N° 718

SÉNAT

2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 juillet 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur les démineurs
de la
sécurité civile,

Par M. Jean Pierre VOGEL,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

I. LES DÉMINEURS DE LA SÉCURITÉ CIVILE : UN SERVICE CRUCIAL DONT LES MISSIONS SE SONT DIVERSIFIÉES DEPUIS SA CRÉATION LORS DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

A. LES DÉMINEURS DE LA SÉCURITÉ CIVILE : UN SERVICE D'EXCELLENCE DE PLUS EN PLUS SOLLICITÉ

Le groupement d'intervention du déminage (GID) est un service rattaché à la sous-direction des moyens nationaux de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) du ministère de l'intérieur. Les 324 démineurs du GID sont recrutés parmi les fonctionnaires de la police nationale et ont pour missions, d'une part, de démanteler les munitions explosives et chimiques issues des deux conflits mondiaux, et d'autre part, de contribuer à la lutte contre la menace terroriste.

Les démineurs de la sécurité civile sont de plus en plus mobilisés depuis 10 ans. Entre 2014 et 2023, le nombre d'interventions réalisées par le GID est en effet passé de 15 307 à 16 907, soit une augmentation de 10,5 % sur cette période.

Évolution du nombre d'interventions du GID entre 2014 et 2023

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Le rapporteur spécial a constaté lors de ses travaux la qualité de la formation des démineurs. Celle-ci est divisée en quatre niveaux correspondant chacun à un niveau hiérarchique, et est réalisée au sein d'un centre de formation et de soutien dédié.

Le cycle de formation des démineurs est à la fois exigeant et contraignant, dans la mesure où le temps de formation nécessaire pour accéder au plus haut niveau de qualification est de 8 ans, et que chaque période de formation implique la mobilisation de plusieurs agents au détriment de l'activité opérationnelle. Toutefois, la qualité de la formation des démineurs est un atout pour le GID, dans la mesure où elle lui garantit une capacité d'intervention optimale, et lui permet aujourd'hui d'être reconnu comme un service de déminage de référence auprès de ses partenaires internationaux. Les démineurs français sont en effet régulièrement mobilisés pour réaliser des actions de formation auprès de leurs homologues d'autres pays ou pour contribuer à la sécurisation de grands évènements internationaux, telle que la Coupe du monde de football 2022 au Qatar, où 21 démineurs du GID se sont rendus.

B. UNE MISSION HISTORIQUE DE COLLECTE ET DE NEUTRALISATION DES MUNITIONS ISSUES DES CONFLITS MONDIAUX QUI NÉCESSITE DE DISPOSER DE SOLUTIONS DE STOCKAGE ADAPTÉES SUR DES SITES SÉCURISÉS

La mission de démantèlement des munitions de guerre issues des deux conflits mondiaux, également appelée mission EOD (Explosive Ordnance Disposal) constitue l'activité historique du GID, et a justifié la création de ce service en 1944 lors de la Seconde guerre mondiale.

Encore aujourd'hui, la mission EOD est celle qui mobilise le plus les agents du GID, en particulier dans les centres de déminage situés sur les champs de bataille de la 1ère guerre mondiale ou proches de la côte ouest, bombardée lors de la libération en 1944. Les interventions réalisées au titre de la mission EOD représentent ainsi près de 75,2 % de l'activité des démineurs.

Dans le cadre de cette mission, les démineurs réalisent des « tournées de ramassage » lors desquelles ils sont amenés à identifier des munitions de guerre potentiellement dangereuses par la sécurité des populations. Ces munitions doivent être neutralisées, déplacées, stockées, puis détruites. Or 25 % des centres de déminage ne disposent pas de dépôt de munitions, et 50 % d'entre eux n'ont pas de terrain de destruction. Cette situation oblige les démineurs soit à transporter les munitions sur de nombreux kilomètres, soit à les détruire sur place, avec tous les risques associés. Par ailleurs, le manque de solutions de destruction conduit à un déstockage plus lent des munitions qui, au fur et à mesure qu'elles vieillissent, peuvent se dégrader et présenter un risque pour la sécurité des sites.

Taux d'évolution des stocks collectés de munitions anciennes (EOD)
entre 2014 et 2023

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

+ 9 %

+ 6,9 %

+ 9 %

+ 27 %

+ 19 %

- 0,8 %

+ 1,9 %

+ 0,3 %

+ 3,9 %

- 7,2 %

C. LA MONTÉE EN PUISSANCE DE LA MISSION DE LUTTE CONTRE LA MENACE TERRORISTE

Depuis les attentats de novembre 2015, la mission de lutte contre la menace terroriste a pris de l'ampleur dans l'activité des démineurs. Dans ce cadre, les démineurs sont amenés à intervenir sur des colis suspects (mission IEDD ou Improvised Explosive Device Disposal), à assister les forces de sécurité intérieure lors de perquisitions ou à participer à la sécurisation des grands évènements et des voyages officiels.

Le nombre d'interventions réalisées à ce titre est passé de 2 866 à 4 181 entre 2014 et 2023, soit une hausse de 45,9 %. Cette mission demeure toutefois minoritaire dans l'activité des démineurs, puisqu'elle représentait en 2023 environ 25 % des interventions réalisées par le GID.

Évolution du nombre d'interventions réalisées par le GID
dans le cadre de la mission de lutte contre la menace terroriste

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

La mobilisation des démineurs pour la sécurisation
des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024

Dans la perspective de l'organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de 2024 en France, le GID mobilisera au total 190 de ses agents pour participer à la sécurisation des sites olympiques. Devraient ainsi être mobilisés :

- 80 démineurs qui interviendront hors Île-de-France, ainsi que 10 personnels dédiés à l'appui et au soutien opérationnel ;

- 100 démineurs qui interviendront en renfort des démineurs du laboratoire central de la préfecture de police (LCPP) de Paris1(*) pour assurer les inspections de sécurité et la sécurisation de la cérémonie d'ouverture, mais aussi, pour intervenir sur la voie publique dans Paris et sur les zones à fort flux de passagers.

Par ailleurs, la DGSCGC a mis en place un dispositif appelé « EOR » (Explosive Ordnance Reconnaissance), consistant en la mobilisation de 214 personnels administratifs et techniques volontaires pour travailler en appui des équipes de déminage. Cette initiative apparait pertinente à plusieurs égards :

- les personnels « EOR » seront mobilisés uniquement pour des missions de levée de doute, et non pour des missions de neutralisation des engins explosifs, qui relèvent exclusivement de la compétence des démineurs ;

- ce dispositif est peu contraignant dans sa mise en oeuvre, puisqu'il nécessite un temps de formation relativement court des volontaires mobilisés ;

- cette mesure est peu coûteuse, en comparaison avec le recours aux sociétés privées.

II. LE GROUPEMENT D'INTERVENTION DU DÉMINAGE DOIT IMPÉRATIVEMENT SE MODERNISER POUR DÉSAMORCER LES RISQUES DE PERTE D'EFFICACITÉ OPÉRATIONNELLE

A. UN MAILLAGE TERRITORIAL INADAPTÉ À LA RÉALITÉ DE LA SOLLICITATION DU GID, FAISANT PESER UN RISQUE DE DÉGRADATION DE LA PERFORMANCE DU SERVICE

La répartition géographique des centres de déminage ne répond actuellement plus à la réalité des missions réalisées par les démineurs. En effet, la couverture territoriale des unités opérationnelles du GID a été pensée de manière à couvrir les zones ayant subies des bombardements lors des deux guerres mondiales. C'est pourquoi certaines parties du territoire ayant été historiquement épargnées par les bombardements ne sont pas couvertes par des unités de déminage.

Les services de déminage : une couverture opérationnelle inégale

Source : Inspection générale de la sécurité civile, rapport d'inspection et d'évaluation du GID, juin 2021

La montée en puissance de la mission de lutte contre le terrorisme implique pourtant des interventions dans l'ensemble du pays, et non plus uniquement sur les zones historiquement touchées par les bombardements des conflits mondiaux. Le décalage entre la cartographie opérationnelle du GID et l'évolution du risque pourrait mener à une dégradation des performances du service en matière de délais d'intervention. Le rapporteur spécial invite donc la DGSCGC à actualiser au plus vite sa stratégie d'implantation des unités de déminage.

La redéfinition de la cartographie opérationnelle du GID pourrait impliquer, d'après la DGCSGC, l'ouverture de nouveaux centres de déminage, et partant, des recrutements supplémentaires. À cet égard, la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) a acté le recrutement de 7 nouveaux démineurs. Le rapporteur spécial estime que le GID devra mener, sans préjudice de ces recrutements, une réflexion sur les possibilités de redéploiements d'effectifs entre les centres de déminage, compte tenu des écarts de sollicitation importants entre différentes unités.

Cette situation fait par ailleurs peser un risque de dégradation des compétences des démineurs affectés aux sites où la sollicitation opérationnelle est la plus faible. C'est pourquoi le rapporteur spécial invite la direction centrale du GID à formaliser une stratégie de formation continue de ses démineurs.

B. UNE POLITIQUE DE GESTION DES RESSOURCES HUMAINES QUI DOIT ÊTRE MODERNISÉE POUR GARANTIR LA PÉRENNITÉ DU SERVICE

Le GID est actuellement confronté au défi du vieillissement de ses effectifs, recrutés pour la plupart après une première partie de carrière dans la police nationale. Ainsi, les services de déminage connaissent actuellement une dynamique de départs à la retraite préoccupante pour leur pérennité. Dans ce contexte, le GID peine en effet à maintenir son effectif réel en conformité avec son effectif théorique.

Effectifs du GID au 31 mars 2024

 

Effectif théorique

Effectif réel

Écart entre effectifs théorique et réel

Démineurs

343

324

- 19

Personnels administratifs

15

13

- 2

Personnels techniques

20

18

- 2

Total

378

355

- 23

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Par ailleurs, le rapporteur spécial a relevé, lors de ses travaux, le caractère archaïque des outils de suivi des ressources humaines du GID. Il invite donc ce service à se doter au plus vite d'une véritable stratégie de gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences (GPEEC), afin d'anticiper la vague de départs à la retraite des démineurs et la refonte à venir de la cartographie opérationnelle du GID.

C. LE GID DOIT ÉGALEMENT DISPOSER DES MOYENS HUMAINS ET MATÉRIELS GARANTISSANT AUX DÉMINEURS LA RÉALISATION DE LEURS MISSIONS OPÉRATIONNELLES DANS DES CONDITIONS OPTIMALES

1. Un déséquilibre entre le nombre de démineurs et le nombre de personnels de soutien, au détriment des missions opérationnelles du GID

Le GID dispose actuellement de 324 démineurs et de 31 personnels de soutien, dont 13 personnels administratifs et 18 personnels techniques. Le ratio entre personnels de soutien et personnels opérationnels est actuellement de 1 sur 10,45, alors que, pour les services opérationnels comparables en termes de taille et d'organisation, ce ratio est de l'ordre de 1 sur 6,81. Ce sous-dimensionnement des personnels de soutien oblige certains démineurs à consacrer une part importante de leur temps à des missions de logistique qui ne relèvent pas de leurs compétences. Il en résulte notamment un affaiblissement de la capacité d'intervention des services de déminage, mais aussi, une perte de sens pour certains démineurs.

Il convient donc, pour permettre aux démineurs de se recentrer sur leur coeur de métier, de remédier au déséquilibre entre personnels opérationnels et personnels de soutien. À cet égard, le rapporteur spécial se félicite du recrutement de 15 personnels de soutien annoncé dans le cadre de la LOPMI, et veillera à la concrétisation effective de ces recrutements.

2. Le suivi de l'activité opérationnelle des démineurs devrait être amélioré par la mise en oeuvre du projet informatique SOFIE

Le suivi des opérations est primordial pour coordonner l'activité des démineurs, mais aussi, pour assurer leur sécurité en intervention. En 2012, deux démineurs ont été grièvement blessés en intervention par l'explosion d'un obus et étaient de ce fait dans l'incapacité de solliciter les secours. Cet exemple montre à quel point l'absence d'outil de suivi des interventions peut être préjudiciable pour le GID. Force est toutefois de constater que, jusqu'en 2023 et la mise en oeuvre du projet informatique « système opérationnel et fichiers d'informations sur les explosifs » (SOFIE), ces outils étaient particulièrement lacunaires.

Le projet SOFIE a en effet été en développé par le DGSCGC et mis en service depuis janvier 2023 pour remédier à cet écueil, pour un coût actuellement estimé à 1,6 million d'euros. Les fonctionnalités de cette application, dont le développement est encore en cours, devraient notamment inclure une « cartographie » des interventions en temps réel, et permettre ainsi un meilleur suivi des démineurs en opération. Le rapporteur spécial se félicite du développement de ce projet, qui doit désormais impérativement être finalisé.

3. Le renouvellement des moyens matériels des démineurs doit également faire l'objet d'une attention particulière compte tenu notamment de l'évolution des technologies mobilisées par les organisations terroristes

Le parc de robots démineurs du GID est aujourd'hui vieillissant. En effet, parmi les 31 robots dont dispose le GID, 9 ont été mis en service en 2004, et 16 l'ont été en 2011. Le vieillissement du parc de robot implique, d'une part, un risque de dégradation des conditions d'intervention, et d'autre part, une multiplication des opérations de maintien en condition opérationnelle (MCO) de ces appareils.

La stratégie de renouvellement des moyens matériels doit pourtant faire l'objet d'une attention particulière dans un contexte où l'évolution des technologies permet aux organisations terroristes d'élaborer des dispositifs explosifs toujours plus complexes et sophistiqués. À cet égard, le rapporteur spécial se félicite des avancées de la LOPMI, qui prévoit de consacrer 32,8 millions d'euros aux services de déminage, et qui a notamment déjà permis l'acquisition de nouveaux robots démineurs, mais aussi, d'équipements innovants tels des brouilleurs 5G ou des appareils de radioscopie permettant de réaliser des levées de doutes sur des colis suspects.


* 1 Le LCPP dispose en effet de son propre service de déminage, compétent dans toute l'agglomération parisienne.

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