre courant 2024) |
Dont : Subvention verte pour les petites structures |
Subvention de 30k€ à 80k€ en partenariat avec l'ADEME pour compléter les opérations déséquilibrées financièrement mais indispensables à la transition écologique. |
50 M€ |
14,3 M€ de Subventions France Nation Verte réalisés au 30/04/2024 pour 250 bénéficiaires PME et ETI (en cumul depuis 2023) 25M€ de dotation reçus, 20M€ en ballotage |
Subventions pour les entreprises de taille intermédiaire |
Aides d'un montant pouvant aller à quelques centaines de milliers d'euros pour permettre aux PME et ETI de poursuivre leur décarbonation. |
40 M€ |
Dotation non transférée à Bpifrance (la subvention France Nation Verte couvre bien les ETI, mais les montants sont limités à 80k€, toute subvention verte supérieure à ce montant est actuellement couverte par l'ADEME) |
Favoriser l'approvisionnement des industriels en électricité verte (Garantie Electricité Renouvelable) |
Garantie publique permettant de favoriser les contrats d'approvisionnement de long terme entre des producteurs d'électricité renouvelables et des industriels (Corporate Power Purchase Agreement). |
311 MW |
Dispositif lancé en octobre 2023 2 opérations accompagnées à date pour 46,8 MW de puissance installée cumulée - volumétrie en ligne avec la complexité et le risque liés à ce type de projet, ainsi qu'un contexte marché actuellement défavorable (prix de l'électricité en baisse et appels d'offres CRE plus attractifs). L'objectif de 311MW est à horizon 2029 |
Fonds France Investissement, Énergie, Environnement 2 (FIEE 2) |
Finance notamment le développement des PME et ETI des secteurs des énergies renouvelables, de l'efficacité énergétique, de l'économie circulaire Premier fonds de Bpifrance « Article 9 » au sens de la règlementation SFRD |
240 M€ pour les filières de la transition énergétique et écologique |
13 sociétés accompagnées pour un total investi de 73 M€ dont 50M€ déjà décaissés et 23M€ de hors bilan, en ligne avec le déploiement prévu |
Fonds de fonds Climat Global 1 (FFCG 1) |
Permettra à Bpifrance de démultiplier son action en favorisant l'émergence d'acteurs français capables de financer l'ensemble de la chaine de valeur de la transition énergétique et écologique (de la start-up à l'ETI souhaitant se décarboner). |
Doté de 250 M€ dédiés à la transition énergétique et écologique, à la ClimateTech et aux stratégies net-zéro. Objectif de 10 à 15 investissements dans des fonds, sur la période d'investissement. |
Objectif de réaliser un premier bilan d'ici la fin de l'année 2024 |
Diagnostics dédiés à la transition environnementale des entreprises (« Diag'Action Climat ») |
Accompagner les entreprises à évaluer leurs impacts sur l'environnement (GES, ressources, biodiversité,...) et à identifier des actions d'amélioration via 4 offres existantes : Diag Eco-Flux, Diag Décarbon'Action, Diag Eco-conception, Diag Perf'Immo ; et 2 à venir en 2024 - 2025: Diag Adaptation et Diag Biodiversité |
Dotation ADEME renouvelée régulièrement - 10 M€ actuellement manquants pour assurer le déploiement en 2024 (hors diag biodiversité qui devrait bénéficier d'une dotation OFB) |
Depuis 2020 et au premier trimestre 2024, 4956 entreprises accompagnées |
Accélérateur décarbonation |
Programme d'accompagnement collectif et individuel fondé sur la méthode ACT pas à pas de l'ADEME visant à définir et à mettre en place des stratégies de décarbonation compatibles avec l'Accord de Paris au sein des entreprises accompagnées |
Dotations ADEME puis MINEFI |
58 entreprises accompagnées au premier trimestre 2024 depuis 2021 |
VTE Vert |
Dispositif d'aide à l'embauche permettant de recrutant un jeune talent sur des missions qui accélèrent la transition écologique et énergétique de l'entreprise |
Dotation ADEME |
738 entreprises bénéficiaires au premier trimestre 2024 depuis 2021 |
Mission de conseil Stratégie Environnement |
La mission de conseil Stratégie Environnement permet aux entreprises de repenser leur stratégie dans un monde bas-carbone en embarquant leurs salariés |
Dotation UE |
40 entreprises accompagnées au premier trimestre 2024 depuis 2023 |
c) CCI France : un accompagnateur de proximité
Le réseau des CCI, fort de son ancrage territorial et de l'expertise de ses conseillers, a sensibilisé et accompagné 55 000 PME dans leur transition bas carbone en mobilisant 200 conseillers spécialisés en développement durable. Ce thème d'intervention est prioritaire dans les Conventions d'objectifs et de moyens de l'ensemble du réseau consulaire. Ce dernier contribue à la prise de conscience des TPE-PME, tous secteurs confondus, de ces enjeux et participe à faire du développement durable en général, et de la transition énergétique en particulier, un véritable atout de compétitivité.
La revue des aides à la transition écologique a toutefois souligné un « éclatement de l'offre », son manque de mutualisation et son caractère hétérogène, avec des « dispositifs qui déclinent régionalement ce programme, selon des modalités différentes entre Régions et Départements en fonction des cofinancements mobilisés : payants dans certains cas avec des restes à charge variant selon les Régions et Départements, gratuits dans d'autres ».
La faible lisibilité de l'offre des CCI à travers des sites internet hétérogènes illustre la disparité de l'offre financée par l'État selon les territoires.
2. Une offre illisible de 340 dispositifs d'aides publiques
a) Une surabondance qui décourage les entreprises
Une revue des aides à la transition écologique a été réalisée par l'Inspection générale des finances en avril 2023.
Elle a identifié près de 340 dispositifs d'aide à la transition climatique des entreprises proposés par les opérateurs publics, financés à hauteur de 1,7 Md€ par l'État en 2022.
Ils comprennent, d'une part, 138 dispositifs nationaux de l'ADEME et de Bpifrance, qui correspondent principalement à des subventions (1 187 millions) et des prêts (2 160 millions bonifiés à hauteur de 72 millions par des fonds publics) et, d'autre part, 200 dispositifs d'accompagnement opérés par les CCI et CMA mobilisant des financements d'un ordre de grandeur bien moindre, d'environ plusieurs dizaines de millions d'euros pour l'État en 2022.
S'y ajoutent 5 dépenses fiscales pour un montant de 30 millions, deux dispositifs gérés directement par l'Agence de service et de paiement pour un montant de 280 millions (pour la décarbonation des flottes de véhicules d'entreprise et la décarbonation des outils de production industrielle) ainsi que les certificats d'économie d'énergie198(*), versés par les énergéticiens aux entreprises, pour un montant de 1,3 milliard d'euros parmi lesquels 890 M€ pour le secteur industriel
Ses conclusions sont sévères : « les aides à la transition écologique, foisonnantes et complexes, sont insuffisamment lisibles et visibles pour les entreprises, notamment les TPE et PME. Elles ont été constituées par sédimentation sans réelle cohérence d'ensemble ».
Le premier obstacle est celui de la multiplicité de l'offre et des interlocuteurs : Bpifrance, l'ADEME, les CCI et CMA aux niveaux national, régional et local sans compter les aides relevant des collectivités territoriales. Ces dernières s'élèvent globalement à 1,6 milliards d'euros mais la Cour des comptes199(*) n'a pu identifier celles qui financent la transition écologique des entreprises.
La visibilité pour les entreprises des aides proposées est parcellaire, y compris au sein d'un même opérateur, dont certaines très visibles sont connues - car mises en avant - et d'autres moins. La multiplication de dispositifs aux dénominations peu transparentes y contribue (Diag Éco-flux, Flash'Diag, Diag Decarbon'action, Diag Éco-conception, etc.). La coexistence de dispositifs généralistes et spécialisés (par exemple, le Prêt vert et le Prêt action climat opérés par Bpifrance), dont les critères d'éligibilité des projets peuvent se recouper, ne facilite pas non plus la lisibilité de l'offre, faute de « parcours usager » qui conduiraient les entreprises d'un dispositif d'aide à un autre (logique « pull »), suivant le continuum de la décarbonation (par exemple, diagnostic, étude, subvention, investissement, évaluation).
Un diagnostic comparable avait été réalisé en 2020 par le cabinet Kantar pour le compte du Commissariat général au développement durable (CGDD) : « le sentiment que l'État propose un mille-feuille d'aides sans véritable vision de long terme, sans cohérence et sans véritable sens auquel les entreprises seraient susceptibles d'adhérer ».
En 2022, le Shift Project dénonçait que « chaque ministère, chaque agence, à chacun son dispositif ou son appel à projets en faveur de la transition, chacun sa procédure, chacun sa gouvernance impliquant les mêmes acteurs locaux, sans souci de cohérence entre tous ces dispositifs ! Le résultat est sans appel : illisibilité, complexité du montage des dossiers, manque d'engagement financier dans la durée fragilisant les projets, des financements rares pour le fonctionnement et l'animation, des délais d'instruction et d'engagement des financements incompatibles avec le temps des projets, une logique de guichet thématique défavorable aux besoins des projets transversaux... Cette situation favorise la prise en main des sujets par les seuls techniciens et la mise en retrait des élus au détriment de la dimension politique et du projet de territoire ».
Ainsi, pour la filière du bâtiment, la FFB estime, dans sa réponse au questionnaire de la délégation aux Entreprises, que, de manière générale, « les dispositifs d'aides quels qu'ils soient sont trop complexes pour les entreprises du bâtiment qui sont majoritairement des TPE/PME. De plus, cela demande du temps pour pouvoir identifier les aides disponibles, celles auxquelles l'entreprise est éligible et enfin lancer la démarche administrative.
« Les aides à la transition écologique ne sont pas forcément toujours simples à identifier et à déployer au sein de son entreprise. Il existe une myriade d'aides disponibles pour un grand nombre d'actions mais le problème réside dans la connaissance de ces dispositifs.
La plateforme mission transition écologique est censée corriger cela, ce site, mis en place par le ministère, a pour objectif d'identifier (rapidement) les aides disponibles en fonction du profil de l'entreprise et de ses besoins. Elle s'avère pratique pour identifier les dispositifs en place en fonction des thématiques et des besoins des entreprises. Cependant, les premières entreprises ayant testé ce dispositif déplorent de ne pas avoir été recontactées pour aller plus loin et lancer la démarche, ce qui doit être l'objectif de cette plateforme ».
Aucune simplification n'a été opérée depuis les rapports de l'administration qui ont pointé cette complexité. Un guide à destination des PME et TPE a toutefois été réalisé en avril 2024 par le ministère de l'Économie.
Face à cette complexité administrative, qui crée un marché de la complexité, certaines entreprises se résolvent à en supporter directement le coût.
Quand une entreprise est conduite à rémunérer une société de services
pour monter des dossiers administratifs
Vos rapporteurs ont ainsi rencontré, le 5 avril 2024, les dirigeants de la Belle-Iloise, entreprise de conserves de poissons très engagée dans la démarche RSE200(*). Cette ETI s'avoue dans l'incapacité de « connaître les aides disponibles et, une fois qu'elles sont identifiées, de monter un dossier de demande » et a recours, depuis 5 ans, à une société de services qui les « aide à identifier les aides publiques dont on pourrait bénéficier, monte le dossier administratif et se rémunère en commission de ce qui est récupéré de l'aide publique ». La complexité administrative est aussi un marché et l'efficience de l'aide publique est diminuée lorsque même des ETI ont recours à ce genre d'intermédiation.
b) Une complexité masquée par des portails numériques
La plateforme Mission Transition Écologique des Entreprises est une start-up d'État qui a pour objectif de faciliter le parcours des entreprises pour accéder à toutes les aides à la transition climatique disponibles, y compris les aides locales. Toutefois, l'ADEME dispose également de sa propre plateforme numérique, Agir pour la transition.
Une nouvelle fois201(*), et faute de simplifier parmi les 340 dispositifs d'aide en direction des entreprises, l'État masque la complexité de son offre par le recours à un « guichet unique », quand bien même le rapport précité de l'Inspection des finances considère qu'il s'agit d'une option de second rang. Les entreprises concernées, si elles ne sont pas capables d'identifier le bon guichet, risquent de générer un phénomène de non-recours au moment même où il faut accélérer la transition climatique des entreprises.
Ainsi, CCI France considère que les subventions de l'ADEME en faveur de la décarbonation sont globalement très peu connues et difficilement accessibles aux PME, sans intermédiation : « il est, en effet, très compliqué de suivre les appels à projets et de contacter les bons interlocuteurs ».
Le dispositif « Tremplin » est, pour sa part, particulièrement apprécié des PME, car simple à mettre en place et accessible de façon dématérialisée. Sont aussi appréciés les programmes déployés en Région par les partenaires de l'ADEME (CCI, BPI).
Mais les entreprises ont autant besoin de subventions que d'une politique publique stable et de long terme : « plus que des aides financières directes ponctuelles, les entreprises ont en effet besoin d'incitations pour orienter leur modèle d'affaires vers plus de sobriété. La transition bas-carbone est un processus de moyen et long terme ; il convient donc de maintenir les dispositifs incitatifs (crédits ou réductions d'impôt, notamment) sur une période suffisamment longue pour que les entreprises puissent les solliciter au moment le plus opportun, en fonction de leur stratégie de développement, de l'avancée des nouvelles technologies et/ou de leur prise de conscience des enjeux et des moyens d'y faire face ».
c) Un impératif de simplification
Les PME sont prêtes à s'engager résolument dans la transition climatique mais beaucoup des mesures d'accompagnement ne sont pas connues d'elles.
Comme l'a souligné Bpifrance202(*), le principal obstacle à la décarbonation des PME ETI, avant le manque de moyens financiers ou le manque de temps, est la lourdeur des procédures publiques : « 76 % des PME et ETI affirment être contraintes par la lenteur et la complexité des procédures. Ces chefs d'entreprise rencontrent notamment des difficultés à trouver les bons interlocuteurs publics pour bâtir leurs projets et à obtenir des subventions ou des permis de construction dans un délai convenable. Les deux tiers des dirigeants regrettent aussi la multiplication des normes, parfois contradictoires (normes de sécurité vs normes climatiques) qui freinent les velléités de transition ».
Bpifrance défend à la fois le guichet unique et le contact client : selon son directeur général, auditionné le 30 mai 2024 : « La réponse à la complexité consiste à simplifier constamment le catalogue, mais c'est aussi et surtout, depuis la création de Bpifrance il y a 11 ans, le guichet unique. Le guichet unique simplifie tout. Parmi les 340 dispositifs, beaucoup n'ont pas de clients. Cela donne une impression de complexité effrayante mais ce sont des produits qui sont tombés en déshérence. Ce qui est important, c'est de prioriser, notamment prioriser la mise en mouvement de l'entrepreneur, parce que l'entrepreneur a constamment autre chose à faire. Il doit s'occuper de la cybersécurité et du digital, pour lesquels nous lui soumettons des propositions, de l'export, nous l'inscrivons dans les plans export, désormais l'intelligence artificielle qui va devenir fondamentale, le plan produit, les recrutements, etc. Bpifrance le met en mouvement sur la transition climatique, avec un bilan puis avec la mobilisation d'un certain nombre de crédits pour financer les investissements nécessaires (...). La simplification se fait donc par le guichet unique et le contact client, beaucoup plus que par un travail surplombant sur le catalogue de produits. Le plus important est de disposer d'une organisation ultra lisible de contact avec les clients ».
Il convient toutefois, outre de renforcer l'information en ciblant plus spécifiquement les entreprises en fonction de leur secteur d'activité, de simplifier l'offre car « un nombre non négligeable de mesures, qui répondent à un objectif tout à fait louable, sont tellement complexes à mettre en oeuvre qu'elles sont délaissées avant même d'avoir pu produire leurs effets bénéfiques sur l'environnement. Il est donc nécessaire de simplifier les dispositifs et, lorsque leur mise en oeuvre implique une certaine technicité, proposer une liste de prestataires ou fournisseurs capables d'accompagner les entreprises dans le déploiement de ces mesures (installation d'ombrières, de systèmes d'énergie renouvelable, etc.) », selon CCI France.
Pour ce faire, mettre à leur disposition des outils et méthodologies extrêmement simplifiés est un axe à privilégier. À cette fin, CCI France propose de :
? Mettre à disposition des petites entreprises une très courte liste d'actions faciles à mettre en oeuvre pour réduire leur empreinte carbone (réduction de certaines dépenses liées aux énergies fossiles telles les dépenses de transport, chauffage, achats, etc.) ;
? Proposer une méthodologie extrêmement simple et pédagogique pour permettre aux petites entreprises volontaires d'établir un bilan des émissions de GES simplifié (BEGES), et s'assurer, en cas de publication, que le BEGES simplifié ne se traduise pas par un accroissement disproportionné du nombre de documents à produire ;
? Informer et communiquer plus largement sur les ressources existantes (ADEME, Bpifance, CCI, régions, etc...) ;
ü Mettre à disposition des PME incluses dans une chaîne de valeur, des référentiels simplifiés afin qu'elles puissent répondre, à moindre coût, aux demandes d'informations que sont susceptibles de leur adresser leurs clients ou donneurs d'ordre, concernant leurs engagements en faveur du climat ;
? Aider les PME à structurer leurs engagements en faveur du climat de sorte qu'elles puissent répondre aux demandes de plus en plus fréquentes de leurs parties prenantes telles que les banques ou les investisseurs, en proposant un audit gratuit pour évaluer et formaliser ces engagements.
L'entreprise La Belle-iloise, visitée par vos rapporteurs le 4 avril 2024 a ainsi signalé la lourdeur de la mise en oeuvre du reporting pour 2026 qui l'oblige à recruter un salarié à plein temps pour respecter ces prescriptions : « Il faudrait de la proportionnalité en fonction de la taille : entre ETI de 50 millions et de 1,4 milliard de chiffre d'affaires, on est traités de la même façon. Il faut assouplir le calendrier en fonction des catégories d'entreprise et réduire le nombre d'indicateurs » a ainsi plaidé sa dirigeante.
Vos rapporteurs appellent à suivre les préconisations de l'Inspection des finances pour recentrer l'offre d'aides à la transition climatique des entreprises sur un catalogue de dispositifs moins nombreux, de taille critique, visibles au plan national et stables dans le temps.
Les propositions de CCI France de janvier 2021203(*)
Renforcer l'information, la sensibilisation et l'accompagnement dans la transition bas-carbone
Proposer un outil et une méthodologie simplifiés pour permettre aux TPE-PME qui le souhaitent de réaliser un bilan de leurs émissions de GES
Déployer des aides techniques (conseils, accompagnements) et des incitations financières (crédits d'impôts) pour permettre aux TPE et PME de réaliser des audits
Adapter le calendrier pour laisser aux TPE-PME la possibilité d'intégrer de nouveaux dispositifs à un rythme compatible avec les moyens dont elles disposent
Encourager toutes les entreprises à la sobriété numérique
Privilégier des dispositifs incitatifs
Privilégier le caractère volontaire de l'affichage de l'empreinte carbone des produits et des services
Veiller à ce que les dispositifs proposés ne s'accompagnent pas de lourdeurs administratives dissuasives
Inscrire dans le long terme les politiques en faveur de l'investissement dans des solutions décarbonées
Renforcer les incitations en faveur de la mobilité durable, et notamment en faveur du vélo
Faire de la commande publique un levier efficace de la lutte contre le réchauffement climatique
Introduire la notion d'« offre économiquement et écologiquement la plus avantageuse » afin de mieux appréhender les considérations environnementales
Instaurer un droit de préférence pour les offres des entreprises présentant des atouts en matière de transition écologique, à égalité de prix ou à équivalence d'offre
Adopter une approche différenciée en fonction de la taille de l'entreprise et de son impact sur le climat
3. Des aides en baisse, insuffisantes pour entraîner les PME et TPE
a) Des aides rabotées : une navigation à vue du financement de la transition
Aider les entreprises dans leur transition climatique suppose de les accompagner dans la durée en leur offrant une prévisibilité des financements publics.
Toutefois, ceux-ci sont soumis aux aléas budgétaires. Ainsi, deux dispositifs d'accompagnement des entreprises, particulièrement utiles et appréciés des PME, ont été victimes de la régulation budgétaire du 21 février 2024 :
§ Une « subvention verte », d'un montant modeste de 20 millions d'euros, qui permettait de « forcer les entrepreneurs à démarrer » leur transition climatique avant de leur proposer un diagnostic puis un premier prêt vert ;
§ Un « prêt vert » de l'ADEME, sans garantie, accordé pour 7 ans, mis en place rapidement (sous 15 jours).
b) 200 millions pour financer une politique ambitieuse d'accompagnement à la transition climatique des PME et TPE
Pour atteindre les 4 millions d'entreprises, un accompagnement d'environ 200 millions annuel serait nécessaire pour accélérer leur transition climatique :
v Accorder des prêts bonifiés pour investir dans des équipements décarbonés,
v Accompagner les entreprises par un conseil personnalisé,
v Promouvoir au sein des communautés de dirigeants d'entreprises les solutions imaginées par les entreprises pour les ériger en bonnes pratiques.
En effet, pour sensibiliser toutes les entreprises aux enjeux climatiques il faut privilégier les démarches volontaires, individuelles ou collectives. Il est, en revanche, plus compliqué d'obtenir l'adhésion du plus grand nombre en imposant des obligations nouvelles à marche forcée. Encourager les entreprises à mieux prendre en compte les enjeux climatiques implique de fixer des échéances raisonnables pour sensibiliser et convaincre.
* 194 Hors prises de participations d'Ademe Investissement et hors cofinancements d'aides opérées par d'autres opérateurs.
* 195 Entretien avec M. Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, Nantes, 4 avril 2024.
* 196 Un autodiagnostic en ligne, le « climatomètre » est proposé aux PME et ETI pour mesurer, en 32 questions et 15 minutes, leur impact environnemental.
* 197 Comme le prêt économie d'énergies, d'un montant de 10 000 à 500 000 euros, qui cofinance les équipements éligibles aux certificats d'économies d'énergie des secteurs bâtiment tertiaire & industrie ainsi que les prestations, matériels et travaux liés dans une limite de 40%. Il est proposé à un taux préférentiel grâce aux ressources du Programme CEE PRO-INNO-50. Le prêt action climat, d'un montant de 10 000 à 75 000 euros, finance les projets de transition portés par des TPE et PME de moins de 50 salariés. La souscription du Prêt est effectuée 100 % en ligne, via la plateforme Bpifrance.
* 198 Institué par la loi n° 2005-781 de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique
énergétique (POPE), le dispositif des CEE a pour effet d'obliger les énergéticiens, dénommés « obligés », à réaliser ou à faire réaliser des actions d'économie d'énergie.
* 199 « Les compétences de développement économique des collectivités territoriales : une rationalisation inachevée, un pilotage à renforcer », Cour des comptes, 2023, rapport public annuel.
* 200 L'entreprise familiale est une ETI de 65 millions de chiffre d'affaires qui emploie entre 400 et 600 salariés selon les saisons. Elle dispose de son propre réseau de distribution (94 magasins depuis 1967) deuxième métier aux côtés de celui de fabricant de produit de haute qualité (sélection de poissons et leur cuisinage) et réalisé désormais 20 % des ventes par internet. Elle s'est constituée en société à mission depuis 2023 pour viser « une alimentation saine et équilibrée, limitée l'impact environnemental et soutenir l'activité de proximité ». Elle recycle et valorise 94 % de ses déchets industriels. Le responsable RSE fait partie du CODIR. L'entreprise bénéficie du label sectoriel « enseigne responsable » (norme ISO 26000) attribué par Collectif Génération responsable, depuis 2022 qui permet d'avoir un référentiel d'actions. Elle a participé à « The Arch » 2023, séminaire sur le climat et la décarbonation. Pour réduire l'impact sur le climat, elle préserve sa ressource en poisson, utilise durablement les ressources, agit contre la pollution. 40 % de sa ressource est locale. Elle ne pêche pas de thons germons de moins de 8 kg car ils sont considérés comme juvéniles et a subi en raison de cette pratique une rupture de stock pendant deux ans.
* 201 On rappellera que le portail sur les aides aux entreprises, tous objectifs confondus, comporte 2 061 dispositifs, dont la délégation aux Entreprises a demandé, sans succès, la simplification dans un précédent rapport.
* 202 « Décarboner les PME & ETI françaises des petits pas aux virages stratégiques », avril 2023. Une
enquête en ligne a été menée auprès de dirigeants de PME et ETI entre le 9 mars et le 27 mars 2023. Elle a permis de collecter 405 réponses de PME de plus de dix salariés et d'ETI.
* 203 « Les entreprises face au défi climatique Quelles incitations ? Quels accompagnements ? ».