B. LA MISSION HISTORIQUE DES DÉMINEURS : LA COLLECTE ET LA NEUTRALISATION DES MUNITIONS ISSUES DES CONFLITS MONDIAUX

1. La mission EOD, qui est à l'origine de la création du service lors de la seconde guerre mondiale, constitue encore aujourd'hui l'activité principale du GID

La mission de démantèlement des munitions de guerre issues des deux conflits mondiaux, également appelée mission EOD (Explosive Ordnance Disposal) constitue l'activité historique du GID. En 1944, dans le contexte de la seconde guerre mondiale, une action de déminage a été entreprise. Ainsi, l'ordonnance du 21 février 19456(*) a créé la direction du déminage, placé à l'époque sous la tutelle du ministère de la reconstruction. En 1964, le service du déminage est transféré du ministère de la reconstruction au ministère de l'intérieur.

Encore aujourd'hui, la mission EOD est celle qui mobilise encore le plus les agents du GID, en particulier dans les centres de déminage situés sur les champs de bataille de la 1ère guerre mondiale, tels que les sites d'Arras, de Laon, de Châlons-en-Champagne, de Metz ou de Colmar. C'est également le cas pour les centres de déminage situés dans les villes proches de la côte ouest, bombardée lors de la libération en 1944, à Brest, à Caen, ou à La Rochelle. Ainsi, les interventions réalisées au titre de la mission EOD représente au total près de 75,2 % de l'activité des démineurs.

Répartition de l'activité du GID par type d'intervention en 2023

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

D'après la DGSCGC, il faudrait plusieurs siècles pour collecter et neutraliser l'ensemble des munitions issues des deux guerres mondiales. La mission EOD n'a donc pas vocation à s'éteindre, malgré l'éloignement temporel de ces conflits survenus au XXe siècle et la part de plus en plus importante de la lutte contre le terrorisme dans l'activité du GID (voir infra).

La croissance continue du nombre d'interventions réalisée au titre de la mission EOD depuis plusieurs années semble en effet plaider en ce sens, puisqu'entre 2016 et 2023, l'activité « EOD » du GID est passée de 10 504 à 12 726 interventions, soit une augmentation de 21,2 %. Dans 95 % des cas, il s'agit d'interventions EOD dites « non urgentes », c'est-à-dire sur des munitions qui ne représentent pas un danger immédiat pour la sécurité de la population et des biens.

Évolution du nombre d'interventions réalisées par le GID
dans le cadre de la mission EOD entre 2016 et 2023

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

2. Le stockage et la destruction des munitions : deux étapes cruciales de la mission EOD dont la réalisation dans de bonnes conditions se heurte aujourd'hui au manque d'infrastructures

Dans le cadre de leur mission EOD, les démineurs réalisent au quotidien des « tournées de ramassage », dans le cadre desquelles ils sont amenés à identifier des munitions de guerre, qui font également parfois l'objet de signalements de la part de passants. Une fois identifiées, ces munitions doivent être neutralisées, déplacées, stockées, puis détruites.

Ces différentes opérations impliquent l'existence d'infrastructures dédiées. Le GID dispose ainsi de 15 installations de destruction et 52 installations de stockage, réparties sur 42 sites. Toutes ces infrastructures sont des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Ainsi, un centre de déminage est idéalement composé de trois entités :

- des locaux administratifs et locaux de vie ;

- un dépôt de munitions ;

- un terrain de destruction.

Or, d'après l'IGSC, seuls 50 % des centres de déminage présentent cette constitution. Plus précisément, près d'un quart des centres de déminage ne disposent pas de dépôt de munition, et 50 % ne disposent pas de terrain de destruction7(*).

Les centres de déminage qui bénéficient d'un dépôt de destruction ont recours à des locations, conventions, rétrocessions, voire bénéficient d'autorisation d'occupation temporaire (AOT) de terrains militaires. L'IGSC a mis en évidence dans ses travaux un défaut de suivi des AOT de terrains militaires8(*), ce qui a entrainé la caducité de certaines de ces conventions et, par conséquent, mis en difficulté certains centres de déminage. La DGSCGC a en outre indiqué au rapporteur spécial que le GID a dû faire face entre 2014 et 2018 à la fermeture progressive de plusieurs sites militaires sur lesquels pouvaient être conduites des opérations de destruction de munitions.

L'absence de terrain de destruction dans certains centres est particulièrement contraignante pour les démineurs, puisque cette situation les oblige soit à transporter les munitions sur de nombreux kilomètres, soit à les détruire sur place, avec tous les risques associés.

En outre, le manque de solutions de destruction fait peser un risque sur la sécurité des sites concernés. En effet, cette situation conduit à un déstockage plus lent des munitions qui, au fur et à mesure qu'elles vieillissent, peuvent se dégrader et présenter un risque d'explosion. D'après l'IGSC, « les dépôts ont atteint leur taux de remplissage maximum, les solutions de destructions se réduisent et les risques liés au stockage augmentent. Des accidents graves sont statistiquement prévisibles9(*). »

Le tableau ci-dessous illustre les difficultés rencontrées par le GID pour assurer le déstockage de ses munitions EOD. Sur les 10 derniers exercices, le GID n'est en effet parvenu que deux fois à faire baisser le stock de munitions, en 2019 et en 2023. En ce qui concerne l'exercice 2023, la DGSCGC a reconnu que le déstockage important réalisé était dû au fait que le volume collecté de munitions anciennes s'est avéré relativement faible par rapport aux années précédentes.

Taux d'évolution des stocks collectés de munitions anciennes (EOD)
entre 2014 et 2023

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

+ 9 %

+ 6,9 %

+ 9 %

+ 27 %

+ 19 %

- 0,8 %

+ 1,9 %

+ 0,3 %

+ 3,9 %

- 7,2 %

Source : commission des finances, d'après le rapport annuel de performances (RAP) de la mission « Sécurités » annexé au projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2023

Le rapporteur spécial estime que la problématique des capacités de stockage et de destruction devra impérativement être abordée dans le cadre de la refonte du maillage territorial du GID (voir infra) actuellement mené par la DGSCGC. Cette nouvelle répartition pourrait en effet se traduire par la création de nouveaux centres de déminage, ce qui constituera une occasion d'augmenter les capacités de stockage du GID sur l'ensemble du territoire.

Par ailleurs, la DGSCGC chercherait actuellement à se doter d'un terrain dédié à la destruction des munitions de guerre « à forte capacité10(*) », afin que le GID puisse s'affranchir de la disponibilité des terrains militaires, et améliorer ainsi sa gestion des stocks de munitions collectées. Toutefois, ce projet peine à se concrétiser.

Il convient également de relever que la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) prévoit entre 2023 et 2027 un total de 19,2 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et crédits de paiement (CP) consacrés à la modernisation des infrastructures et aux moyens dédiés à la gestion des restes d'explosifs de guerre. Toutefois, les informations transmis au rapporteur spécial sur ce point ne permettent pas de savoir si ces investissements permettront réellement d'améliorer les capacités de stockage des infrastructures existantes.

Présentation des crédits de la LOPMI consacrés aux services de déminage

La LOPMI prévoit de consacrer 32,8 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP) aux services de déminage entre 2023 et 2027.

Ces crédits seront notamment consacrés à :

- la modernisation des infrastructures du GID (19,2 millions d'euros) ;

- l'investissement dans la modernisation des moyens du déminage dédiés à la lutte contre la menace terroriste (6,2 millions d'euros) ;

- la formation des démineurs, d'une part, en matière d'engins explosifs de fabrication artisanale (1 million d'euros), et d'autre part, en matière de gestion des ICPE (0,6 million d'euros).

En outre, la GID devrait bénéficier dans le cadre de la LOPMI du recrutement de 22 effectifs supplémentaires, dont 7 démineurs et 15 personnels de soutien.

Source : réponses de la DGSCGC aux questionnaires du rapporteur spécial

3. La neutralisation des munitions chimiques fait l'objet d'une procédure spécifique, réalisée en lien avec le ministère des armées

La neutralisation des armements chimiques nécessite des compétences spécifiques, ce qui a justifié la création d'un centre dédié - le centre de coordination des chargements chimiques (C4) de Suippes.

La gestion de ces munitions chargées en agent chimique fait l'objet d'un partage des compétences entre les démineurs de la sécurité civile et le ministère des armées.

Conformément à l'article R. 733-2 du code de la sécurité intérieure (CSI), la sécurité civile est responsable de la collecte, du transport et du stockage des munitions chimiques dans l'attente d'une destruction. Elle prend également en charge l'élimination des munitions chimiques rendues intransportables compte tenu de leur état de dégradation au cours du stockage.

Ainsi, la GID collecte chaque année entre 10 et 15 tonnes de restes de guerre chargés en agents chimiques, dont le transport vers le centre de Suippes est réalisé par chacun des 26 centres de déminage. Ces munitions font ensuite l'objet d'un recensement à leur arrivée au centre. À l'issue d'une identification réalisée par levée de doute, les munitions sont étiquetées puis stockées dans des soutes dites « tampons » dans l'attente du contrôle annuel réalisé par l'organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC). À l'issue de ce contrôle, les munitions sont stockées dans l'attente de leur destruction.

La destruction des munitions chimiques transportables ainsi que la gestion des déchets issus de cette destruction relèvent en revanche de la compétence du ministère des armées. Le programme SECOIA (« système d'élimination des chargements et objets identifiés anciens »), lancé en 1997 pour répondre à l'entrée en vigueur de la convention d'interdiction des armes chimiques, a permis la construction d'une installation destinée à les détruire, sans intervention humaine directe. Ainsi, depuis la mise en service de l'usine SECOIA en 2018, 1 936 munitions ont été détruites dont 552 en 2023.

Toutefois, le vieillissement de certaines munitions est susceptible de provoquer des fuites d'agents chimiques et complique donc considérablement le transport de ces munitions des soutes de stockage C4 vers l'usine de destruction SECOIA située à quelques dizaines de kilomètres de site de Suippes. Cette situation est d'autant plus préoccupante que les capacités de stockage du site de Suippes sont limitées, le taux d'occupation des soutes C4 étant en effet proche de 98 %.

Ces difficultés ont conduit le GID à suspendre les livraisons de munitions vers l'usine SECOIA depuis 2021, et ont abouti à la création d'un second dispositif de destruction sur le site de stockage de Suippes, notamment pour traiter les munitions devenues non transportables, appelé système d'élimination par thermolyse des munitions chimiques ou « 7MC ». Ce site devrait être mis en service en 2025, et financé par le ministère des armées. Le maintien en condition opérationnelle, qui sera en revanche supporté par le programme 161 « Sécurité civile », devrait représenter un coût annuel d'environ 1 million d'euros et impliquer le recrutement de 15 personnels dédiés.

Par ailleurs, pour répondre à la problématique du manque de capacités de stockage du C4, un projet d'installation de 12 nouvelles soutes est en cours de préparation, pour une livraison prévisionnelle fin 2024, début 2025. Ce programme est financé par le ministère des armées à hauteur d'1,5 million d'euros.


* 6 Ordonnance n° 45-271 du 21 février 1945.

* 7 IGSC, document de synthèse des visites des centres de déminage, juin 2022.

* 8 Ibid.

* 9 Ibid.

* 10 C'est-à-dire, les munitions dont la masse de matière active est supérieure à 100 kilogrammes.

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