EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le jeudi 18 juillet 2024, la commission d'enquête a examiné le rapport de la commission d'enquête sur la paupérisation des copropriétés immobilières.
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Mes chers collègues, il me revient de vous rappeler les obligations réglementaires et juridiques qui pèsent sur le fonctionnement d'une commission d'enquête lors de la phase d'adoption du rapport qui nous sera présenté, par notre collègue Marianne Margaté ; certains d'entre vous ont d'ailleurs déjà pu le consulter.
Comme je l'ai indiqué lors de notre première réunion, les travaux de la commission d'enquête, notamment le contenu du rapport, sont secrets tant qu'ils n'ont pas été rendus publics. Cette règle s'impose à chacun d'entre nous, et ce jusqu'à la conférence de presse qui aura lieu mardi 23 juillet dans l'après-midi. Aucune communication, sous aucune forme, traditionnelle ou via les réseaux sociaux, n'est possible avant l'expiration du délai permettant au Sénat de se constituer en comité secret. Par ailleurs, l'article 226-13 du code pénal prévoit des peines d'emprisonnement en cas de divulgation, dans les vingt-cinq ans, d'informations ou de travaux non publics d'une telle commission.
C'est la raison pour laquelle des exemplaires nominatifs vous ont été remis contre émargement. Il faudra par conséquent que vous les remettiez aux administrateurs adjoints à l'issue de la réunion.
Si vos groupes politiques ou vous-même souhaitiez faire figurer formellement une contribution ou une position divergente, je vous remercie, si ce n'est déjà fait, de la transmettre au secrétariat de la commission d'enquête d'ici à demain midi.
Comme indiqué depuis le début de nos travaux, l'ensemble des comptes rendus des auditions sera publié dans un tome II. Sauf objection, le compte rendu de notre réunion de ce jour sera publié à la fin du rapport, comme à l'accoutumée.
Ces rappels et formalités étant effectués, je vous propose de nous intéresser au fond. Notre commission a été constituée mi-février 2024 à la demande du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky dans le cadre de leur droit de tirage. Depuis cette date, le travail accompli a été important, malgré un agenda parlementaire très chargé jusqu'à début juin. Nous avons tenu une quinzaine de séances plénières et réalisé deux déplacements, dans le Pas-de-Calais, puis en Seine-et-Marne et en Essonne. Au total, nous avons auditionné une centaine de personnes. Le rapport final fait près de 200 pages, le tome II plus de 300.
Je vous remercie pour l'état d'esprit très constructif dans lequel nous avons travaillé et procédé aux auditions. Nous avons voulu, d'une part, comprendre les origines des difficultés des copropriétés, d'autre part, imaginer des solutions. Quelles que soient nos opinions, nous avons partagé nos expériences passées, à la fois territoriales et parlementaires, ce qui a beaucoup enrichi nos échanges, dans l'intérêt de nos concitoyens. Permettez-moi de penser que cette méthode et cet esprit sénatoriaux ont quelque chose à apporter à nos institutions aujourd'hui...
J'indique, pour terminer, que certains ont pu s'interroger au départ - vous vous en souvenez, j'en suis sûre - sur les motivations et les objectifs de cette commission d'enquête, parallèle à l'adoption de la loi visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement. Notre commission a permis de prolonger, d'approfondir et d'élargir le travail mené. Par rapport à l'examen du projet de loi, dont j'ai été rapporteure, j'ai noté que certains de nos interlocuteurs formulaient des propositions nouvelles ou différentes, profitant d'un temps de parole plus long et d'une réflexion plus libre, peut-être affinée. Nous avons aussi pu élargir le sujet aux petites copropriétés et à la vie de la copropriété au sens large, ce qui n'avait pas été possible pour la loi.
Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Si ce travail s'inscrit dans un agenda parlementaire qui a été chargé ce semestre en matière de logement, il est en réalité à replacer dans un temps plus long : la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis fêtera ses 60 ans l'an prochain, ce qui montre le bien-fondé d'un diagnostic et d'une mise à jour.
La loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) représente la dernière réforme d'ampleur de ce texte ; elle a elle-même été directement inspirée, comme le plan Initiative Copropriétés (PIC) et la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan), par le rapport de notre ancien collègue Dominique Braye, publié en 2012 dans le cadre de ses fonctions de président de l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Le cycle de réformes ainsi ouvert il y a un peu plus de dix ans, et les outils qui ont été créés méritent à présent une évaluation. C'est tout le sens du travail de notre commission d'enquête : proposer des pistes pour les années à venir, en s'appuyant sur cet important héritage.
Ce faisant, je voudrais à mon tour me réjouir du travail accompli collectivement ; j'ai beaucoup apprécié la manière dont chacun d'entre vous a apporté sa pierre à la construction du rapport que je vous présente aujourd'hui et dont le titre sera : La paupérisation des copropriétés, mieux la connaître pour mieux la combattre. Il s'articule en deux parties : d'une part, l'importance de la prise de conscience du phénomène, d'autre part, le développement des outils de prévention et de remédiation.
Tout d'abord, la paupérisation des copropriétés est, en réalité, un phénomène dont on ne commence à prendre la mesure que depuis peu de temps, sur fond de crise du logement et de l'hébergement. Les copropriétés ne représentaient que 2 % des logements en 1960 ; désormais, environ un tiers des résidences principales, soit plus de 10 millions de logements, ont ce statut, en raison de la construction de grands ensembles, mais aussi de la division de nombreux immeubles autrefois en monopropriété.
De manière étonnante, les copropriétés, en particulier celles qui sont en difficulté, restent mal connues et il est difficile de s'appuyer sur des chiffres fiables. Ainsi, 578 000 d'entre elles sont immatriculées au registre national d'immatriculation des copropriétés (RNIC), mais le fichier des logements à la commune (Filocom) en comptait environ 779 000 en 2019 ! Pour sa part, le référentiel CoproFF, dernière synthèse de l'Anah, qui constitue sans doute l'indicateur le plus fiable, en dénombrait près de 888 000 en 2023. Ainsi, plus de 300 000 copropriétés ne seraient pas immatriculées et, pour celles qui le sont, les données restent souvent lacunaires, voire erronées. Or tout laisse à penser que ce sont les plus petites et les moins bien gérées sur lesquelles nous avons le moins d'informations.
Les chiffres concernant les copropriétés en difficulté ne permettent pas non plus de disposer d'une photographie précise de la situation. La Banque des territoires a évalué à 215 000 le nombre de copropriétés dont le montant d'impayés atteint au moins 20 % du budget annuel. En examinant le RNIC, la commission d'enquête a relevé qu'environ 90 000 structures n'auraient pas approuvé leurs comptes depuis plus de deux ans et 23 000 depuis plus de cinq ans. Sur la base d'une étude fine de Filocom, l'Anah a estimé qu'environ 115 000 copropriétés seraient fragiles et que celles de moins de douze logements représenteraient les quatre cinquièmes des plus fragiles d'entre elles. Par ailleurs, plus de 200 000 copropriétés immatriculées seraient sans syndic, dont 20 % de celles qui comprennent de 50 à 200 lots.
La meilleure connaissance des copropriétés et de celles qui sont en difficulté est donc un enjeu important. Nous ne considérons cependant pas que la solution soit de créer des sanctions pour punir la transmission au RNIC d'informations incomplètes ou inexactes ; en guise de premier défi, il nous semble préférable de mettre en place des actions d'accompagnement et de proximité, avec deux portes d'entrée : la rénovation énergétique, car le diagnostic de performance énergétique (DPE) de 35 % de ces structures les place en classe F ou G, et l'habitat indigne, puisqu'en Île-de-France, selon l'Anah, la moitié des logements concernés par une telle classification seraient en copropriété.
Un second défi est la compréhension du phénomène de paupérisation. Une copropriété ne naît pas fragile, elle le devient. Il existe non pas une explication unique en la matière, mais plutôt un faisceau de facteurs. Nous avons pu constater au cours de nos déplacements que, dans un même ensemble, un immeuble pouvait être en difficulté sans que l'autre le soit.
Premièrement, il importe de relever un phénomène générationnel de vieillissement des immeubles, les plus anciens bâtiments, comme en témoignent les cas d'effondrement - Rabastens, tout récemment -, mais également les grands ensembles d'après-guerre ou ceux qui ont été construits sur la base d'avantages fiscaux pour l'investissement locatif, dont les propriétaires sont éloignés et se sentent peu concernés.
Deuxièmement, les copropriétaires rencontrent des difficultés qui leur sont propres. Contrairement à une idée répandue, le parc privé accueille deux tiers des ménages situés sous le seuil de pauvreté, la moitié d'entre eux étant propriétaires occupants. Plus d'un million de propriétaires modestes ou très modestes seraient des copropriétaires. À ces difficultés structurelles s'ajoutent l'accroissement des charges liées aux prix de l'énergie et l'obligation de réaliser dans un délai rapproché d'importants travaux de rénovation énergétique. Dans certaines résidences, un vieillissement des copropriétaires eux-mêmes peut s'y adjoindre, ceux-ci disposant de moins de ressources et étant moins à même de s'investir dans la vie de leur immeuble.
Dès lors, le cycle vicieux de la dégradation peut rapidement s'enclencher. Les impayés, les conflits, le blocage des organes de gestion, l'augmentation des charges, l'absence de travaux d'entretien s'alimentent et s'amplifient. Cela entraîne la dégradation des locaux et la dévalorisation du bien, l'arrivée de copropriétaires plus pauvres, mais aussi de marchands de sommeil, lesquels amplifient le blocage et la dégradation pour mieux prendre la main sur l'ensemble. Des trafics peuvent aussi s'installer. À un stade avancé de dégradation, une copropriété peut se trouver essentiellement composée de propriétaires bailleurs. Il y en avait plus de 70 % au démarrage des opérations de redressement à Clichy-sous-Bois, Grigny ou Mantes-la-Jolie.
Si, de manière théorique, ces mécanismes sont assez bien identifiés, les choses, en pratique, sont assez différentes. Les pouvoirs publics peinent en effet à détecter ces engrenages, à les prévenir ou à les contrer. Les élus locaux ne sont souvent que tardivement informés. Les outils disponibles ne sont pas toujours utilisés. Ainsi, les copropriétés n'ont presque jamais recours au mandat ad hoc, lequel permettrait de fournir un diagnostic et des préconisations : on n'en dénombrait que 56 en 2022 sur tout le territoire. D'autres dispositifs préventifs, comme le programme opérationnel de prévention et d'accompagnement des copropriétés (Popac), ont une durée et une portée trop limitées, comme nous l'avons constaté à Torcy ; Hélène Geoffroy, maire de Vaulx-en-Velin, en témoignait, indiquant que l'état d'une copropriété de sa commune entrée dans ce dispositif s'était aggravé. Les syndics peuvent parfois être partie prenante de la dégradation, mais, souvent, ils sont eux aussi prisonniers du blocage, n'étant que les mandataires d'une assemblée générale devenue dysfonctionnelle et pas toujours capables d'enrayer les impayés. Il en est de même des administrateurs judiciaires, pas toujours suffisamment préparés à mener une véritable opération de redressement. Les difficultés spécifiques à certaines copropriétés pointent les limites inhérentes à cette forme juridique, laquelle peut entraîner des blocages, étant peu adaptée aux grands ensembles comme aux plus petits. Fondamentalement, la loi de 1965 est plus proche de l'organisation d'une propriété en indivision que des règles de fonctionnement d'une société par actions, par exemple.
J'en veux pour preuve la protection du droit de propriété qui se manifeste à travers des majorités spécifiques - dans certains cas, l'unanimité est requise, ce qui est complètement impossible au-delà d'un certain nombre de copropriétaires - ou à travers la faible délégation de pouvoirs transmise par l'assemblée générale au syndic ou au conseil syndical. Il faut également prendre en compte le court-termisme de copropriétaires qui perçoivent l'immeuble comme immuable, alors qu'il est en réalité périssable ; ils veulent minimiser leurs charges et n'intègrent pas la nécessité de faire des travaux pour le préserver à moyen et long terme.
Il convient également d'élargir le champ et de prendre en compte les associations syndicales libres (ASL). Sans être reconnues comme telles, ce sont pourtant, de fait, des copropriétés horizontales qui permettent l'organisation de lotissements, mais aussi de grands ensembles. Dans l'Essonne, 50 % des ASL seraient dégradées et le plan urbanisme construction architecture (Puca) considère ces cas comme typiques de lotissements vieillissants et mal gérés qui se multiplient en France.
C'est la raison pour laquelle les pouvoirs publics ont mis en place une panoplie d'outils d'intervention à la portée de plus en plus large.
Sur le plan juridique, les plus emblématiques d'entre eux sont depuis 2014 les opérations de requalification de copropriétés dégradées (Orcod), dont cinq sont d'intérêt national, les Orcod-in. Lancé en 2018, le plan Initiative Copropriétés (PIC) mobilise les grands acteurs du logement tant sur le plan financier qu'en matière de pilotage ; il est doté de 3 milliards d'euros pour traiter un nombre limité de grands ensembles particulièrement en souffrance.
Les acteurs constatent un avant et un après cette mobilisation : leur retour est très positif, tant à Grigny qu'à Clichy-sous-Bois. Nous avons pu le constater sur place ou par le biais du témoignage d'Olivier Klein, lors de son audition, mais ces opérations sont extrêmement complexes et longues : elles s'étendent sur au moins vingt ans.
En dehors de ces grands sites, la prise en charge des copropriétés en zone diffuse s'effectue grâce à la mosaïque des outils existants, tels que la veille et observation des copropriétés (VOC), le Popac, les opérations programmées d'amélioration de l'habitat (Opah), les programmes d'intérêt général (PIG), les opérations de restauration immobilière (ORI), les opérations de revitalisation de territoire (ORT) ou les plans de sauvegarde (PDS). Mais ces outils posent de nombreux problèmes : soit ils s'inscrivent dans des durées inadaptées, soit ils ne disposent pas de moyens suffisants. Par ailleurs, les programmes Action Coeur de Ville ou Petites villes de demain ne ciblent pas systématiquement les copropriétés. Malgré les chiffrages encourageants du nombre de copropriétés aidées qui ont été transmis à la commission d'enquête, je relève que lors des auditions, les différents acteurs de ces dispositifs, comme d'ailleurs les élus, peinaient à identifier vraiment un volet spécifique pour traiter la question. C'est un point que nous avions identifié dès le début de nos travaux et qui s'est confirmé au fur et à mesure. Quelle que soit la taille des communes dans lesquelles elles se trouvent, les petites copropriétés constituent bien dans un angle mort des politiques publiques actuelles.
Les constatations que je viens de résumer à grands traits et qui sont présentées de manière détaillée dans le rapport me conduisent à formuler vingt-cinq grandes recommandations réparties en trois volets thématiques.
Le premier volet doit conduire à mieux repérer, prévenir et traiter les difficultés des copropriétés.
Cela passe par une meilleure connaissance des copropriétés qui se traduira par un RNIC beaucoup mieux rempli et plus complet ; qui pourrait intégrer certains points essentiels du plan pluriannuel de travaux (PPT).
Comme je l'indiquais, cet objectif pourra être atteint par une action de proximité et de mise en cohérence des outils à la disposition des collectivités territoriales, et plus particulièrement des intercommunalités. Nous proposons de généraliser les maisons de l'habitat - ou des dispositifs similaires. En liaison avec les professionnels et les associations, celles-ci semblent être les outils les mieux adaptés pour faire remonter les signalements, accueillir et accompagner les bénéficiaires, avec les deux voies d'entrée principales que sont la rénovation énergétique et la lutte contre l'habitat indigne. Nous considérons qu'il s'agit également de l'outil susceptible de supporter des initiatives « d'aller vers », avec des équipes mobiles, comme cela se fait déjà dans plusieurs départements.
Nous estimons également que les dispositifs doivent être mieux articulés entre eux. Les VOC et le Popac peuvent être l'occasion de compléter le RNIC ; la collectivité peut également faire appel à un mandataire ad hoc en faveur d'une copropriété en difficulté qu'elle a repérée et des aides de l'Anah devraient prendre en charge le coût de cette mission. Les dispositifs de prévention, comme les Opah, doivent s'étendre sur une durée suffisante pour avoir le temps de s'ancrer dans un territoire ; ils doivent également être cohérents avec le temps de la prise de décision dans les copropriétés. Aujourd'hui fixée à cinq ans, la durée de ces programmes devrait ainsi être portée à dix ans, soit directement, soit via un renouvellement facilité.
Cette cohérence doit aussi être recherchée dans la mise en oeuvre du nouvel acteur qu'est le syndic d'intérêt collectif. Sa réussite dépendra largement de la capacité à mobiliser des aides de l'Anah pour financer le surcoût qu'il représente et potentiellement le mandater dès le stade de la mise en oeuvre des outils de veille et de prévention.
Mieux traiter les difficultés des copropriétés passe également par un vivier d'administrateurs judiciaires plus nombreux, mieux formés et coopérants activement avec les collectivités et les autres acteurs publics impliqués. Ils sont actuellement soixante-dix, c'est très insuffisant.
Il faut également mieux lutter contre les marchands de sommeil en sanctionnant l'absence de signalement judiciaire par les professionnels et en permettant aux services des collectivités de contribuer aux enquêtes, notamment par le biais d'auditions libres.
Une seconde série de propositions vise à pérenniser et à améliorer les politiques publiques pour redresser les copropriétés en difficulté.
Le PIC ne doit pas s'arrêter en 2028, car les programmes engagés ne seront pas arrivés à leur terme - encore moins les Orcod qui ont été lancées récemment ou le seront prochainement. Il convient de passer d'une logique de stock à une logique de flux et donc pérenniser cette politique, qui s'inscrit inévitablement sur plusieurs décennies. Cela offrira l'occasion d'accroître les moyens, notamment du réseau Procivis, pour préfinancer les aides de l'Anah, mais aussi d'impliquer de nouveaux acteurs, comme les ministères de la justice et de l'intérieur, mais aussi la Banque de France, en vue d'assurer la coordination des plans de redressement avec les expropriations et le traitement des problèmes liés aux squats et aux trafics ou au surendettement.
Au-delà des grands ensembles, nous proposons de créer un « PIC petites copropriétés » pour déployer une véritable action organisée et mesurable en secteur diffus, et non, comme aujourd'hui, de manière connexe à d'autres objectifs, tels que la revitalisation de centres-villes.
La réussite de ces programmes dépendra en partie de la capacité à renforcer leur pilotage national, départemental et local. Nous suggérons de le faire en s'appuyant sur le pôle de lutte contre l'habitat indigne, en élargissant sa compétence aux copropriétés. Ces deux sujets sont très proches : on gagnerait beaucoup à appréhender dès le départ l'insalubrité d'un logement à travers la complexité de la copropriété pour avoir une vision suffisamment large du problème posé.
Nous proposons trois mesures en matière financière.
La première est la création d'une banque de la rénovation et de la copropriété en confiant sa préfiguration à un parlementaire en mission pour permettre un réel déploiement du nouveau prêt global collectif et des autres prêts spécifiques.
La seconde vise à élargir les aides de l'Anah vers les petites copropriétés et les ASL, qui n'y sont pas éligibles actuellement, afin de minimiser les restes à charge et d'assurer un vrai succès à MaPrimeRénov' Copropriété : cette dernière est trop limitée dans l'espace et le temps, puisqu'elle ne concerne que les zones bénéficiant d'une Opah ou du Popac et qu'elle ne dure que trois ans.
La troisième tend à faciliter le recours aux fonds de solidarité pour le logement pour les copropriétaires occupants pauvres afin de faire face aux charges, de manière à éviter la fragilisation de copropriétés ou à faciliter la réussite des plans de redressement. Aujourd'hui, ceux-ci sont essentiellement destinés à aider les locataires à faire face aux impayés locatifs.
Enfin, un troisième groupe de propositions vise à améliorer la gouvernance des copropriétés.
Les nouveaux copropriétaires devraient être mieux informés et protégés, tout particulièrement lors d'une vente HLM et d'une accession sociale. Beaucoup ont souligné que, en la matière, les dispositions de la loi Alur n'ont jamais été mises en oeuvre. Or devenir copropriétaire ne s'improvise pas, un minimum d'information et de formation est nécessaire. Des acheteurs peuvent ne pas avoir conscience des charges à venir et du poids des travaux. C'est pourquoi nous estimons que le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) devrait intégrer ces charges dans le calcul du taux d'effort des ménages à la souscription d'un emprunt.
Le droit de la copropriété devrait également être clarifié. Sa codification, prévue par la loi Élan, n'est pas allée à son terme. Nous plaidons pour que ce travail soit repris et étendu aux ASL. Il serait certainement utile qu'un modèle type de règlement de copropriété, juridiquement sécurisé, soit proposé par le ministère de la justice pour garantir que les dispositions soient à jour et fonctionnelles.
Ce sont ensuite les instances de gouvernance de la copropriété qui devraient être confortées et renforcées.
Le conseil syndical, au moins dans les grands ensembles, devrait devenir le conseil d'administration de la copropriété avec des délégations de pouvoirs étendues.
Il convient également de renforcer le poids des copropriétaires présents et actifs en limitant le droit de vote des copropriétaires présentant un retard intentionnel et abusif du paiement de leurs charges, en restreignant le droit de recours des absents contre les décisions des assemblées générales et en donnant un bonus pour la gestion courante et la vie quotidienne de la copropriété aux propriétaires occupants.
Pour prévenir et lutter contre les impayés de charge, il est proposé de généraliser la mensualisation des charges et de faciliter leur recouvrement, notamment en allongeant la durée des plans d'apurement. Il s'agit également de mieux protéger les copropriétaires en règle, en facilitant le recouvrement des impayés lors des saisies des biens des mauvais payeurs et en étudiant une formule de faillite de la copropriété qui puisse les protéger d'une faillite personnelle.
Il convient en outre d'imaginer les conditions qui permettront à un plus grand nombre de copropriétés de disposer des services d'un syndic professionnel. Il faut donc faciliter sa désignation - et sa révocation - en abaissant la majorité requise pour retenir une majorité simple. Il convient aussi d'envisager, par l'intermédiaire de contrats de groupe ou de prestations de services, des dérogations au contrat type afin de rendre ces professionnels accessibles aux plus petites copropriétés ou de les mobiliser seulement pour certains actes spécialisés. Parallèlement, la profession de syndic doit être mieux encadrée et ses pratiquants mieux formés. Nous soutenons à cet égard les démarches des professionnels pour que plusieurs textes d'application précisant les qualifications de leurs collaborateurs ou permettant la nomination à la commission de contrôle des syndics soient enfin publiés par le Gouvernement. Ceux-ci sont attendus depuis respectivement dix et six ans !
Enfin, nous pensons qu'un meilleur fonctionnement des copropriétés passe par une meilleure implication de tous ceux qui y habitent et donc des locataires, à travers la généralisation de conseils de résidents, qui existent déjà dans les résidences services, ou en permettant à des locataires mandatés d'assister à l'assemblée générale ou au conseil syndical, notamment lors de l'évocation de sujets ayant trait à la vie quotidienne de l'immeuble.
L'étendue de ces propositions montre toute la richesse du travail que nous avons accompli. Il y a là plusieurs grands outils à mettre en oeuvre pour le futur - par exemple la banque de la rénovation et de la copropriété - et la volonté de faire bouger des lignes - la loi de 1965, notamment - pour favoriser une vision plus pragmatique et opérationnelle de la copropriété, compte tenu des enjeux financiers de la rénovation des bâtiments concernés.
Finalement, nous exprimons une double ambition : garantir l'accès à un habitat de qualité pour tous, mais aussi favoriser le vivre ensemble, car la copropriété est une petite démocratie, dans laquelle l'intérêt immédiat de chacun peut être de ne pas coopérer, mais où l'intérêt de tous est que chacun coopère au bien commun.
Mme Antoinette Guhl. - Ce rapport est très riche et très intéressant.
Après le vote de la proposition de loi visant à améliorer la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux, on pouvait s'interroger sur le bien-fondé de cette commission d'enquête. En réalité, nous avons mené un travail très intéressant et avons réussi à identifier de nombreux angles morts dans la prise en charge des difficultés des copropriétés, notamment des plus petites d'entre elles. Certes, ces dernières ne regroupent que 20 % des logements, mais elles représentent 70 % du nombre total de copropriétés ; elles sont donc un sujet important.
Le parc est vieillissant : vous soulignez que 66 % des copropriétés ont été construites avant 1970, et un tiers avant 1914, elles ont donc des besoins importants en matière de rénovation.
Par ailleurs, l'une de vos observations m'a particulièrement marquée : la moitié des personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté sont copropriétaires. De nombreux copropriétaires sont donc déjà très fragiles. Nous assistons à une paupérisation des copropriétaires, qui sont dans l'incapacité de financer les travaux nécessaires pour leur copropriété.
Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires a rédigé une contribution pour dire son accord avec quasiment toutes vos préconisations. Il est en effet indispensable d'améliorer l'observatoire des copropriétés, comme en témoigne la difficulté que nous avons rencontrée pour obtenir des données.
De même, les collectivités territoriales jouent un rôle de plus en plus important en matière de prévention, mais aussi en tant que coordinatrices ; il convient donc de poser la question de leur financement pour réaliser ces missions : à défaut de moyens adéquats, elles ne seront pas en mesure d'y faire face. Il sera de notre responsabilité d'évoquer ce sujet lors de la prochaine discussion budgétaire.
Par ailleurs, nous saluons l'information des copropriétaires à l'achat. À cet égard, nous avons ajouté un élément sur la maîtrise des investissements locatifs, car de nombreux propriétaires investisseurs, c'est-à-dire non occupants, se désintéressent des copropriétés. Peut-être conviendrait-il de trouver un équilibre lors de l'élaboration des programmes d'investissement locatif. Par exemple, nous pourrions décider d'un seuil maximal d'investisseurs locatifs au sein d'une copropriété pour éviter que 60 % ou 80 % de celle-ci soient détenus par des non-occupants, comme c'est parfois le cas.
Permettez-moi de formuler une petite réserve sur les syndics. Vous proposez une dérogation au contrat type, qui nous semblait pourtant constituer une avancée pour réguler les syndics et uniformiser le service rendu. Si je comprends la nécessité d'une version amoindrie de ce contrat type pour les petits copropriétaires qui ne sont pas en mesure de payer un syndic, soyons vigilants à ce que cette mesure ne mène pas à une fin des contrats types ou à un mode de financement à l'acte pour les syndics.
Nous sommes bien sûr entièrement d'accord pour créer une banque de la rénovation et de la copropriété. Toutefois, je nourris deux regrets sur les questions de réchauffement climatique. Tout d'abord, il est dommage de ne pas avoir porté la réflexion sur les outre-mer, où les effets du dérèglement climatique sont prégnants ; ensuite, je regrette que le retrait-gonflement des argiles ne soit pas abordé. En effet, le réchauffement climatique modifie la structure du bâti pavillonnaire, ce qui se fait d'ores et déjà sentir dans certains logements. Il me semble que ces éléments seront importants à l'avenir.
Quoi qu'il en soit, je vous remercie pour le travail très intéressant qui a été réalisé.
Mme Audrey Linkenheld. - Je m'associe à l'essentiel des propos qui viennent d'être tenus. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se félicite de l'existence de cette commission d'enquête et des vingt-cinq recommandations qui en découlent.
Je ne découvre pas les chiffres, mais il est bon de rappeler que les petites copropriétés sont majoritaires dans notre pays et que leurs habitants méritent notre attention. Elles représentent, pour beaucoup, ce que l'on qualifie d'habitat social de fait. En effet, l'habitat social ne se limite pas aux HLM : des personnes pauvres, pour certaines, et modestes, pour de nombreuses autres, vivent dans ces copropriétés privées.
Je souscris à l'essentiel des propositions, en particulier à celles qui permettent d'aller au bout de l'application de la loi Alur. Comme je l'ai souvent dit lors des auditions, être copropriétaire ne s'improvise pas : les copropriétaires doivent être accompagnés et informés et nous avons besoin d'investissement public comme privé en la matière. L'idée de créer une banque de la rénovation et de la copropriété est donc très intéressante.
Je mettrai l'accent sur deux éléments.
Tout d'abord, sur la question du contrat type, il convient de noter une évolution importante depuis que les lois Alur et Élan ont été adoptées : le développement du syndic en ligne, qui cible au premier chef les petites copropriétés de moins de dix lots. Cela change la relation entre le conseil syndical et le syndic, ainsi que la nature des prestations les plus importantes. Je suis d'accord sur le fait que ce contrat type est parfois inadapté, et il l'est d'autant plus dès lors que les copropriétaires peuvent réaliser eux-mêmes des démarches en ligne en étant accompagnés des professionnels qui leur fournissent l'outil pour le faire.
Nous aurions intérêt à creuser ce sujet non seulement pour ce qui concerne la gouvernance des copropriétés, mais aussi parce que le développement des outils de numérisation du bâtiment et de l'intelligence artificielle nous permettra sans doute d'accélérer les travaux de rénovation. Par exemple, à partir d'un DPE, nous pourrons savoir quels travaux doivent être réalisés en priorité et comment.
Cela peut constituer une piste pour nos réflexions futures, en commission d'enquête ou sous une autre forme. Au-delà des améliorations juridiques et financières que nous proposons, ce qui compte, c'est que les travaux soient réalisés. Ces questions recouvrent donc un aspect plus opérationnel et méritent que nous nous y penchions.
Avant de conclure, permettez-moi d'émettre un bémol sur la façon dont est formulée, à la page 9, la proposition relative à une meilleure information des accédants. Il est question d'inscrire dans la loi des « obligations d'information et de formation des ménages primo-accédants renforcées pour les organismes de logement social ». Si je comprends l'idée, je trouve stigmatisant de viser en particulier les locataires HLM. D'une part, la plupart des habitants de copropriétés sont des personnes modestes ; d'autre part, il ne me semble pas opportun de faire un lien entre le niveau de ressources et le niveau de compréhension. La question est plutôt de savoir comment mieux orienter la formation vers des personnes qui ont été locataires toute leur vie et n'ont connu que cela. Peut-être pourrions-nous modifier légèrement cette formulation.
Cette remarque faite, le rapport va dans le bon sens et d'autres travaux parlementaires nous attendent sur ce sujet.
Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Merci de vos remarques.
Cette commission d'enquête a permis de traduire en chiffres l'intuition qui nous avait poussés à la constituer. Nous avons mis en lumière la situation de mal-logement dans nos territoires, quelle que soit la taille des communes, qui résonne avec le sentiment de délaissement et d'abandon total d'une partie de la population, y compris des élus, qui nous ont témoigné de leur impuissance à agir. L'Association des petites villes de France (APVF) nous a alertés sur le taux de pauvreté extrêmement élevé au sein de certaines copropriétés.
Nous avons ainsi mis le doigt sur un phénomène invisible qui s'aggrave. Nous parlons beaucoup des grands ensembles et des grandes opérations - à juste titre, compte tenu de l'ampleur du travail à conduire -, mais cette mise en lumière vaut pour l'ensemble du territoire. Les crises du logement ne feront qu'accélérer la dégradation des copropriétés.
La question de l'investissement locatif est devenue plus prégnante au fil des auditions. Nous avons recueilli des propos très forts sur l'attention qu'il convient de lui porter et aux effets d'aubaine qu'il emporte et qui conduisent à une dégradation de la qualité de la construction. Ainsi, certaines opérations dans ce secteur posent problème. Ce n'est pas toujours vrai, mais, bien souvent, le propriétaire bailleur ne participe pas à la gouvernance de la copropriété, ce qui est facteur de dysfonctionnement.
C'est pourquoi nous proposons de mettre en avant les propriétaires occupants. Dans certaines communes, le ratio est de 50-50 entre investisseurs locatifs et propriétaires occupants, et le rapport est même largement favorable aux investisseurs à certains endroits. Or il existe une divergence d'intérêt entre les deux catégories : des propriétaires bailleurs qui tendaient à bloquer les travaux à réaliser souhaitent désormais les accélérer, car ils sont contraints par une nouvelle réglementation sur l'isolation thermique, alors que les propriétaires occupants n'y sont pas toujours favorables, par manque de moyens. L'investissement locatif complexifie ainsi la gouvernance au sein des copropriétés. Nous devons travailler sur le sujet.
Concernant le contrat type pour les syndics, je comprends vos remarques. En effet, il faut aller plus loin. Nous n'avons pas creusé la question au-delà de nos auditions avec les syndics privés et avec l'Union sociale pour l'habitat (USH). Il en ressort que le monde des syndics change à grande vitesse, avec le syndic d'intérêt collectif, les syndics en ligne, etc. De nombreuses copropriétés de grande taille sont aujourd'hui sans syndic et les outils numériques font l'objet d'évolutions rapides et méritent en effet d'être étudiés plus avant.
Nous avons par ailleurs fait le choix de ne pas inclure les territoires ultra-marins dans le périmètre de nos travaux, car leurs spécificités sont telles qu'il conviendrait de les étudier séparément et que l'a délégation aux outremers a rendu un rapport sur le sujet il y a quelques années.
Enfin, nous avons abordé la rénovation énergétique au prisme restreint des copropriétés. Nous avons notamment souligné que les aides de l'Anah ne sont pas adaptées aux petites copropriétés en cela nos conclusions sont convergentes avec celles, l'an passé, de la commission d'enquête du Sénat sur la rénovation énergétique des logements qui avait été demandée par le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.
J'en viens à l'information des locataires. L'obligation d'information des locataires prévue dans la loi Alur doit être enfin appliquée : ces données doivent être communiquées en amont de la promesse de vente.
Les copropriétés mixtes, qui sont de plus en plus nombreuses, doivent, pour leur part, bénéficier d'un accompagnement renforcé.
Mme Audrey Linkenheld. - J'estime que ce besoin d'information ne se limite pas à la vente de logements sociaux. La mixité étant souvent le fait des collectivités, peut-être celles-ci pourraient-elles imposer aux copropriétaires une formation par un tiers de confiance ?
Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Nous nous sommes efforcés de ne pas faire peser d'obligations nouvelles sur les collectivités, d'autant que cela pourrait contribuer à creuser des inégalités. Je retiens en tout cas qu'il convient de préciser notre propos sur ce point.
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Les copropriétés, en particulier les petites copropriétés, constituent un angle mort.
En ce qui concerne l'investissement locatif, j'estime qu'il n'est pas nécessaire d'instaurer un seuil. Une meilleure intégration des locataires me paraît suffisante et préférable.
Au-delà des vingt-cinq propositions d'actions à court, moyen ou long terme qui sont formulées dans ce rapport, l'identification des deux leviers que sont la rénovation énergétique et la lutte contre l'habitat indigne me paraît essentielle.
Notre collègue Audrey Linkenheld nous a suggéré une modification du second tiret de la recommandation n° 15, à la page 9, dont je vous rappelle la teneur : « l'inscription dans la loi d'obligation d'information et de formation des ménages primo-accédants renforcées pour les organismes de logement social ». Je suis d'accord sur le fond, mais quelle serait votre proposition de rédaction ?
Mme Audrey Linkenheld. - Il s'agirait de supprimer « pour les organismes de logement social » ou de trouver une rédaction autour de « l'attention particulière ».
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous pourrions tout aussi bien supprimer ce tiret.
Mme Audrey Linkenheld. - C'est un rôle que les maisons de l'habitat peuvent également jouer, alors pourquoi ne viser que les organismes de logement social ? Je suis favorable à une rédaction plus opérationnelle que la seule publication du décret de la loi Alur, afin de citer les opérateurs qui remplissent cette obligation d'information : dans certains cas, il s'agira des organismes HLM, dans d'autres, des maisons de l'habitat.
Mme Amel Gacquerre, présidente. - Il me semble délicat d'intégrer au rapport une recommandation qui créerait une charge pour les collectivités sans qu'elle ait été approfondie au sein de notre commission d'enquête. La suppression du tiret est donc probablement la meilleure solution.
La proposition de modification est adoptée.
Les recommandations, ainsi modifiées, sont adoptées.
La commission d'enquête adopte, à l'unanimité, le rapport ainsi modifié et en autorise la publication.