D. QUAND L'ÉLECTRICITÉ EST-ELLE CONSOMMÉE ?

La consommation d'électricité fluctue au cours du temps, en fonction du cycle des saisons et des températures ainsi que des besoins liés au rythme des activités économiques et domestiques. La combinaison de ces facteurs fait qu'elle est structurellement plus élevée le jour que la nuit, en jours ouvrés qu'en week-end, en hiver qu'en été.

1. La consommation électrique est sujette à de nombreuses fluctuations

Les appels de puissance lié à l'activité présentent un profil cyclique similaire sur l'ensemble des jours ouvrés. La montée de charge à partir de 6 h, liée à la reprise d'activité, conduit à la formation d'un « plateau du matin » constitué d'une succession de pointes : résidentielle autour de 8 h-9 h (surtout l'hiver), puis tertiaire autour de 10 h-11 h, et à nouveau résidentielle autour de 12 h. Un rebond en fin d'après-midi signe une reprise de la consommation résidentielle.

La première série de graphiques illustre deux profils journaliers de puissance de la consommation, un en été, un en hiver. La seconde illustre, l'évolution de la consommation hebdomadaire rapportée à chaque mois de l'année.

Profil journalier de puissance de la consommation par usages aujourd'hui

Source : RTE 198(*)

Profil mensuel de puissance de la consommation sur une année

Source : RTE, site internet

Le système électrique français se caractérise par une forte thermosensibilité induite par le chauffage électrique. RTE indique dans les Futurs énergétiques 2050, qu'en hiver, en dessous de 15°C, une baisse de la température de 1°C conduit à une augmentation de l'ordre de 2 400 MW de la consommation199(*) comme illustré sur ce graphique.

Appel de puissance moyen du chauffage en fonction de la température lissée

Source : RTE 200(*)

2. Les niveaux de consommation les plus élevés et la pointe

Les niveaux de consommation les plus élevés en 2023 ont été concentrés sur dix-sept journées, principalement sur fin janvier.

Nombre de jours différents pendant lesquels les niveaux de consommation demi-horaires font partie des 1 % les plus élevés de l'année

Lecture des données : le graphique représente le nombre de jours différents pendant lesquels s'observent les demi-heures ayant un niveau de consommation supérieur à 99 % de l'ensemble des demi-heures lors de chacune des années. Par exemple, les demi-heures ayant les niveaux de consommation électrique les plus élevée de l'année 2023 se sont produites lors de 17 jours différents. La couleur des histogrammes représente le nombre de jours consécutifs. Par exemple en 2023, les niveaux de consommations électriques les plus élevées sont été observés sur 17 jours différents dont un bloc de six jours consécutifs, un bloc de quatre jours consécutifs, deux blocs de trois jours consécutifs et un jour isolé.

Source : RTE201(*)

La pointe de consommation annuelle correspond au pic de consommation atteint en France. Les besoins du système électrique risquent d'atteindre des niveaux de pointe dans deux types de situation : les périodes de tension relativement courtes de quelques heures telles que la pointe du matin ou du soir, particulièrement lors d'un épisode froid ; les périodes plus longues de l'ordre de plusieurs jours ou semaines liés à la combinaison d'une vague de froid et d'un phénomène anticyclonique conduisant à une faible production solaire et éolienne sur une partie de l'Europe.

La pointe électrique a cru environ 2,5 fois plus rapidement que la croissance de la consommation depuis les années 2000. Depuis 2015, les deux courbes sont proches.

La pointe de consommation de 2023 a été de 84,2 GW atteinte le lundi 23 janvier 2023 à 19h202(*). Ce niveau est resté similaire à ceux des années précédentes et est dans la moyenne des 20 dernières années. Le record historique de consommation de la France remonte à la vague de froid de début 2012, avec une pointe montée à 102,98 GW le 8 février à 19h00.

Évolution des pics de consommation d'électricité en France entre 1990 et 2023 

Source : RTE 203(*)

3. L'enjeu du développement de l'information sur les moments propices d'utilisation

Connaître sa consommation d'électricité permet de mieux adapter cette dernière dans le temps. C'est pour cette raison que plusieurs outils ont été développés ces dernières années. RTE déploie d'ailleurs le slogan suivant : « comprendre l'électricité, c'est déjà mieux la consommer ».

À cette fin, plusieurs outils ont été développés ces dernières années. Il s'agit essentiellement d'outils de datavisualisation des données de consommation. Ils ont une vocation pédagogique d'information.

EcoWatt est un service numérique gratuit qui délivre une « météo de l'électricité » en temps réel fonctionnant avec un code couleur. Le code vert signifie qu'il est possible de garder une « consommation normale ». Le code orange indique que le système électrique est « tendu » et que « les écogestes sont les bienvenus ». Le code rouge correspond à un système électrique « très tendu » ou la baisse de consommation est attendue pour éviter que les coupures soient « inévitables ». L'application donne cette « météo » de l'électricité sur quatre jours ce qui permet d'être alerté par exemple sur l'arrivée d'un jour rouge. EcoWatt envoie un SMS aux inscrits sur sa plateforme afin de les inciter à réduire leur consommation. Ce service a été développé par RTE, Enedis et l'Agence de la transition écologique (Ademe) et soutenu par le ministère de la transition écologique. D'abord déployé en Bretagne, en PACA, en Normandie et en Île-de-France, régions historiquement concernées par la sécurité d'alimentation en électricité, Écowatt a été étendu à l'ensemble de la France en 2020. De nombreuses collectivités ou grandes entreprises ont déjà rejoint le dispositif et mobilisent leurs salariés ou administrés.

L'appli Eco2mix est une application de suivi de production et de consommation d'électricité en France. Plus de 15 millions de données sont compilées afin de pouvoir synthétiser et délivrer une information précise. Cette deuxième application de RTE entre plus dans le détail de la consommation nationale, mais aussi régionale et même par métropole. L'utilisateur peut moduler et choisir les régions qu'il souhaite voir en priorité et une carte permet de comparer la production, la consommation et le flux de chaque région, grâce à une carte interactive. L'application permet aussi de connaître en temps réel la production d'électricité par filière (nucléaire, solaire, charbon...), ainsi que les émissions de CO2.

Wattris est un outil pour mieux comprendre et piloter sa consommation d'électricité. Développé par RTE en partenariat avec l'Ademe, cet outil invite les particuliers à consommer l'électricité aux meilleures heures. Il simule la consommation d'électricité d'un ménage et les gestes permettant de réduire leur facture d'énergie.

Trois applications complémentaires ?

Ces applications visent le même objectif, à savoir améliorer la compréhension et le pilotage de sa consommation d'électricité afin d'éviter les tensions sur le réseau et de réduire sa facture. Elles se veulent complémentaires :

Eco2mix aide à mieux comprendre la consommation d'électricité en donnant des informations très détaillés sur les consommations par appareils ou encore les émissions de CO2 générées, ou aussi les prix spot.

Ecowatt est beaucoup plus simple, car il permet de s'informer en temps réel du rapport entre la consommation et la production sur le réseau. L'application envoie trois signaux d'alertes faciles à interpréter : vert, orange et rouge.

Wattris informe concrètement des ordres de grandeur sur l'appel de puissance de 25 appareils de son foyer alimentés avec de l'électricité (plaques de cuisson, ballon d'eau chaude, lave-linge, chargeur de portable, etc.). L'utilisateur peut alors prendre conscience de ses sources de consommation électrique. Si Écowatt lui indique quand moduler sa consommation, Wattris lui précise les ordres de grandeur de la consommation de chaque appareil.

Source : Commission d'enquête

Ces applications jouent désormais un rôle dans la modulation de la consommation : à titre d'exemple, le site internet d'EcoWatt indique que suite à l'alerte lancée par RTE, 800 MW ont été économisés à la pointe de consommation le lundi 4 avril 2022 grâce à la mobilisation des Français, ce qui correspond à deux fois la consommation d'une ville comme Montpellier.

Ces applications participent à l'effacement « comportemental » qui se matérialise souvent par un environnement ludique, peu contraignant, sous forme de challenges et qui met en avant le rôle actif du consommateur engagé. Ce type de dispositif mobilise à peu de frais et rapidement des millions de consommateurs sur la thématique de la flexibilité.

Il présente cependant une limite importante. Il n'a pas la capacité de mobiliser la majorité du gisement de flexibilité chez un consommateur : absence d'automatisation impliquant une répétition des gestes individuels, limite dans le nombre de sollicitations du consommateur, etc.

4. Les données de consommation sous-exploitées
a) L'exploitation de ces données présente plusieurs intérêts

L'utilisation de données de consommation présente un bénéficie direct pour le consommateur résidentiel. Il peut mieux connaître son profil de consommation et donc retenir les offres tarifaires les plus adaptées à ses besoins. Ce sont ces données qui lui permettent, par exemple, d'arbitrer entre l'offre de « base » et une offre « heures pleines/heures creuses » ou encore d'ajuster sa souscription de puissance. Ces données collectées permettent également de comprendre sa consommation, d'identifier les sources de forte consommation, voire les dysfonctionnements de certains appareils.

Au-delà d'une vision statique cette connaissance des données est un préalable à un pilotage de sa consommation pour l'optimiser et réaliser des économies. Ce pilotage se réalise directement ou avec l'aide d'un tiers. Il permet par exemple de pratiquer les effacements d'énergie ou la programmation de recharges comme celle des ballons d'eau-chaude. Les opérations sont en quelque sorte programmées par des technologies nouvelles qui permettent d'envoyer automatiquement des ordres d'effacement chez les particuliers volontaires. Cette connaissance de la consommation permet aussi en dynamique d'éclairer les décisions d'investissement : isolation de son logement, changement de système de chauffage, anticipation de mesures d'entretien ou de remplacement de matériel...

L'utilisation de données de consommation présente également un bénéfice pour le système énergétique. Un pilotage fin de la demande renforce la flexibilité du système énergétique. Cette flexibilité est d'autant plus importante que l'augmentation de la part des ENR variables dans la production électrique la rend progressivement de plus en plus nécessaire. En complément d'un lissage des pics de consommation grâce au pilotage par la donnée, il devient possible de placer la consommation de certains équipements sur les plages ou les ENR produisent - le midi et l'après-midi par exemple s'agissant de l'énergie solaire - afin de s'ajuster aux capacités de production à ce moment-là. La donnée prend également tout son sens avec le développement de certains appareils électriques, comme les batteries, qui permettent de stoker à certains moments ou le système électrique le permet et de redéployer cette capacité stockée soit vers les besoins du domicile, soit dans le réseau au moment des pics de consommation. Aussi, la connaissance précise des profils de consommation permet de développer des offres et services innovants.

Enfin, ces données, agrégées au niveau d'un territoire, ont du sens pour les collectivités qui sont de plus en plus impliquées dans la mise en oeuvre de la politique énergétique nationale. Connaître les données de consommation de son territoire et l'agrégation anonymisée des données de ses administrés permet de construire des politiques adaptées en termes de lutte contre la précarité énergétique, de développement de filières locales de production, de mobilité durable ou encore de rénovation thermique par exemple.

En complément de ces données relatives à la consommation, les données relatives aux réseaux sont aussi utiles pour accroître la sécurité du système électrique. Les réseaux électriques intelligents, ou smart grid en anglais, se caractérisent par le fait de favoriser la circulation d'information entre les fournisseurs et les consommateurs afin d'ajuster le flux d'électricité en temps réel et d'en permettre une gestion efficiente. Une étude récente204(*) estimait que leur développement entraînerait des gains de l'ordre de 400 millions d'euros par an pour la collectivité.

L'intérêt d'enregistrer ces données de consommation

Les données fines de consommation rendues disponibles par les compteurs évolués peuvent permettre la fourniture de nouveaux services aux consommateurs, tels que :

- l'analyse de la consommation et la comparaison avec des clients similaires pour évaluer les pistes de maitrise de la consommation ;

- la recommandation d'offres de fournitures adaptées au client au regard de ses habitudes de consommation ;

- une meilleure prise de conscience par les consommateurs de l'énergie nécessaire à leurs différents usages ;

- des offres de fournitures innovantes valorisant la flexibilité des consommateurs, par exemple pour le pilotage de la recharge des véhicules électriques ;

- la valorisation de la sobriété des consommateurs grâce à des bonus récompensant les économies d'énergie ;

- la valorisation de la flexibilité des consommateurs grâce à des effacements explicites, indépendants de l'offre de fourniture ;

- la participation à des opérations d'autoconsommation collective.

Cette liste n'est pas exhaustive et l'émergence de nouveaux services est toujours possible.

Source : réponse de la CRE au questionnaire de la commission d'enquête

b) Les compteurs dit « intelligents » sont paramétrés pour relever finement les informations relatives à la consommation

Les compteurs dit « intelligents », également appelés « communicants » ou « de nouvelle génération », de type Linky, sont un volet important de la politique énergétique européenne.

Dans le cadre de la libéralisation du marché européen de l'énergie, trois ensembles législatifs ont été adoptés entre 1996 et 2009.

Dans le cadre du troisième paquet énergie, deux directives européennes sur le gaz et l'électricité (2009/72/CE et 2009/73/CE) incluent une obligation pour les États membres d'établir un calendrier pour un déploiement progressif de compteurs dits intelligents. L'objectif affiché était d'équiper au moins 80 % des consommateurs d'ici à 2020 pour les compteurs électriques.

La directive 2002/91/CE sur la performance énergétique des bâtiments prévoit que les États membres élaborent un plan national pour l'installation de compteurs intelligents.

Enfin, la directive 2012/27/UE relative à l'efficacité énergétique soutient le développement de services énergétiques fondés sur des données provenant de compteurs intelligents.

Où en sommes-nous en Europe et en France dans le déploiement de compteurs intelligents ?

La version 2024 de l'étude de référence du marché européen des compteurs intelligents205(*) relate que fin 2023, plus de 60 % des clients d'électricité de l'Union européenne disposaient d'un compteur de ce type. Le marché devrait connaître une croissance stable avec un total de plus de 88 millions d'unités supplémentaires qui devraient être déployées entre 2024 et 2028. Le taux de pénétration sera de 78 % d'ici 2028. Elle inclut le déploiement de compteurs intelligents de première génération en Europe centrale et orientale ainsi qu'en Europe du Sud-Est et d'équipements de comptage intelligent de deuxième génération en Italie, dans les pays nordiques, en Espagne et aux Pays-Bas.

L'installation du compteur Linky est généralisée en France depuis décembre 2015. On dénombre sur le territoire desservi par Enedis (95 % du territoire métropolitain) 37 millions de compteurs Linky (94,1 % du parc) et 2,3 millions de compteurs anciens à résorber avant fin 2024. À noter que l'équivalent pour le gaz naturel, Gazpar, a été déployé par  GRDF depuis 2017 et plus de 11 millions de compteurs sont déployés actuellement.

Source : Commission d'enquête

En réalité, ces compteurs n'ont rien d'intelligent : ils ne font que transmettre les informations affichées et sont directement connectés aux bases de données des fournisseurs d'énergie (voir l'encadré sur leur potentiel).

Quelles sont les réelles potentialités du compteur évolué Linky ?

Le compteur Linky du gestionnaire de réseaux publics de distribution d'électricité, Enedis, mesure les consommations sur des plages de 10 minutes et les agrège dans un maximum de dix « index fournisseur » permettant une tarification de l'électricité différente selon les heures. Les tarifs réglementés (heures pleines/heures creuses, ou EJP) comme les offres de marché peuvent s'appuyer sur cette fonctionnalité. Le compteur dispose également d'« index production », permettant notamment de mesurer l'énergie injectée par le consommateur lors d'une opération d'autoconsommation.

Les informations dont « dispose » le compteur sont exportables via la télé-information client (TIC). Celle-ci peut être assurée par liaison filaire ou via un « Émetteur radio Linky » (ERL). En sens inverse, le gestionnaire de réseau transmet en temps réel des informations au compteur Linky, en particulier à l'occasion du basculement entre plages tarifaires.

Cette nouvelle génération de compteur permet :

- le pilotage des équipements des consommateurs (via un gestionnaire d'énergie ou équivalent), contribuant ainsi à la limitation de leur consommation pendant les périodes de forte demande d'électricité ;

- la simplification de certaines opérations (télé-relevés et interventions à distance) ;

- une aide à la maîtrise des dépenses des consommateurs, notamment par l'intermédiaire de nouveaux services, par la transmission d'informations plus précises et enrichies sur leur consommation réelle, la possibilité de se comparer avec des consommations comparables ;

- des offres tarifaires, par les fournisseurs, adaptées aux besoins spécifiques des consommateurs, avec des prix différents selon les périodes de l'année ou de la journée ;

- le développement des réseaux électriques intelligents (Smart grids).

Source : Rapport du comité de prospective de la CRE, intitulé « donner du sens aux données du consommateur », décembre 2019.

c) L'enregistrement des données de consommation dans le système d'information du gestionnaire de réseau de distribution doit être la norme

L'entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD)206(*) a eu un impact sur les règles applicables au traitement des données de consommation individuelle issues des compteurs dit intelligents. Les « données brutes traitées par un compteur intelligent » constituent désormais des données à caractère personnel. Les obligations de la loi Informatique et Libertés de 1978 et du RGPD s'appliquent par conséquent à leur traitement.

Le code de l'énergie encadre les modalités de mise à disposition des données du consommateur selon les fins poursuivies. Trois modalités principales existent : le recueil obligatoire signifiant que le client ne peut s'opposer à la collecte de ces données de consommation ; « l'opt-out » signifiant un traitement automatique, sauf si le consommateur s'y oppose ; « l'opt-in » signifiant un traitement uniquement si le consommateur l'a explicitement autorisé ou demandé.

Dans une délibération du 11 février 2010, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) évaluait l'expérimentation d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF) en vue de l'évolution du comptage électrique basse tension de faible puissance. Cette délibération prévoyait que le compteur Linky aurait, entre autres fonctionnalités, la possibilité de « mesurer et enregistrer la courbe de charge (puissance active) avec un pas de temps paramétrable a minima avec les valeurs 30 et 60 minutes, pour une capacité minimale de 2 mois glissants au pas demi-horaire ».

La Commission nationale informatique et libertés (CNIL) a estimé, peu de temps après, que ces données étaient trop sensibles et ne pouvaient pas être transmises sans avis express du client.

Il résulte de cette décision que les données disponibles sur la consommation des ménages pour eux-mêmes, et pour le système d'informations des gestionnaires de réseaux, sont partielles. Aujourd'hui, l'enregistrement de la courbe de charge à la demi-heure dans les compteurs intelligents résidentiels est systématique, sauf si le client s'y oppose (opt-out). Mais ces mêmes données remontent aux gestionnaires de réseaux uniquement si le client en fait la demande explicitement (opt-in). Au 1er avril 2024, seulement 10,2 millions de clients ont donné leur accord pour que la courbe de charge soit activée, soit 27 % des clients équipés du compteur communicant Linky.

Évolution du nombre d'abonnements à la courbe de charge

Source : Enedis207(*)

Natacha Hakwik, présidente de l'association Luciole208(*), déclarait lors de son audition par la commission d'enquête : « Le fonctionnement en opt-in a pour conséquence que lorsqu'un consommateur s'intéresse à sa consommation - ce qui est de plus en plus le cas - et qu'il interroge un fournisseur ou un opérateur de service, celui-ci va tenter de récupérer l'historique de ses courbes de charge pour l'analyser. Mais si le consommateur n'a pas expressément autorisé l'enregistrement de sa consommation dans le compteur et sa transmission au gestionnaire de réseau, alors l'opérateur de service ou le fournisseur est dans l'incapacité de les récupérer. Il doit attendre un an, parfois deux ans. Nous proposons donc que la consommation soit par défaut enregistrée dans le compteur, et transmise à Enedis - qui, je le rappelle, est une entreprise publique : il ne s'agit pas de confier des données à Google ! Ainsi, lorsque le consommateur a besoin d'une analyse, l'opérateur ou le fournisseur peut y accéder après en avoir obtenu l'accord. Cela fait dix ans que nous défendons cette idée. Des rapports du comité de prospective de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) l'ont également réclamé. Pourtant, rien ne bouge. Nous serions très heureux de lever enfin cette barrière. »209(*)

La commission d'enquête constate que la CRE, dans sa contribution à la stratégie française énergie-climat de septembre 2023, avance désormais une recommandation comparable : « la réglementation doit évoluer pour faciliter l'accès aux données de consommation d'énergie aujourd'hui insuffisamment développé, tout en veillant à leur transparence et leur protection. L'enregistrement des données horaires dans les systèmes d'information des gestionnaires de réseaux, tout en maintenant un droit de refus (« opt-out ») pour les consommateurs, leur permettrait de disposer à tout moment et immédiatement, sur simple requête informatique, de leur historique de consommation. »

Le consentement en matière de recueil des données est un sujet sensible, mais des récentes évolutions, dans d'autres secteurs, démontrent qu'il est possible de trouver un chemin entre intérêt individuel et intérêt général (voir encadré ci-dessous).

L'exploitation de données sensibles en matière de Santé

La loi Santé du 24 juillet 2019 semble avoir trouvé un équilibre entre intérêt général et protection des données individuelles.

Elle prévoit ainsi que tous les administrés, y compris les nouveau-nés, se verront automatiquement doter d'un espace numérique de santé, sauf opposition de la personne ou de son représentant légal (opt-out). Pourtant, les données de santé, encore plus que les données d'énergie, revêtent un caractère éminemment sensible. L'introduction de ce mécanisme d'opt-out devrait avoir des conséquences importantes sur la collecte des données de santé.

Source : Commission d'enquête

Compte tenu de son intérêt pour le réseau électrique et le pilotage intelligent de la consommation, la commission d'enquête estime nécessaire que la collecte de la courbe de charge des compteurs et leur enregistrement dans le système d'information du gestionnaire de réseau de distribution soit automatique, sauf opposition du client dûment informé au préalable.

La mesure des données horaires, qui étaient justement l'un des apports des compteurs dit intelligents, doivent pouvoir être transmises aux gestionnaires de réseau, sauf si le consommateur s'y oppose. Cette évolution, afin de se faire dans la confiance, devra porter une attention particulière à la bonne information du consommateur : clarté sur l'usage fait de ses données, outil de visualisation et d'appropriation simple d'usage, sécurité des traitements, etc.

La commission d'enquête propose de systématiser la remontée des données de la courbe de charge aux gestionnaires de réseaux, tout en laissant aux consommateurs la possibilité de s'y opposer. Le passage en « opt-out » pour l'enregistrement des données par les gestionnaires de réseau peut se combiner avec un maintien d'un « opt-in » pour la transmission de ces données à un tiers, société privée notamment, qu'il soit le fournisseur ou un prestataire de service comme un agrégateur d'effacement.

Cette évolution devrait se faire après discussion de telle sorte que les contestations et inquiétudes comme celles qui avaient accompagné le déploiement de Linky soient apaisées.

La commission est consciente du coût que cela peut représenter pour Enedis, dont le système d'informations n'est aujourd'hui paramétré que pour remonter 20 % des courbes de charges. Une certaine progressivité, pour faciliter l'atteinte de l'objectif proposé, pourrait être visée.

Elle note cependant que les spécifications du projet Linky arrêtées dans la délibération de la CRE de 2007 visaient un potentiel de remontées des courbes de charge de 100 % des clients équipés. Ce choix faisait suite à une étude technico-économique de CapGemini, que la commission a pu consulter, et qui montrait que cette caractéristique correspondait bien à un optimum de rentabilité du projet pour la collectivité.

En conclusion, la commission considère que le développement des remontées de données de consommation électrique est un impératif dans le cadre de l'enjeu de sobriété et de stabilité du système électrique et appelle le Gouvernement à engager rapidement une concertation avec les acteurs intéressés et notamment les consommateurs.

Recommandation n° 9

Destinataires

Échéance

Support/Action

Systématiser la remontée des données de la courbe de charge aux gestionnaires de réseaux, sauf si le consommateur, dûment informé au préalable, s'y oppose

Gouvernement (Ministère de l'économie et des finances)

Gestionnaire de réseau (Enedis)

2024

Modification du code de la consommation


* 198 Bilan prévisionnel 2023, p.73.

* 199 P. 406

* 200 Futurs énergétiques 2050, p. 134.

* 201 Bilan électrique 2023, page 19.

* 202 Bilan électrique 2023, RTE.

* 203 Bilan 2lectrique 2023, RTE.

* 204 ADEEF, ADEME, ENEDIS, RTE, Étude « Valorisation socio-économique des réseaux électriques intelligents », Juillet 2017.

* 205 Étude réalisée par le cabinet Suédois IoT Berg Insight qui suit de près l'évolution de ce marché depuis la création de l'entreprise en 2004 et publie régulièrement des mises à jour.

* 206 Règlement (UE) 2016/679 du parlement européen et du conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données).

* 207 Enedis, réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.

* 208 Luciole, Union pour une consommation intelligente et optimisée de l'énergie, est un collectif d'une quinzaine de TPE & PME intervenant dans le domaine des flexibilités.

* 209 Audition du 15 mai 2024.

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