II. LES CONTRATS DE LONG TERME POUR LES ENTREPRISES GRANDES CONSOMMATRICES D'ÉLECTRICITÉ DOIVENT ÊTRE OPTIMISÉS POUR ASSURER LA COMPÉTITIVITÉ DE L'ÉCONOMIE

A. LES CAPN : UN PARTAGE DES RISQUES À AFFINER, DES AVANCES EN TÊTE À AJUSTER, UNE ANALYSE JURIDIQUE À CONFIRMER

S'ils sont appelés à jouer un rôle déterminant dans la compétitivité de l'industrie française, les contrats d'allocation de production nucléaire (CAPN) ne sont à ce jour pas complètement exempts d'incertitudes juridiques.

1. Des contrats de partenariats industriels réservés à des industriels électro-intensifs aux « reins solides »

Les contrats d'allocation de production nucléaire (CAPN) s'adressent aux industriels pour lesquels l'électricité est un intrant économique majeur, c'est-à-dire aux secteurs électro-intensifs et hyper électro-intensifs. Ces contrats ne sont pas de simples contrats de fourniture mais de véritables partenariats industriels. C'est-à-dire que ces contrats ne prévoient pas la vente garantie d'un certain volume d'électricité (en MWh) mais la mise à disposition, pour des durées de dix à quinze ans, d'une quote-part de la puissance des réacteurs du parc nucléaire existant à un prix reflétant les coûts de production réels de ces derniers, moyennant :

- d'une part le paiement d'une avance importante (dite « avance en tête ») ;

- et d'autre part la prise en charge d'une part des risques pesant sur l'exploitation de ces réacteurs et les investissements réalisés par le producteur.

Ces contrats sont ainsi parfois qualifiés de « at cost, at risk »746(*), leur prix attractif allant de pair avec des règles de partage des risques entre les deux co-contractants. Dans le cadre de ce type de contrats, pour en réduire le prix, le co-contractant peut également valoriser des capacités d'effacement.

Les CAPN ont vocation à couvrir jusqu'à 50 % des volumes d'électricité consommés par les industriels qui les souscrivent. Après la fin du dispositif d'Arenh, ce type de contrats de long terme constitue un élément indispensable et absolument déterminant de la compétitivité de l'industrie française. L'Uniden a souligné cet enjeu dans ses réponses écrites à la commission d'enquête : « ces contrats sont les seuls à même de répondre au besoin de compétitivité et de visibilité des industriels électro-intensifs ».

Du fait de leurs caractéristiques et de leur durée, les CAPN ne s'adressent qu'à un nombre limité de grosses entreprises disposant d'une surface financière confortable, de conditions d'endettement suffisamment favorables pour couvrir l'avance en tête et qui ne sont pas confrontées à des difficultés économiques.

Comme indiqué supra, actuellement, notamment en raison de la diminution des prix sur les marchés de gros, les négociations entre les industriels et EDF autour des CAPN sont particulièrement complexes. Elles achoppent principalement sur deux sujets majeurs :

- d'une part le montant de l'avance en tête ;

- d'autre part l'étendue et les règles du partage des risques de production (qui peut résulter de problématiques techniques mais aussi de la modulation des réacteurs résultant des aléas du système électrique et des prix sur les marchés) et de surcoûts des investissements.

Selon les sources, la commission d'enquête note que les besoins annuels en matière de CAPN oscilleraient entre 15 TWh et 30 TWh, soit entre 5 % et 8 % de la production prévisionnelle du parc nucléaire historique.

Sans que leur nature de contrat « at cost, at risk » soit remise en cause, des clauses prévoyant des engagements de livraisons minimums de volumes d'électricité semblent nécessaires.

2. Les CAPN posent plusieurs problèmes juridiques qu'il sera nécessaire d'éclaircir

Le caractère innovant des CAPN ne va pas sans certaines incertitudes juridiques, notamment liées à l'accueil que leur réservera la Commission européenne et aux risques de contentieux auxquels ils pourraient être exposés. Du fait de la position dominante d'EDF sur les marchés amont et aval de l'électricité en France, un premier risque juridique relève du risque d'abus de position dominante au sens du droit européen de la concurrence. Cet enjeu renvoie essentiellement au risque dit de « verrouillage de marché », qui s'entend du risque d'un phénomène d'éviction concurrentielle liée à la position dominante d'EDF. Il suppose qu'EDF ne capte pas une part trop importante du marché considéré, en l'occurrence celui de l'approvisionnement du secteur industriel électro-intensif.

Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête ainsi que dans son avis sur l'avant-projet de loi relatif à la souveraineté énergétique747(*), la CRE a notamment souligné cet enjeu : « la possibilité pour EDF de proposer ce type de contrats de long terme avec partage de risque industriel ne doit pas conduire à un verrouillage d'un segment du marché (en l'occurrence, les plus grands industriels). EDF en tant qu'unique exploitant de centrales nucléaires en France est en effet le seul à pouvoir conclure ce type de contrats. De ce fait, ces contrats doivent être strictement indépendants de toute offre de fourniture d'EDF pour les clients concernés et ne doivent donner lieu à aucun avantage ou aucune contrainte pour le reste de l'approvisionnement hors base ».

Un autre risque juridique à expertiser est celui que la Commission européenne puisse considérer les CAPN comme des aides d'État aux bénéfices des industriels. Pour éviter ce risque, il est nécessaire qu'elle puisse estimer que ces contrats ont été conclu conformément à un comportement jugé rationnel d'un opérateur en économie de marché, ce que la Commission européenne qualifie « d'opérations réalisées dans des conditions normales de marché ». Cependant, le fait qu'EDF est désormais détenue à 100 % par l'État pourrait conduire la Commission européenne à se montrer plus sourcilleuse. Ainsi, pour juger du caractère constitutif ou non d'une aide d'État de ces contrats, la direction générale de la concurrence (DGCOMP) étudiera probablement en détail leurs paramètres et notamment le niveau des prix pratiqués.

Pour que le dispositif soit conforme au droit de l'Union européenne, il semble impossible de réserver l'éligibilité de ces contrats aux seuls clients français. Ils pourront ainsi profiter à des industriels étrangers.

Par ailleurs, et alors que dans ses réponses écrites à la commission d'enquête EDF a confirmé ne pas envisager à ce stade d'ouvrir les CAPN aux fournisseurs alternatifs, la conformité de cette exclusion pourrait être contestée. Il n'est pas exclu que des contentieux soient portés par certains fournisseurs sur cette question. À ce titre, dans ses réponses à la commission d'enquête, TotalÉnergies estime que les CAPN « devraient être ouverts à l'ensemble des fournisseurs qui souhaitent en bénéficier. À défaut, si ces contrats étaient réservés aux électro-intensifs, EDF ne devrait pas être autorisé à vendre d'autres produits à ces mêmes clients afin de ne pas fausser la concurrence entre fournisseurs ».


* 746 Ou « à prix coûtant mais à risque ».

* 747 CRE, délibération n° 2024-10 du 18 janvier 2024 portant avis sur le projet de loi relatif à la souveraineté énergétique.

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