III. LEVER LES FREINS POUR FAIRE VIVRE LE DISPOSITIF AU-DELÀ DES JEUX OLYMPIQUES ET PARALYMPIQUES

Parce qu'il est actuellement perçu par de nombreux enseignants comme une mesure de communication ministérielle dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques, les rapporteurs alertent sur un risque de désintérêt puis d'abandon progressif de ce dispositif. En témoignent les propos d'une directrice d'école rencontrée : « Dans notre école composée de 12 classes, il y a eu en début d'année un engagement conséquent, mais très rapidement la « pause active » a été abandonnée pour plusieurs raisons : une pression en raison du temps, des effectifs conséquents avec 28 élèves par classe et un mobilier qui peut gêner. La pause active n'est ainsi plus pratiquée, ou alors en cas de besoin. Une enseignante fait ponctuellement de la réflexologie. »

A. RENOMMER LE DISPOSITIF POUR LE RENDRE PLUS LISIBLE

De manière consensuelle, les personnes auditionnées par les rapporteurs ont souligné la nécessité de clarifier les objectifs de ce programme et de réaffirmer sa vocation première : lutter contre la sédentarité.

Recommandation n° 2 :

Afin de rappeler l'objectif premier de santé publique de ce dispositif, le renommer : « PABE » pour pauses actives et de bien-être.

Une telle dénomination permettrait également d'éviter toute confusion entre ce dispositif et l'EPS. Enfin, elle prend en compte le temps de l'enfant dans sa globalité et évite de présenter ce programme comme un bloc de 30 minutes, difficile à intégrer dans les emplois du temps scolaires contraints.

B. LEVER LES FREINS ORGANISATIONNELS ET MATÉRIELS

1. Investir l'ensemble des temps de l'enfant pour atteindre l'objectif fixé par l'OMS

L'une des principales contraintes à la mise en place de ce programme est le manque de temps et la difficulté pour les enseignants de trouver une plage horaire de 30 minutes pour l'APQ.

Afin de tenir compte de cette difficulté, le guide élaboré par les services académiques de Paris propose plusieurs modalités d'organisation de ces 30 minutes d'activité physique les jours sans EPS : « inscrire les 30' par jour à son emploi du temps, 15' lors d'une récréation et 15' à un autre moment de la journée (accueil du matin, temps méridien), 2 fois 15' par jour avant ou après la récréation, 3 fois 10' par jour au retour en classe après la récréation et la pause méridienne, 4 fois 7'30 minutes (rituel, ponctuel selon les besoins, en prolongement de la récréation) ».

Les rapporteurs ont pu observer plusieurs modalités d'organisation de l'APQ : 15 minutes à la reprise des cours après la pause méridienne dans la cour en utilisant le kit (cordes à sauter, course de mini-haies) à l'école Chomel à Paris ; 10 minutes de « pause active » en classe (succession de courts exercices d'étirement, de gainage puis de relaxation à l'aide d'une vidéo) à l'école Maurice Genevois d'Évry ou encore un exercice de français dynamique dans la cour d'école suivi d'une récréation animée par des ateliers à Dangy en Essonne.

Si les rapporteurs ont pu assister à une séquence réalisée en classe, l'un des freins exprimés dans l'enquête réalisée par la Dgesco est le manque de place et un mobilier inadapté. L'un des enseignants rencontrés a notamment expliqué que sa classe est encore équipée de bureaux et chaises d'écolier soudés. Un directeur d'école a également évoqué comme frein une « peur [de la part du professeur des écoles] de perte de maîtrise de la classe ».

Quant à la cour d'école ou au préau, celle-ci est utilisée pour les cours d'EPS et les récréations qui peuvent avoir lieu de manière échelonnée entre les classes. En fonction du nombre de classes et de la configuration de l'école, il peut être difficile de permettre une organisation spontanée de l'APQ dans la cour. Enfin, son utilisation est soumise aux aléas météorologiques.

Modalités d'organisation des 30 minutes d'APQ

 
 

Source : enquête réalisée par la DGESCO auprès des directeurs d'école
sur la mise en oeuvre des 30 minutes d'activité physique, janvier 2024

Interrogés sur l'opportunité de mettre à profit les récréations - qui sont incluses dans les 24 heures de semaine scolaire - pour y déployer les 30 minutes d'activité physique, certains enseignants ont pointé deux écueils : tout d'abord, les élèves qui participent aux ateliers proposés le font sur la base du volontariat. L'objectif de faire bouger l'ensemble des enfants est ainsi perdu. A également été mise en avant la difficulté de concilier d'une part l'animation de petits ateliers actifs et d'autre part, le devoir de surveillance de l'ensemble des élèves.

À l'inverse, les enseignants de l'école primaire de Dangy dans la Manche ont souligné l'effet positif de proposer aux élèves des ateliers dynamiques pendant la récréation : ils facilitent le mélange des groupes d'élèves et la participation d'élèves seuls.

 

Comme a pu le souligner un enseignant, « lorsque l'on met de la musique dans la cour pour faire danser les enfants en ligne ou un parcours avec des haies et des cerceaux, même un enfant timide ou solitaire peut y participer. Par ailleurs, cela donne des idées d'activités aux enfants. Cela nous a aussi permis de canaliser certains jeux ».

Utilisation du kit lors de la récréation à Dangy

· L'aménagement des cours de récréation joue un rôle essentiel pour inciter les élèves à se dépenser pendant les pauses et les temps périscolaires. Cela passe par exemple par un partage de la cour permettant la cohabitation de différentes activités physiques. À plusieurs reprises, la problématique de l'occupation d'une large partie de la cour par un groupe limité d'élèves pour des jeux de ballons - football notamment - a été évoquée. Conscients de l'enjeu du partage de l'espace, des solutions différentes ont été présentées aux rapporteurs : délimitation d'un espace dédié au sol sur une partie de la cour, limitation du football pendant la récréation à un ou deux jours par semaine ...

Les rapporteurs ont pu constater lors de leurs déplacements l'importance du marquage dynamique dans les cours de récréation (marelle, couloirs d'athlétisme, cercles ...) pour inciter les enfants à se dépenser.

   

Cour maternelle de l'école Chomel (Paris)

Couloirs d'athlétisme dans la cour
de l'école Maurice Genevoix (Évry)

Recommandation n° 3 :

Recourir à un marquage dynamique dans les cours d'école permettant une diversité d'activités physiques et de jeux actifs afin d'inciter les enfants à se dépenser.

À cet égard, les rapporteurs constatent l'absence d'association des communes à la mise en oeuvre de ce dispositif alors qu'elles en sont une actrice incontournable : elles sont responsables du bâti scolaire et donc de l'aménagement des cours d'école, du renouvellement du mobilier scolaire, notamment pour disposer d'un mobilier flexible permettant de les déplacer facilement afin de libérer un espace. Elles sont aussi en charge de l'organisation du temps périscolaire. Or, elles sont nombreuses à ne jamais avoir entendu parler des 30 minutes d'activité physique quotidienne à l'école. Cela renforce l'impression des rapporteurs d'un dispositif généralisé sans concertation ni même information de ceux censés le mettre en place.

Les rapporteurs estiment également que l'annulation en février 202416(*) de 7,5 millions d'euros consacrés aux cours d'écoles actives et sportives portées par plan « 5 000 équipements - Génération 2024 », dans le cadre des 10 milliards d'euros d'économies annoncées par le Gouvernement, porte un coup au déploiement territorial des 30 minutes d'APQ.

Par ailleurs, les auditions ont permis de constater que les crédits dont dispose l'agence nationale du sport pour soutenir financièrement les projets locaux (cours d'écoles actives et sportives, équipements de proximité, équipements structurants), sont beaucoup moins connus chez les élus locaux que la dotation d'équipement des territoires ruraux ou la dotation de soutien à l'investissement local. Cette méconnaissance est accentuée par l'absence de coordination dans certains départements entre ces trois fonds.

Enfin, les rapporteurs appellent à penser le temps de l'enfant dans sa globalité et à intégrer dans la mise en oeuvre de l'APQ le temps périscolaire. Cette association est d'autant plus importante que les 30 minutes d'APQ ne correspondent qu'à la moitié de la recommandation journalière de l'OMS pour les enfants.

Recommandation n° 4 :

Associer les intervenants du temps périscolaire à la mise en oeuvre d'activité physique quotidienne (APQ) et élaborer conjointement périodiquement (par exemple une fois par trimestre) de nouvelles activités ludiques que les enfants pourront mettre en oeuvre pendant les temps de récréation ou périscolaires (jeux dynamiques, danse ...).

Bien que souvent présenté conjointement dans la communication ministérielle, les rapporteurs tiennent à souligner que le dispositif « une école-un club »17(*) s'inscrit difficilement dans le dispositif d'APQ, sauf exception. En effet, ce dernier se met en place dans un format souple et sur un temps court, rendant complexe l'intervention d'un partenaire externe. Toutefois, les rapporteurs saluent les initiatives de certaines fédérations sportives pour proposer des fiches d'activités adaptées aux APQ, sous forme simplifiée et ludique. Par ailleurs, les interventions de certains partenaires externes ont pu être réutilisées ultérieurement dans le cadre de l'APQ18(*).

2. Un accompagnement des enseignants à renforcer

Comme a pu le souligner l'un des enseignants rencontrés et engagés dans ce dispositif, « tous les enseignants ne sont pas prêts aujourd'hui à faire les 30 minutes d'APQ ». Or, force est de constater qu'au-delà des effets d'annonces, la déclinaison concrète à l'échelle de chaque école a été délaissée. À peine une école sur quatre indique avoir été accompagnée à l'occasion de la mise en oeuvre des 30 minutes d'APQ19(*).

Aussi, les rapporteurs saluent l'initiative prise par l'académie de Paris d'informer et de former l'ensemble des directeurs d'école sur ce nouveau dispositif, ainsi que la rédaction d'un manuel proposant des activités faciles à mettre en place, y compris avec peu de matériel, dans la cour d'école ou en classe. Des initiatives similaires de rédaction de guides académiques d'accompagnement de la mesure ont été élaborées, notamment dans l'académie de Créteil. De manière générale, les rapporteurs appellent à une meilleure mise en avant des bonnes pratiques d'enseignants, afin de favoriser le partage d'expériences.

Toutefois, pour que ce dispositif s'ancre dans le temps scolaire, il est nécessaire qu'il devienne une modalité de mise en oeuvre des enseignements. Les rapporteurs ont pu assister à l'utilisation de l'APQ comme un outil pédagogique parmi d'autres mis au service des apprentissages tels que le français ou les mathématiques.

L'APQ doit ainsi être intégrée dans les réflexions actuelles sur l'évolution des pratiques pédagogiques. Les rapporteurs préconisent d'une part, d'inclure systématiquement dans les formations consacrées aux savoirs fondamentaux - mathématiques et français - des exemples « d'apprentissages dynamiques ». Cela doit intervenir dès la formation initiale des enseignants ainsi que dans les formations continues20(*).

D'autre part, afin de permettre au dispositif d'essaimer dans toutes les écoles, les rapporteurs recommandent de former en trois ans au moins un enseignant par école spécifiquement aux APQ.

Dans les deux cas, elles soulignent la nécessité de prévoir des échanges entre pairs en présence d'enseignants utilisant régulièrement l'APQ, permettant la présentation d'exemples et l'obtention de réponses aux interrogations que peuvent se poser leurs collègues face aux freins matériels et organisationnels auxquels ils sont confrontés dans leur classe ou école.

Recommandation n° 5 :

Afin d'ancrer le dispositif au-delà des Jeux olympiques et paralympiques : 

- inclure dans les formations initiale et continue portant sur les savoirs fondamentaux des exemples « d'apprentissages dynamiques » en lien avec l'APQ ;

- former en trois ans au moins un enseignant par école spécifiquement sur l'APQ ;

- mettre davantage en avant les bonnes pratiques d'enseignants sur les sites de ressources pédagogiques du ministère de l'éducation nationale, afin de favoriser le partage d'expériences.

Toutefois, les rapporteurs alertent sur les limites de la transversalité. À vouloir confier de plus en plus de missions à l'école comme en témoigne la multiplication des « semaines de », ou de « l'éducation à », ces sensibilisations, informations ou programmes risquent de rester au stade de gadgets de communication.


* 16 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

* 17 Ce dispositif défini par la circulaire du 12 janvier 2022 du ministère de l'éducation nationale vise à mettre en place, sur la base du volontariat, un lien privilégié entre une école et une association sportive partenaire de proximité. Cette circulaire présente ce dispositif comme l'un des moyens de renforcer le déploiement des 30 minutes d'APQ.

* 18 Tel est le cas notamment de l'intervention d'une association sportive de « double dutch » au sein de l'école Chomel, activité reprise ensuite par les élèves pendant l'APQ.

* 19 Enquête auprès des directeurs d'école sur l'évaluation du dispositif des 30 minutes d'activité physique de la Dgesco publiée en janvier 2024 précédemment évoquée.

* 20 Sur les 18 heures de formation obligatoire par an des professeurs des écoles, 12 heures sont automatiquement fléchées pour le renforcement des savoirs fondamentaux.

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