EXAMEN EN COMMISSION

M. Philippe Mouiller, président. - Nous entendons à présent la communication d'Anne-Marie Nédélec et Émilienne Poumirol à l'issue des travaux de la mission d'information qu'elles ont conduite sur les cancers imputables à l'activité de sapeur-pompier.

Je vous rappelle que les travaux de nos collègues s'inscrivent dans le programme de contrôle de la commission pour la session 2023-2024.

Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - En tant qu'élus des territoires de la République, nous sommes tous ici particulièrement attentifs à ce qui concerne les sapeurs-pompiers, qui assurent chaque jour un service public particulièrement précieux auprès de nos concitoyens.

Nous comptons au total un peu moins de 253 000 sapeurs-pompiers en France, dont près de 80 % sont volontaires. Leur activité est évidemment dangereuse : risques traumatiques, toxiques, infectieux, cardio-vasculaires, routiers, psychologiques, de stress thermique, de déshydratation, de troubles musculosquelettiques, etc.

Il est en revanche un risque dont nous parlons trop peu, je veux parler de celui de développer une maladie professionnelle, notamment un cancer.

Il est important de préciser, pour commencer, que trop peu d'études ont porté sur ce sujet dans notre pays au cours des dernières décennies - deux, en l'occurrence. Publiées en 1995 et en 2012, elles concluent à une mortalité globale plus faible chez les sapeurs-pompiers par rapport à la population générale, ce qui pourrait s'expliquer par un biais appelé le « phénomène du travailleur sain » : les soldats du feu sont généralement en meilleure santé physique que le reste de la population. S'agissant de la mortalité par cancer en particulier, si la seconde étude ne notait qu'une surmortalité modérée, mais non statistiquement significative pour certains types de cancers, la première aboutissait au constat d'une mortalité supérieure pour les cancers uro-génitaux, respiratoires et digestifs.

En outre, l'an dernier, il est apparu au terme d'une étude britannique portant sur près de 11 000 sapeurs-pompiers qu'un cancer avait été diagnostiqué chez 4 % d'entre eux. Il s'agissait, dans plus d'un tiers des cas, d'un cancer de la peau et, dans 12 % des cas, d'un cancer des testicules. Les auteurs de cette étude, qui doit certes être regardée avec prudence en raison du champ statistique restreint, estimaient que le taux de cancer était supérieur de 323 % chez les sapeurs-pompiers âgés de 35 à 39 ans par rapport à la population générale.

Il est regrettable que nous ne disposions pas de données épidémiologiques pouvant servir de base de travail fiable, recueillies sur le long terme au sein d'un échantillon assez large. Nous ne sommes pas les premières à le déplorer : le colonel Christian Pourny, dans son fameux rapport de 2003, le notait déjà, en invitant à créer une banque nationale de données (BND). Cette BND a été créée depuis lors au sein de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), mais elle ne présente qu'un intérêt limité dans la mesure où tous les départements ne l'alimentent pas et où les maladies professionnelles sont, comme les accidents du travail, largement sous-déclarées en France.

Quoi qu'il en soit, il n'est pas douteux que les sapeurs-pompiers s'exposent, dans l'exercice de leurs fonctions, à nombre d'agents et de substances reconnues cancérogènes. Citons par exemple certains produits de combustion, comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des matériaux de construction, comme l'amiante, les substances perfluorées et polyfluorées (PFAS) contenues dans les émulseurs des produits d'extinction ou encore les retardateurs de flammes libérés dans l'air au cours de la combustion des objets du quotidien. Ces derniers ont d'ailleurs été retrouvés chez tous les sapeurs-pompiers ayant participé à des analyses biologiques organisées par l'équipe de l'émission de France Télévisions « Vert de rage » avec une université américaine et un laboratoire tchèque, y compris l'un d'entre eux, le BDE-209, à des niveaux très importants.

Il est donc logique que, en juin 2022, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), agence de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), ait classé l'activité de sapeur-pompier comme cancérogène pour l'homme sur la base de preuves suffisantes pour le mésothéliome et le cancer de la vessie et de preuves limitées pour les cancers du côlon, de la prostate et des testicules, le mélanome et le lymphome non hodgkinien. Pour ce qui concerne le mésothéliome, le risque serait plus élevé de 58 % chez les pompiers qu'au sein de la population générale ; il serait supérieur de 16 % dans le cas du cancer de la vessie.

Dans ce contexte, quel est donc l'état du droit en France en ce qui concerne la reconnaissance d'un cancer en maladie professionnelle chez un sapeur-pompier ?

Depuis 2017, les fonctionnaires, y compris les sapeurs-pompiers professionnels, bénéficient d'une présomption d'imputabilité au service pour tout cancer désigné par un tableau de maladies professionnelles et contracté en service ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions dans les conditions mentionnées par ledit tableau. Si l'autorité territoriale compétente estime que la pathologie n'est pas imputable au service, il lui appartient désormais d'en apporter la preuve, dont la charge se trouve ainsi inversée.

En tout état de cause, si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste des travaux susceptibles de provoquer l'affection ne sont pas remplies, l'imputabilité au service d'une maladie désignée par un tableau peut tout de même être reconnue, si l'agent prouve qu'elle a été directement causée par l'exercice de ses fonctions.

Une pathologie peut enfin être reconnue comme ayant une origine professionnelle, y compris si elle ne figure pas dans les tableaux, à la double condition que l'agent établisse qu'elle a été essentiellement et directement causée par l'exercice de ses fonctions et qu'elle entraîne une incapacité permanente d'au moins 25 %. Dans ces deux derniers cas, le conseil médical départemental, composé de médecins, de représentants du service départemental d'incendie et de secours (Sdis) et de représentants du personnel, est obligatoirement consulté pour avis avant que le Sdis ne prenne sa décision sur l'imputabilité de la maladie au service.

Si son origine professionnelle est reconnue et si une incapacité temporaire de travail en découle, le fonctionnaire peut prétendre à un congé pour invalidité temporaire imputable au service (Citis) durant lequel il conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il reprenne ses fonctions ou soit mis à la retraite. Du reste, il a également droit au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie.

Le temps passé en congé est pris en compte pour la détermination des droits à l'avancement d'échelon et de grade, ainsi que pour la constitution et la liquidation des droits à pension de retraite. Si, au terme du congé, il est apte à reprendre ses fonctions, le fonctionnaire doit être réintégré dans son emploi ou, à défaut, réaffecté dans un emploi correspondant à son grade. Le cas échéant, il peut demander le bénéfice d'une allocation temporaire d'invalidité (ATI) cumulable avec son traitement s'il est atteint d'une incapacité permanente partielle résultant de la maladie. S'il est en revanche dans l'impossibilité définitive et absolue de continuer ses fonctions, il peut être admis à la retraite pour invalidité.

De même, un sapeur-pompier volontaire atteint d'une maladie contractée en service ou à l'occasion du service pourra bénéficier de la prise en charge des frais médicaux directement liés à cette maladie, d'une indemnité journalière compensant la perte de revenus subie du fait de l'incapacité temporaire de travail et d'une allocation ou rente en cas d'incapacité permanente.

Au-delà de ces dispositifs de réparation, les pouvoirs publics ont accentué, depuis la publication du rapport Pourny, leurs efforts en matière de prévention des risques.

Sur le plan du suivi médical, d'abord. Les sapeurs-pompiers professionnels bénéficient ainsi de l'intervention des services de médecine préventive, avec notamment une visite d'information et de prévention au minimum tous les deux ans. Ils sont également astreints à un contrôle régulier de l'aptitude médicale, laquelle est prononcée par un médecin de sapeurs-pompiers tous les ans, ou tous les deux ans pour les sapeurs-pompiers âgés de 16 à 38 ans. Dans ce cadre, le médecin peut notamment prescrire un contrôle radiologique pulmonaire au moins tous les trois ans à partir de 40 ans. Le Gouvernement envisage d'ailleurs de réformer le contrôle de l'aptitude afin d'harmoniser les pratiques et de les adapter aux évolutions de la médecine. Enfin, un suivi post-professionnel est ouvert depuis 2015 aux agents ayant notamment été exposés à une substance cancérogène. Celui-ci est assuré soit par le service de médecine préventive, soit par un médecin choisi par l'agent, les frais en découlant étant intégralement pris en charge par le Sdis.

La prévention s'inscrit également dans le cadre opérationnel. Au travers de son fonds national de prévention (FNP), la CNRACL contribue ainsi au financement de projets en la matière et d'études épidémiologiques. Elle met également à la disposition des Sdis de la documentation sur les risques professionnels, ainsi qu'un logiciel, dénommé Prorisq, qui leur permet de suivre leur sinistralité.

La Caisse s'est enfin trouvée à l'origine de plusieurs initiatives importantes ces dernières années, à commencer par la constitution d'un groupe de travail sur les risques liés aux fumées d'incendie ayant abouti à un rapport contenant quarante-trois recommandations et à la publication par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) d'un guide de doctrine opérationnel sur la prévention desdits risques.

Je citerai également le rapport du Centre d'essai et de recherche de l'Entente méditerranéenne (Ceren) sur l'efficacité de filtration des cagoules utilisées lors des feux de forêts, commandité par la CNRACL, qui a démontré que ces cagoules ne filtraient quasiment rien et conduit à l'élaboration d'un nouveau modèle de cagoules, dont le taux de filtration atteint au moins les 70 %. L'enjeu de la prévention des risques professionnels semble donc bel et bien assimilé par les pouvoirs publics.

Mme Émilienne Poumirol, rapporteure. - Néanmoins, des progrès majeurs nous semblent encore devoir être réalisés. En effet, pour ce qui concerne les sapeurs-pompiers, seuls deux types de cancer sont aujourd'hui présumés imputables au service, à savoir le carcinome du nasopharynx et le carcinome hépatocellulaire, dont le lien avec l'activité de sapeur-pompier ne semble pourtant établi par aucune publication. Les tableaux sont en effet édictés par le Gouvernement après consultation des partenaires sociaux, selon des logiques visiblement assez éloignées de l'état des connaissances scientifiques. Si le cancer de la vessie et le mésothéliome, dont le lien avec l'activité de sapeur-pompier a été confirmé par le Circ, figurent bien dans les tableaux de maladies professionnelles, la liste des travaux susceptibles de les provoquer n'inclut pas l'extinction des incendies. Les agents potentiellement concernés sont donc contraints d'apporter la preuve du lien direct entre ces pathologies et l'exercice de leurs fonctions, ce qui est souvent difficile à matérialiser.

Certains autres pays développés, comme les États-Unis ou le Canada, sont bien en avance sur la France à cet égard. Ainsi, 28 types de cancer pourraient être reconnus comme maladies professionnelles chez les sapeurs-pompiers dans l'État du Nevada. Au Canada, ce nombre varie selon les provinces et va jusqu'à 19 en Ontario. Au Québec, en particulier, 9 types de cancer sont présumés imputables au service : les cancers du rein, de la vessie, de la peau et de la prostate, le myélome multiple, le lymphome non hodgkinien, le mésothéliome non pulmonaire ou pulmonaire et le cancer du larynx, ces deux derniers ne pouvant l'être qu'à la condition que le malade n'ait pas été fumeur pendant les dix ans ayant précédé le diagnostic.

Pour revenir au cas français, la CNRACL nous a indiqué n'avoir enregistré, au cours des dix dernières années, que 21 demandes d'allocation temporaire d'invalidité concernant des cancers professionnels chez des fonctionnaires territoriaux, sans qu'aucun d'entre eux n'émane d'un sapeur-pompier. Du reste, seules 31 maladies professionnelles ont été déclarées chez les sapeurs-pompiers professionnels en 2022, ce qui laisse deviner une forte sous-déclaration. Plusieurs facteurs d'explication de ce phénomène peuvent être avancés : le refus du médecin d'établir le certificat initial à défaut de formation ou de compréhension de la procédure, une prise en compte insuffisante de la polyexposition, des biais au sein des conseils médicaux en défaveur des travailleurs, l'extrême complexité de la procédure de reconnaissance et d'indemnisation ou encore la difficulté à obtenir des preuves de l'exposition à des facteurs de risque, qu'aggrave le caractère très limitatif des tableaux de maladies professionnelles dans leur état actuel s'agissant du cas des pompiers.

En matière de prévention aussi, nous pouvons et devons faire mieux. Le principal obstacle à son développement réside dans l'autonomie de gestion des Sdis, qui empêche toute coordination à l'échelle nationale. Je veux insister, à titre d'illustration, sur le cas des fiches d'exposition. Il ressort de nos auditions que certains Sdis tâcheraient de tracer les expositions auxquelles sont soumis leurs agents, mais que ces pratiques ne seraient ni systématiques ni généralisées. Et pour cause, aucune prescription législative ou réglementaire n'existe, pas plus, d'ailleurs, qu'un modèle national de fiche d'exposition. À défaut, il est extrêmement difficile pour les sapeurs-pompiers victimes d'un cancer, sans pouvoir prétendre à la présomption d'imputabilité au service, de démontrer le lien entre leur activité et cette pathologie.

À cela s'ajoutent les insuffisances constatées en matière de suivi médical. Du fait de la désertification médicale, bien des Sdis rencontreraient en effet des difficultés à respecter la fréquence réglementaire des visites d'aptitude, dans le cadre desquelles, au surplus, les médecins se bornent à constater la capacité des agents à exercer des fonctions opérationnelles, sans réel examen de leur état de santé. Le suivi post-professionnel, quant à lui, se heurterait à la même problématique de démographie médicale et se résumerait en pratique à une invitation faite à l'agent, au moment de la cessation de ses fonctions, à consulter régulièrement son médecin traitant. Notons, par ailleurs, que ce suivi ne concerne que les sapeurs-pompiers professionnels, à l'exclusion des volontaires.

Nous avons également relevé de sérieuses lacunes s'agissant des équipements de protection individuelle (EPI) utilisés par les Sdis. Si les logiques d'héroïsation tendent à céder le pas à une responsabilisation accrue des sapeurs-pompiers, le port des appareils respiratoires isolants (ARI) ne serait pas systématique, en raison, notamment, des contraintes qu'ils représentent en opération - ils pèsent 14 kilos et posent des problèmes de thermorégulation. Or, il est démontré que la capacité de filtration de la cagoule qui leur est parfois substituée est nulle. Le prototype de cagoule filtrante n'est, quant à lui, toujours pas certifié et n'est donc pas encore accessible. En tout état de cause, quand il le sera, son coût devrait représenter le triple de celui des cagoules actuelles, ce qui limitera vraisemblablement les possibilités d'acquisition par les Sdis, dont les finances sont hélas particulièrement contraintes. Ce dispositif filtrera au moins 70 % des particules fines, mais pas les autres substances chimiques libérées au cours de la combustion, et ses conséquences sur la respiration et la thermorégulation ne sont pas certaines.

Sur le plan scientifique, enfin, le ministre de l'intérieur a annoncé, en fin d'année dernière, avoir lancé une étude épidémiologique conduite par le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Nous avons donc souhaité en savoir un peu plus sur cette initiative. Il apparaît en réalité que celle-ci correspond à la fois à un soutien apporté à une thèse en ergonomie en cours d'élaboration, qui vise à documenter et à évaluer les effets sur la santé de l'activité de sapeur-pompier, et à la conception d'une matrice tâches-expositions, qui doit permettre de mieux identifier les expositions des sapeurs-pompiers et de faciliter le suivi médical et la reconnaissance d'éventuelles maladies professionnelles. Bien qu'il ne s'agisse donc pas réellement d'une étude épidémiologique à proprement parler, contrairement à ce qu'a affirmé Gérald Darmanin devant l'Assemblée nationale, nous nous réjouissons de ces démarches, qui s'inscrivent dans le bon sens. Néanmoins, nous craignons qu'elles servent de prétexte au Gouvernement pour reporter aux calendes grecques la mise en oeuvre des mesures d'urgence qu'impose la reconnaissance à l'échelle internationale de la cancérogénicité de l'activité de sapeur-pompier.

Nous formulons par conséquent dix propositions visant à mieux protéger la santé des soldats du feu. D'abord et avant toute chose, il est impératif de simplifier et de favoriser la reconnaissance en maladie professionnelle des cancers imputables à la lutte contre l'incendie. Nous invitons donc le Gouvernement, qui y est habilité, à soumettre aux partenaires sociaux la création d'un tableau de maladies professionnelles spécifique regroupant les pathologies liées aux travaux d'extinction des incendies, aujourd'hui éparpillées entre plusieurs tableaux.

Devraient alors y être intégrés les sept types de cancer dont le lien avec l'activité de sapeur-pompier a été affirmé par le Circ, avec un délai de prise en charge de quarante ans et une durée d'exposition minimale de quinze à vingt ans. Il ne s'agit pas de permettre leur reconnaissance en maladie professionnelle, ce qui est déjà possible sous condition d'apporter la preuve de leur lien avec l'extinction des incendies, mais de leur appliquer la présomption d'imputabilité au service chaque fois que les conditions que je viens de mentionner seront remplies. Du reste, une clause de revoyure devrait permettre à l'avenir de mettre à jour ce tableau spécifique en fonction de l'évolution des connaissances scientifiques. De plus, nous préconisons de procéder systématiquement à l'évaluation des droits à l'allocation temporaire d'invalidité (ATI) des agents des collectivités locales au terme d'un congé pour invalidité temporaire imputable au service (Citis), ce qui contribuerait à limiter le non-recours à cette allocation.

Pour tous les cancers qui resteraient en dehors du tableau spécifique dont nous proposons la création et dont le lien potentiel avec la lutte contre l'incendie n'est pas démontré en l'état des connaissances scientifiques, il importe de permettre aux sapeurs-pompiers de fournir plus aisément la preuve de leur exposition à des facteurs de risque afin de démontrer le lien entre ces affections et l'exercice de leurs fonctions. Nous proposons par conséquent d'élaborer un modèle national de fiche d'exposition à des facteurs de risque spécifiques à l'activité de sapeur-pompier et d'en rendre obligatoire le remplissage après chaque intervention à risque.

Mais, comme le dit l'adage, il vaut mieux prévenir que guérir. En matière de prévention, nous avançons plusieurs pistes d'action. L'équipement en cagoules filtrantes de nouvelle génération devant constituer une priorité compte tenu des enjeux, il serait justifié que l'État accorde aux Sdis une dotation exceptionnelle afin de leur permettre d'en acquérir massivement, de même que tous types d'équipements dont l'efficacité en matière de protection individuelle est prouvée scientifiquement. Je pense en particulier aux combinaisons, qui n'empêchent pas la pénétration de substances cancérogènes.

Dans le même temps, la recherche scientifique et l'analyse de données doivent se poursuivre en parallèle d'un renforcement des efforts de dépistage précoce des cancers et autres pathologies liées à l'activité de sapeur-pompier. Nous invitons donc les pouvoirs publics à mener, à intervalles réguliers, des programmes nationaux de surveillance médicale destinés aux sapeurs-pompiers et comportant des examens de dépistage précoce de ces maladies. Il nous paraît tout aussi nécessaire de renforcer le suivi post-professionnel en obligeant les Sdis à proposer tous les cinq ans une visite de contrôle assurée par un médecin de sapeurs-pompiers à l'ensemble des pompiers professionnels retraités. Dans le cadre de cette surveillance, des données épidémiologiques seraient collectées et analysées par un observatoire de la santé des sapeurs-pompiers. Ce dernier serait chargé de proposer des mesures dans le champ de la prévention comme dans celui de la réparation.

Enfin, dans ce domaine comme dans tant d'autres, nous n'avancerons pas sans nous appuyer sur le personnel médical, qui joue un rôle crucial au plus près des agents. La formation des médecins et infirmiers de sapeurs-pompiers en médecine du travail gagnerait donc à être renforcée afin de leur en inculquer les principes et les modes d'application à la situation des sapeurs-pompiers. Nous souhaitons que cet effort d'information vise en premier lieu les sapeurs-pompiers eux-mêmes. Il est donc impératif que les risques auxquels cette activité les expose leur soient présentés dès la première visite médicale d'aptitude. Nous ne le dirons jamais assez : les sapeurs-pompiers doivent être les premiers acteurs de leur propre santé.

Je terminerai mon propos en redisant, en votre nom à tous, mes chers collègues, la reconnaissance de la Nation envers ces femmes et ces hommes qui mettent chaque jour leur vie en péril pour protéger celle des autres. À eux tous, nous disons du fond du coeur : « Merci. Nous sommes à vos côtés ».

Je remercie le président Mouiller de m'avoir confié ce rapport, et Mme Anne-Marie Nédélec pour le travail transpartisan que nous avons mené.

Mme Annie Le Houerou. - Je vous remercie pour ce travail. Vous avez cité de nombreuses difficultés : la sous-déclaration des maladies professionnelles, la difficulté du suivi médical, la formation des professionnels de santé - médecins et infirmiers -, ou encore la nécessité d'études particulières et de données centralisées sur ces pathologies.

Un article paru hier dans Le Monde précise que les pompiers sont « aux premières loges » dans la contamination aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS). Des traces ont été retrouvées dans les cheveux de tous les sapeurs-pompiers testés par les organisations syndicales, à la demande notamment du mouvement Les Écologistes.

Les mousses anti-incendie et les tenues imperméabilisées en seraient pour partie responsables. Pensez-vous que la contamination à ces polluants particuliers pourrait être intégrée à la liste des maladies imputables au service ?

Par ailleurs, comment systématiser les analyses pour assurer un meilleur suivi des sapeurs-pompiers, afin d'éviter le développement de maladies ?

Mme Raymonde Poncet Monge. - Je salue la qualité de votre rapport.

De manière générale, il y a beaucoup à faire sur les maladies professionnelles de l'ensemble des corps de métiers. Néanmoins, il faut pour cela faire preuve de volonté. Vous avez dit qu'il fallait des subventions exceptionnelles pour que les Sdis, dont l'équilibre financier est souvent précaire, puissent investir dans des équipements réellement protecteurs.

Vous avez parlé de polyexposition. On entend souvent dire qu'il n'existerait pas de mousses anti-incendie aussi efficaces que celles qui contiennent des PFAS. Certes, mais des alternatives pourraient tout aussi bien être utilisées lors des exercices de simulation, qui représentent 90 % de l'activité des sapeurs-pompiers ! Tel sera l'objet de plusieurs amendements sur la proposition de loi visant à protéger la population des risques liés aux PFAS qui sera examinée lors de la niche du groupe GEST demain. C'est une mesure de bon sens, surtout quand on sait que ces polluants sont éternels et que nous ne pouvons pas revenir en arrière.

Mme Pascale Gruny. - Je remercie les rapporteures et le président d'avoir pris en compte ce sujet essentiel. En effet, si les pompiers jouent un rôle clé dans nos territoires, ils apparaissent, à première vue, en très bonne santé physique, et la thématique essentielle que vous avez abordée est peu visible.

Je regrette que nous ne nous intéressions trop souvent qu'aux mesures curatives, au lieu de chercher à faire de la prévention. Des équipements plus efficaces et moins polluants sont-ils utilisés à l'étranger ? Le coût de la mauvaise protection des sapeurs-pompiers finit en effet par être répercuté sur la sécurité sociale, sans même prendre en compte la sous-déclaration. Le cas des volontaires doit aussi susciter notre réflexion, beaucoup travaillant par ailleurs en entreprise.

Avez-vous travaillé sur les troubles musculo-squelettiques ? Les sapeurs-pompiers sont de plus en plus mobilisés en cas d'accident et dans le cadre du service ambulancier. Or, la formation dans ce domaine est généralement lacunaire. Par ailleurs, la prise en charge psychologique est souvent insuffisante.

Vous avez parlé du financement des Sdis. Nous connaissons bien ces enjeux. Mon département a investi 22 millions d'euros en leur faveur. Nous attendons désormais le rapport de la Cour des comptes.

Enfin, il faut noter que les volontaires sont plus souvent face au feu que les professionnels.

M. Khalifé Khalifé. - L'amiante, qui libère des fibres cancérogènes après un incendie, est en bonne partie responsable des cancers en lien avec l'activité de sapeur-pompier. Néanmoins, nombre de pompiers logent dans des bâtiments construits dans les années 1960. Avez-vous établi un lien entre la présence d'amiante dans les casernes et les cancers ?

Mme Émilienne Poumirol, rapporteure. - L'article du journal Le Monde révèle l'ampleur de la contamination aux PFAS. Tous les pompiers testés montrent des signes de contamination, y compris à une molécule pourtant interdite depuis 2009.

Nous avons essayé de faire le lien entre des facteurs d'exposition et le risque de maladie professionnelle. Nous manquons de données, puisqu'il n'existe que deux études, la première datant d'il y a trente ans, la deuxième, d'une dizaine d'années.

Mme Raymonde Poncet Monge. - C'est significatif !

Mme Émilienne Poumirol, rapporteure. - C'est en effet significatif de l'intérêt que portent les pouvoirs publics en général à la santé des sapeurs-pompiers, dont ils vantent si souvent l'héroïsme.

La question des retardateurs de flamme est particulièrement problématique, comme l'a montré l'enquête de « Vert de rage ». Ceux-ci, présents dans tous les objets du quotidien, y compris les jouets ou les pyjamas pour bébés, sont souvent extrêmement toxiques.

Je veux insister sur le risque lié à la polyexposition. Les fumées contiennent un très grand nombre de substances nocives. En outre, les pompiers avaient souvent l'habitude de retirer leur ARI une fois le feu éteint, alors que les dernières fumerolles sont les fumées les plus toxiques... Il faut donc systématiser les analyses.

Madame Poncet-Monge, il est sans doute nécessaire de limiter les exercices dans les caissons. Je me sens un peu coupable, car j'ai été à l'origine de l'acquisition de superbes caissons d'entraînement dans mon département ! Néanmoins, nous avons redoublé de précaution, notamment à l'égard des formateurs, qui y passent de nombreuses heures.

Madame Gruny, il ne nous a pas été indiqué qu'il existait du matériel de meilleure qualité dans d'autres pays. Cela me semble assez peu probable, compte tenu de l'ampleur des travaux conduits en France en vue de l'élaboration d'un prototype de cagoules filtrantes.

Monsieur Khalifé, nous n'avons pas étudié spécifiquement la question des casernes. Néanmoins, les bâtiments qui sont construits aujourd'hui ne sont pas concernés par les problèmes d'amiante. En revanche, il peut exister des problématiques liées à l'agencement des locaux, par exemple lorsque les gaz d'échappement sont orientés vers les vestiaires, malgré la présence de circuits de décontamination.

Mme Anne-Marie Nédélec, rapporteure. - Vos questions rejoignent plusieurs problématiques que nous avons soulevées.

Il y a d'abord le manque de données, qui nous a fortement handicapées. Je ne m'attendais pas à de telles lacunes, car je pensais que les fiches d'intervention étaient bien plus complètes.

Par ailleurs, nous avons constaté l'insuffisance du suivi médical, notamment d'analyses régulières.

Il faut aussi tenir compte de l'adaptation des équipements aux dangers. Nous n'avons pas reçu d'informations sur l'existence de nouveaux équipements à l'étranger. Concernant les cagoules, la France est relativement en avance, mais nous serons confrontés à la question de leur coût. En effet, le prix d'une cagoule passera de 15 euros à 40 ou 50 euros.

Par ailleurs, 80 % de nos pompiers sont des volontaires. Les activités sont variables selon les pompiers, les pays - le secours à la personne prend ainsi une place importante dans le travail des sapeurs-pompiers français - et même les régions. Ainsi, nous avons voulu savoir si des pathologies particulières affectaient les sapeurs-pompiers du sud de la France, plus régulièrement exposés aux feux de forêt que ceux du nord. Aucune étude n'existe sur le sujet.

Nous avons besoin de plus d'éléments chiffrés, et de fiches d'exposition contenant des données précises.

Davantage de cancers doivent en outre pouvoir être présumés imputables à l'activité de sapeur-pompier. À ce titre, les deux seuls cancers pouvant l'être à ce jour ne le sont nulle part ailleurs dans le monde. Le Circ ne les a pas même évoqués ! Nous n'avons pas voulu proposer leur retrait de la liste, mais nous recommandons d'en ajouter plusieurs autres, pour lesquels le lien a été confirmé par le Circ ou jugé très probable.

Nous ne devons pas oublier les sapeurs-pompiers volontaires, qui peuvent être soumis à des substances cancérogènes dans le cadre de leur activité professionnelle. C'est sur eux, en effet, que repose l'essentiel de nos services de secours.

Enfin, il faut insister sur la prévention afin d'éviter le développement de cancers. De grands progrès ont été accomplis en la matière. Néanmoins, les formateurs nous l'ont dit : le pire ennemi du pompier reste souvent le pompier lui-même.

Les recommandations sont adoptées.

La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

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