B. UNE ÉNERGIE QUI CONTRIBUE À LA COMPÉTITIVITÉ ÉCONOMIQUE

Cette question s'analyse tout d'abord d'un point de vue microéconomique compte tenu de l'impact direct du prix de l'électricité sur les facteurs de production des entreprises.

Cependant, il existe aussi un débat sur l'influence macroéconomique de l'énergie sur la croissance des pays.

1. L'énergie constitue un facteur important de la compétitivité des entreprises

La récente crise des prix de l'énergie a permis de se rendre compte de l'importance que revêt l'électricité pour les entreprises, particulièrement celles soumises à la concurrence internationale.

Les entreprises peuvent être exposées à la hausse des prix de l'énergie, de façon directe et/ou indirecte. « L'exposition directe résulte de l'impact de la hausse du prix de l'énergie sur leur facture énergétique tandis que l'exposition indirecte prend en compte le renchérissement des consommations intermédiaires induit par la hausse des prix de l'énergie »254(*).

Les dépenses directes en énergie peuvent dépasser parfois plus de 15 % du chiffre d'affaires des secteurs intensifs en énergie. En ajoutant les expositions indirectes, la dépense totale peut dépasser 30% du chiffre d'affaires comme l'illustre le graphique ci-après.

Il existe aussi des secteurs comme l'industrie automobile ou l'industrie agroalimentaire, par exemple, qui consomment peu d'énergie directement (moins de 2 % de leur chiffre d'affaires) mais ont une dépense totale qui avoisine les 10 % de leur chiffre d'affaires en raison des consommations indirectes.

Dépenses énergétiques directes et indirectes rapportées au chiffre d'affaire par secteur industriel en France et en Allemagne en 2019

Source : Fabrique de l'industrie255(*)

L'impact cumulé de ces consommations est dépendant du prix de l'énergie dans d'autres pays. En effet, les consommations indirectes, dont on voit dans le graphique précédent qu'elles sont généralement plus importantes que les consommations directes, dépendent de prix de l'énergie en France et souvent d'autres pays.

D'après les auteurs d'un rapport de la Fabrique de l'industrie256(*), en France, en 2019, presque la moitié (44 %) de l'énergie nécessaire à la production d'un bien industriel est consommée dans un autre pays. Dans le cas particulier de l'électricité, cette part consommée hors du territoire national est moindre (35 %). Elle dépend donc de politiques énergétiques et de tarifications étrangères. Cette consommation indirecte d'électricité en provenance de l'étranger représentait 74 TWh en 2019, soit un volume largement supérieur aux 30 TWh importés la même année sous forme d'énergie pour satisfaire la demande en électricité.

Dépenses électrique totale des industriels français en 2019 par lieu de consommation de l'électricité

Source : Fabrique de l'industrie257(*)

Le prix de l'énergie peut avoir aussi un autre impact indirect en termes de compétitivité lié aux facteurs de production. À première vue « une hausse mondiale uniforme du prix de l'énergie affecte tout le monde de manière identique, donc n'a pas d'impact sur la compétitivité »258(*). Mais, en réalité, une variation de prix affecte le poids relatif des autres facteurs de production dans le coût final. Une hausse « réduit donc l'avantage comparatif des pays où un de ces facteurs est moins cher ». Ainsi, une hausse identique du coût de l'énergie pour deux entreprises de deux pays différents, conduit à réduire l'avantage comparatif de celle qui bénéficie d'un coût de la main d'oeuvre moindre. Par ailleurs, « une énergie plus chère augmente les coûts de transport, limitant la sensibilité des marchés nationaux à de faibles variations des coûts de production ». Enfin, « cette hausse confère un avantage à ceux qui maîtrisent les technologies de production les plus sobres, ce qui favorise les pays qui auront le plus investi dans l'efficacité énergétique de leurs procédés »259(*).

Comme nous l'avons vu précédemment, le prix de l'électricité a été un facteur important de compétitivité pour les entreprises françaises.

2. La croissance économique a besoin d'énergie
a) La relation de dépendance entre PIB et énergie

Jean Marc Jancovici, président du Shift Project, auditionné par la commission d'enquête, résumait le lien entre énergie et croissance économique ainsi : « ce qui fait fonctionner la machine industrielle mondiale, c'est avant tout l'énergie, et non avant tout le travail des hommes. Comme le tertiaire est assis sur l'industrie, et ne fonctionne pas `à côté' sans en dépendre, du coup cela signifie que l'énergie est le véritable moteur de la civilisation industrielle, bien avant nos bras et nos jambes, qui ne sont là que pour actionner des manettes et des interrupteurs, bref ce qui libère la force brute de l'énergie ! Il est donc logique que la contrepartie économique de notre production, traditionnellement mesurée par le PIB, varie comme la consommation d'énergie - c'est à dire la quantité de machines au travail - bien avant de varier comme la population - c'est à dire la quantité d'hommes au travail »260(*).

Cette dépendance de la croissance du PIB à celle de la consommation énergétique s'illustre par le graphique ci-dessous. Sur les 50 dernières années, l'économie mondiale (hors inflation) a crû en moyenne de 3,7 % par an et l'énergie consommée a crû en volume de 2,6 % par an. Leur corrélation apparait explicite.

Lien entre croissance du PIB mondial et de la consommation mondiale d'énergie primaire

Source : La revue de l'énergie261(*)

La littérature économique nomme « Energy-GDP elasticity » ou élasticité du PIB par rapport à l'énergie, cette corrélation entre énergie disponible et PIB.

Gaël Giraud, chef économiste à l'Agence française de développement et directeur de la chaire « énergie et prospérité » (ENS, X, ENSAE), précise que « pour désigner et évaluer cette dépendance, les économistes parlent plutôt d'élasticité du PIB par rapport à l'énergie : la plupart l'estiment voisine de 8-10 %. Pourtant, l'analyse de séries temporelles longues de consommation d'énergie primaire sur une trentaine de pays montre qu'en fait elle est durablement et structurellement proche de 60-70 %. Pour être plus précis, lorsque la consommation d'énergie primaire augmente de 10 %, le PIB tend à croître de 6-7 % en moyenne, avec éventuellement un retard pouvant aller jusqu'à dix-huit mois. »262(*)

Ces éléments sont confirmés par des études plus précises, comme celle des économistes Paul J. Burke et Zsuzsanna Csereklyei263(*), qui démontrent que lorsque la consommation d'énergie primaire augmente de 10 %, le PIB tend à croître de 6 à 7 % en moyenne.

La thèse du découplage

Cette dépendance historique entre croissance de la consommation d'énergie primaire et croissance du PIB ne traduit pas, pour certains économistes, une fatalité pour l'avenir.

Les tenants de la thèse du « découplage » considèrent qu'il est possible de poursuivre une croissance économique, qui se traduira par une hausse du PIB, mais en consommant moins de ressources et en ayant moins d'impact environnementaux négatifs264(*). Cette « croissance verte » serait notamment permise grâce à de très importants gains en termes d'efficacité énergétique.

Dans les faits, certains éléments semblent donner raison à cette analyse. La hausse de la consommation finale d'énergie a été limitée à 8 % entre 1992 et 2019, malgré une hausse du PIB de 55 % entre temps. Depuis 2001, la consommation a entamé une tendance baissière toujours en cours, à rebours de la croissance du PIB. Pour l'électricité, entre 2001 et 2019, la consommation n'a cru que de 6 %, alors que le PIB croissait de 25 %.

Pour autant, cette thèse reste critiquée sur deux points.

D'une part, il existe un « effet rebond ». L'amélioration de la productivité matérielle de l'économie conduit souvent à un accroissement des volumes de ressources naturelles consommées. Pierre Veltz dans son ouvrage L'économie désirable264(*), relevait qu'en 1960 il fallait 85g d'aluminium pour produire une canette, contre 10 grammes aujourd'hui. Pourtant, dans la même période, la consommation d'aluminium pour la production de canettes a augmenté de 50 % face à la généralisation de leur utilisation.

D'autre part, la consommation des ressources associées à la production, dont l'énergie, se déplace vers d'autres pays. Concrètement, depuis les années 2000, des activités industrielles ont été délocalisées, entrainant un certain découplage dans les pays riches. Mais ce découplage serait plus apparent que réel. PIB et consommation d'énergie semblent bien rester très liés lorsque sont analysées les données agrégées à l'échelle mondiale.

Source : Commission d'enquête

b) La nécessaire extinction de l'utilisation des énergies fossiles implique de renforcer le rôle de l'électricité

En France, ce lien entre consommation énergétique et PIB est particulièrement marqué par le rôle de l'électricité.

Dans la branche de l'énergie265(*), l'électricité est une énergie qui contribue très majoritairement au PIB, comme l'illustre le graphique ci-dessous. Autrement, dit, dans notre pays le lien entre énergie et croissance est avant tout un lien entre électricité et croissance.

Contribution de la branche énergie au PIB et à l'emploi intérieur en % de la valeur ajoutée brute à prix courants et de l'emploi intérieur en équivalent temps plein

Source : SDES266(*)

Si l'énergie fossile doit quasiment disparaitre de nos consommations, cela revient à considérer que l'électricité tiendra un rôle encore plus essentiel dans la croissance du PIB de demain. Comme le résume l'économiste Gaël Giraud : « si la prospérité économique d'un pays comme la France dépend de manière cruciale de son aptitude à consommer de l'énergie (...) alors il devient vital d'engager une transition énergétique. »267(*)

Même si croissance de la consommation énergétique et croissance du PIB suivent globalement une courbe identique, il convient d'être prudent puisque beaucoup d'autres variables ont aussi une influence sur le PIB. De même, les innovations technologiques et l'efficacité énergétique qui en résulte peuvent conduire à produire plus avec moins d'énergie ou à permettre des usages étendus pour moins d'énergie consommée.

Pour terminer sur les impacts macroéconomiques de l'électricité, il convient de rappeler que, selon sa provenance, elle pèse également sur la balance commerciale. En France, la facture des énergies fossiles (pétrole, gaz) constitue aujourd'hui le premier poste du déficit commercial du pays. Se passer de ces intrants et exporter de l'électricité grâce à un parc dimensionné à cet effet est une plus-value pour notre balance commerciale.


* 254 Théma de la DGE, Quelle incidence de la hausse des prix de l'énergie sur l'industrie ?, septembre 2023.

* 255 Rapport de la Fabrique de l'industrie, 2022, « L'industrie face aux prix de l'énergie Les marchés européens sont-ils en défaut ? » https://www.la-fabrique.fr/wp-content/uploads/2022/11/n42-industrie-face-aux-prix-de-l-energie_web.pdf

* 256 Op. cit.

* 257 Op. cit.

* 258 Mathieu Bordigoni, l'impact du coût de l'énergie sur la compétitivité de l'industrie manufacturière, 2013.

* 259 Opt cit.

* 260 Jean-Marc Jancovici, « L'énergie, de quoi s'agit-il exactement ? », blog jancovici.com, 1er août 2011, https://jancovici.com/transition-energetique/l-energie-et-nous/lenergie-de-quoi-sagit-il-exactement/

* 261 Julien Deleuze, énergie et croissance, La Revue de l'Énergie n° 635, décembre 2017.

* 262 Interview « la croissance une affaire d'énergie », Le journal du CNRS, 2015, disponible sur ce lien : https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-croissance-une-affaire-denergie

* 263 Burke, Paul J., et Csereklyei, Zsuzsanna, « Understanding the Energy-GDP Elasticity: A Sectoral Approach », CAMA Working Paper No. 45/2016.

* 31 Clément Ramos, et Justine Mossé, , Découplage et croissance verte, Carbone 4, septembre 2021. Les auteurs définissent le découplage comme « la possibilité d'une croissance économique, mesurée par une hausse du PIB, qui a lieu avec une baisse simultanée des consommations de ressources et des impacts environnementaux ».

* 264 Pierre Veltz, L'économie désirable, 2021.

* 265 Branche énergie au sens de l'Insee, incluant les activités raffinage et cokéfaction d'une part, la production et distribution d'électricité, de gaz, de vapeur et d'air conditionné d'autre part. Elle n'inclut pas l'extraction de matières premières énergétiques. Source : Insee, Comptes nationaux base 2014.

* 266 SDES, Bilan énergétique de la France 2023, p. 10.

* 267 Interview « la croissance une affaire d'énergie », op. cit.

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