II. L'ÉLECTRICITÉ EST UN ENJEU ÉCOLOGIQUE, ÉCONOMIQUE ET DE SOUVERAINETE

Dans une dimension avant tout idéologique, le débat énergétique en France s'est longtemps cristallisé sur les questions de mix avec l'opposition nucléaire / renouvelable. Il est désormais concentré sur la dépendance, beaucoup plus forte et problématique, aux énergies fossiles. En effet, 60 % de l'énergie consommée en France est d'origine fossile qui est quasi-intégralement importée.

Projeter une progression de la demande électrique est une perspective positive pour la réduction de notre empreinte carbone, pour la compétitivité de nos entreprises et plus généralement notre économie, ainsi que pour renforcer notre souveraineté.

A. UNE ÉNERGIE QUI PEUT ÊTRE DÉCARBONÉE

La production d'électricité est assurée par des centrales électriques utilisant différentes sources d'énergie primaire.

Ces énergies primaires sont toutes d'origine naturelle : elles comprennent les énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) et les énergies faiblement carbonées (nucléaire, énergies renouvelables) qui émettent peu ou pas de COdans l'atmosphère.

L'impact carbone de l'électricité dépend donc directement de l'énergie utilisée pour assurer sa production.

1. L'électricité peut être décarbonée

Il existe plusieurs manières de produire de l'électricité dite « décarbonée » car produite sans émissions significatives de gaz à effet de serre (GES).

Le tableau suivant illustre l'intensité carbone des différentes sources d'énergie qui peuvent concourir à fabriquer de l'électricité. Il s'agit de chiffres fournis par l'Ademe, mais chaque institution dispose de ses propres estimations.

Comparaison de l'intensité carbone des différentes sources d'énergie

(gCO2e/kwh)

Source : réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête, données Ademe240(*)

Pour illustrer l'impact COde l'énergie utilisée par des exemples concrets, il est possible de rappeler que remplacer une chaudière à gaz, même à condensation, par une pompe à chaleur réduit les émissions annuelles par un facteur supérieur à 5 ; remplacer une cuisinière à gaz par une cuisinière à induction réduit les émissions annuelles d'un facteur de plus de 6 ; remplacer un véhicule à moteur thermique par un véhicule électrique divise par environ 2,5 l'énergie consommée en déplacement et par 2 à 3 les émissions induites suivant les batteries.

Combien de CO2 émet le nucléaire français ? Des estimations variables mais qui convergent toutes vers la réalité d'une électricité décarbonée

Le GIEC considère que, à l'échelle du monde, le nucléaire émet 12 g eq CO2/kWh. L'Ademe, dans les chiffres présentés précédemment, estime que c'est la moitié, soit 6 g eq CO2/kWh.

EDF a réalisé une étude récente sur le parc nucléaire en exploitation, en suivant une méthodologie normée. L'étude « analyse du cycle de vie »241(*) a fait l'objet d'une revue critique par un panel d'experts indépendants. Ces experts considèrent « que les résultats apportés répondent de façon adéquate et crédible aux objectifs mentionnés et qu'ils ont été établis dans le respect des normes mentionnées ».

Cette étude porte non seulement sur le critère changement climatique, mais également sur 9 autres critères de l'impact environnemental, afin d'apprécier non seulement les transferts entre étape du cycle de vie, mais également entre critères.

Le résultat est que le parc nucléaire français d'EDF émet 4 g équivalent CO2. Les phases amont du cycle (57 %) apparaissent majoritaires : L'étape « production » représente 28 % de l'indicateur changement climatique du cycle. La construction représente 16 % de l'indicateur. Les principaux contributeurs sont le ciment (6 %), l'acier non allié (3 %) et le fer à béton (2 %). Le démantèlement ultérieur ne représente qu'une part marginale : 3 %. L'exploitation représente quant à elle 9 %.

Source : Commission d'enquête

Substituer l'électricité à l'utilisation des combustibles fossiles permet d'éteindre progressivement les émissions de gaz à effet de serre à condition bien sûr que cette électricité soit produite de façon décarbonée.

Elle doit également ne pas être produite avec des énergies non ou faiblement carbonée qui pourraient être utilisées directement avec une meilleure efficacité d'ensemble. Ainsi, l'énergie solaire, la biomasse242(*), la géothermie, les déchets (via le chauffage urbain), le biogaz, peuvent être utilisés pour des usages thermiques à basse température (eau chaude et chauffage, soit 30 % environ de la consommation totale d'énergie) sans passer par l'électrification. Le projet de PPE 3 (2024-2035) mis en consultation à la fin 2023 prévoit une augmentation de la consommation de chaleur renouvelable et de récupération (ENR&R) de 183 TWh en 2021 jusqu'à 419 TWh en 2035 avec la ventilation précisée dans le graphique ci-après.

Source : DGEC, réponse aux questionnaires de la commission d'enquête

Il est à noter que la source de production sollicitée pour produire de l'énergie dépend également du moment où cette énergie est consommée (voir encadré).

Qu'est-ce qu'une heure décarbonée ?

Observé heure par heure sous l'angle de sa production de carbone, le système électrique français peut pratiquement tout le temps être qualifié de « bas-carbone ». Seuls quelques pics d'intensité carbone interviennent pour satisfaire la demande. Il s'agit notamment des situations ou la France est contrainte d'importer de l'électricité de ses voisins qui peut être très carbonée car produite avec du charbon ou du gaz.

RTE mesure ces valeurs en calculant l'intensité carbone de la consommation. « Les trois-quarts du temps, l'intensité carbone en émissions directes de la production française est inférieure à 40 gCO2eq/kWh ; un quart du temps, elle est même inférieure à 20 gCO2eq/kWh, une valeur particulièrement faible. Sur le quart du temps où l'intensité est la plus élevée, celle-ci se situe entre 40 et 80 gCO2eq/kWh, une plage relativement élevée pour le système électrique français, mais qui reste tout de même faible par rapport à l'intensité moyenne de la production dans d'autres pays comparables. Enfin, l'intensité carbone de la production d'électricité en France ne dépasse que très rarement les 80 gCO2eq/kWh (moins de 0,3 % du temps, soit 30 heures dans l'année) ; au périmètre consommation, l'intensité en émissions directes dépasse moins de 0,3 % du temps la valeur de 120 gCO2eq/kWh ; ces valeurs peuvent être mises en regard, par exemple, de l'intensité d'un parc de production qui serait entièrement composé des centrales au gaz les plus efficaces, soit 331 gCO2eq/kWh. Ainsi, même lors des heures de forte consommation, où la production est la plus carbonée et le recours aux importations élevé, la production décarbonée représente un socle important de la production ».243(*)

C'est ce qui conduit à la mise en place de systèmes pour inciter les consommateurs à privilégier leur consommation dans les heures à faible intensité carbone tels que l'application Écowatt évoquée précédemment.

Source : Commission d'enquête

2. Le système électrique français est largement décarboné

Cette question s'analyse, comme le résume le schéma ci-dessous, d'un double point de vue.

D'une part, les émissions de gaz à effet de serre liées au système électrique français peuvent être évaluées selon les périmètres de la production ou de la consommation d'électricité. Cette distinction est analogue à la distinction entre émissions territoriales (production) et empreinte carbone (consommation).

D'autre part, il est aussi possible de distinguer les émissions directes des émissions sur le cycle de vie.

Synthèse des notions mises en jeu dans le calcul des émissions de gaz à effet de serre liées à l'électricité

Source : RTE244(*)

a) Les émissions liées à la production

L'intensité carbone relative à la production d'électricité peut être calculée de deux manières. En ne retenant que les émissions directement produites lors du processus de production de l'électricité ou en intégrant les émissions indirectes liées au cycle de vie des installations de production.

(1) Les émissions directes

Dans son Bilan électrique 2023, RTE souligne que les émissions de gaz à effet de serre du système électrique français ont atteint 16,1 MtCO2eq245(*) ce qui constitue « leur niveau le plus faible depuis le début des années 1950 ». Elles sont également parmi les plus faibles d'Europe.

L'intensité carbone de la production d'électricité française est également au plus bas : elle a été de 32 gCO2eq246(*) par kilowattheure produit sur l'année 2023. Les émissions sont essentiellement dues au fonctionnement des centrales au gaz (voir ci-dessous).

Émissions directes de gaz à effet de serre liées à la production d'électricité en France (axe de gauche) et intensité en émissions de la production d'électricité française (axe de droite) entre 2017 et 2023

Source : RTE247(*)

La baisse constatée en 2023 a été permise grâce à la baisse de la consommation et à l'amélioration de la disponibilité des moyens de production bas-carbone : amélioration de la disponibilité du parc nucléaire français et de la production hydraulique, volumes historiquement élevés de production éolienne et solaire.

(2) Les émissions indirectes

Il est aussi possible d'inclure dans ce calcul toutes les émissions liées au cycle de vie des installations de production : extraction, transport des combustibles et des matières premières ou des équipements, construction des infrastructures. À titre d'exemple, les sources de production renouvelables qui n'entrainent presque pas d'émissions directes génèrent pour autant des émissions indirectes.

En tenant compte des émissions liées au cycle de vie, les émissions liées à la production d'électricité en France ont atteint 22,6 MtCO2eq en 2023, ce qui reste faible. Tout comme les émissions directes, les émissions sur le cycle de vie restent très inférieures en France par rapport à celles des autres pays européens.

À souligner que, malgré une part croissante dans le mix, la contribution cumulée de l'éolien, du solaire et de l'hydraulique aux émissions sur le cycle de vie de la production d'électricité reste très faible. Elles ont représenté en 2023 moins de 10 % des émissions totales sur le cycle de vie liées à la production d'électricité en France (2,1 MtCO2eq) et moins de 0,5 % de l'empreinte carbone du pays.

b) Les émissions liées à la consommation d'électricité

Elles correspondent donc « aux émissions de la production française desquelles ont été retranchées les émissions liées aux exportations, et auxquelles ont été ajoutées celles liées aux importations » explique RTE dans son Bilan électrique 2023 qui précise que « en moyenne plus de 60 % des importations françaises sont décarbonées ».248(*)

Ainsi, en 2023, les émissions directes au périmètre de la consommation se sont élevées à 15,3 MtCO2eq. Si l'on prend en compte toutes les émissions sur le cycle de vie, la consommation d'électricité en France a émis 21 MtCO2eq en 2023.

Émission de gaz à effet de serre liées à la consommation d'électricité en France entre 2017 et 2023

Source : SDES249(*)

Compte tenu du fait que la France est majoritairement exportatrice, malgré le recours ponctuel aux importations pour couvrir les périodes de forte consommation en hiver, ou pour tirer profit de la forte production renouvelable à l'étranger, les émissions liées aux importations sont « tout à fait marginales » selon RTE. Ainsi, en 2023, les importations n'ont représenté que 5 % des émissions liées à la consommation d'électricité en France, soit moins de 1 MtCO2eq.

À noter également que les exportations d'électricité de la France, largement bas-carbone, contribuent non seulement à la performance carbone du système électrique national, mais également à celles des autres pays avec lesquels la France est interconnectée. RTE estime que depuis 2017, les exportations d'électricité françaises ont permis d'éviter l'émission de près de 150 MtCO2eq en Europe, dont la moitié en Italie.

En synthèse, le mix électrique français est donc très largement décarboné, à hauteur de 92 % selon RTE. Les émissions de gaz à effet de serre du système électrique français pèsent moins de 5 % dans le bilan carbone national250(*) alors que le système électrique représente plus d'un quart de la consommation finale d'énergie.

Cette décarbonation singularise la France en Europe comme l'illustre le graphique et la carte ci-dessous.

Notre pays émet ainsi près de 3 fois moins de COpour produire 1 kWh qu'au Royaume-Uni, 4 fois moins qu'en Italie et 5 fois moins qu'en Allemagne qui présente un des mix électriques les plus carbonés d'Europe. Les émissions du système électrique pèsent 21 % dans le bilan carbone en moyenne dans les pays de l'Union européenne.

Émissions de COpour produire 1 kWh d'électricité dans l'UE

Source : SDES, Bilan énergétique de la France 251(*)

Impact sur le climat par zone

Classé par intensité carbone de l'électricité consommée (gCO2eq/kWh)

Source : Electricity maps252(*)

3. Une énergie aux propriétés physiques avantageuses

Si l'électricité n'est pas la seule énergie décarbonée253(*) ses propriétés physiques lui confèrent de nombreux avantages.

L'électricité est un vecteur énergétique polyvalent et flexible :

- il peut provenir de multiples sources : hydraulique, éolien, nucléaire, photovoltaïque, électrochimie, chaleur... ;

- il peut être produit avec un niveau d'émission de CO2 très faible comme nous l'avons rappelé ;

- il est transportable sur de grandes distances, sans difficulté technique majeure, pour des pertes relativement limitées ;

- il circule avec une très grande vitesse. Dans un fil de cuivre par exemple, le signal électrique se déplace à une vitesse proche de celle de la lumière dans le vide (300 000 Km/s) ;

- il est distribué et accessible grâce au réseau électrique en permanence, pour une qualité égale pour tous, quel que soit sa source de production, ou son lieu de consommation ;

- il est utilisable pour pratiquement tous types d'usages : domestiques, industriels, transport et mobilité, numérique... ;

- il se transforme facilement en un autre vecteur : hydrogène, chaleur, etc. Avec des procédés qui sont connus même s'ils continuent d'évoluer pour plus d'efficacité.


* 240 https://base-empreinte.ademe.fr/donnees/jeu-donnees

* 241 https://www.edf.fr/groupe-edf/produire-une-energie-respectueuse-du-climat/lenergie-nucleaire/notre-vision/analyse-cycle-de-vie-du-kwh-nucleaire-dedf#:~:text=4 %20g %20de %20CO %E2 %82 %82 %20par,Analyse %20du %20cycle %20de %20vie %20 %C2 %BB.

* 242 S'agissant de la biomasse et de la méthanisation, le Sénat a publié le rapport de la mission d'information sur La méthanisation dans le mix énergétique : enjeux et impacts, septembre 2021.

* 243 RTE, Bilan électrique 2023.

* 244 Bilan électrique 2023, p. 95.

* 245 Ibid.

* 246 MtCO2eq : l'unité MtCO2eq signifie millions de tonnes en équivalent CO2 ; c'est-à-dire la quantité de dioxyde de carbone (CO2) qui aurait la même capacité à retenir le rayonnement solaire qu'une quantité donnée d'un autre gaz à effet de serre.

* 247 Bilan électrique 2023, page 94.

* 248 RTE, Bilan électrique 2023, p. 96.

* 249 Source : SDES, Bilan énergétique de la France 2023.

* 250 CITEPA, Rapport Secten 2023 ; European Environment Agency ; Eurostat ; ENTSO-E ; calculs : RTE et European Environmental Agency.

* 251 https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-du-climat-2022/10-emissions-de-ges-de-lindustrie

* 252 https://app.electricitymaps.com/map

* 253 Existent aussi, la biomasse, la géothermie, l'énergie solaire sous forme thermique...

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