III. MIEUX GÉRER LES INONDATIONS : RENFORCER LES MOYENS DES POUVOIRS PUBLICS FACE À LA CRISE

A. MIEUX OUTILLER L'ÉTAT COMME LES ÉLUS LOCAUX POUR FAIRE FACE À L'URGENCE DE LA GESTION DE CRISE

1. Une mobilisation d'ampleur de l'État et des services de secours, qui a révélé des manques de moyens à combler
a) Un système de prévision efficace, qui doit monter en charge pour s'adapter au changement climatique

Dans l'ensemble, l'action combinée de Vigicrues, chargée de la vigilance hydrologique, et de Météo-France, chargée de la vigilance météorologique, a permis, durant les inondations de 2023 et de 2024, de prévoir les inondations de manière efficace.

Vigicrues est un service public d'information de référence sur les risques de crues en France. Il est géré par le Service central d'hydrométéorologie et d'appui à la prévision des inondations (Schapi), un service à compétence nationale du ministère chargé de l'écologie qui coordonne le réseau Vigicrues et assure la maintenance du système d'information. Le réseau Vigicrues est composé d'agents de services spécialisés des directions régionales de l'environnement (Dreal). Au total, l'outil Vigicrues mobilise autour de 500 agents, pour un budget d'environ 16 millions d'euros par an.

L'outil Vigicrues repose sur deux services distincts, mais complémentaires.

Le service Vigicrues classique surveille les principaux cours d'eau du territoire. Son rôle est d'avertir les préfectures et les maires, mais aussi les médias et le grand public, des risques de crues dans les prochaines 24 heures.

Le service Vigicrues Flash, créé en 2017, est un système d'information qui avertit sur les risques de crues soudaines de petits cours d'eau, qui peuvent survenir en quelques heures. Il couvre 11 000 communes en France. Il s'adresse aux collectivités, aux préfectures et aux opérateurs sensibles, qui peuvent s'abonner gratuitement pour recevoir des avertissements par SMS, courriel et message vocal. La notoriété de ce service auprès des élus locaux reste cependant insuffisante : selon la direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise (DGSCGC), le taux d'abonnement des collectivités reste inférieur à 15 %.

Les acteurs entendus témoignent du bon fonctionnement pendant la crise de Vigicrues qui constitue ainsi, selon la FNSPF, un « outil à la fois utile et fiable ». L'efficacité de la prévision varie cependant selon les types de crues : à titre d'exemple, les crues de l'arc méditerranéen sont les plus difficiles à prévoir, du fait de l'effet combiné de prévisions de précipitations incertaines et de l'hydrologie locale faite de petits cours d'eau très réactifs. Vigicrues permet dans ces cas une anticipation très courte, parfois de seulement 1 à 3 heures.

Le système de surveillance Vigicrues couvre aujourd'hui 23 000 km de cours d'eau, soit 75 % de la population exposée au risque inondations. Le Schapi a pour projet d'assurer, d'ici 2030, une couverture de l'ensemble des cours d'eau du territoire hexagonal et de la Corse, soit 70 000 km de cours d'eau. Désormais, les progrès technologiques permettent en effet d'obtenir une information de vigilance à 24 h sur l'ensemble des types de cours d'eau, y compris les plus petits. En raison de l'importance de ces services dans un contexte d'intensification du risque inondations du fait du changement climatique, il paraît crucial d'accélérer cette montée en puissance. Dans le Pas-de-Calais, un certain nombre de stations sur la Liane, la Canche et l'Aa, n'étaient ainsi pas encore couvertes par Vigicrues durant les crues de novembre 2023 et janvier 2024. La couverture de ces lieux doit être priorisée, en raison de la vulnérabilité de ce territoire.

État de couverture des cours d'eau du Pas-de-Calais concernés par les inondations de 2023 et de 2024 pendant la crise et prévisions d'ici 2030

Source : Mission d'appui au préfet de la région des Hauts-de-France pour renforcer la résilience
des territoires touchés par des inondations

Il convient également d'améliorer la notoriété du dispositif Vigicrues Flash, alors que l'abonnement des élus locaux au service, et particulièrement des maires, est essentiel pour assurer une gestion de crise optimale.

La prévision des inondations repose aussi sur l'opérateur Météo-France, chargé d'assurer la vigilance météorologique.

Météo-France élabore et diffuse la carte de Vigilance météorologique ainsi que des bulletins d'avertissements relatifs aux phénomènes météorologiques dangereux, dont les phénomènes de vague submersion et de pluies-inondations. Par ailleurs, Météo-France gère le dispositif Avertissement pluie intense à l'échelle des communes (APIC) qui diffuse gratuitement aux équipes municipales abonnées des messages d'alertes en cas de fortes pluies.

La coordination entre les deux organismes apparaît satisfaisante, grâce à la conclusion d'une convention pluriannuelle entre les deux organismes, à leur implantation sur un même site à Toulouse et à la présence de prévisionnistes du Schapi au sein de la salle opérationnelle du Centre national de prévision de Météo-France. Le maintien de deux organisations distinctes apparaît nécessaire, en raison des compétences différentes mobilisées par ces acteurs : la prévision des crues nécessite des compétences en hydrologie, tandis que la prévision des phénomènes météorologiques repose sur des compétences en physique atmosphérique.

Météo-France et Vigicrues :
deux dispositifs d'avertissement distincts et complémentaires

Niveaux de vigilance de Météo-France

Niveaux de vigilance de Vigicrues

Vert

Pas de vigilance particulière

Vert

Pas de vigilance particulière

Jaune

Soyez attentifs

Jaune

Risque de crue génératrice de débordements et de dommages localisés, ou de montée rapide et dangereuse des eaux, nécessitant une vigilance particulière, notamment dans le cas d'activités exposées et/ou saisonnières.

Orange

Soyez très vigilant

Orange

Risque de crue génératrice de débordements importants, susceptibles d'avoir un impact significatif sur la vie collective et la sécurité des biens et des personnes.

Rouge

Une vigilance absolue s'impose

Rouge

Risque de crue majeure, représentant une menace directe et généralisée pour la sécurité des biens et des personnes.

Source : mission conjointe de contrôle

Néanmoins, les moyens attribués à Météo-France constituent un point d'alerte. Ses effectifs ont en effet été réduits de 922 équivalents temps plein (ETP), soit plus de 25 % de l'effectif, entre 2010 et 2022. Comme l'appelait de ses voeux le Sénat dans un rapport d'information en 2021137(*), une inflexion a eu lieu à partir de 2023, avec l'augmentation des effectifs de cet opérateur de 48 ETP depuis deux ans. Ce réengagement de l'État est à poursuivre, alors que l'intensification des catastrophes naturelles dans un contexte de dérèglement climatique nécessitera une mobilisation encore plus forte de cet établissement dans l'accomplissement de ses missions.

Recommandation n° 11 : Adapter les moyens humains et financiers du Schapi et de Météo-France dédiés à la prévision des inondations, afin :

- d'atteindre l'objectif d'une couverture intégrale du territoire par Vigicrues avant 2030 ;

- de mieux faire connaître le dispositif Vigicrues Flash auprès des élus locaux et particulièrement des maires ;

- et de permettre à Météo-France de s'adapter à l'intensification des catastrophes naturelles, dans un contexte de dérèglement climatique.

b) Les préfets de département ont assuré leur rôle de gestionnaire de crise, avec l'appui des échelons supérieurs et inférieurs de l'administration d'État

Le préfet de département est le premier coordinateur dans le cadre de la gestion de crise lorsque survient une inondation. Il dispose à ce titre du pouvoir de police administrative général, dès lors que la crise excède le territoire d'une commune138(*).

À cet égard, le préfet de département est notamment chargé :

- de planifier la gestion de crise départementale, dans le cadre du plan d'organisation de la réponse de sécurité civile (Orsec) ;

- de mettre en oeuvre un centre opérationnel départemental (COD) ;

- de suivre et d'analyser les prévisions de Météo-France et de Vigicrues ;

d'alerter et d'informer les maires et les populations, grâce notamment aux sirènes, au contact avec les médias, aux réseaux sociaux ou au dispositif FR-Alert, qui permettent la diffusion de messages à toute personne détentrice d'un téléphone portable de sa présence dans une zone de danger ;

- de mobiliser, de suivre et de coordonner l'engagement des moyens supra-communaux de secours et soutien de la population (SDIS, police, Gendarmerie, SAMU, associations de sécurité civile, opérateurs...) ;

- de gérer les conséquences de la crise sur les grands réseaux (routiers, énergies, communications électroniques...).

En raison de l'ampleur de la crise survenue dans le Nord et le Pas-de-Calais, celle-ci a également été gérée à des échelons supérieurs. Au niveau de la zone de défense et de sécurité, la Préfecture de zone de défense et de sécurité Nord, qui recoupe la région Hauts-de-France, a ainsi organisé un centre opérationnel de zone (COZ), pour coordonner l'arrivée de renforts zonaux. Au niveau national, le ministère de l'Intérieur a activé le Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (Cogic).

Pour assurer une réponse de l'État au plus près des sinistrés, des centres de crise ont également été mis en place dans les sous-préfectures de chaque arrondissement concerné, dans le Nord et le Pas-de-Calais.

Les élus locaux de divers territoires, rencontrés dans le cadre d'auditions et de déplacements, ont salué la réponse des préfectures et des sous-préfectures dans cette crise, qui ont su gérer les inondations de manière adéquate grâce à la mobilisation constante de leurs services.

Néanmoins, les rapporteurs constatent que cette implication des services a pu se heurter à des manques de moyens sur le terrain, ce qui a nécessité de faire appel à des renforts provenant d'autres territoires.

c) Un système de sécurité civile confronté à ses propres limites face à une crise inédite

La charge opérationnelle induite par les inondations apparaît, dans le Nord et le Pas-de-Calais, inédite.

Dans le seul département du Pas-de-Calais, plus de 3 500 interventions et 1 500 mises en sécurité ont été réalisées par les services d'incendie et de secours (SDIS) durant la première phase d'inondations (novembre et décembre 2023) puis 1 200 interventions et 500 mises en sécurité ont été réalisées durant la seconde phase (janvier 2024).

Le coût total des inondations pour le SDIS du Pas-de-Calais est ainsi estimé à 1,8 million d'euros. En incluant le coût de la mobilisation de renforts européens et de moyens privés, le coût des secours est estimé, pour le Nord et pour le Pas-de-Calais, à 4,1 millions d'euros par la DGSCGC.

Le 5 mars 2024, lors d'un déplacement dans le Pas-de-Calais, les rapporteurs sont allés à la rencontre des services de secours de la caserne de pompiers d'Écuires (SDIS 62) (cf. photo ci-après).

Table ronde avec les représentants du SDIS du Pas-de-Calais

Source : déplacement des rapporteurs

Les services d'incendies et de secours ont été confrontés, dans cette crise d'ampleur, à un déficit d'expérience pour ce type de catastrophe naturelle, comme le souligne la FNSPF. Les SDIS sont en effet habitués à gérer des feux de forêt de grande ampleur, particulièrement dans le Sud-Ouest, mais ont moins d'expérience s'agissant des inondations et manquent d'experts dans ce domaine (absence d'hydrogéologue au SDIS du Pas-de-Calais par exemple).

Le SDIS a également été confronté à un manque de moyens. Des renforts ont été nécessaires, d'abord mobilisés à l'échelle zonale et nationale puis à l'échelle européenne. Sur le seul département du Pas-de-Calais, 10 colonnes de renfort ont ainsi été fournies au plus fort de l'événement, ce qui représente un effectif d'environ 500 pompiers, soit 25 % des effectifs mobilisés. Ces renforts correspondent, selon la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) à un feu de forêt majeur.

Les moyens aériens se sont également révélés insuffisants : aucun hélicoptères Dragon n'est affecté à la sécurité civile dans la zone de défense et de sécurité Nord et seuls 3 hélicoptères, basés à Lille, Arras et Amiens sont affectés à l'aide médicale d'urgence.

Enfin, les capacités de pompage se sont avérées largement sous-dimensionnées pour ce type d'événement. Les capacités de pompage de l'Institution intercommunale des wateringues (IIW) ont toutes été mobilisées durant la crise, ce qui a permis de pomper près de 400 millions de mentre novembre 2023 et janvier 2024. Des pompes supplémentaires ont cependant été nécessaires, pour compléter ou suppléer les capacités de l'IIW.

Le soutien est d'abord venu du SDIS du Pas-de-Calais, qui est surtout équipé de moyens d'épuisements légers (15 pompes d'une capacité chacune à 240 m3/h), sans commune mesure avec les besoins de pompage, estimés à 40 000 m3/h en novembre 2023, soit l'équivalent de 166 pompes. L'évacuation d'énormes quantités d'eaux stagnantes ou la transversion d'un cours d'eau vers un canal, nécessaires au plus fort de la crise, étaient impossibles dans ces conditions.

Dans ce contexte, la sécurité civile militaire a également été mobilisée pour déployer des capacités de pompage. Les rapporteurs ont pu aller à la rencontre de ces services lors de leur déplacement dans le Pas-de-Calais du 5 mars 2024 (cf. photographie ci-dessous).

Pompe installée dans la commune de La Calotterie (Pas-de-Calais), déployée par la sécurité civile militaire

Source : déplacement de la MCC dans le Pas-de-Calais le 5 mars 2024

En outre, le mécanisme de protection civile de l'Union européenne a apporté son concours à la gestion de crise.

Le mécanisme de protection civile de l'UE (MPCU) : une solidarité européenne à saluer, des moyens qui appellent des renforcements

Créé en 2021, le MPCU vise à soutenir les États confrontés à une catastrophe naturelle dans le respect du principe de subsidiarité : lorsque les capacités d'un État sont dépassées par l'ampleur d'une catastrophe, il peut activer ce mécanisme, qui permet aux autres États de proposer l'envoi de renfort, la Commission européenne prenant en charge au moins 75 % des coûts opérationnels du déploiement.

Dès le 18 novembre 2023, le Gouvernement a formellement demandé l'activation du mécanisme au Centre de coordination de la réaction d'urgence de l'UE, l'Emergency Response Coordination Center (ERCC). Les Pays-Bas ont immédiatement répondu à la demande, en envoyant 4 pompes de grandes capacités, du personnel et des véhicules de transport, intégrés aux SDIS du Nord et du Pas-de-Calais. Dès le 19 novembre, quatre pompes et 6 sapeurs-pompiers sont ainsi venus renforcer le dispositif. La République tchèque a également fait une offre de service, qui a cependant été refusée en raison du manque d'interopérabilité. Cette première activation a pris fin le 2 décembre 2023.

Une deuxième demande a été effectuée le 2 janvier 2024. Cinq États membres ont proposé de mettre à disposition du matériel et des capacités de pompage, la France a donné suite aux propositions des Pays-Bas, de la République tchèque et de la Slovaquie, pour une mission qui s'est terminée le 25 janvier 2024.

Au total, 600 sapeurs-pompiers des Pays-Bas, de la République tchèque et de la Slovaquie sont venus renforcer les effectifs nationaux dans le Nord et le Pas-de-Calais.

Selon le Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE), cette expérience a permis de mettre en exergue l'utilité des officiers de liaison, qui ont assuré la communication avec les renforts étrangers ainsi que l'interopérabilité entre les unités.

Ce recours a également souligné les limites du dispositif MPCU : les délais de mobilisation ont parfois été relativement longs et, selon la FNSPF, la réponse européenne n'a pas pour les inondations la même dynamique d'engagement que dans le cadre de la lutte contre les feux de forêt.

Le dispositif MPCU est également contraint par l'absence de réserve européenne de protection civile pour le risque inondations. Le mécanisme intègre une réserve européenne, à la fois humaine et capacitaire, qui permet de mobiliser en un temps rapide des moyens de lutte contre les incendies (canadairs, hélicoptères de lutte anti-incendie) et de réponse sanitaire (réserves de matériel médical), mais qui ne comporte pas, à ce stade, de moyens de lutte contre les inondations (pompes de grande capacité par exemple).

Le Gouvernement a engagé des premières mesures pour pallier ces diverses insuffisances de moyens. Les plans d'équipement des SDIS ont ainsi été amendés pour permettre l'acquisition des moyens de pompages lourds et la recherche des financements associés.

Il convient aujourd'hui de poursuivre ainsi que d'accentuer cet effort et ce d'autant plus dans un contexte de nécessaire adaptation des SDIS au changement climatique : sur le modèle du pacte capacitaire « feux de forêt », conclu en 2022, un pacte capacitaire « inondations » pourrait être conclu entre l'État et les SDIS, afin de soutenir l'investissement et l'achat d'équipements structurants au profit de ces services.

Concernant le manque de compétences relatives aux inondations au sein des SDIS, il convient d'assurer la formation de nouveaux intervenants aux moyens spécialisés pour les interventions en matière d'inondations, comme le propose un rapport de la DGSCGC de 2023139(*). Plutôt qu'au sein des SDIS, ces intervenants pourraient être intégrés aux Centres opérationnels départementaux (COD), pour bénéficier à l'ensemble des services de la gestion de crise.

Recommandation n° 12 : Adapter la sécurité civile au dérèglement climatique, à travers :

- la conclusion d'un pacte capacitaire « inondations », qui prévoirait à terme le doublement au niveau national des capacités de pompage lourd, l'achat de pompes puissantes dans chaque zone de défense et de sécurité ainsi que le renforcement des moyens de sauvetage héliporté et de reconnaissance aérienne ;

- le déploiement des effectifs de sapeurs-pompiers dans les territoires dans lesquels le dérèglement climatique augmentera fortement la fréquence et l'intensité des inondations ;

- la formation d'intervenants aux moyens spécialisés pour les interventions en matière d'inondations, placés au sein des Centres opérationnels départementaux (COD) ;

- la montée en puissance du mécanisme de protection civile de l'UE sur le risque inondations, par la création d'une réserve européenne de protection civile pour les inondations mobilisable dans les mêmes délais que pour les feux de forêt, et par le renforcement de l'interopérabilité des services de secours.

d) L'État a assuré, en coordination avec les collectivités territoriales et les assureurs, le relogement des personnes sinistrées

D'importants efforts en matière de relogement d'urgence des sinistrés se sont révélés nécessaires, particulièrement dans le Nord et le Pas-de-Calais où 347 familles, soit 843 personnes, ont dû être relogées.

La loi n° 2021-1837 du 28 décembre 2021 relative à l'indemnisation des catastrophes naturelles prévoit la prise en charge obligatoire par l'assureur des frais de relogement durant 6 mois140(*). L'obligation devait entrer en vigueur le 1er janvier 2024, soit après les inondations de novembre 2023. Le Gouvernement a avancé cette entrée en vigueur au 1er novembre 2023141(*). Les rapporteurs saluent cette décision pragmatique, qui a permis de financer le relogement de l'ensemble des sinistrés.

En parallèle, les communes et les EPCI peuvent aussi assurer l'hébergement d'urgence ou le relogement temporaire de personnes sinistrées. Les frais engagés sont compensés pendant 6 mois à hauteur de 75 % ou 100 % selon les situations par le fonds d'aide au relogement d'urgence de l'État (FARU)142(*). Le 8 février 2024, le Premier ministre a annoncé une prise en charge exceptionnelle des frais de relogement par le FARU jusqu'à 1 an.

Une cellule de l'État dédiée au relogement des personnes sinistrées a été mise en place dès novembre 2023. Toutefois, à la suite des inondations de janvier 2024, les capacités d'hébergement se sont révélées insuffisantes dans le Pas-de-Calais. Les rapporteurs tiennent à saluer la solidarité dont ont fait preuve les collectivités territoriales face à la crise. Ils ont notamment visité, le 17 mai 2024, un village solidaire de mobil-homes situé dans la commune de Longuenesse (Pas-de-Calais), sur un terrain mis à a disposition par la Communauté d'agglomération du Pays de Saint-Omer, qui a permis d'accueillir une vingtaine de familles sinistrées.

Village solidaire mis en place pour le relogement de sinistrés à Longuenesse dans le Pas-de-Calais

Source : déplacement de la MCC dans le Pas-de-Calais le 17 mai 2024

Au 24 avril 2024, 275 foyers, soit environ 640 personnes, sont considérés comme « relogées » : elles ont trouvé un logement par leurs propres moyens ou grâce à la cellule de l'État, sont retournées chez elles, ont refusé la proposition de relogement (31 personnes) ou ont annulé leur demande (160 personnes). La situation de 167 personnes était encore en cours de traitement à cette date : le défi est de trouver un logement adapté à leur situation personnelle, compatible avec leur emploi ou leur scolarité143(*).

2. Les élus du bloc communal ont pleinement joué leur rôle de première sentinelle de la gestion de crise, en dépit d'un accompagnement et de moyens de communication parfois insuffisants
a) L'action des élus municipaux a permis de répondre efficacement aux besoins de la population, malgré les lacunes de certains plans communaux de sauvegarde

Le maire coordonne la gestion de crise au niveau communal, au titre de son pouvoir de police administrative générale144(*). À ce titre, il est chargé d'assurer une réponse de proximité en mettant en place un poste de commandement communal, en assurant un suivi du phénomène et de ses impacts, en alertant la population en complément de l'alerte préfectorale et en dirigeant les opérations de secours.

Lors des auditions et des déplacements effectués, les rapporteurs ont pu constater le rôle central des maires et des élus municipaux dans la réponse aux inondations de 2023 et de 2024, malgré des moyens parfois très limités, particulièrement dans les plus petites communes.

La planification de la gestion de crise au niveau communal est assurée par le plan communal de sauvegarde (PCS). Le PCS organise, sous l'autorité du maire, la préparation et la réponse lors de situations de crise. Il permet au maire d'assurer sa mission de directeur des opérations et de communiquer vers ses administrés, sur les moyens mis en oeuvre et sur les comportements attendus.

L'élaboration d'un PCS est obligatoire dans des communes exposées à des risques particuliers145(*), notamment dans les communes soumises à un plan de prévention des risques naturels ou comprises dans un territoire à risque important d'inondation. À ce titre, 13 724 communes sont aujourd'hui pourvues en PCS selon le ministère de l'intérieur.

Lors des événements de 2023 et 2024, le niveau de la réponse des communes semble avoir été corrélé à la qualité des PCS. En effet, dans de nombreuses communes, le PCS est apparu incomplet, non actualisé ou souffrant d'un manque de notoriété auprès des élus locaux, qui ne connaissent parfois pas l'existence de ce plan, élaboré sous une mandature précédente. De nombreux PCS reposent également trop sur le maire, qui ne peut pas assurer à lui seul la réponse à la crise, et pas assez sur les autres membres de l'équipe municipale.

À l'inverse, l'existence d'un PCS de qualité et actualisé a considérablement facilité la gestion de crise dans certains territoires. Selon la préfecture de la Charente-Maritime, entendue par les rapporteurs, les inondations de novembre 2023 à Saintes ont ainsi été bien mieux gérées que les inondations de 2021 pourtant d'une ampleur comparable, en raison d'un PCS qui avait été mis à jour en intégrant le retour d'expérience des événements de 2021.

Un meilleur accompagnement des communes dans la rédaction de PCS apparaît nécessaire, tout comme l'organisation d'exercices réguliers, visant à assurer l'opérationnalité des dispositions du plan.

La mise à disposition prochaine par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) d'un module en ligne de sensibilisation et d'information des élus locaux relatif à la Stratégie nationale de résilience (prévention des risques, mobilisation de la population de la population, plan de continuité de l'activité, etc.) apparaît à ce titre bienvenue.

La gestion de crise communale pourrait également être renforcée par le développement des réserves communales de sécurité civile (RCSC), qui reste à ce stade embryonnaire. Ces réserves, créées par la loi n° 2004-811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile, sont composées de citoyens bénévoles et volontaires et ont pour objet d'appuyer les services de sécurité civile en cas d'événement excédant leurs moyens habituels. Elles participent au soutien et à l'assistance des populations, ainsi qu'à l'appui logistique et à la préparation de la population face aux risques sous l'autorité du maire146(*).

Les RCSC permettent de créer une culture de la sécurité civile et de répondre à l'intensification du risque inondations. Pourtant, selon la DGSCGC, seules 639 réserves ont été créées sur l'ensemble du territoire.

Le « Beauvau de la sécurité civile » lancé le 23 avril 2024, qui vise à concerter sur l'adaptation du modèle français de sécurité civile au réchauffement climatique, pourrait permettre d'engager une réflexion sur les raisons du faible recours à ce dispositif.

Enfin, la gestion de crise communale s'est heurtée à des difficultés de communication avec les autorités préfectorales, particulièrement dans les communes de montagne. Ainsi, la mairie de Risoul, dans les Hautes-Alpes, s'est retrouvée au plus fort des inondations de l'automne 2023 sans aucune communication avec l'extérieur : les infrastructures routières étaient coupées, tout comme les réseaux de télécommunications. Dans l'impossibilité de joindre le COD situé dans la préfecture des Hautes-Alpes, le maire fut ainsi, pendant plusieurs heures, seul face à la gestion de cette crise. Pour éviter la rupture du lien indispensable entre centre de gestion de crise communal et centre départemental, il est indispensable d'assurer l'équipement en téléphonie satellitaire des communes de montagne, particulièrement exposées au risque de rupture des communications en cas de crue.

Recommandation n° 13 : Renforcer l'efficacité de la gestion de crise au niveau communal, à travers :

- l'accompagnement des communes dans l'élaboration de PCS adaptés et opérationnels. Dans chaque préfecture de département, un référent PCS serait nommé, afin d'accompagner les maires dans la rédaction du PCS et d'animer un réseau de diffusion des bonnes pratiques en matière de prévention des inondations avec les élus locaux ;

- l'équipement des communes de montagne exposées au risque inondations en moyens de communication satellitaire ;

- une concertation, dans le cadre du « Beauvau de la sécurité », sur les raisons du faible développement des réserves communales de sécurité civile.

b) La coopération intercommunale, dans le cadre de plans intercommunaux de sauvegarde, est nécessaire

Au niveau intercommunal, la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels a créé les plans intercommunaux de sauvegarde (PICS), en les rendant obligatoires dans tous les EPCI sur lesquels se situe une commune soumise à l'obligation de constituer un PCS, soit 1 125 EPCI sur 1 270. Il est prévu que cette obligation entre en vigueur dans un délai de cinq ans après la promulgation de la loi, soit au 26 novembre 2026.

Le PICS n'accorde pas de pouvoir de police au président de l'EPCI ; ce pouvoir demeure en effet une prérogative du maire. En revanche, cet outil a pour objectif d'assurer la coordination, la solidarité et l'appui au profit des communes impactées lors de la gestion des événements.

Il apparaît par ailleurs particulièrement adapté au risque de submersion marine, comme le souligne la DGSCGC : l'échelle intercommunale doit être privilégiée en raison de l'étendue spatiale de cet aléa, pouvant s'étendre sur plusieurs dizaines de kilomètres en arrière-pays, inondant tout ou partie d'une commune, comme lors de la tempête Xynthia de 2010, et rendant impossible les actions de refuge et d'accueil de la population impactée.

La couverture du territoire national en PICS apparaît aujourd'hui faible : 72 % des répondants à la consultation des élus locaux ont ainsi indiqué être élus dans une commune non couverte par un PICS. Cette faible couverture du territoire national s'explique par le caractère récent du dispositif, et la difficulté politique à trouver un accord au niveau intercommunal sur ces enjeux sensibles.

Or, l'absence de PICS a pu se révéler particulièrement préjudiciable dans certains territoires, alors que les inondations ont souvent dépassé l'échelle communale. Dans le Pas-de-Calais, le SDIS a ainsi évoqué des actions de pompage de communes non concertées et incohérentes qui ont parfois augmenté l'intensité de la crue dans des communes voisines. Dans les Alpes-de-Haute-Provence, des élus locaux ont évoqué l'impossibilité pour le maire de petites communes de gérer la crise avec les moyens municipaux et les délais trop importants qui ont été nécessaires, en l'absence de PICS, pour organiser une mutualisation intercommunale.

Il convient ainsi d'accélérer la conclusion des PICS, dans les territoires où une telle planification apparaît adaptée pour la gestion des inondations.

Recommandation n° 14 : Renforcer la coordination intercommunale dans la gestion de crise, en systématisant, par à un appui préfectoral, l'élaboration de PICS dans les territoires où une telle planification est adaptée, sans remettre en cause le couple maire - préfet, central dans la gestion de crise.


* 137 Rapport d'information n° 840 (2020-2021) fait au nom de la commission des finances sur
Météo-France, déposé le 22 septembre 2021 par Vincent Capo-Canellas
.

* 138 Article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales.

* 139 DGSCGC, juin 2023, Adaptation de la sécurité civile face aux défis climatiques à l'horizon 2050.

* 140 Article L. 125-4 du code des assurances.

* 141 Décret n° 2023-1090 du 25 novembre 2023 modifiant le décret n° 2022-1737 du 30 décembre 2022 relatif à l'indemnisation des catastrophes naturelles.

* 142 Article L. 2335-15 du code général des collectivités territoriales.

* 143 Source : réponses de Régions de France au questionnaire écrit des rapporteurs.

* 144 Article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales.

* 145 Article L. 731-3 du code de la sécurité intérieure.

* 146 Article L. 724-1 du code de la sécurité intérieure.

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