C. RENFORCER LA CULTURE DU RISQUE POUR RÉDUIRE LA VULNÉRABILITÉ DES TERRITOIRES FACE AUX INONDATIONS

1. Risques et enjeux de la prévention : une connaissance encore insuffisamment partagée au sein de la population

La diffusion de la « culture du risque », tant au sein des pouvoirs publics que parmi les administrés, constitue une dimension centrale des politiques visant à réduire les impacts des inondations. Selon le Cerema, la culture du risque correspond « à la connaissance par tous les acteurs (élus, techniciens, citoyens...) des risques majeurs et à l'appréhension de la vulnérabilité des enjeux. Elle intègre la perception du risque qui correspond aux éléments psychologiques et émotionnels jouant un rôle déterminant dans les modes d'action des individus et des groupes »132(*).

La connaissance des risques est le fondement de la culture du risque. Or, selon une étude133(*) intitulée « Les Français et les risques environnementaux » publiée en décembre 2023, si le sentiment d'exposition au risque d'inondation a progressé en France entre 2007 et 2022 (+ 4 points sur toute la France métropolitaine et + 11 points dans les territoires concernés), 76 % des Français ne se sentent pas exposés au risque inondations, un chiffre qui s'établit à 66 % dans les territoires pourtant exposés à ce risque. Si la population des outre-mer semble plus consciente des risques, la proportion des répondants qui ne se sentent pas exposés au risque inondations est malgré tout très élevée (65 %), et supérieure aux chiffres constatés pour d'autres risques naturels comme le risque sismique (41 % ne se sentent pas exposés) et le risque cyclonique (18 % ne se sentent pas exposés).

Dans le cadre de la consultation des élus locaux (élus municipaux et intercommunaux) organisée par la mission conjointe de contrôle sur la plateforme dédiée du Sénat (cf. résultats en annexe), 23 % des répondants ont indiqué ne pas avoir une connaissance suffisante des risques inondation affectant leur territoire.

Le développement de la culture du risque passe également par une sensibilisation aux questions de prévention et de gestion des risques. Selon un sondage IFOP réalisé pour l'Association française pour la prévention des catastrophes naturelles et technologiques (AFPCNT) en mars 2023, 80 % des Français métropolitains considèrent qu'ils ne sont pas assez sensibilisés à la gestion des risques et à la prévention des catastrophes ; ce chiffre s'élève même à 82 % pour les ultra-marins. 73 % des métropolitains et 71 % des ultra-marins considèrent en outre que la France n'est pas préparée à faire face à une catastrophe naturelle ou industrielle.

Cette enquête révèle également qu'une grande partie de la population n'est pas familière de la notion de « résilience face aux risques naturels » : si 77 % des Français ont déjà entendu ce terme, ils ne sont que 35 % à savoir précisément ce qu'il recouvre, cette notion étant plutôt assimilée aux domaines de la santé et de la psychologie qu'à celui des risques naturels.

Dans ce contexte, l'instauration en 2022 d'une journée nationale annuelle « Tous résilients face aux risques » afin de sensibiliser, informer et acculturer tous les citoyens aux risques naturels et technologiques qui les environnent et aux comportements à adopter face à eux constitue assurément une évolution positive. Néanmoins, la notoriété de cet évènement apparaît encore trop limitée : selon l'enquête IFOP précitée, seul un Français sur cinq déclarait avoir connaissance de cette journée en juillet 2023.

2. Des actions à renforcer pour favoriser l'appropriation de la culture du risque par l'ensemble de la société

Les sources d'information concernant les risques naturels auxquels les territoires sont exposés se sont largement développées ces dernières décennies. À titre d'exemple, le portail Géorisques, réalisé par le BRGM et le MTE, permet d'accéder à des informations générales sur le risque inondations ainsi que, pour une adresse donnée, aux servitudes liées à un PPR, au zonage d'inondations par remontée de nappe ainsi qu'à des informations sur les PAPI, l'atlas des zones inondables (AZI), le DDRM et l'historique des reconnaissances de l'état de catastrophe naturelle. Ce portail est très consulté selon le BRGM (plus de 27 millions de pages vues en 2023 et 8 millions de visites).

Des pratiques intéressantes existent à l'étranger, comme aux Pays-Bas où, depuis peu, un outil informatique librement accessible permet de visualiser la hauteur d'eau maximale à chaque adresse du pays en cas d'inondation134(*).

Toutefois, la mise à disposition par les pouvoirs publics d'informations sur les risques d'inondation, si elle est nécessaire, est loin de suffire à la diffusion d'une culture du risque au sein de la société et ce, pour plusieurs raisons.

D'une part, la mobilité des populations (notamment dans les zones littorales dans lesquelles les flux migratoires sont élevés) - à laquelle il faut ajouter les flux de touristes - et l'absence de catastrophes récentes peuvent nuire à la connaissance du risque.

Pour ces raisons, les démarches régulières visant à transmettre la mémoire des inondations passées sont particulièrement utiles. Le Cerema note en effet que « la mémoire des évènements s'efface rapidement et offre une opportunité d'action qui se referme tout aussi rapidement »135(*). Il invite notamment au recueil de témoignages (vécus ou de scientifiques), à un travail de documentation des évènements ainsi qu'à des retours d'expérience (techniques, organisationnels et administratifs), qui sont autant de moyens d'améliorer la réponse aux futures crises et d'ancrer la connaissance du risque dans l'esprit des populations.

La commémoration est également un moyen d'entretenir la mémoire des inondations marquantes, à condition de concevoir ces actions de manière réfléchie en veillant à ne pas raviver les traumatismes des populations s'agissant des évènements récents. En Vendée, la commémoration annuelle de la tempête Xynthia qui a frappé ce territoire en 2010 et fait des dizaines de morts, est à cet égard intéressante. De même, les Pays-Bas commémorent chaque année les inondations de 1953, qui avaient causé la mort de plus de 1 800 personnes et qui ont marqué un profond tournant dans la politique de ce pays en matière de prévention des inondations. En complément de l'hommage aux victimes, il importe que ces évènements soient l'occasion de mobiliser le fruit des travaux de documentation et d'analyse des évènements passés.

D'autre part, le Cerema note que l'information sur les risques naturels peut s'avérer anxiogène, ce qui peut conduire certains acteurs - à commencer par les citoyens - à une forme de déni.

Partant de ce constat, il recommande de conduire des actions d'animation locale permettant aux populations de s'approprier la culture du risque et de la résilience.

Les rapporteurs estiment que les collectivités territoriales doivent être au coeur des actions d'animation de la culture du risque dans les territoires.

La DGPR rappelle à ce titre que les élus et les personnels des collectivités territoriales sont des « acteurs majeurs du continuum de la sécurité publique », qui doivent ainsi pouvoir « être correctement informés sur les risques auxquels sont exposés leur territoire ». Sur ce sujet, les actions de formation à destination des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux (en mairie et dans les EPCI) gagneraient à être plus amplement développées ; s'agissant des fonctionnaires, ces formations pourraient être certifiantes, afin de garantir leur adéquation avec les besoins des collectivités. Cette piste a notamment été mise en avant par des répondants dans le cadre de la consultation des élus locaux organisée par la mission de contrôle conjointe : un participant, assez radical dans ses propos, a ainsi déclaré que l'insuffisance d'offre pour ce type de formations constituait « une hérésie dans un monde qui se veut moderne, avec un État protecteur ».

Les partages d'expérience entre collectivités territoriales en matière de prévention des risques sont également à privilégier. Pour Intercommunalités de France, l'objectif pour les collectivités doit être de « mieux faire face aux crises, d'éviter le sentiment de sécurité excessive induit par les ouvrages de protection, mais également de mieux appréhender les évolutions nécessaires pour limiter le risque, particulièrement dans l'aménagement du territoire »136(*).

Si les campagnes nationales d'information de la population ont également leur importance - à l'instar de la journée nationale de la résilience qui se tient le 13 octobre de chaque année depuis 2022 -, le fait qu'elles soient relayées par les collectivités territoriales est de nature à considérablement amplifier leurs effets positifs. Surtout, ces campagnes doivent être l'occasion pour les élus locaux de sensibiliser les populations (y compris dans les établissements scolaires) sur les risques spécifiques auxquels elles sont exposées sur leur territoire : en effet, les risques et les comportements à adopter ne sont pas nécessairement identiques dans une commune du sud de la France exposée aux épisodes cévenols, dans une commune de plaine exposée à des crues lentes, dans une commune de montagne concernée par les crues torrentielles ou encore sur le littoral ou au sein d'un territoire ultra-marin exposé aux phénomènes cycloniques.

Au niveau local, les exercices de mise en situation sont également à encourager, permettant aux populations de se sentir concernées par les risques d'inondation et d'identifier les comportements à adopter en cas de crise.

L'AMF a ainsi proposé d'encourager les maires à mieux informer leurs administrés sur les risques naturels auxquelles ils sont exposés à travers des exercices « grandeur nature » destinés à favoriser l'acquisition de bons réflexes.

Au sein de ces stratégies de diffusion de la culture du risque, le milieu scolaire doit être pris en compte. Le Risk'Co Tour organisé depuis 2023 sous l'égide de l'AFPCNT constitue à cet égard un outil intéressant de sensibilisation : il permet notamment d'organiser des exercices de simulation d'inondation (ouverture d'une portière de voiture ou d'une porte de garage par exemple) auprès d'élèves du collège.

De même, des exercices de simulation sont organisés auprès des collectivités du bloc communal sur la gestion de crise dans le cadre du dispositif « Prépa'risk », mis en place par l'AFPCNT. 23 exercices ont ainsi été réalisés en 2023, avec quinze scénarios différents dont deux consacrés aux crises combinées.

Recommandation n° 10 : Poursuivre le développement d'une véritable culture du risque et de la résilience face aux inondations à travers :

- l'utilisation d'outils permettant de diffuser auprès de l'ensemble des acteurs (élus, fonctionnaires, administrés, entreprises, etc.) la connaissance des risques d'inondation passés, actuels et à venir sur leur territoire et des bons comportements à adopter face à eux ;

- la mise en place de formations à destination des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux du bloc communal en matière de prévention des risques inondation.


* 132 Cerema,  « Culture du risque : les clés pour mieux impliquer les populations », novembre 2021.

* 133 MTE, «  Les Français et les risques environnementaux  », décembre 2023.

* 134 Source : retour de la Rijkswaterstaat - agence du Gouvernement des Pays-Bas chargée de la planification, de la conception et de l'entretien des infrastructures majeures - au questionnaire écrit des rapporteurs.

* 135 Source : réponses du Cerema au questionnaire écrit des rapporteurs.

* 136 Source : réponses d'Intercommunalités de France au questionnaire écrit des rapporteurs.

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