QUATRIÈME PARTIE
LA DÉSINFORMATION EN SANTÉ

I. INTRODUCTION

A. UN PROBLÈME ANCIEN SUSCEPTIBLE D'AVOIR D'IMPORTANTES RÉPERCUSSIONS

La circulation de fausses informations médicales n'est pas récente348(*), mais elle a été particulièrement mise en lumière et a pris une importance nouvelle au cours de la pandémie de la covid-19349(*), comme cela avait déjà été constaté lors d'épisodes épidémiques et de crises sanitaires antérieurs350(*).

Parmi les différents domaines pouvant être touchés par la désinformation, la santé occupe en effet une place singulière. Les états de vulnérabilité et d'anxiété dans lesquels sont susceptibles de se trouver les patients et la population favorisent leur inclination pour les fausses informations, notamment lorsque celles-ci sont porteuses d'espoir, proposent des explications ou désignent des responsables. Ces informations erronées peuvent concerner les symptômes et les origines de la maladie, l'efficacité et la pertinence des éventuelles mesures et interventions mises en place, ou encore les traitements susceptibles d'être utilisés, avec des répercussions sanitaires considérables.

Les incertitudes qui accompagnent l'émergence d'une maladie nouvelle et le processus de construction des connaissances scientifiques, comprenant nécessairement des essais et des erreurs, constituent un terrain propice à l'apparition de fausses informations. En plaçant les explications scientifiques au coeur du débat public, les crises sanitaires conduisent à une politisation de la science, une instrumentalisation de ses résultats et alimentent la circulation de fausses informations.

B. UN NOUVEAU CADRE INFORMATIONNEL QUI SE TRADUIT PAR UNE EXPLOSION D'INFORMATIONS

Par rapport aux pandémies précédentes, la crise de la covid-19 est intervenue dans un cadre informationnel nouveau. Le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication au cours des dernières années a radicalement changé la manière dont les informations sont produites, diffusées et consommées. L'augmentation rapide et massive du volume d'informations échangées aboutit à une cacophonie inédite, parfois qualifiée d'« infobésité »351(*). Face à cette avalanche d'informations, il devient difficile pour la population d'identifier les sources fiables de connaissances vérifiées, si bien que la mésinformation352(*) et la désinformation suscitent de plus en plus d'inquiétudes, jusqu'à être perçues comme l'une des menaces majeures auxquelles doit faire face notre société353(*).

Dans le cadre de la crise de la covid-19, l'explosion de données a également concerné les informations scientifiques. La plateforme LitCovid, qui recense les publications scientifiques portant sur la covid-19, compte plus de 400 000 articles scientifiques publiés depuis l'émergence du SARS-CoV-2, dont plus de 88 000 au cours de l'année 2020354(*). Le développement du système de « pré-publication », qui permet de rendre disponible des articles avant l'étape de relecture par les pairs, a notamment facilité l'accélération du rythme de publication. Si cette intensification de la production scientifique a permis une acquisition rapide de connaissances pour faire face à la crise, elle soulève également des interrogations quant à la qualité de certains de ces travaux, qui pouvaient reposer sur des bases scientifiques fragiles, et à la confusion qui a pu en découler355(*). Cette préoccupation apparaît d'autant plus prégnante que la levée des restrictions d'accès par les éditeurs scientifiques, dans une démarche de science ouverte, et l'usage des réseaux sociaux par certains scientifiques comme nouvelle modalité d'échange et de communication ont permis une accessibilité sans précédent à l'ensemble des travaux, notamment par un public ne disposant pas des connaissances nécessaires à leur bonne interprétation. Cette accessibilité a en outre mis en exergue ce qui est habituel en sciences, mais méconnu du grand public, à savoir que les analyses peuvent diverger d'un scientifique à l'autre et évoluer au fil du temps, ce qui a pu entraîner dans la population une impression de cacophonie.


* 348 S. L. Jin et al., Lancet Infect. Dis. 2024, sous presse ( https://doi.org/10.1016/S1473-3099(24)00105-1).

* 349 C. Apetrei et al., Trends Microbiol. 2022, 30, 948 ( https://doi.org/10.1016/j.tim.2022.07.004).

* 350 N. Chowdhury et al., J. Public Health 2023, 31, 553 ( https://doi.org/10.1007/s10389-021-01565-3).

* 351 Pour une présentation pédagogique de cette thématique, voir la note scientifique Face à l'explosion des données : prévenir la submersion de Ludovic Haye, sénateur, faite au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ( https://www.senat.fr/rap/r22-291/r22-2911.pdf).

* 352 Une distinction est faite entre la désinformation, qui désigne une information fausse qui aurait été produite ou partagée dans une volonté délibérée de tromper ou d'induire en erreur, et la mésinformation, qui relèverait de l'erreur honnête, de la déformation involontaire ou de la mésinterprétation.

* 353 World Economic Forum, The Global Risks Report 2024, 2024 ( https://www3.weforum.org/docs/WEF_The_Global_Risks_Report_2024.pdf).

* 354  https://www.ncbi.nlm.nih.gov/research/coronavirus/.

* 355 J. Sarkis et al., La Presse Médicale Formation 2020, 1, 332 ( https://doi.org/10.1016%2Fj.lpmfor.2020.07.014).

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