B. UNE PERSPECTIVE QUI REPOSE SUR UNE INDISPENSABLE POURSUITE DES DYNAMIQUES D'EFFICACITÉ ET DE SOBRIÉTÉ

« L'énergie la moins chère et la moins polluante, c'est encore celle que l'on ne consomme pas »330(*) semble une idée neuve en Europe, mais pourtant la formule a 20 ans. Elle souligne à quel point efficacité et sobriété sont plus que jamais au centre de toute politique énergétique.

Il faut rappeler que l'intérêt de ces deux leviers dépassent la question de l'électricité. La première manière de réduire nos dépendances et notre facture énergétique reste la réduction de notre consommation d'énergie et en particulier d'énergies fossiles, via la sobriété et l'efficacité.

La maîtrise de la demande en électricité, dans ses deux composantes efficacité énergétique et sobriété, est indispensable pour atteindre les objectifs de la France. RTE, l'Ademe et de nombreux autres acteurs mettent ce point en évidence. Les volumes concernés sont significatifs, comme l'illustre le schéma ci-dessous qui correspond à la trajectoire de « A référence » retenue par la commission d'enquête.

Décomposition en grands effets de l'évolution de la consommation d'électricité entre 2019 et 2035 dans la trajectoire A - référence

Source : RTE331(*)

1. La recherche des gains d'efficacité énergétique doit être encouragée
a) Un potentiel de 100 TWH à horizon 2035

L'efficacité énergétique permet de consommer moins en améliorant les performances des appareils, équipements, installations, procédés ou encore des bâtiments.

Les exigences environnementales se sont fortement accentuées ces dernières années, se traduisant notamment par l'objectif de neutralité carbone en 2050 pour l'ensemble des pays de l'UE et de beaucoup d'autres pays dans le monde. En France, l'objectif de diviser par deux la consommation énergétique finale d'ici 2050 est inscrit dans la loi.

Ces objectifs et contraintes pèseront fortement sur l'innovation et l'orientation technologique dans le sens d'un renforcement considérable de l'efficacité énergétique des procédés industriels et des équipements de toutes natures, et ce dans quasiment tous les grands pays industriels. Cette situation sera « un puissant accélérateur de la tendance baissière de la consommation d'énergie pour au moins les trois décennies à venir »332(*) selon Bertrand Château, expert en matière de prévisions énergétiques.

Dans le scénario retenu par la commission, le potentiel de réduction de la consommation électricité est estimé à environ 100 TWh à l'horizon 2035.

b) Ce potentiel repose sur l'amélioration de la performance des équipements et de la performance thermique des bâtiments

Schématiquement, cette efficacité se joue sur l'amélioration de la performance des équipements et de la performance thermique des bâtiments.

Comme le rappelait Thomas Veyrenc lors de son audition « un réfrigérateur performant aujourd'hui, c'est 45 % d'économie d'énergie par rapport au parc moyen de réfrigérateurs. Remplacer nos ordinateurs fixes des années 2000 avec la grosse tour par des ordinateurs portables, constitue un facteur 5 d'économie d'énergie »333(*). Les données ci-dessous permettent, d'illustrer concrètement ce que représente l'efficacité énergétique.

Exemples de gains en termes d'efficacité énergétique pour certains équipements domestiques sur 12 ans

Source : Ademe334(*)

Ces chiffres, ramenés à la consommation collective d'un pays, pèsent réellement sur le niveau de demande électrique. Ainsi le développement des éclairages à LED a par exemple permis de réduire en cumulé de 10 TWh la consommation d'éclairage entre 2010 et 2020.

Au-delà du rythme de renouvellement des équipements, ce gisement justifie des actions volontaristes adaptées : réglementations ciblées sur les équipements présentant les meilleurs gains, mesures favorisant le renouvellement de certains appareils, amélioration de l'information sur la performance énergétique, directives d'écoconception, prix du carbone... Pour rester sur l'exemple des LED, leur généralisation pourrait encore permettre de faire baisser la consommation dans les secteurs résidentiel et tertiaire de 15 TWh, ce qui est considérable.

Les pouvoirs publics ont également un rôle à jouer pour éviter que les efforts obtenus en termes d'efficacité énergétique ne se traduisent pas par des évolutions qui consistent à annuler ces gains. L'exemple des véhicules individuels, aux moteurs plus performants mais au poids toujours plus conséquent, est significatif de gains d'efficacité énergétique affectés à d'autres finalités que la maîtrise de la demande d'énergie.

L'autre gisement d'efficacité énergétique concerne l'efficacité thermique des bâtiments qui sera traitée plus avant dans ce rapport.

2. La sobriété, un levier indispensable pour maitriser la hausse de la demande, mérite d'être mieux travaillée sur le fond

« La sobriété n'est plus une option » déclarait Xavier Pierchaczyk, le président de RTE, dans la presse en juin 2023.

La sobriété, un temps message revendicatif de quelques ONG est devenue aujourd'hui un levier qualifié d'indispensable de la politique énergétique.

Définition de la sobriété

Dans la SNBC, elle est définie comme consommer avec modération (moins consommer) les biens et services à fort impact environnementaux (typiquement réduire sa température de chauffage)

L'Ademe la définit comme la recherche de moins, de modération tout en recherchant un mieux notamment de la qualité de vie

Source : Commission d'enquête

La sobriété renvoie donc à une baisse de la consommation énergétique via une modification des habitudes ou des modes de vie.

a) La sobriété : chasse au gaspillage ou évolution des mode de vie ?

Plus finement, il est possible de distinguer deux types de sobriété.

La sobriété qui se manifeste par la chasse au gaspillage est plutôt bien acceptée dans une mise en oeuvre rapide. Cette forme de sobriété s'est illustrée par les gestes simples demandés aux Français lors de l'hiver 2022 : baisser la température, éteindre les lumières inutiles ainsi que les appareils en veille, adopter des modes de cuisson économes...

La sobriété lors de l'hiver 2022-2023

Lors de l'hiver 2022-2023 il a été constaté une baisse inédite de la consommation d'électricité de l'ordre de 12 % entre octobre et décembre 2022, soit 20 TWh, à météorologie constante, par rapport aux autres hivers335(*).

Le dispositif d'alerte comme l'appel à la mobilisation de tous et le Plan national de sobriété semblent avoir rencontré un accueil positif auprès des Français.

Il reste délicat de distinguer parmi les raisons de la baisse de consommation la part de gestes souhaités et des ajustements subis liés à l'augmentation du coût de l'électricité ou plus généralement du coût de la vie (inflation). Il est cependant à noter que la consommation a baissé avant même que le prix de l'électricité connaisse une hausse. Cette anticipation du signal prix a indéniablement joué.

Source : Commission d'enquête

Une sobriété plus structurelle nécessite des actions individuelles et collectives conduisant à une évolution plus ou moins conséquente des modes de vie. Cette dernière produit des effets plus importants mais repose sur des évolutions comportementales individuelles et collectives qui semblent se réaliser sur des périodes de temps plus longues et surtout qui reposent sur des questions d'acceptabilité.

Thomas Veyrenc revenant sur ce point lors de l'audition déclarait : « On sait maintenant que la consommation en temps de crise peut baisser de manière assez spectaculaire. La question est de déterminer ce qui est pérenne dans cette diminution. On pense qu'une partie de ce qui constitue la chasse au gaspillage peut être assez largement prolongée. Aller plus loin en matière de sobriété, ce qu'on appelle la sobriété structurelle, conduit à des transformations de l'aménagement de notre territoire et des modes de vie qui relèvent d'une autre ampleur. »336(*)

Pour enrichir la réflexion sur les conséquences sociétales des différentes trajectoires, RTE a commandité une enquête à Ipsos auprès d'un large panel de Français (13 000 personnes). L'enquête évalue l'écart entre les hypothèses des scénarios et la perception des habitants actuelle et à moyen terme sur certaines évolutions des modes de vie. Ce travail permet de classer les transformations en trois groupes :

- celles qui semblent déjà acceptées par les Français, qui reposent sur des gestes simples ou des changements d'habitude évoquées précédemment ;

- celles qui induisent des modifications dans les modes de vie mais qui semblent accessibles pour une partie des Français : réduction de la taille des véhicules, augmentation de l'usage des transports en commun, rénovation énergétique de l'habitat etc. ;

- celles qui nécessitent un changement profond de modèle de société et qui sont, à ce jour, très décalées par rapport aux aspirations des Français, se heurtent à des freins culturels et organisationnels importants et peuvent aller directement à l'encontre des principes d'une société libre : renoncement au véhicule individuel, bascule vers le logement collectif, partage des espaces de vie, etc.

b) La sobriété reste un levier délicat à activer qui mérite un travail de fond

Thomas Veyrenc partageait ce constat avec la commission d'enquête lors de son audition : « au cours des débats publics que j'ai animé pendant deux ans autour de nos scénarios, le sujet le plus conflictuel n'a pas été celui des énergies renouvelables ou du nucléaire mais celui de la projection sur la sobriété et de la perception de l'équité des efforts demandés aux différentes catégories de la population. Ce thème de l'équité revient systématiquement : chacun est prêt à baisser sa consommation à condition d'être certain que les autres font les mêmes efforts. »337(*)

Sur ce même thème d'acceptation de la sobriété, le représentant de l'association négaWatt déclarait lors de la table ronde du 1er février 2024 : « beaucoup de sondages, de conventions citoyennes ou d'exercices délibératifs montrent que les citoyens, dès lors qu'on les amène à réfléchir à la sobriété, sont prêts à y participer moyennant un certain nombre de conditions.

La première, c'est d'être accompagnés : ils refusent l'idée selon laquelle il suffirait de s'en remettre à des changements individuels de comportement ou à la responsabilité de chacun. Il est donc nécessaire de créer des offres et des politiques publiques de sobriété.

En deuxième lieu, les citoyens demandent à disposer d'alternatives (...)

Le troisième pilier est d'identifier les co-bénéfices de la sobriété en termes de santé, de confort de vie et d'environnement urbain. Par exemple, en réduisant la taille ou le nombre des véhicules en milieu urbain, tout en les électrifiant, il en résultera une diminution de la pression urbaine ainsi que de la pollution. Mettre en avant ces éléments positifs favorise bien plus que ne le pensent spontanément les décideurs politiques l'adhésion des citoyens aux politiques de sobriété bien conduites. »338(*)

Pour mémoire, la sobriété ne concerne pas que les particuliers. Elle est aussi un thème essentiel pour les entreprises.

La mise en place d'initiatives nouvelles, comme celle mentionnée dans l'encadré ci-dessous, est à saluer, pour mieux comprendre et accompagner le phénomène.

Création d'un observatoire multidisciplinaire de la sobriété énergétique et des pratiques d'adaptation aux crises énergétiques

Le CEA, l'Université Caen/MRSH, Mines Paris-PSL, le Dôme de Caen et l'IRTS Normandie-Caen ont signé le 30 novembre 2022 un contrat de collaboration de trois ans portant sur la mise en place de PROMETHEE, un observatoire exploratoire des pratiques d'adaptation aux crises énergétiques. Son objet est d'observer les pratiques de sobriété, de comprendre si cette sobriété est subie ou choisie, et de mieux identifier les leviers qui pourront également être actionnés prioritairement et sur le long terme pour faire face à la crise climatique.

Source : Commission d'enquête

Pour la France, dans le scénario retenu par la commission d'enquête, les gains espérés en termes de sobriété, à horizon 2030, seraient dans une fourchette de 25 TWh à 60 TWh selon l'intensité des politiques publiques menées et des résultats obtenus.

La sobriété pourrait se révéler particulièrement indispensable, pour atteindre nos objectifs climatiques, dans la période qui ira jusqu'à la mise en service du nouveau nucléaire. Par prudence, l'incertitude sur les délais de mise en service des réacteurs EPR, peut aussi conduire à compter encore sur ce levier au-delà de 2035.

Le rapporteur s'étonne que la sobriété soit à la fois avancée comme indispensable à la réussite de tous les scénarios de transition énergétique et vitale pour assurer la sécurité d'approvisionnement à moindre coût, et en même temps, un sujet peu intégré aux politiques publiques.

Le plan sobriété339(*) du Gouvernement présenté en octobre 2022, rassemble des mesures intéressantes qui ont contribué à passer la période de tension du système électrique.

La commission d'enquête regrette que ce plan, qui se voulait « la première marche de cette réduction de 40 % de notre consommation d'énergie », ne semble pas faire l'objet d'un portage dans la durée, d'un suivi plus rigoureux et d'une actualisation de ses mesures.

Il serait intéressant qu'une véritable évaluation en soit faite, que les mesures de communication grand public qu'il contient fassent l'objet de rappels réguliers et que les acteurs concernés (collectivités locales, acteurs économiques...) soient concertés pour ajuster les mesures qu'il contient.

La commission d'enquête estime que la sobriété doit devenir un élément structurant à prendre en compte dans l'action collective et pas seulement l'objet d'un plan d'urgence qui surgit en cas de tension sur le système électrique.

Le sujet doit faire l'objet d'un travail de longue haleine, avec un suivi et une évaluation spécifique.

Recommandation n° 11

Destinataire

Échéance

Support/Action

Renforcer le plan national de sobriété énergétique et mieux intégrer la sobriété comme objectif des politiques publiques en amont.

Gouvernement

(ministère chargé de l'énergie)

2024

Plan national de sobriété renforcé

3. Au croisement des efforts d'efficacité et de sobriété, l'exemple des certificats d'économies d'énergie
a) Un mécanisme complexe et peu lisible

Les Certificats d'économies d'énergie (CEE ou C2E) participent à la politique de maîtrise de la demande énergétique en France depuis 2005. Ce dispositif a été créé par les articles 14 à 17 de la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique (loi POPE). Ils financent environ la moitié de la rénovation énergétique en France.

Contrairement aux aides de l'Anah, qui sont imputées sur des crédits budgétaires, les certificats d'économie d'énergie (CEE) sont financés par les entreprises de l'énergie. Le dispositif ne passe donc pas par les comptes de l'État, ce qui est un élément vertueux qui justifie sa pérennisation.

La philosophie des CEE est de contraindre les fournisseurs d'énergie, dénommés « les obligés » à inciter leur client à améliorer leur consommation énergétique. C'est une mise en pratique du principe du pollueur-payeur. L'évolution des comportements des particuliers et des entreprises est lente à se produire. Aussi, le dispositif responsabilise les obligés pour aider ces acteurs à accélérer le processus.

Pour chacune de leurs actions oeuvrant à la réduction énergétique des bâtiments (travaux effectués, conseils apportés, diagnostics immobiliers effectués, etc.), les vendeurs d'énergie reçoivent des CEE. Ces obligés ont des quotas à respecter selon leurs volumes de ventes, les seuils étant fixés par période d'obligation de 3 ans sous peine de sanctions financières.

Les obligés sont principalement les fournisseurs d'électricité, de gaz, de chaleur et de froid (EDF, Engie, CPCU ...), les distributeurs de fioul domestique (Ecofioul, Brico Dépôt, Bricorama, ...) et les fournisseurs de carburants automobiles (Total, BP, SIPLEC, Auchan, Leclerc...). D'autres acteurs peuvent être éligibles et jouer un rôle sur le marché d'échange des CEE : les collectivités territoriales, l'agence nationale de l'habitat (Anah), les bailleurs sociaux, certaines sociétés d'économie mixte (SEM).

Concrètement les obligés ont trois options complémentaires pour réaliser leurs objectifs. Ils peuvent diminuer leurs propres consommations (bâtiments, installations, transports). Ils sont surtout incités à stimuler les économies d'énergie des non obligés (particuliers, professionnels, collectivités) en conseillant, accompagnant et finançant les travaux de rénovation énergétique. Ils peuvent aussi acheter des CEE à des particuliers ou des entreprises ou encore déléguer à un ou à plusieurs tiers une partie de leur quota à respecter, ces intermédiaires devenant à leur tour des obligés. 

Les clients ont aussi intérêt à optimiser l'efficacité énergétique de leurs bâtiments et de leurs équipements. Les ménages et les entreprises qui réalisent des travaux éligibles aux CEE touchent la prime énergie qui se matérialise sous différentes formes. Ils peuvent aussi revendre leur CEE aux obligés afin de se faire rembourser une partie du financement des travaux dans certains cas, de bénéficier d'un prêt à taux bonifié dans d'autres. Tous les travaux d'économies d'énergie ne donnent pas droit aux CEE. Il faut par exemple viser des travaux d'isolation, de chauffage écologique ou d'énergies renouvelables. Mais plus la performance des équipements utilisés et de la région climatique est élevée, plus le montant du CEE et de la prime énergie seront élevés.

Les CEE sont donc financés par les entreprises de l'énergie. Ils prennent comme référence des « opérations standardisées d'économies d'énergies », qui correspondent à des opérations couramment réalisées, pour lesquelles une valeur forfaitaire a été définie. Le catalogue des opérations standardisées le plus récent (16 mars 2023) comporte 218 fiches, et est disponible en ligne sur le site du ministère de la transition écologique.

Le dispositif des CEE s'inscrit sur une période de 3 ans pendant laquelle chaque fournisseur d'énergie doit atteindre un quota préalablement fixé par le législateur. Actuellement, ils sont à la 5ème période qui couvre les années 2022-2025. Entre chaque période de 3 ans, une période dite transitoire est dédiée au bilan et à la concertation pour le prochain CEE.

Source : ministère de la Transition écologique, site internet

Après chaque période de trois ans bouclée, les entreprises devront prouver qu'elles ont bien réalisé les travaux imposés par l'État et en faire un compte-rendu auprès du ministère de l'Énergie. En cas de non atteinte de leur objectif, les obligés sont pénalisés financièrement à hauteur de 0,02 €/ KWh Cumac340(*).

L'unité de compte des CEE est le kWh Cumac, contraction du terme cumulés (économies cumulées durant la période triennale) et actualisés (coefficient d'actualisation annuel prenant en considération la dégradation dans le temps des performances énergétiques).

Les certificats d'économies d'énergie en résumé

Source : ministère de la Transition écologique, brochure CEE341(*)

b) Une évaluation délicate

Dans son rapport sur L'impact environnemental du budget de l'État342(*), en annexe du projet de loi de finances (PLF) de 2023, le Gouvernement avance que sur leur quatrième période (2018-2021), les actions déclenchées par les CEE ont mobilisé environ 16 Md€ en 4 ans, et permettront aux consommateurs d'économiser plus de 150 Md€ sur leurs factures énergétiques (10 Md€ chaque année, soit 92 TWh, pendant 15 ans). La moitié des volumes de CEE bénéficient directement aux ménages en situation de précarité énergétique.

En réalité, il est difficile d'évaluer l'efficacité de ce dispositif. Le rapport du Sénat de juin 2023, de Dominique ESTROSI SASSONE, et Guillaume GONTARD relatif à l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique signalait, qu'en raison de la nature du dispositif « qui n'est pas une aide de l'État au même sens que MaPrimeRénov' mais une aide obligatoire des entreprises de l'énergie, il est difficile d'obtenir des chiffres agrégés récents sur les certificats d'économie d'énergie »343(*).

L'étude la plus récente de l'office national pour la rénovation énergétique (Onre) sur le sujet présente des chiffres jusqu'en 2020 tout en signalant que les données relatives aux CEE ne sont disponibles qu'avec un délai important. On constate une forte augmentation des CEE distribués en 2019 et en 2020, qui, d'après l'Onre, correspond à « un contexte de forte augmentation des objectifs quantitatifs qui encadrent ce dispositif entre les 3e et 4e périodes des CEE2. » Les gains en termes d'économie d'énergie auraient également fortement augmenté, passant de 3,1 TWh à 6,2 TWh.

Comme le mentionne le rapport du Sénat, « il faut toutefois à nouveau rappeler que les gains d'énergie formulés sont théoriques (...) Cette estimation théorique, fondée sur une modélisation technique des logements, peut toutefois différer des économies d'énergie réelles associées aux rénovations, tant pour des raisons liées à la qualité effective des travaux qu'à d'éventuels changements de comportement concernant la température ambiante après rénovation. Le ménage choisit alors de "reconvertir" une partie des gains énergétiques en gains de confort : c'est ce que l'on appelle « l'effet rebond ». Plus largement, la consommation conventionnelle peut s'éloigner de la consommation réelle, celle-ci dépendant des usages du ménage occupant » .

L'Ademe s'est aussi intéressée à l'efficacité de ce dispositif dans son rapport intitulé évaluation du dispositif des CEE en 2020344(*). Dans ce document l'agence estime ainsi que les gains d'énergies réels ne représentent que 59 % des gains d'énergie théoriques : « l'efficacité est également affectée par les problèmes de qualité, de travaux non réalisés et de surestimation des fiches (particulièrement dans le secteur résidentiel). Pour toutes ces raisons, déterminées par les enquêtes et les visites terrain sur les fiches prépondérantes, on estime ainsi qu'à 100 MWhc comptabilisés par le dispositif correspond une économie réelle de 59 MWhc. »

Le rapport de l'Ademe décompose le « manque à gagner » de 41 % de la manière suivante : 23 % en raison de la surestimation du volume forfaitaire d'économies d'énergies prévu par les fiches standardisées ; - 14 % en raison des bonifications et des programmes qui n'entraînent pas d'économie d'énergie ; - 2 % en raison des travaux non réalisés ; - 2 % en raison de la qualité insatisfaisante des travaux. Par ailleurs, l'effet rebond n'est pas intégré à ce décompte, que l'enquête estime concerner un ménage sur 10, ni l'effet d'aubaine, que le rapport chiffre à 12 % en ce qui concerne l'effet d'aubaine certain et à 20 % l'effet d'aubaine « incertain » ou « possible ».

Mesure de l'efficacité réelle du dispositif des CEE sur une base 100

Source : Ademe345(*)

Le rapport du Sénat conclut ainsi : « À partir de cette étude [de l'Ademe], on peut approximer les gains d'énergie réels à environ la moitié de ce qui est présenté dans le rapport de l'Onre c'est à 3,1 TWh en 2020 ».

Par ailleurs, le coût du CEE facturé aux obligés est variable, car il correspond à la loi de l'offre et de la demande. Les « délégataires », qui gèrent les travaux, revendent leurs CEE aux « obligés » qui sont tenus de remplir leurs quotas. Par exemple, le mégawattheure d'économie d'énergie était facturé en 2020 entre 8 ou 9 euros, contre 4,70 euros en 2017. Les obligés répercutent ces coûts dans leurs tarifs qui sont supportés par les ménages. Selon l'Ademe, ce coût s'élève à environ 100 à 150 euros par foyer, soit 3 % à 4 % de leur facture annuelle d'énergie.

Le système alimente sa propre inflation, selon l'établissement public : « Une même économie d'énergie générée par le dispositif revient, en 2019, près de 50 % plus cher à réaliser que deux ans auparavant, pointe-t-elle dans son bilan 2019. Il apparaît qu'une partie de la valeur [des CEE] est directement captée par les professionnels de la filière, notamment les délégataires. »

De plus, les CEE génèrent des effets d'aubaine car ils ne prennent pas en compte les besoins en financement des opérations soutenues et le prix d'un CEE est le même quelle que soit l'opération. Des opérations très fructueuses ne sont pas financées car l'effet de levier est faible, alors que des opérations à peu d'impact peuvent être couvertes par un financement presque intégral.

Enfin, ils ne sont pas mis en cohérence avec la planification écologique, car ils se fondent sur des fiches proposées par des acteurs privés ou des opérations spécifiques, suivant une logique de marché.

En dépit des incertitudes relatives à l'impact des CEE, la commission d'enquête estime que, sur son principe, ce dispositif est vertueux. Il est à la main des autorités nationales sans pour autant reposer sur les crédits de l'État. Il mériterait un meilleur contrôle.


* 330 Formulé par François Loos, alors ministre délégué à l'industrie, lors d'un colloque sur le lancement des certificats d'économies d'énergie le 8 novembre 2005.

* 331 Bilan prévisionnel, chapitre consommation, p. 36.

* 332 Bertrand Château, réponse au questionnaire de la commission d'enquête.

* 333 Table ronde du 1er février 2024.

* 334 L'Ademe a produit un guide gratuit et pratique pour informer sur les équipements et les usages qui consomment le plus dans un cadre domestique et propose des conseils pour réduire les consommations et donc sa facture : https://librairie.ademe.fr/cadic/7232/EXE_231127_ADEME_GuidePP_ReduireFactureElectricite_MajOct23_WEB__1_.pdf

* 335 RTE, Bilan de l'hiver 2022-2023 : des coupures d'électricité évitées grâce à la baisse de la consommation, 16 mars 2023.

* 336 Table ronde du 1er février 2024.

* 337 Table ronde du 1er février 2024.

* 338 Table ronde du 1er février 2024.

* 339 https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/dp-plan-sobriete.pdf

* 340 Le terme "cumac" correspond à la contraction de "cumulés" et "actualisés". Par exemple, le montant de kWh cumac économisé suite à l'installation d'un appareil performant d'un point de vue énergétique correspond au cumul des économies d'énergie annuelles réalisées durant la durée de vie de ce produit. Les économies d'énergie réalisées au cours de chaque année suivant la première sont actualisées en divisant par 1,04 les économies de l'année précédente (taux d'actualisation de 4 %).

* 341 https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Brochure_CEE_4p_A5_2023.pdf

* 342 Commissariat général au développement durable (CGDD) du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, direction du Budget (DB), direction de la Législation fiscale.

(DLF) et direction générale du Trésor (DGT), rattachées au ministère de l'Économie, des Finances et

de la Souveraineté industrielle et numérique (MEFSIN), rapport sur L'impact environnemental du budget de l'État , en annexe du projet de loi de finances (PLF) de 2023.

* 343 Dominique ESTROSI SASSONE, et Guillaume GONTARD, rapport du Sénat relatif à l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, juin 2023.

* 344 Ademe, rapport Évaluation du dispositif des CEE, 2020

* 345 Op. cit. page 16.

Partager cette page